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LA GUERRE DES BOUTONS-L1 CHAP6-7

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Feuilleton audio - Chapitres 6 et 7 (26 Chapitres)
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Musique: Mystery March




Texte ou Biographie de l'auteur

La Guerre des boutons

Louis Pergaud


Plan de campagne


…dans le simple appareil D'une beauté qu'on vient d'arracher au sommeil.


Racine (Britannicus, acte II, sc. II).


En s'éveillant le lendemain d'un sommeil de plomb lourd comme la cuvée d'une ivresse, Lebrac s'étira lentement avec des sensations de meurtrissure aux reins et de vide à l'estomac.


Le souvenir de ce qui s'était passé lui revint à l'esprit, comme une bouffée de chaleur vous monte à la tête, et le fit rougir.


Ses vêtements, jetés au pied du lit et ailleurs, n'importe où, n'importe comment, attestaient par leur désordre le trouble profond qui avait présidé au déshabillage de leur propriétaire.


Lebrac songea que la colère paternelle devait être un peu émoussée par une nuit de sommeil ; il jugea de l'heure aux bruits de la maison et de la rue ; les bêtes rentraient de l'abreuvoir, sa mère portait le « lécher » aux vaches. Il était temps qu'il se levât et accomplît la besogne qui lui était dévolue chaque dimanche matin, savoir : décrotter et astiquer les cinq paires de souliers de la famille, emplir de bois la caisse et d'eau les arrosoirs, s'il ne voulait pas encourir de nouveau les rigueurs de la correction familiale.


Il sauta du lit et mit sa casquette ; puis il porta les mains à son derrière qui était chaud et douloureux, et, n'ayant pas de glace pour y mirer ce qu'il voulait, tourna autant qu'il put la tête sur les épaules et regarda : C'était rouge avec des raies violettes !


Étaient-ce les coups de verge de Migue la Lune ou les marques de la trique du père ? Tous les deux sans doute.


Un nouvelle rougeur de honte ou de rage lui empourpra le front : Salauds de Velrans, ils lui paieraient ça !


Immédiatement il enfila ses bas et se mit en quête de son vieux pantalon, celui qu'il devait porter chaque fois qu'il avait à accomplir une besogne au cours de laquelle il risquait de salir et de détériorer ses « bons habits ». C'était, fichtre ! bien le cas ! Mais l'ironie de sa situation lui échappa et il descendit à la cuisine.


Il commença par mettre à profit l'absence de sa mère pour chiper dans le dressoir un gros quignon de pain qu'il cacha dans sa poche et dont il arrachait de temps à autre, à pleines dents, une énorme bouchée qui lui distendait les mâchoires, puis il se mit à manier les brosses avec ardeur et comme si rien de particulier ne s'était passé la veille.


Son père, raccrochant son fouet au crochet de fer du pilier de pierre qui s'élevait au milieu de la cuisine, lui jeta en passant un coup d'œil rapide et sévère, mais ne desserra pas les dents.


Sa mère, quand il eut fini sa tâche et après qu'il eut déjeuné d'un bol de soupe, veilla à son échenillage dominical…


Il faut dire que Lebrac, de même que la plupart de ses camarades, La Crique excepté, n'avait avec l'eau que des relations plutôt lointaines, extra-familiales, si l'on peut dire, et qu'il la craignait autant que Mitis, le chat de la maison. Il ne l'appréciait vraiment, en effet, que dans les rigoles de la rue où il aimait à patauger et comme force motrice faisant tourner de petits moulins à aubes de sa construction, avec un axe en sureau et des palettes en coudre.


Aussi en semaine, malgré les colères du père Simon, ne se lavait-il jamais, sauf les mains, qu'il fallait présenter à l'inspection de propreté et encore, le plus souvent, se servait-il de sable en guise de savon. Le dimanche il y passait en rechignant. Sa mère, armée d'un rude torchon de grosse toile bise préalablement mouillé et savonné, lui râpait vigoureusement la face, le cou et les plis des oreilles, et quant au fond d'icelles, il était curé non moins énergiquement avec le coin du linge mouillé tortillé en forme de vrille. Ce jour-là, Lebrac s'abstint de brailler et, quand on l'eut nanti de ses vêtements du dimanche, on lui permit, lorsque sonna le second coup de la messe, de se rendre sur la place en lui faisant toutefois remarquer, avec une ironie totalement dépourvue d'élégance, qu'il n'avait qu'à recommencer comme la veille !


Toute l'armée de Longeverne était déjà là, pérorant et jacassant, remâchant la défaite et attendant anxieusement le général.


Il entra simplement dans le gros de la bande, légèrement ému toutefois de tous ces yeux brillants qui l'interrogeaient muettement.


– Ben oui ! fit-il, j'ai reçu la danse. Et puis quoi ! on n'en crève pas, « pisque » me voilà ! N'empêche que nous leur z-y devons quéque chose et qu'ils le paieront.


Cette façon de parler, qui semblerait au premier abord, et pour quelqu'un de non initié, dépourvue de logique, fut pourtant admise par tous et du premier coup, car Lebrac fut appuyé dans son opinion par d'unanimes approbations.


– Ça ne peut aller comme ça ! continua-t-il. Non, faut absolument trouver quéque chose. J'veux plus me faire taugner40 à la cambuse, « passe que » d'abord on ne me laisserait plus sortir et puis, il faut leur faire payer la tournée d'hier.


– Faudra y penser pendant la messe et on en recausera ce soir.


À ce moment passèrent les petites filles qui, en bande, se rendaient, elles aussi, à l'office. En traversant la place, elles regardèrent curieusement Lebrac « pour voir la gueule qu'il faisait », car elles étaient au courant de la grande guerre et savaient déjà toutes, par leur frère ou leur cousin, que, la veille, le général, malgré une résistance héroïque, avait subi le sort des vaincus et était rentré chez soi dépouillé et en piteux état.


Sous les multiples feux de tous ces regards, Lebrac, bien qu'il fût loin d'être timide, rougit jusqu'au bout des oreilles ; son orgueil de mâle et de chef souffrait horriblement de sa défaite et de cette sorte de déchéance passagère, et ce fut bien pis encore quand sa bonne amie, la sœur de Tintin, lui jeta au passage un regard de tendresse aux abois, un regard désolé, inquiet, humide et tendre qui disait éloquemment toute la part qu'elle prenait à son malheur et tout l'amour qu'elle gardait envers et malgré tout pour l'élu de son cœur.


Malgré ces marques non équivoques de sympathie, Lebrac n'y tint pas ; il voulut à tout prix se justifier complètement aux yeux de son amie ; et, lâchant sa bande, il entraîna Tintin à part et entre quatre-z-yeux lui demanda :


– Y as-tu au moins tout bien raconté à ta sœur ?


– Pour sûr affirma l'autre : elle pleurait de rage, elle disait que « si elle aurait tenu le Migue la Lune elle y aurait crevé les œils ».


– Y as-tu dit que c'était pour délivrer Camus et que si vous aviez été plus lestes, ils ne m'auraient pas chopé comme ça ?


– Mais oui que j'y ai dit ! J'y ai même dit que, tout le temps qu'ils te saboulaient, t'avais pas pleuré une goutte et puis que pour finir tu leur z'y avais montré ton cul. Ah ! ce qu'elle m'écoutait, mon vieux. C'est pas pour dire, tu sais, mais elle te gobe, not' Marie ! Elle m'a même dit de t'embrasser, mais entre nous, tu comprends, entre hommes, ça ne se fait pas, ça a l'air bête ; n'empêche que le cœur y est ; mon vieux, les femmes, quand ça aime… Elle m'a aussi dit qu'une autre fois, quand elle aurait le temps, elle tâcherait de venir par derrière pour, des fois que si tu étais repris, tu comprends, elle te recoudrait des boutons.


– J'y serai pas repris, n… d. D… ! non, j'y serai pas, fit Lebrac, ému tout de même.


Mais quand je « r'irai » à la foire de Vercel « dis-y » que je lui rapporterai un pain d'épices, pas un petit guiguillon de rien du tout, mais un gros, tu sais, un de six sous avec une double devise !


– Ce qu'elle va être contente, la Marie, mon vieux, quand j'y dirai, reprit Tintin, qui songeait avec émotion que sa sœur partageait toujours avec lui régulièrement ses desserts. Il ajouta même, se trahissant dans un élan de générosité :


– On tâchera de le bouffer tous les trois ensemble.


– Mais, c'est pas pour toi que je l'achèterai, ni pour moi, c'est pour elle !


– Oui, je sais bien, oui ! mais tu comprends, des fois, une idée qu'elle aurait de faire comme ça !


– Tout de même, convint Lebrac pensif, et ils entrèrent avec les autres à l'église, les cloches sonnant à toute volée.


Quand ils se furent casés, chacun à son poste respectif, c'est-à-dire aux places que les convenances, la vigueur personnelle, la solidité du poing leur avaient fait s'attribuer peu à peu après des débats plus ou moins longs (les meilleures étant réputées les plus proches des bancs des petites filles), ils tirèrent de leurs poches qui un chapelet, qui un livre de messe, voire une image pieuse pour avoir « l'air plus convenable ».


Lebrac, comme les autres, extirpa du fond de sa poche de veste un vieux paroissien au cuir usé et aux lettres énormes, héritage d'une grand-tante à la vue faible, et l'ouvrit n'importe où, histoire d'avoir lui aussi une contenance à peu près exempte de reproches.


Peu curieux des oraisons, il tourna son livre à l'envers et, tout en fixant, sans les voir, les immenses caractères d'une messe de mariage en latin, de laquelle il se fichait pas mal, il réfléchit à ce qu'il proposerait le soir à ses soldats, car il se doutait bien que ces sacrés asticots-là ne trouveraient comme d'habitude rien du tout, du tout, et se reposeraient encore sur lui du soin de décider ce qu'il faudrait faire pour remédier au danger terrible dont ils étaient tous plus ou moins menacés.


Tintin dut le pousser pour le faire agenouiller, lever et asseoir aux moments désignés par le rituel et il jugea de la terrible contention d'esprit de son chef à ce que celui-ci ne jeta pas une seule fois les yeux sur les gamines, qui, elles, de temps en temps, le reluquaient pour voir « quelle gueule qu'on fait » quand on a reçu une bonne volée.


Des divers moyens qui s'offrirent à son esprit, Lebrac, partisan des solutions radicales, n'en retint qu'un, et le soir, après vêpres, quand le conseil général des guerriers de Longeverne fut réuni à la carrière à Pepiot, il le proposa carrément, froidement et sans tergiversations.


– Pour ne pas se faire esquinter ses habits, il n'y a qu'un moyen sûr, c'est de n'en pas avoir. Je propose donc qu'on se batte à poil !…


– Tout nus ! se récrièrent bon nombre de camarades, surpris, étonnés et même un peu effrayés de ce procédé violent qui choquait peut-être aussi leurs sentiments de pudeur.


– Parfaitement, reprit Lebrac. Si vous aviez reçu la danse, vous n'hésiteriez pas à dire comme moi.


Et par le menu, sans désir d'épater la galerie, pour la convaincre seulement, Lebrac narra les souffrances physiques et morales de sa captivité au bord du bois et la rentrée cuisante à la maison.


– Tout de même, objecta Boulot, s'il venait à passer du monde, si un mendiant venait à rouler par là et qu'il nous ratiboise nos frusques, si Bédouin nous retombait dessus !


– D'abord, reprit Lebrac, les habits on les cachera, et puis au besoin on mettra quelqu'un pour les garder ! S'il passe des gens et que ça les gêne, ils n'auront qu'à ne pas regarder et, pour ce qui est du père Bédouin, on l'emm… ! vous avez bien vu comme j'ai fait hier au soir.


– Oui, mais… fit Boulot, qui, décidément, n'avait pas du tout l'air de tenir à se montrer dans le simple appareil…


– C'est bon ! coupa Camus, clouant son adversaire par un argument péremptoire, toi ! on sait bien pourquoi tu n'oses pas te mettre tout nu. C'est « passe que » t'as peur qu'on voie la tache de vin que tu as au derrière et qu'on se foute de ta fiole. T'as tort, Boulot ! Ben quoi, la belle affaire ! une tache au cul, c'est pas être estropié ça, et il n'y a pas à en avoir honte ; c'est ta mère qu'a eu une envie quand elle était grosse : elle a eu idée de boire du vin et « aile » s'est gratté le derrière à ce moment-là. C'est comme ça que ça arrive. Et ça, ça n'est pas une mauvaise envie. Les femmes grosses, y en a qu'ont toutes sortes d'idées et des bien plus dégoûtantes, mes vieux ; moi j'ai entendu la bonne femme41 de Rocfontaine qui disait à la mère que y en avait qui voulaient manger de la merde dans ces moments-là !


– De la merde !


– Oui !


– Oh !…


– Oui, mes vieux, parfaitement, de la merde de soldat même et toutes sortes d'autres saloperies que les chiens même ne voudraient pas renifler de loin.


– Elles sont donc folles à ce moment-là ? s'exclama Tétard.


– Elles le sont pendant, avant et après, à ce qui paraît.


– Toujours est-il que c'est mon père qui dit comme ça, et pour quant à y croire, j'y crois, on ne peut rien faire sans qu'elles ne gueulent comme des poules qu'on plumerait tout vif et pour des choses de rien elles vous foutent des mornifles.


– Oui, c'est vrai, les femmes c'est de la sale engeance !


– C'est-y entendu, oui ou non, qu'on se battra à poil ? répéta Lebrac.


– Il faut voter, exigea Boulot, qui, décidément, ne tenait pas à exhiber la tache de vin dont l'envie maternelle avait décoré son postère.


– Que t'es bête ! mon vieux, fit Tintin, puisqu'on te dit qu'on s'en fout !


– Je ne dis pas, vous autres, mais… les Velrans, si… ils la voyaient… eh bien ! eh bien !… ça m'embêterait, na !


– Voyons, intervint La Crique, essayant d'arranger les choses, une supposition que Boulot garderait le saint frusquin et que nous autres on se battrait ? hein !


– Non, non ! opinèrent certains guerriers qui, intrigués par les révélations de Camus et curieux de l'anatomie de leur camarade, voulaient, de visu, se rendre compte de ce que c'est qu'une envie et tenaient absolument à ce que Boulot se déshabillât comme tout le monde.


– Montre-leur z'y, va, Boulot ! à ces idiots-là, reprit La Crique : ils sont plus bêtes que mes pieds, on dirait qu'ils n'ont jamais rien vu, pas même une vache qui vêle ou une cabe qu'on mène au bouc.


Boulot comprit, fut héroïque et se résigna. Il déboutonna ses bretelles, laissa tomber sa culotte, troussa sa chemise et montra à tous les guerriers de Longeverne, plus ou moins intéressés, « l'envie » qui ornait la face postérieure de son individu. Et sitôt qu'il eut fait, la motion de Lebrac, appuyée par Camus, Tintin, La Crique et Grangibus, fut adoptée à « l'inanimité », comme d'habitude.


– C'est pas tout ça, maintenant, reprit Lebrac : il faut savoir où l'on se déshabillera et ousqu'on cachera les habits. Si, des fois, Boulot voyait s'amener quelqu'un comme le père Simon ou le curé, vaudrait tout de même mieux qu'ils ne nous voient pas à poil, sans quoi on pourrait bien tous prendre quelque chose en rentrant chez soi.


– Je sais, moi, déclara Camus.


Et l'éclaireur volontaire conduisit la petite armée dans une sorte de vieille carrière entourée de taillis, abritée de tous les côtés, et d'où l'on pouvait facilement, par une espèce de sous-bois, arriver derrière le retranchement du Gros Buisson, c'est-à-dire au champ de bataille.


Dès qu'arrivés ils se récrièrent :


– Chicard !


– Chouette !


– Merde ! c'est épatant !


C'était très bien, en effet. Et il fut conclu illico que le lendemain, après avoir dépêché en éclaireurs Camus avec deux autres bons gaillards qui protégeraient le gros de l'armée, on viendrait s'installer là pour se mettre, si l'on peut dire, en tenue de campagne.


En s'en retournant, Lebrac s'approcha de Camus et confidentiellement lui demanda :


– Comment que t'as pu faire pour dégoter un si chouette coin pour se déshabiller ?


– Ah ! ah ! répondit Camus, regardant d'un petit air égrillard son camarade et général.


Et passant sa langue sur ses lèvres et clignant de l'œil devant l'interrogation muette du chef :


– Mon vieux ! ça c'est des affaires de femme ! Je te raconterai tout plus tard, quand nous ne serons rien que les deux.


7 Nouvelles batailles


Panurge soubdain leva en l'air la main dextre, puys d'icelle mist le pouce dedans la narine d'ycellui cousté, tenant les quatre doigtz estenduz et serrez par leur ordre en ligne parallèle à la pene du nez, fermant l'œil gauche entièrement, et guaignant du dextre avecques profonde dépression de la sourcille et paulpière…


Rabelais (livre II, chap. XIX).


Lebrac arriva en classe le lundi matin à huit heures avec son pantalon raccommodé et une blouse à deux manches de couleurs différentes, ce qui lui donnait un peu l'air d'un « carnaval ».


Sa mère, en partant, l'avait sévèrement prévenu qu'il eût à prendre un soin spécial de ses habits et que si, le soir, on relevait dessus la plus petite tache de boue ou la moindre déchirure, il saurait de nouveau ce que cela lui coûterait. Aussi était-il un peu gêné aux entournures et assez mal à l'aise dans ses mouvements, mais cela ne dura pas.


Tintin, dès son entrée dans la cour, lui transmit de nouveau, confidentiellement, les serments d'éternel amour de sa sœur et les offres plus terre à terre, mais non moins importantes, de réparation mobilière des vêtements le cas échéant.


Cela leur prit une demi-minute à peine et ils gagnèrent immédiatement le groupe principal où Grangibus pérorait avec volubilité, expliquant pour la septième fois comme quoi son frère et lui avaient failli, la veille au soir, tomber derechef dans l'embuscade des Velrans, qui ne s'en étaient pas tenus comme la première fois à des injures et à des cailloux lancés, mais avaient bel et bien voulu se saisir de leurs précieuses personnes et les immoler à leur insatiable vengeance.


Heureusement les Gibus n'étaient pas loin de la maison ; ils avaient sifflé Turc, leur gros chien danois, qui était justement lâché ce jour-là (une veine !) et la venue du molosse qu'ils avaient « houkssé » aussitôt contre leurs ennemis, ses grondements, ses mines de s'élancer, ses crocs montrés derrière les babines rouges avaient mis prudemment en fuite la bande des Velrans.


Et dès lors, disait Grangibus, ils avaient demandé à Narcisse de détacher le chien tous les jours vers cinq heures et demie et de l'envoyer à leur rencontre pour qu'il pût, en cas de malheur, protéger leur rentrée à la maison.


– Les salauds ! grommelait Lebrac. Ah ! les salauds ! ils nous le paieront, va ! et cher !


C'était une belle journée d'automne : les nuages bas qui avaient protégé la terre de la gelée s'étaient évanouis avec l'aurore ; il faisait tiède : les brouillards du ruisseau du Vernois semblaient se fondre dans les premiers rayons du soleil, et derrière les buissons de la Saute, tout là-bas, la lisière ennemie hérissait dans la lumière les fûts jaunes et dégarnis par endroits de ses baliveaux et de ses futaies.


Un vrai beau jour pour se battre.


– Attendez un peu à ce soir, disait Lebrac, le sourire aux lèvres.


Un vent de joie passait sur l'armée de Longeverne. Les moineaux et les pinsons pépiaient et sifflaient sur les tas de fagots et dans les pruniers des vergers ; comme les oiseaux, eux aussi, ils chantaient ; le soleil les égayait, les rendait confiants, oublieux et sereins. Les soucis de la veille et la raclée du général étaient déjà loin et on fit une épique partie de saute-mouton jusqu'à l'heure de l'entrée en classe.


Il y eut, au coup de sifflet du père Simon, une véritable suspension de joie, des plis soucieux sur les fronts, des marques d'amertume aux lèvres et du regret dans les yeux. Ah ! la vie !…


– Sais-tu tes leçons, Lebrac ? demanda confidentiellement La Crique.


– Heu oui… pas trop ! Tâche de me souffler si tu peux, hein ! S'agirait pas ce soir de se faire coller comme samedi. J'ai bien appris le système métrique, j'sais tous les poids par cœur : en fonte, en cuivre, à godets et les petites lames par-dessus le marché, mais j'sais pas ce qu'il faut pour être électeur. Comme mon père a vu le père Simon, je vais sûrement pas y couper à une leçon ou à une autre ! Pourvu que j'y saute en système métrique !


Le vœu de Lebrac fut exaucé, mais la chance qui le favorisa faillit bien, par contrecoup, être fatale à son cher Camus, et sans l'intervention aussi habile que discrète de La Crique, qui jouait des lèvres et des mains comme le plus pathétique des mimes, ça y était bien, Camus était bouclé pour le soir.


Le pauvre garçon qui, on s'en souvient, avait déjà failli écoper les jours d'avant à propos du « citoyen », ignorait encore et totalement les conditions requises pour être électeur.


Il sut tout de même, grâce à la mimique de La Crique brandissant sa dextre en fourchette, les quatre doigts en l'air et le pouce caché, qu'il y en avait quatre.


Pour les déterminer, ce fut beaucoup plus dur. Camus, simulant une amnésie momentanée et partielle, le front plissé, les doigts énervés, semblait profondément réfléchir et ne perdait pas de vue La Crique, le sauveur, qui s'ingéniait.


D'un coup d'œil expressif il désigna à son camarade la carte de France par Vidal-Lablache appendue au mur ; mais Camus, peu au courant, se méprit à ce geste équivoque et au lieu de dire qu'il faut être Français, il répondit à l'ahurissement général qu'il fallait savoir « sa giografie ».


Le père Simon lui demanda s'il devenait fou ou s'il se fichait du monde, tandis que La Crique, navré d'être si mal compris, haussait imperceptiblement les épaules en tournant la tête.


Camus se ressaisit. Une lueur brilla en lui et il dit :


– Il faut être du pays !


– Quel pays ? hargna le maître, furieux d'une réponse aussi imprécise, de la Prusse ou de la Chine ?


– De la France ! reprit l'interpellé : être Français !


– Ah ! tout de même ! nous y sommes ! Et après ?


– Après ? et ses yeux imploraient La Crique.


Celui-ci saisit dans sa poche son couteau, l'ouvrit, fit semblant d'égorger Boulot, son voisin, et de le dévaliser, puis il tourna la tête de droite à gauche et de gauche à droite. Camus saisit qu'il ne fallait pas avoir tué ni volé ; il le proclama incontinent et les autres, par l'organe autorisé de La Crique, auquel ils mêlèrent leurs voix, généralisèrent la réponse en disant qu'il fallait jouir de ses droits civils. Cela n'allait fichtre pas si mal et Camus respirait. Pour la troisième condition, La Crique fut très expressif : il porta la main à son menton pour y caresser une absente barbiche, effila d'invisibles et longues moustaches, porta même ailleurs ses mains pour indiquer aussi la présence en cet endroit discret d'un système pileux particulier, puis, tel Panurge faisant quinaud l'Angloys qui arguoit par signe, il leva simultanément en l'air et deux fois de suite ses deux mains, tous doigts écartés, puis le seul pouce de la dextre, ce qui évidemment signifiait vingt et un. Puis il toussa en faisant han ! et Camus, victorieux, sortit la troisième condition :


– Avoir vingt et un ans.


– À la quatrième ! maintenant, fit le père Simon, tel un patron de jeu de tourniquet, le soir de la fête patronale.


Les yeux de Camus fixèrent La Crique, puis le plafond, puis le tableau, puis de nouveau La Crique ; ses sourcils se froncèrent comme si sa volonté impuissante brassait les eaux de sa mémoire.


La Crique, un cahier à la main, traçait de son index d'invisibles lettres sur la couverture.


Qu'est-ce que ça pouvait bien vouloir dire ? Non, ça ne disait rien à Camus ; alors le souffleur fronça le nez, ouvrit la bouche en serrant les dents, la langue sur les lèvres, et une syllabe parvint aux oreilles du naufragé : – Iste !


Il ne pigeait pas davantage et tendait de plus en plus le cou du côté de La Crique, tant et tant que le père Simon, intrigué de cet air idiot que prenait l'interrogé, fixant obstinément le même point de la salle, eut l'idée saugrenue, bizarre et stupide de se retourner brusquement. Ce fut un demi-malheur, car il surprit la grimace de La Crique et l'interpréta fort mal, en déduisant que le garnement se livrait derrière son dos à une mimique simiesque dont le but était de faire rire les camarades aux dépens de leur maître.


Aussi lui bombarda-t-il aussitôt cette phrase vengeresse :


– La Crique, vous me ferez pour demain matin le verbe « faire le singe » et vous aurez soin au futur et au conditionnel de mettre « je ne ferai plus » et « je ne ferais plus le singe » au lieu de « je ferai ». C'est compris ?


Il se trouva dans la salle un imbécile pour rire de la punition : Bacaillé, le boiteux, et cet acte stupide de mauvaise camaraderie eut pour conséquence immédiate de mettre en colère le maître d'école, lequel s'en prit violemment à Camus, qui risquait fort la retenue :


– Enfin vous ! allez-vous me dire la quatrième condition ?


La quatrième condition ne venait pas ! La Crique seul la connaissait.


– Foutu pour foutu, pensa-t-il ; il fallait au moins en sauver un, aussi avec un air plein de bonne volonté et fort innocent, comme s'il eût voulu faire oublier sa mauvaise action d'auparavant, répondit-il en lieu et place de son féal et très vite pour que l'instituteur ne pût lui imposer silence.


– Être inscrit sur la liste électorale de sa commune !


– Mais qui est-ce qui vous demande quelque chose ? Est-ce que je vous interroge, vous, enfin ? tonna le père Simon de plus en plus monté, tandis que son meilleur écolier prenait un petit air contrit et idiot qui jurait avec son ressentiment intérieur.


Ainsi s'acheva la leçon sans autre anicroche ; mais Tintin glissa dans l'oreille de Lebrac :


– T'as-t'y vu, ce sale bancal ? tu sais, je crois qu'il faut faire attention ! y a pas de fiance à avoir en lui, il doit cafarder !


– Tu crois ? sursauta Lebrac. Ah ! par exemple !


– J'ai pas de preuves, reprit Tintin, mais ça m'épaterait pas, il est en « dessour », c'est un « surnois » et j'aime pas ces types-là, moi !


Les plumes grincèrent sur le papier pour la date qu'on mettait. Lundi… 189… Éphémérides : commencement de la guerre avec les Prussiens. Bataille de Forbach !


– Dis, Tintin, demanda Guignard, je vois pas bien, est-ce que c'est Forbach ou Morbach ?


– C'est Forbach ! Des Morbachs c'est l'artilleur de chez Camus qui en parlait aux Chantelots l'autre dimanche qu'il était en permission. Forbach ! ça doit être un pays !


Le devoir se fit en silence, puis un marmottement sourd, croissant peu à peu en volume et en intensité, indiqua qu'il était fini et que les écoliers profitaient du répit qu'ils avaient entre les deux exercices pour repasser la leçon suivante ou échanger des vues personnelles sur les situations respectives des deux armées belligérantes.


Lebrac triompha en système métrique. Les mesures de poids c'est comme les mesures de longueur, il y a même deux multiples en plus ; et il jonglait intellectuellement avec les myriagrammes et les quintaux métriques ni plus ni moins qu'un athlète forain avec des haltères de vingt kilos ; il ébahit même le père Simon en lui débitant du plus gros au plus petit tous les poids usuels, sans rien omettre de leur description particulière.


– Si vous saviez toujours vos leçons comme celle-ci, affirma le maître, je vous mènerais au Certificat l'année prochaine.


Le certificat d'études, Lebrac n'y tenait pas : s'appuyer des dictées, des calculs, des compositions françaises, sans compter la « giographie » et l'histoire, ah ! mais non, pas de ça ! Aussi les compliments ni les promesses ne l'émurent, et s'il eut le sourire, ce fut tout simplement parce qu'il se sentait sûr maintenant, même s'il flanchait un peu en histoire et en grammaire, d'être lâché quand même le soir à cause de la bonne impression qu'il avait produite le matin.


Quand quatre heures sonnèrent, qu'ils eurent filé à la maison prendre le chanteau de pain habituel et qu'ils se trouvèrent de nouveau rassemblés à la carrière à Pepiot, Camus, certain d'être en avance, partit avec Grangibus et Gambette pour surveiller la lisière, pendant que le reste de l'armée filait en toute hâte se mettre en tenue de bataille.


Camus, arrivé, monta sur son arbre et regarda. Rien encore n'apparaissait ; il en profita pour resserrer les ficelles qui rattachaient les élastiques à la fourche et au cuir de sa fronde et pour trier ses cailloux : les meilleurs dans les poches de gauche, les autres dans celles de droite.


Pendant ce temps, sous la garde de Boulot, qui désignait à chacun sa place et alignait de grosses pierres pour y poser les habits afin qu'ils ne se salissent point, les soldats de Lebrac et le chef se déshabillaient.


– Prends mon fiautot42, fit Tintin à Boulot, et grimpe sur le chêne que voilà. Si, des fois, tu voyais le noir ou le fouette-cul ou quelqu'un que tu ne connaisses pas, tu sifflerais deux coups pour qu'on puisse se sauver.


À ce moment, Lebrac, qui était en tenue, poussa une exclamation de colère en se frappant le front :


– Nom de Dieu de nom de Dieu ! Comment que j'y ai pas songé ? on n'a point de poche pour mettre les cailloux.


– Merde ! c'est vrai ! constata Tintin.


– Ce qu'on est bête, confessa La Crique. Il n'y a que les triques, c'est pas assez !


Et il réfléchit une seconde…


– Prenons nos mouchoirs et mettons les cailloux dedans. Quand il n'y aura pus rien à lancer, chacun roulera le sien autour de son poignet.


Bien que les mouchoirs ne fussent souvent que des morceaux hors d'usage de vieilles chemises de toile ou des débris de torchons, il se trouva une bonne demi-douzaine de combattants qui n'en étaient point pourvus, et ce, pour la simple raison que, leurs manches de blouses les remplaçant avantageusement à leur gré, ils ne tenaient point du tout, en sages qu'ils étaient, à s'encombrer de ces meubles inutiles.


Prévenant l'objection de ces jeunes philosophes, Lebrac leur désigna comme « musette à godons » leur casquette ou celle de leur voisin, et tout fut ainsi réglé au mieux des intérêts de la troupe.


– On y est ? demanda-t-il ensuite… En avant, alorsse !


Et, lui en tête, Tintin le suivant, puis La Crique, puis les autres, au petit bonheur, tous, le bâton à la main droite, le mouchoir lié aux quatre coins et plein de cailloux à l'autre, ils avancèrent lentement, leurs formes fluettes ou rondouillardes, légèrement frissonnantes, se découpant en blanc sur la couleur sombre du défilé. En cinq minutes, ils furent au Gros Buisson.


Camus, juste à ce moment, engageait les hostilités et « ciblait » Migue la Lune à qui il voulait absolument, disait-il, casser la gueule.


Il était temps cependant que le gros des forces de Longeverne arrivât. Les Velrans, prévenus par Touegueule, émule et rival de Camus, de la seule présence de quelques ennemis, et enfiévrés encore au souvenir de leur victoire de l'avant-veille, se préparaient à ne faire qu'une bouchée de ceux qui se trouvaient devant eux. Mais au moment précis où ils débouchaient de la forêt pour se former en colonne d'assaut, une gerbe écrasante de projectiles leur dégringola sur les épaules qui les fit tout de même réfléchir et émoussa leur enthousiasme.


Touegueule, qui était descendu pour prendre part à la curée, regrimpa sur son foyard pour voir si, d'aventure, des renforts n'étaient pas arrivés au Gros Buisson ; mais il s'aperçut tout simplement que Camus était redescendu de son arbre et, la fronde bandée, se tenait près de Grangibus et de Gambette, ces derniers aussi sur la défensive. Rien de nouveau par conséquent. C'est que les guerriers de Longeverne, tout transis et grelottants, s'étaient coulés silencieusement derrière les fûts des arbres et sous les fourrés épais et ne bougeaient « ni pieds ni pattes ».


– Ils vont recommencer l'assaut, prédit Lebrac à mi-voix ; on a eu tort peut-être de lancer trop de cailloux tout à l'heure ; pourvu qu'ils ne se doutent pas qu'on les attend. – Attention ! prenez vos godons, laissez-les venir tout près, alors je commanderai le feu et aussitôt la charge !


L'Aztec des Gués, rassuré par l'exploration de Touegueule, pensa que si les ennemis ne se montraient pas et faisaient ainsi que le samedi d'avant, c'était qu'ils se trouvaient, de même que ce jour-là, sans chef et en état d'infériorité numérique notoire. Il décida donc, immédiatement approuvé par les grands conseillers, enthousiastes encore au souvenir de la prise de Lebrac, qu'il serait bon aussi de piger Camus qui justement remontait sur son chêne.


Celui-là sûrement n'aurait pas le temps de fuir, il n'y couperait pas cette fois, il serait « chauffé » et y passerait tout comme Lebrac. Depuis longtemps déjà ses cailloux et ses billes faisaient trop de blessés dans leurs rangs, il était urgent vraiment de lui donner une bonne leçon et de lui rafler sa fronde.


Ils le laissèrent commodément s'installer. Les dispositions de combat n'étaient pas longues à prendre pour ces escarmouches où la valeur personnelle et l'élan général décidaient le plus souvent de la victoire ou de la défaite ; aussi, l'instant d'après, les bâtons follement tournoyant, poussant des ah ! ahr ! gutturaux et féroces, les Velrans, confiants en leur force, fondirent impétueusement sur le camp ennemi. On aurait entendu voler une mouche au Gros Buisson de Longeverne : seule la fronde de Camus claquait, lançant ses projectiles…


Les gars nus, tapis, à genoux ou accroupis, frissonnant de froid sans oser se l'avouer, tenaient tous le caillou dans la main droite et la trique en la gauche.


Lebrac au centre, au pied du chêne de Camus, debout, le corps entièrement dissimulé par le fût du gros arbre, tendait en avant sa tête farouche, dardant sous ses sourcils froncés ses yeux fixes et flamboyants, le poing gauche nerveusement serrant son sabre de chef à garde de ficelle de fouet.


Il suivait le mouvement ennemi, les lèvres frémissantes, prêt à donner le signal.


Et tout d'un coup, se détendant comme un diable qui sort d'une boîte, tout son corps contracté bondit sur place, en même temps que sa gorge hurlait comme dans un accès de démence le commandement impétueux : – Feu !


Un frondonnement courut comme un frisson. La rafale de cailloux de l'armée de Longeverne frappa la troupe des Velrans en plein centre, cassant son élan, en même temps que la voix de Lebrac, beuglant rageusement et de tous ses poumons, reprenait :


– En avant ! en avant ! en avant, nom de Dieu !


Et telle une légion infernale et fantastique de gnomes subitement surgis de terre, tous les soldats de Lebrac, brandissant leurs épieux et leurs sabres et hurlant épouvantablement, tous, nus comme des vers, bondirent de leur repaire mystérieux et s'élancèrent d'un irrésistible élan sur la troupe des Velrans. La surprise, l'effarement, la frousse, la panique passèrent successivement sur la bande de l'Aztec des Gués qui s'arrêta, paralysée, puis, devant le danger imminent et qui grandissait de seconde en seconde, tourna bride d'un seul coup et plus vite encore qu'elle n'était venue, à enjambées doubles, affolée littéralement, fila vers sa lisière protectrice sans qu'un seul parmi les fuyards osât seulement tourner la tête.


Lebrac, en avant toujours, brandissait son sabre ; ses grands bras nus gesticulaient ; ses jambes nerveuses faisaient des bonds de deux mètres, et toute son armée, libre de toute entrave, heureuse de se réchauffer, accourant d'une folle allure, tâtait déjà de la pointe de ses épieux et de ses lances les côtes des ennemis qui arrivaient enfin à la grande tranchée. On allait en chauffer.


Mais la fuite des Velrans ne s'arrêta point pour si peu. Le mur d'enceinte était là, avec le taillis derrière, clairsemé à la lisière pour s'épaissir après par degrés. La troupe en déroute de l'Aztec des Gués ne perdit pas son temps à chercher à passer à la queue leu-leu dans la Grande Tranchée. Les premiers la prirent, mais les derniers n'hésitèrent point à bondir en plein taillis et à se frayer, des pieds et des mains et coûte que coûte, un chemin de retraite.


La tenue simplifiée des Longevernes ne leur permettait malheureusement pas de continuer la poursuite dans les ronces et les épines et, du mur de la forêt, ils virent leurs ennemis fuyant, lâchant leurs bâtons, perdant leurs casquettes, semant leurs cailloux, qui s'enfonçaient meurtris, fouettés, égratignés, déchirés parmi les épines et les fourrés de ronces comme des sangliers forcés ou des cerfs aux abois.


Lebrac, lui, avait enfilé la Grande Tranchée avec Tintin et Grangibus. Il allait poser la griffe sur l'épaule frémissante de peur de Migue la Lune, dont il venait déjà de tanner les reins avec son sabre, quand deux stridents coups de sifflet venant de son camp, en achevant la déroute ennemie, les arrêtèrent net eux aussi, lui et ses soldats.


Migue la Lune, laissant derrière lui un sillage odorant caractéristique qui témoignait de sa frousse intense, put s'échapper comme les autres et disparut dans le sous-bois.


Qu'y avait-il ?


Lebrac et ses guerriers s'étaient retournés, inquiets du signal de Boulot et soucieux quand même de ne pas se laisser surprendre dans cette tenue équivoque par un des gardiens laïque ou ecclésiastique, naturel ou autre, de la morale publique de Longeverne ou d'ailleurs.


Jetant un regard de regret sur la silhouette de Migue la Lune, Lebrac remonta la tranchée pour regagner la lisière où ses soldats, écarquillant les prunelles, cherchaient, en attendant son retour, à se rendre compte de ce qui avait bien pu motiver le signal d'alarme de Boulot.


Camus qui, au moment de l'assaut, était redescendu de l'arbre, et avait, on s'en souvient, gardé ses vêtements, s'avança prudemment jusqu'au contour du chemin pour explorer les alentours.


Ah, ce ne fut pas long ! Il vit qui ?


Parbleu, cette vadrouille de vieille brute de père Bédouin, lequel, ahuri lui aussi de ces deux coups de sifflet qui l'avaient fait tressauter, bourrait ses mauvais quinquets de tous les côtés, afin de saisir la cause mystérieuse de ce signal insolite et vaguement sinistre.




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