general data protection regulation Ce site Web utilise des cookies
Pour assurer une meilleure expérience à ses utilisateurs, réaliser des statistiques de visites, offrir des fonctionnalités relatives aux médias sociaux, proposer des publicités ciblées.


Version pour personnes mal-voyantes ou non-voyantes
application sur Googleplay
Menu

cards
Optimisé par paypal



Vous pouvez également nous soutenir sur Tipeee ❤❤❤
👉 https://fr.tipeee.com/audiocite -

Illustration: Les Pardaillan-livre1-Chap13-15 - Michel Zévaco

Les Pardaillan-livre1-Chap13-15


Enregistrement : Audiocite.net
Publication : 2009-10-21

Lu par Stanley
Livre audio de 1h28min
Fichier Mp3 de 80,6 Mo

Télécharger
(clic droit "enregistrer sous")
Signaler
une erreur



Les Pardaillan est une série de 10 romans populaires, écrite par Michel Zévaco. Ils sont parus tout d'abord sous la forme d'un feuilleton dans Le Matin.
Source de la photo: http://lieuxdits.free.fr/zevaco.html

Musiques Camille Saint-Saëns, Danse Macabre, Opus 40 - Kevin MacLeod - Certains droits réservés (licence Creative Commons)

+++ Chapitres Suivants
+++ Chapitres Prédécents

Le chapitre 24 des pardaillan, qui est très particulier, a complètement démotivé Stanley, veuillez nous excuser mais la suite des pardaillan ne pourra, donc, pas être enregistrée pour le moment.
Vous pouvez retrouver toutefois l'intégralité du texte à cette adresse : http://fr.wikisource.org/wiki/Les_Pardaillan


Livre I

XIII. Vox populi, vox Dei !…


Le chevalier de Pardaillan avait attendu la sortie de Jeanne avec la patience d'un amoureux. Il était résolu à lui parler. Pour lui dire quoi ? Qu'il aimait sa fille ? Qu'il la voulait pour épouse ? Cela, peut-être. Au fond, il ne savait pas trop, et souhaitait simplement de se rapprocher de la mère et de la jeune fille.

Lorsqu'il la vit sortir et revenir vers lui, il prépara donc un discours très propre, selon lui, à produire une vive émotion sur celle qui l'écouterait.

Malheureusement, à la minute où la Dame en noir passa près de lui, il en vint justement à oublier le commencement de son discours, le plus beau passage, selon lui, toujours. Il demeura donc bouche bée… Jeanne passa, et le chevalier soulevait son chapeau dans un de ses grands gestes qui lui étaient familiers, que déjà elle était loin de lui.

Pardaillan s'élança alors, en se disant qu'il se donnait jusqu'à la rue Saint-Denis pour aborder la Dame en noir et lui exposer sa requête, à laquelle, pour plus de précaution, il adjoignit une péroraison des plus pathétiques. Car maintenant la mémoire lui revenait.

Le chevalier ne songeant même pas que le moyen le plus simple, et le plus convenable après tout, c'était de se présenter au logis de la dame. On ne songe pas à tout. Et il avait résolu de parler tout de suite.

Mais lorsqu'il déboucha dans la rue Saint-Antoine, il trouva que l'aspect de Paris avait changé, comme parfois, à l'approche des premières rafales d'une tempête, l'Océan change brusquement de face.

Des groupes nombreux, bourgeois et peuple mêlés, marchaient dans la direction du Louvre. La grande artère était devenue un fleuve d'hommes d'où montaient des murmures menaçants, parfois des éclats de voix.

Que se passait-il ?

Pardaillan cherchait à ne pas perdre de vue la Dame en noir qui marchait à vingt pas devant lui.

À un moment, un de ces remous violents qui font tourbillonner les foules sans qu'on sache pourquoi se produisit. Jeanne, enveloppée dans ce remous, disparut. Le chevalier s'élança, distribuant force horions, jouant des coudes, et se frayant un passage à coups de bourrades ; mais il ne retrouva plus la Dame en noir.

Alors il se laissa entraîner par la foule qui devenait plus serrée, plus compacte.

Devant lui, bras dessus, bras dessous, marchaient trois hommes, trois hercules, avec des cous de taureau, des faces rouges, des yeux menaçants. Et la foule, sur leur passage, vociférait :

— Vive Kervier ! Vive Pezou ! Vive Crucé !

— Quels sont ces trois éléphants ? demanda Pardaillan à son plus proche voisin.

Le voisin, respectable bourgeois d'apparence cossue, regarda le chevalier de travers, mais voyant qu'il portait une belle rapière, il répondit poliment :

— Comment, monsieur ! vous ne connaissez pas Crucé, l'orfèvre du pont de bois ? Et Pezou, le boucher de la rue du Roi-de-Sicile ? Et Kervier, le libraire de l'Université ? Kervier, surtout ! On voit bien que vous ne vous occupez pas de livres, monsieur.

— Excusez-moi, j'arrive de province, dit Pardaillan. Ah !… c'est là le boucher, le libraire et l'orfèvre ? Bon ! je suis content d'avoir vu cela, moi !

— Les trois grands amis de Monsieur de Guise ! continua le bourgeois enthousiasmé.

— Peste ! C'est bien de l'honneur pour Monsieur de Guise !

— Oui, monsieur ! les défenseurs de la sainte religion, s'il vous plaît.

— Laquelle ? demanda froidement Pardaillan.

— Laquelle ? fit l'homme stupéfait. La nôtre, monsieur ! Celle du pape ! celle du roi ! celle de la reine ! celle du grand Guise ! celle du peuple !

— Ah ! très bien ! Et que veut-elle, notre religion ? Car une religion qui est à tant de gens doit être aussi un peu à moi…

— Ce qu'elle veut ?… Écoutez !…

À ce moment, Pardaillan arrivait près du pont de bois. Là, une foule énorme, agitée de ces longues et puissantes ondulations, poussait des clameurs :

— Vive Guise !… Mort aux huguenots !

— Vous entendez ? dit le bourgeois. Vous entendez le peuple ? Or, vous le savez, vox populi, vox Dei !…

— Pardon, observa doucement le chevalier, je n'entends pas l'anglais…

— Ce n'est pas de l'anglais, monsieur, fit l'homme avec dédain. C'est du latin. Et ce latin-là signifie que la voix du peuple, c'est la voix de Dieu.

— Voilà qui est bon à savoir, dit Pardaillan. Ainsi, en ce moment, c'est Dieu qui crie : Mort aux parpaillots !

— Oui, monsieur ! Et c'est Dieu aussi qui, par la voix de son peuple, acclame le grand Guise pour qui s'est réunie cette foule, le grand Guise qui entre aujourd'hui dans Paris et va passer ici pour se rendre au Louvre ! Vive Guise ! Mort à Béarn ! Mort à Albret !…

Le bourgeois, à ce moment, fut séparé de Pardaillan par une poussée du peuple : une forte escouade d'arbalétriers et d'arquebusiers du guet déblayait les abords du pont pour laisser le passage libre à Henri de Guise dont on signalait l'approche.

Pardaillan était placé à l'entrée du pont, contre la première maison du côté gauche : une vieille bâtisse à demi ruinée, et qui probablement était abandonnée, car les fenêtres en étaient closes, tandis que toutes les autres maisons du pont laissaient voir des spectateurs jusque sur leurs toits.

Cependant, le chevalier remarqua que la première maison du côté droit qui faisait vis-à-vis à la bâtisse abandonnée était également fermée : une seule de ses fenêtres était ouverte, mais cette fenêtre était grillée d'un treillis épais.

Derrière ce treillis, dans l'ombre, Pardaillan crut voir un instant une figure de femme dont les yeux incandescents jetaient des regards de flamme sur la foule, qui sourdement grondait :

— Mort aux huguenots !…

Pourquoi ?… Il n'y avait pas à ce moment de huguenots dans Paris. Ou s'il y en avait, ils se cachaient ! Et d'ailleurs, la paix signée à Saint-Germain n'avait-elle pas promis aux protestants la tranquillité dans la capitale ?

Pardaillan vit tout à coup l'orfèvre, le boucher et le libraire, Crucé, Pezou et Kervier, parcourir vivement des groupes et donner un mot d'ordre. Dès qu'ils avaient passé, on criait de plus belle :

— Sus au parpaillot ! Mort à Béarn ! À l'eau, Albret !…

Alors Crucé, Pezou et Kervier vinrent se poster sur le côté gauche du pont, à trois pas du chevalier.

— Par Pilate et Barabbas ! grommela-t-il, je crois que je vais voir aujourd'hui des choses intéressantes !…

— Ah ! ah ! hurlait à ce moment Crucé, voici M. de Biron qui passe ! Biron le boiteux !…

— Et M. de Mesmes, seigneur de Malassise ! ajouta Kervier.

— Les signataires de la paix de Saint-Germain ! vociféra Pezou. Les amis des damnés huguenots !…

— Oh ! une paix boiteuse ! ricana tout haut l'orfèvre, en désignant Biron qui boitait en effet.

— Et mal assise ! compléta le libraire en montrant du doigt le sire de Mesmes de Malassise.

Autour d'eux, la foule trépigna de joie et hurla :

— À bas la paix de Saint-Germain ! À bas la paix boiteuse et mal assise ! Mort aux parpaillots !

Crucé leva les yeux vers la fenêtre grillée où Pardaillan avait cru remarquer un visage de femme. Cette fois, c'était un visage d'homme qui apparaissait derrière le treillis épais. Cet homme échangea un rapide signal avec Crucé, puis disparut dans l'intérieur…

Pénétrons un instant dans cette maison, la première, avons-nous dit, sur le côté droit du pont.

Là, dans la pièce à la fenêtre grillée, une femme grande, maigre, tout enveloppée de noir, avec une tête d'oiseau de proie, nez de vautour, bouche serrée, regard perçant, est assise dans un vaste fauteuil.

Cette femme, c'est la veuve d'Henri II, la mère de Charles IX, Catherine de Médicis…

Près d'elle, un homme jeune encore, et qui a dû être fort beau, emphatique de geste, théâtral d'allure, avec on ne sait quoi de souple dans la démarche, et de félin dans les attitudes…

Cet homme, c'est Ruggieri, l'astrologue !…

Que font-ils là tous les deux ? Quelles mystérieuses accointances permettent à l'astrologue florentin de garder devant la reine cette attitude où il y a plus de caresse que de respect ? Quelle sinistre besogne les a unis dans cette maison ?

Catherine frappe nerveusement du bout du pied. Elle paraît impatiente. Parfois elle frissonne.

— Patience, patience, Catharina mia, dit Ruggieri en souriant d'un sourire livide.

— Et tu es sûr, René, qu'elle est à Paris ? Voyons ! répète-moi voir un peu cela !

— Tout à fait sûr ! La reine de Navarre est entrée hier secrètement dans Paris. Jeanne d'Albret est sans doute venue voir quelque important personnage.

— Mais comment l'as-tu su, René ?… Parle, mon ami, parle !

— Eh ! comment l'aurais-je su, sinon par la belle Béarnaise que vous avez placée près d'elle ?

— Alice de Lux ?…

— Elle-même ! Ah ! c'est une fille précieuse et une fidèle espionne…

— Et tu es sûr que Jeanne d'Albret va passer sur ce pont ?

— Croyez-vous, sans cela, que j'y aurais appelé Crucé, Pezou et Kervier ? fit Ruggieri en haussant les épaules. Est-ce pour acclamer Henri de Guise, à votre avis, que le peuple de Paris s'est levé ?… Patience, Catherine, vous allez voir !…

— Oh ! murmura Catherine de Médicis en serrant ses mains l'une contre l'autre, c'est que je la hais, vois-tu, cette Jeanne d'Albret ! Guise n'est rien. Je le tiens dans ma main et je le briserai quand je voudrai. Mais Albret, voilà l'ennemi, René, le seul ennemi vraiment redoutable pour moi ! Ah ! si je pouvais donc la tenir ici, et l'étrangler de mes mains !…

— Bah ! ma reine, fit Ruggieri, laissez cette besogne au bon peuple de Paris. Tenez, le voilà qui s'apprête ! Écoutez ! Regardez ! Par Altaïr et Aldébaran s'il est bon de regarder dans le ciel quand d'aussi magnifiques horreurs se passent sur la terre.

En effet, d'effroyables hurlements éclataient au-dehors.

Ruggieri s'était approché du treillis, suivi de Catherine. Leurs deux têtes penchées se touchaient presque, et maintenant, les dents serrées, les yeux flamboyants, les narines aspirant le massacre, hideux, ils regardaient…

— Je ne vois qu'Henri de Guise, haleta sourdement Catherine de Médicis.

— Regardez là-bas… au bout du pont… cette litière, derrière l'escorte…

— Oui, oui !…

— La litière ne peut plus reculer… la foule l'enserre… tout à l'heure, en arrivant ici… les rideaux vont s'écarter un instant… et ce sera bien du diable si notre ami Crucé ne reconnaît pas la reine de Navarre !…

Sur le pont, Henri de Guise s'avançait, suivi d'une trentaine de cavaliers.

Il saluait du geste et du sourire, et de temps à autre il criait :

— Vive la messe !

— Vive la messe ! Mort aux huguenots ! répétait la multitude qui délirait.

C'était un redoutable et magnifique spectacle. Ces seigneurs de l'escorte, montés sur des chevaux splendidement harnachés, portaient des costumes éclatants où rutilaient des pierreries… L'or, la soie, le satin, les couleurs chatoyantes, les plumes de leurs toques, les diamants de leurs colliers formaient un merveilleux ensemble.

Mais le plus beau de tous, le plus étincelant, c'était leur chef : Henri de Guise. C'est tout au plus s'il avait vingt ans. Il était de haute taille, bien pris, avec un visage où éclatait un somptueux orgueil ; un grand manteau de satin bleu flottait sur ses épaules, et sa toque portait un triple rang de perles.

— Guise ! Guise ! vociférait le peuple avec des acclamations que Catherine de Médicis écoutait en incrustant ses ongles acérés dans les paumes de ses mains.

Et là-bas, dans la petite maison, de la rue des Barrés, dans le logis de Marie Touchet, le roi de France dormait paisiblement, la tête sur l'épaule maternelle de sa maîtresse…

Cependant, Henri de Guise et son escorte avaient franchi le pont. Mais alors, ils trouvèrent la foule si compacte qu'ils durent s'arrêter plusieurs minutes. À ce moment, derrière eux, éclatèrent des clameurs si féroces que le duc de Guise, instinctivement, porta la main à sa dague et fit volte-face.

Non, ce n'était pas à lui qu'on en voulait !…

Il rengaina le poignard, et voici le terrible spectacle qui lui apparut, comme il apparaissait à Catherine de Médicis et à René Ruggieri.

Une litière, s'avançant à grand-peine, arrivait au débouché du pont, devant la maison en ruine près de laquelle se tenaient Crucé, Pezou et Kervier. Cette litière était modeste, et ses rideaux de cuir étaient hermétiquement fermés.

À ce moment, les rideaux s'ouvrirent l'espace d'une seconde. Mais cette seconde avait suffi !…

— Enfer ! rugit Crucé dont la voix de stentor domina les clameurs. C'est la reine de Navarre ! Mort à la parpaillote ! Mort à Jeanne d'Albret !…

Et avec ses amis, il se rua sur la litière.

— Enfin ! murmura Catherine avec un terrible sourire qui découvrit ses dents aiguës.

En un instant, un groupe nombreux et discipliné avait entouré la litière, gesticulant et vociférant :

— Albret ! Albret ! Mort à Albret ! À l'eau, la huguenote !…

La litière fut soulevée comme un fétu de paille par les lames de l'océan ; renversée, piétinée, elle disparut…

Mais les deux femmes qu'elle contenait avaient eu le temps de sauter à terre.

— Pitié pour Sa Majesté ! cria la plus jeune des deux femmes, d'une merveilleuse beauté, qui, pour des raisons inconnues, ne paraissait pas aussi effrayée qu'elle eût dû l'être.

— La voilà ! La voilà ! tonnèrent Crucé et Pezou en désignant l'autre dame, qui tenait à la main une sorte de petit sac en cuir.

C'était Jeanne d'Albret, en effet !…

D'un geste de souveraine majesté, elle ramena son voile sur son visage. Une poussée puissante, irrésistible, la jeta contre la porte de la maison en ruine avec celle qui l'accompagnait. Mille bras se levèrent. La reine de Navarre allait être saisie, broyée, déchirée…

À cet instant, Catherine de Médicis et Ruggieri, du haut de leur fenêtre, le duc de Guise, du haut de son cheval, virent un spectacle inouï, fantastique et merveilleux… Un jeune homme venait de s'élancer, balayant la foule à coups de poing, à coups de tête, à coups de coude, entrant, pénétrant comme un coin de fer, et semblant faire le vide autour de lui, par une sorte de formidable roulis de ses épaules… En un clin d'œil, il se forma un espace entre la porte de la maison ruinée à laquelle s'appuyaient les deux femmes, et la multitude furieuse à la tête de laquelle se trouvaient l'orfèvre, le boucher et le libraire.

Alors, le jeune homme tira sa longue et solide rapière qui flamboya, et se mit à décrire un moulinet vertigineux, qu'il n'interrompit que pour lancer de seconde en seconde des coups de pointe furieux, tandis que la cohue stupéfaite, épouvantée, reculait, élargissant le demi-cercle !…

— René ! gronda Catherine, il faut que ce jeune homme meure ou qu'il soit à moi !

— J'y pensais ! répondit Ruggieri en s'élançant.

— Saint-Mégrin ! disait de son côté le duc de Guise, tâche donc de savoir qui est cet enragé. Cornes du diable, le magnifique sanglier ! Quels coups de boutoir ! D'estoc, de pointe, de taille, comme il frappe !…

Cet enragé, comme disait Guise, ce sanglier qui tenait tête à la meute humaine, c'était le chevalier de Pardaillan.

Au moment où Crucé et sa bande se jetaient sur la litière, il avait vu que cette litière contenait deux femmes.

Il voulut s'élancer, et se sentit retenu par le bras. Celui qui l'agrippait au passage, c'était le bourgeois qui, tout à l'heure, lui avait donné de si complaisants renseignements.

— Laissez faire ! cria cet homme avec une sorte d'emphase doctorale. Laissez faire le peuple ! Rappelez-vous ! Vox populi, vox Dei !…

— Eh ! monsieur, répondit Pardaillan, sans la moindre impatience, je vous ai déjà signifié que je n'entends pas l'anglais !

En parlant ainsi il se secoua. Et en se secouant, il envoya rouler le malencontreux latiniste sur les premiers rangs des assaillants ; puis il se précipita, tête baissée, comme un bélier humain.

— Par Bacchus ! s'écria l'homme en soutenant d'une main sa mâchoire endommagée ; c'est là Hercule en personne, ou je ne suis plus Jean Dorat, Johannus Auratus, le plus grand poète de la Pléiade, le Virgile de nos temps !…

Livre I

XIV. La Reine de de Navarre


Ce fut, pendant presque une demi-minute, l'homérique image d'un rocher qu'assaillent vainement des vagues déchaînées. Le peuple tourbillonnait autour de Pardaillan avec d'effroyables vociférations. Crucé, Kervier et Pezou lui jetaient des menaces apocalyptiques. Et Pardaillan, ramassé sur lui-même, les mâchoires serrées, sans un mot, sans un geste inutile, faisait tournoyer la flamboyante Giboulée parmi des éclairs.

Pourtant, cela ne pouvait durer ainsi.

Le demi-cercle se resserrait, malgré la résistance du premier rang ; des masses profondes, par-derrière, poussaient, avec de tumultueux mouvements de flux et de reflux.

Pardaillan comprit qu'il allait être écrasé…

Il jeta sur Jeanne d'Albret et sa compagne un regard qui eut la durée d'un éclair, et cria :

— Rangez-vous !

Les deux femmes obéirent.

Alors, lui, toujours couvert par la longue rapière, se pencha en avant, en équilibre sur la jambe gauche, tandis que, du pied droit, il se mettait à décocher contre la porte vermoulue des ruades forcenées.

Au premier coup de talon, qui résonna comme un choc de madrier, la multitude comprit la manœuvre, poussa une clameur de rage, et essaya de se ruer sur l'insensé qui tentait le miracle de sauver la huguenote. Deux ou trois hommes tombèrent, sanglants, et Giboulée décrivit un cercle d'acier si flamboyant qu'il y eut une seconde de désordre indescriptible.

Au deuxième coup de talon, la porte ébranlée gémit, et une de ses ferrures tomba.

Au troisième, elle s'ouvrit violemment, la serrure fracassée.

— Venez, Alice ! dit Jeanne d'Albret d'une voix étrangement calme.

Et elle entra dans la maison, suivie de sa compagne.

Le peuple, en voyant que sa victime lui échappait pour l'instant, jeta un rugissement tel qu'il sembla que la vieille maison allait s'écrouler ; Crucé, Pezou et Kervier, maintenant, ne se trouvaient plus en tête ; ils avaient disparu dans les vastes remous de cette houle humaine ; il y eut comme un assaut, la marche irrésistible d'un mascaret, le dévalement gigantesque d'une trombe qui s'abat… mais ces masses d'hommes écrasés les uns sur les autres, poussant, poussés, se piétinant, se soulevant parmi les gémissements des gens renversés et les imprécations des autres, cette masse, disons-nous, vint s'arrêter, haletante, rugissante, émiettée par ses propres mouvements, devant la porte refermée !…

En effet, à peine la reine de Navarre avait-elle disparu que Pardaillan, cessant son moulinet, porta à droite, à gauche, devant, au hasard, une dizaine de coups de pointe dont chacun fut suivi d'un hurlement de douleur. Puis, dans cet espace de temps ; inappréciable où la multitude s'arrêta, hésitante, hébétée, il bondit en arrière, à corps perdu, repoussa la porte et jeta autour de lui un regard de flamme…

La maison, ancien logis d'un menuisier ou d'un charpentier, était pleine de madriers.

Saisir cinq ou six de ces madriers, les arc-bouter contre la porte, établir un rempart solidement échafaudé, fut pour le chevalier l'affaire d'une minute, et la porte arrachée de ses gonds par l'armée assaillante tombait avec fracas que déjà l'obstacle se dressait, se hérissait devant la multitude.

Le premier mot de Jeanne d'Albret fut :

— Êtes-vous de la religion, monsieur ?

— Eh ! madame, je suis de la religion de vivre… surtout en ce moment où mauvais marchand serait celui qui achèterait ma peau pour plus d'un sol.

Jeanne d'Albret jeta un regard d'admiration sur ce jeune homme en lambeaux, les mains déchirées de sanglantes éraflures, qui continuait à sourire. En cette minute, il était vraiment beau, rayonnant d'audace, avec on ne savait quoi d'ironique au coin des yeux.

— Si nous devons mourir, reprit la reine de Navarre, je veux, avant, vous remercier et vous dire qu'à l'instant de ma mort j'aurai connu le plus héroïque gentilhomme que j'aie jamais vu…

— Oh ! murmura Pardaillan, nous ne sommes pas morts encore : nous avons bien trois minutes devant nous !… Silence, mes petits louveteaux ! ajouta-t-il en répondant aux vociférations du peuple. Un peu de patience, que diable, vous nous assourdissez et nous rompez les oreilles !

Cependant, il n'avait pas perdu une seconde.

D'un coup d'œil, il avait examiné l'endroit où il se trouvait. C'était une pièce immense qui avait dû servir d'atelier à un charpentier. Il n'y avait pas de plafond. C'était le toit lui-même qui couvrait cet atelier, et ce toit était soutenu par trois poutres verticales qui semblaient aller chercher leur base à travers le plancher, dans les caves.

En moins de temps qu'il ne le faut pour l'écrire, Pardaillan avait parcouru la pièce.

En arrivant au fond, c'est-à-dire au côté qui donnait sur le fleuve, il aperçut une trappe ouverte qui permettait de descendre aux caves.

D'un cri, il appela les deux femmes qui accoururent.

— Descendez ! fit-il.

— Et vous ? demanda la reine.

— Descendez toujours, madame. De grâce, pas de questions en ce moment !

Jeanne d'Albret et sa compagne obéirent. Au bas de l'escalier, elles trouvèrent qu'elles étaient non pas dans une cave, mais dans une pièce pareille à celle du dessus ; sous le plancher, elles entendaient des clapotements… la maison était construite sur pilotis ! Et c'était la Seine qui coulait au-dessous d'elles !… Et sur leurs têtes, là-haut, c'était une tempête effroyable de clameurs humaines où les cris de mort dominaient, comme les coups de tonnerre dominent le tumulte des orages !… Mort au-dessus ! mort au-dessous !…

À ce moment, une minute à peu près s'était écoulée depuis l'instant où elles étaient entrées dans la maison.

Jeanne d'Albret prêta l'oreille une seconde.

Dans une sorte d'accalmie des rafales populaires, elle crut entendre là-haut comme un grincement de scie… mais cela dura l'espace d'un éclair, et de nouveau, l'énorme mugissement de la foule couvrit tous les bruits.

Alors, fiévreusement, elle se mit à chercher… quoi ! elle ne savait ! Dans ces horribles instants où la mort est proche et semble inévitable, l'esprit prend dans les vigoureuses natures une étrange lucidité !… Jeanne d'Albret eut l'intuition qu'on devait pouvoir communiquer avec le fleuve… Son pied, tout à coup, heurta un anneau de fer… elle se baissa avec un cri de joie puissante, le souleva d'un effort inouï, arracha la trappe de son alvéole… et là, sous ses yeux, avec le rauque soupir du condamné qui a la vie sauve, oui, là, elle aperçut une échelle qui descendait au fleuve parmi les pilotis !… Et au bas de cette échelle, une barque !

— Monsieur, monsieur, rugit-elle.

— Me voici ! tonna Pardaillan. Si nous mourons, ce sera en nombreuse compagnie !…

Et le chevalier apparut au haut de l'escalier, tenant une grosse corde à la main. Sur cette corde, il se raidit, s'arc-bouta, d'un effort tel que les muscles de ses jambes saillirent, et que les veines de ses tempes parurent prêtes à éclater…

À ce moment, la hideuse multitude affamée de mort, dans un effrayant fracas, se précipitait, se ruait…

— À mort ! à mort ! à mort !…

On n'entendit plus que la sinistre clameur !…

À ce moment, aussi, Pardaillan, d'une dernière secousse frénétique, semblable à un titan qui cherche à déraciner un chêne séculaire, tira sur la corde !…

Un craquement formidable se fit entendre, la maison parut osciller un instant, puis, parmi d'atroces clameurs de désespoir, un grondement puissant, quelque chose comme un roulement de tonnerre… la maison s'effondrait ! Les poutres se déchiraient ! la toiture tout entière tombait d'un bloc : tuiles, ferrures, pièces de bois, tout s'abîmait dans un fracas sinistre, écrasant, blessant, tuant par centaines les meurtriers !…

Puis un silence énorme pesa sur cette scène inouïe.

Que s'était-il passé ?

Pardaillan avait scié les trois poutres qui portaient la toiture !…

Pardaillan les avait liées avec la même corde !

Pardaillan, en secouant frénétiquement cette corde, avait fait tomber les poutres !

Et alors, d'un bond, d'un saut, il se lança dans le vide, tomba au pied de l'escalier, et se rua vers Jeanne d'Albret, tandis que sur le plancher qu'il venait de quitter s'effondrait la toiture de la vieille maison !…

La reine, d'un geste, lui montra le fleuve, l'échelle, la barque !…

En un instant, ils y furent tous les trois… Le chevalier coupa la corde qui retenait la légère embarcation, et celle-ci, entraînée par le courant, se mit à filer dans la direction du Louvre.

*******

Pardaillan dirigea la barque au moyen d'une godille qu'il trouva au fond. Cinq minutes plus tard, il abordait au-dessous du Louvre, à l'endroit où se trouvait quelques années auparavant l'enclos des Tuileries, et où Catherine de Médicis faisait alors construire un palais par son architecte Philibert Delorme.

Lorsqu'ils furent débarqués, Pardaillan s'arrêta sur la berge, le chapeau à la main, dans l'attitude souriante d'un gentilhomme qui, ayant escorté deux dames à la promenade, s'apprête à prendre congé.

— Monsieur, dit alors Jeanne d'Albret avec ce calme énergique dont elle ne s'était pas départie un seul instant pendant la terrible scène que nous venons de raconter, je suis la reine de Navarre… Et vous ?

— Je m'appelle le chevalier de Pardaillan, madame.

— Vous venez, monsieur, de rendre à la maison de Bourbon un service qu'elle n'oubliera jamais…

Le chevalier fit un geste.

— Ne vous en défendez pas, reprit la reine… pas devant moi, du moins ! ajouta-t-elle avec amertume !

Pardaillan saisit l'allusion : avoir défendu la huguenote, c'était peut-être mériter la mort !

— Ni devant vous, ni devant personne, madame, dit-il avec cette simplicité qui était si remarquable chez lui. J'ai conscience d'avoir, en effet, rendu un grand service à Votre Majesté, puisque je lui ai sauvé la vie ; mais je dois déclarer que j'ignorais quelle grande reine j'avais l'honneur de défendre lorsque j'ai tenté d'arracher à la mort les deux femmes qui passaient dans une litière.

Jeanne d'Albret, qui depuis des années faisait la guerre, Jeanne d'Albret, diplomate consommé et véritable général d'armée, Jeanne d'Albret qui commandait à des héros et devait se connaître en héroïsme, fut frappée de cette dignité froide, corrigée par on ne savait quoi d'ironique et de gouailleur, qui émanait de toute la personne du chevalier.

C'est ainsi que, tandis qu'il faisait cette réponse, son visage était immobile, ses yeux très froids, mais sa main quittait la garde de son épée pour esquisser un de ces intraduisibles gestes du gamin qui se moque de lui-même.

— Monsieur, reprit la reine après l'avoir examiné avec une admiration, si vous voulez me suivre au camp de mon fils Henri, votre fortune est faite.

Pardaillan tressaillit et dressa l'oreille au mot de fortune.

Au même instant, l'image de la jeune fille aux cheveux d'or, de l'adorable voisine qu'il guettait pendant des heures à sa fenêtre, cette douce et radieuse image passa devant ses yeux, il éprouva, à la pensée de quitter Paris, un inexprimable serrement de cœur qui le surprit, le bouleversa et le charma tout à la fois.

Il eut donc une grimace de regret pour cette fortune qui s'évanouissait à peine entrevue, et répondit en s'inclinant avec une grâce altière :

— Que Votre Majesté daigne accepter l'hommage de ma reconnaissance : mais c'est à Paris que j'ai résolu de chercher fortune.

— C'est bien, monsieur. Mais au cas où quelqu'un des miens désirerait vous rencontrer, où vous trouverait-il ?

— À l'auberge de la Devinière, madame, rue Saint-Denis.

Jeanne d'Albret fit alors un signe de tête et se tourna vers sa compagne.

Celle-ci était vraiment une merveilleuse créature : de grands yeux vifs, une bouche vermeille et sensuelle, de magnifiques cheveux bruns, une taille et une démarche d'une suprême élégance.

Elle paraissait sourdement inquiète, et parfois levait un regard rapide sur Jeanne d'Albret.

— Alice, dit celle-ci, vous avez été bien imprudente de faire passer la litière par le pont…

— Je croyais le passage libre. Majesté, répondit avec assez de fermeté la jeune fille.

— Alice, reprit la reine, vous avez été bien imprudente de lever les rideaux…

— Un mouvement de curiosité… fit Alice avec moins d'assurance.

— Alice, continua Jeanne d'Albret, vous avez été bien imprudente enfin de prononcer tout haut mon nom devant cette foule hostile…

— J'avais la tête perdue, madame ! répondit la jeune fille, cette fois, dans un véritable balbutiement.

La reine de Navarre lui jeta un profond regard et demeura un instant pensive.

— Ce n'est pas pour vous en faire le reproche, mon enfant, dit-elle lentement. Mais enfin, quelqu'un qui eût voulu me livrer n'eût pas agi autrement…

— Oh ! Majesté !…

— Une autre fois, soyez plus prudente, acheva la reine avec tant de sérénité qu'Alice de Lux (Ruggieri nous a appris son nom) fut aussitôt rassurée et se répandit en protestations dévouées.

— Monsieur le chevalier, dit alors Jeanne d'Albret, je vais abuser de vous…

— Je suis à vos ordres, madame.

— Bien. Merci. Veuillez donc nous suivre à distance là où nous allons… Sous la protection d'une épée telle que la vôtre, je ne craindrais pas de traverser une armée.

Pardaillan reçut sans faiblir le compliment. Seulement, il poussa un soupir et murmura :

— Quel dommage que je ne puisse plus quitter Paris !… C'est bien fait ! Monsieur mon père me l'avait bien dit… Méfie-toi des femmes !… Il est bien temps, par Pilate et Barabbas !… Me voilà ficelé par les cheveux d'or de ma voisine… les fameux serpents qui enlacent et étouffent !… Et dire, ajouta-t-il, en jetant un piteux regard sur son pourpoint en lambeaux, dire que j'étais sorti pour me conquérir un costume de prince !… Il va me falloir manier l'aiguille toute la nuit, après avoir manié l'épée tout le jour !… Bon ! la différence est-elle si grande ?…

Tout en monologuant, le chevalier suivait à dix pas, l'œil au guet, la main à la garde de l'épée, les deux femmes qui, rapidement, s'enfoncèrent dans Paris.

Le soir commençait à tomber.

Pardaillan qui, dans sa hâte à suivre la mère de Loïse, était parti sans déjeuner, commençait à ressentir de furieux tiraillements d'estomac.

Après d'innombrables détours, Jeanne d'Albret et sa compagne arrivèrent enfin au Temple.

En face de la sombre prison dont la grande tour noircie par le temps dominait le quartier, comme une menace, une maison d'apparence bourgeoise s'élevait d'un étage.

Sur un geste de la Reine, Alice de Lux heurta à la porte.

Presque aussitôt on ouvrit.

Jeanne d'Albret fit signe à Pardaillan de se rapprocher.

— Monsieur, dit-elle, vous avez maintenant le droit de connaître mes affaires. Entrez donc, je vous prie.

— Madame, dit Pardaillan, Votre Majesté s'abuse : je n'ai qu'un droit, celui de me tenir à ses ordres.

— Vous êtes un charmant cavalier. Apprenez donc que la présence d'un homme — et d'un homme tel que vous ! — ne me sera pas inutile dans cette maison.

— En ce cas, j'obéis, madame, fit Pardaillan qui en lui-même songea :

« En ce moment, les poulardes de maître Landry doivent être à point. Que ne puis-je me mettre à leurs ordres !… »

La porte, cependant, s'était refermée. Les trois visiteurs furent conduits par un domestique, sorte de géant femelle, jusqu'à une pièce étroite, mal meublée, mais assez propre.

Là, un vieillard à nez recourbé, à longue barbe biblique, était assis à une table sur laquelle se trouvaient trois balances de différent calibre. Cet homme jeta un regard perçant sur Jeanne d'Albret, et un imperceptible sourire effleura ses lèvres.

— Ah ! ah ! fit-il avec une cordialité exagérée, c'est encore vous madame… madame… comment donc, déjà ? C'est qu'il y a trois ans que je ne vous ai vue… mais votre nom est inscrit là, dans mon coffre…

— Madame Leroux, dit la reine sèchement.

— C'est bien cela ! J'allais le dire ! Et vous avez encore quelque collier de perles, quelque agrafe de diamant à vendre à ce bon Isaac Ruben ?

Il va sans dire que le vieillard prononçait Rupen pour Ruben, matame pour madame, acrave pour agrafe et gollier pour collier. Nous nous en remettons au lecteur que diverses littératures ont habitué à cet exercice, du soin de rétablir la prononciation du juif.

Nous prierons notre lecteur de se souvenir que la reine de Navarre, au moment où elle avait sauté de la litière, tenait à la main un sac de cuir. Et s'il l'a oublié, nous le lui rappelons.

Ce sac, Jeanne d'Albret le déposa sur la table, l'ouvrit, et en versa le contenu, pêle-mêle.

Les yeux d'Isaac Ruben pétillèrent. Il allongea les mains sur les diamants, les rubis, les émeraudes, les pierres précieuses qui chatoyaient sur la table et croisaient leurs feux. Ses doigts, un instant, les caressèrent. Le marchand d'or était poète à sa façon, et toute cette splendeur étalée sur la table en pauvre bois blanc, amena un mince sourire sur ses lèvres.

Quand à Pardaillan, il nous faut résister à la tentation de le montrer plus beau que nature, et confesser la vérité, dût cette vérité lui enlever une part notable de la sympathie du lecteur : devant cette fortune qui prenait la forme la plus somptueuse et la plus poétique de la fortune, devant ces flammes bleues, rouges et vertes qui semblaient fulgurer au fond d'un foyer magique, il ouvrit de grands yeux ébahis et il frissonna.

« Quand je pense, songea-t-il, que la moindre de ces pierres ferait de moi un homme riche ! »

Et par un jeu rapide de l'imagination, il se vit possesseur de ce trésor : il se vit paradant sous les fenêtres de la Dame en noir et de sa fille dans un flamboyant costume capable de faire étouffer d'envie les mignons les plus élégants du duc d'Anjou — le maître des élégances fastueuses !

Puis, venant à ramener son regard sur lui-même, il se vit si gueux avec sa grande colichemarde, si râpé, si minable et si déchiré, qu'il se mordit les lèvres de dépit, et, pour échapper à la fascination du trésor, se mit à examiner Jeanne d'Albret.

La reine de Navarre était alors une femme de quarante-deux ans. Elle portait encore le deuil de son mari, Antoine de Bourbon, mort en 1562, bien qu'elle n'eût jamais bien sérieusement regretté cet homme faible, indécis, ballotté par les partis et qui n'avait su en prendre qu'un seul : celui de mourir à temps et de laisser le champ libre à l'esprit viril, audacieux et entreprenant de Jeanne d'Albret. Elle avait des yeux gris, avec un regard puissant qui pénétrait jusqu'à l'âme. Sa voix provoquait les enthousiasmes. Sa bouche avait un pli sévère ; et, au premier abord, cette femme paraissait glaciale. Mais quand la passion l'animait, elle se transformait. Il ne lui a fallu, pour devenir l'héroïne guerrière accomplie, la Jeanne d'Arc du protestantisme, qu'une occasion réelle de déployer ses qualités, et il ne lui a manqué que de ne pas être arrêtée en route. Elle était de fière allure, avec un air de souveraine dignité. Elle devait ressembler à la mère des Gracques. L'histoire qui n'étudie guère que le geste extérieur ne lui a pas assigné la grande place à laquelle elle avait droit. Le romancier, à qui il est permis de scruter l'âme sous les plis sculpturaux de la statue, de chercher à pénétrer les mobiles sous les actes publics, s'incline et admire. Nous avons, avec Jeanne de Piennes, présenté un type de mère. Avec Catherine de Médicis, nous allons nous heurter à une autre figure de mère. Et c'est encore une mère que nous trouvons dans Jeanne d'Albret. Nous parlions de la passion qui parfois la transfigurait. Or, Jeanne d'Albret n'avait qu'une passion : son fils. C'est pour son fils que, femme simple, éprise de la vie patriarcale du Béarn, elle s'était jetée à corps perdu dans la vie des camps. C'est pour son fils qu'elle avait abandonné sa quenouille et ses livres pour enflammer de vieux généraux. C'est pour son fils qu'elle était courageuse, stoïque jusqu'à braver la mort en face. C'est pour son fils, pour payer l'armée de son fils, qu'elle avait une première fois vendu la moitié de ses bijoux et qu'elle vendait ce jour-là ce qui lui restait de son ancienne et royale opulence.

Pardaillan avait tressailli.

Le juif avait souri.

Elle seule demeura impassible.

Cependant, Isaac Ruben venait de trier les pierres et les avait rangées par catégories et, dans chaque catégorie, par ordre de mérite. Il les examina, le sourcil froncé, le front plissé par l'effort du calcul. Sans les toucher, sans les peser, sans en examiner les défauts, il demeura en méditation cinq minutes.

« Le travail de l'estimation va commencer, pensa Pardaillan ; nous en avons pour trois ou quatre heures. »

— Madame, dit brusquement le Juif en levant la tête, il y a là pour cent cinquante mille écus de pierres.

— C'est exact, dit Jeanne d'Albret.

— Je vous offre cent quarante-cinq mille écus. Le reste représente mon bénéfice et mes risques.

— J'accepte.

— Comment voulez-vous que je vous paie ?

— Comme la dernière fois.

— En une lettre à l'un de mes correspondants ?

— Oui. Seulement, ce n'est pas à votre correspondant de Bordeaux que je veux avoir à faire.

— Choisissez, madame. J'ai des correspondants partout. Le nom de la ville ?

— Saintes.

Sans plus rien dire, le Juif se mit à écrire quelques lignes, les signa, déposa un cachet spécial sur le parchemin, relut soigneusement cette sorte de lettre de change, et la tendit à Jeanne d'Albret qui, l'ayant lue, la cacha dans son sein.

Isaac Ruben se leva en disant :

— Je demeure à vos ordres, madame, pour toute opération de ce genre.

La reine de Navarre tressaillit, et un soupir vite réprimé gonfla son sein : ce qu'elle venait de vendre, c'étaient ses derniers bijoux ; il ne lui restait plus rien !…

Faisant de la main un signe d'adieu au marchand, elle se retira suivie d'Alice.

Pardaillan les suivit, émerveillé, stupéfait, grisé, ne sachant lequel il devait le plus admirer : ou de la science du juif qui venait, sans contrôle préalable, de donner une aussi grosse somme d'or, avec la certitude de ne pas se tromper ; ou de la confiance de la reine de Navarre qui partait sans même jeter un regard à ces étincelantes pierreries, n'emportant qu'un simple parchemin avec une signature et un cachet !

Livre I

XV. Les Trois Ambassadeurs


Jeanne d'Albret sortit de Paris par la porte Saint-Martin, voisine du Temple. À deux cents toises de là, attendait une voiture de voyage attelée de quatre vigoureux petits chevaux tarbes que conduisaient deux postillons. La reine de Navarre marcha jusqu'à cette voiture sans prononcer une parole. Elle fit monter Alice de Lux la première, et, se tournant alors vers Pardaillan :

— Monsieur, dit-elle de cette voix grave qui devenait si harmonieuse en certaines circonstances, vous n'êtes pas de ceux qu'on remercie. Vous êtes un chevalier des temps héroïques, et la conscience que vous devez avoir de votre valeur, doit vous mettre au-dessus de toute parole de gratitude. En vous disant adieu, je veux seulement vous dire que j'emporte le souvenir d'un des derniers paladins qui soient au Monde…

En même temps, elle tendit sa main.

Avec cette grâce altière qui lui était propre, le chevalier se pencha sur cette main et la baisa respectueusement. Il était tout ému, tout étonné de ce qu'il venait d'entendre.

La voiture s'éloigna au galop de ses petits tarbes nerveux.

Longtemps, il demeura là tout rêveur.

« Un chevalier des temps héroïques, songeait-il. Un paladin ! Moi !… Et pourquoi pas ! Oui ! Pourquoi n'entreprendrais-je pas de montrer aux hommes de mon temps que la force virile, le courage indomptable sont des vices hideux quand ils sont mis à la disposition de l'esprit de haine et d'intrigue ; et qu'ils deviennent des vertus, quand… »

Sur ce mot de vertu, il s'arrêta et se mit à rire comme il riait : c'est-à-dire du bout des dents et sans bruit.

Il s'était d'abord redressé et, appuyé tout droit sur le fourreau de Giboulée, il avait haussé sa taille, et sa moustache s'était hérissée, ses yeux avaient flamboyé.

Au mot de vertu, il leva les épaules, renvoya Giboulée dans ses mollets, d'un coup de talon, et grommela :

— M. de Pardaillan, mon père, m'a pourtant fait jurer de me défier surtout de moi-même ! Allons voir s'il reste quelque perdreau ou quelque carcasse de poulet chez maître Landry !

Il se mit aussitôt en route en sifflant une fanfare de chasse que le roi Charles IX, grand amateur de fanfares, venait de mettre à la mode, et rentra dans Paris au moment où on allait fermer les portes.

Une heure plus tard, dans la rôtisserie de la Devinière, il était attablé devant une magnifique volaille que Mme Landry Grégoire, désireuse de faire sa paix, découpait elle-même, ce qui lui permettait de faire valoir la rondeur d'un bras nu jusqu'au coude.

Il faut dire que ce déploiement d'amabilité fut en pure perte : le héros, le paladin, pris d'un appétit féroce, n'avait d'yeux que pour la volaille et les flacons de Saumur qui l'escortaient. Il ne mangeait pas, il dévorait…

Une fois rassasié, Pardaillan s'en fut tranquillement se coucher, tandis que maître Landry poussait un soupir de désespoir en constatant que trois flacons avaient succombé aux attaques de son hôte, et que Huguette Landry Grégoire, sa femme, en poussait un autre de désolation en constatant que le chevalier avait résisté à ses attaques à elle.

Le lendemain, fatigué de la grande bataille de la veille, Pardaillan se réveilla assez tard. Il se leva, passa son haut-de-chausses et ayant jeté sur ses épaules un vieux manteau déteint que lui avait laissé son père, il se mit en devoir de raccommoder son pourpoint, opération qui lui était des plus familières. Peut-être bien que, dans l'esprit de telle lectrice, une aussi humble occupation fera descendre le chevalier du piédestal où déjà elle le plaçait. Nous ferons simplement observer à cette lectrice que notre dessein est de représenter avec exactitude les détails de l'existence d'un aventurier sous le règne de Charles IX.

Pardaillan, donc, saisit une sorte de trousse copieusement munie d'aiguilles, de fil, d'aiguillettes, de cordons, d'agrafes et de tout ce qu'il faut pour coudre, raccommoder, rapetasser, effacer d'un doigt expert les accros, déchirures et coups d'épée.

Il s'était placé près de la fenêtre pour avoir du jour, et tournait le dos à la porte. Il venait de boucher un premier trou et attaquait un accroc situé en pleine poitrine lorsqu'on gratta légèrement à la porte.

— Entrez ! cria-t-il sans se déranger.

La porte s'ouvrit. Il entendit la voix grasse de maître Landry Grégoire qui disait avec un respectueux empressement :

— C'est ici, mon prince, c'est ici même…

Et ayant tourné la tête par-dessus son épaule pour voir de quel prince il s'agissait, Pardaillan aperçut en effet le plus magnifique seigneur qui eût jamais franchi le seuil de la Devinière : hautes bottes en peau fine, à éperons d'or, haut-de-chausses en velours violet, pourpoint de satin, aiguillettes d'or, rubans mauves, grand manteau de satin violet pâle, toque à plume violette agrafée à une émeraude ; et, dans ce costume, un jeune homme frisé, musqué, pommadé, parfumé, moustaches relevées au fer, joues fardées, lèvres passées au rouge : un mignon splendide.

Le chevalier se leva et, son aiguille à la main, dit poliment :

— Veuillez entrer, monsieur.

— Va, dit l'inconnu — prince ou mignon — va dire à ton maître que Paul de Stuer de Caussade, comte de Saint-Mégrin, désire avoir l'honneur de l'entretenir.

— Pardon, dit froidement le chevalier, quel maître ?

— Mais le tien, ventre de biche ! J'ai dit ton maître, par le sambleu !

Pardaillan devint de glace, et avec la superbe tranquillité qui le caractérisait, répondit :

— Mon maître, c'est moi !

Mot énorme pour une époque où tout le monde, excepté le roi, avait un maître. Et encore le roi reconnaissait-il le pape pour son maître.

Saint-Mégrin fut étonné ou ne le fut pas ; il demeura impassible, craignant surtout de déranger la dentelle de sa collerette. Seulement, du haut de cette collerette, il laissa tomber ces mots :

— Seriez-vous, d'aventure, monsieur le chevalier de Pardaillan ?

— J'ai cet honneur, fit le chevalier de cet air figure de raisin qui ébahissait les gens et les laissait perplexes, se demandant s'ils avaient affaire à un profond diplomate ou à un prodigieux naïf.

Saint-Mégrin, dans toutes les règles de l'art, se découvrit et exécuta sa révérence la plus exquise.

Pardaillan ramena sur ses épaules son vieux manteau déteint, et d'un geste, désigna au comte l'unique fauteuil de la chambre, tandis qu'il s'asseyait sur une chaise.

— Chevalier, dit Saint-Mégrin, quand il eut pris place avec toutes les précautions imaginables pour ne pas froisser son manteau de satin violet pâle, je vous suis dépêché par monseigneur le duc de Guise pour vous dire qu'il vous tient en grande estime et haute admiration.

— Croyez bien, monsieur, fit Pardaillan du ton le plus naturel, que je lui rends cette estime et cette admiration.

— L'affaire d'hier vous a mis en fort belle posture.

— Quelle affaire ?… Ah ! oui… le pont de bois…

— Eh ! il n'est pas question que de cela à la cour. Et tout à l'heure, au lever de Sa Majesté, le récit en fut fait au roi par son poète favori, Jean Dorat, qui a assisté à la chose.

— Bon ! Et qu'a-t-il dit, ce poète ?

— Que vous méritiez la Bastille pour avoir sauvé deux criminelles. Car il paraît prouvé que les deux femmes étaient des criminelles qui se sauvaient.

— Et qu'a dit le roi ?

— Si vous étiez homme de cour, monsieur, vous sauriez que Sa Majesté parle très peu… Quoi qu'il en soit, vous passez maintenant pour un Alcide ou un Achille. Tenir tête à tout un peuple pour protéger deux femmes, c'est fabuleux cela ! Savez-vous que vous êtes un héros, quelque chose comme un chevalier de la Table Ronde ?

— Je ne dis pas non.

— Et, surtout, ce moulinet de la rapière ! Et les coups de pointe de la fin ! Et cette maison qui s'écroule !…

— Ah ! je n'y suis pour rien, croyez-le.

— Bref, monseigneur le duc de Guise serait charmé de vous être agréable. Et pour preuve, il m'a chargé de vous supplier d'accepter ce petit diamant comme une première marque de son amitié. Oh ! ne refusez pas, vous feriez injure à ce grand capitaine…

— Mais je ne refuse pas, dit Pardaillan toujours paisible.

Et il passa à son doigt la magnifique bague que lui tendait le comte, non sans en avoir pour ainsi dire soupesé le diamant du coin de l'œil.

— Vous me voyez charmé du bon accueil que vous voulez bien me faire, reprit Saint-Mégrin.

— Tout l'honneur est pour moi, ainsi que le profit.

— Oh ! ne parlons plus de cette bague… une misère.

— Malepeste ! Je n'en juge pas ainsi. Mais je voulais seulement parler du profit qu'il peut y avoir pour moi à avoir reçu en ce taudis un seigneur de votre importance. J'avoue que j'avais fort envie de voir de près un homme de bel air. Et me voilà pleinement satisfait. Par Pilate ! il faudrait que je fusse bien difficile ! Votre manteau à lui seul est une merveille. Quant à votre pourpoint, je n'ose vraiment l'apprécier. Il n'est pas jusqu'à ce haut de chausses violet qui ne m'étonne. Et votre toque, monsieur le comte ! Ah ! votre toque ! Jamais je n'oserai plus mettre mon chapeau !…

— De grâce ! Vous m'accablez ! Vous m'écrasez !

Pardaillan, qui jusque-là s'était montré assez peu loquace, devenait lyrique. Son regard détaillait toutes les splendeurs du costume de Saint-Mégrin. Et le comte avait beau demander grâce, multiplier les révérences, le chevalier continuait à laisser déborder le flot de son admiration.

Seulement, il ne disait pas un mot plus haut que l'autre. Et ce flot coulait comme un jet glacé. Il était impossible de deviner en lui une pensée de raillerie ou de scepticisme. Mais un observateur eût pu saisir au coin de son œil l'intense jubilation d'un homme qui s'amuse prodigieusement.

— Or çà, dit enfin le comte, venons-en aux choses sérieuses. Notre grand Henri de Guise remonte sa maison en vue de certains événements qui se préparent. Voulez-vous en être ? La question est franche.

— J'y répondrai par la même franchise : je désire n'être que d'une seule maison.

— Laquelle ?

— La mienne !

Et Pardaillan exécuta une révérence si merveilleusement copiée sur celles de Saint-Mégrin que le mignon le plus difficile n'eût pu qu'admirer.

— Est-ce la réponse que je dois rapporter au duc de Guise ? fit le comte.

— Dîtes à monseigneur que je suis touché jusqu'aux larmes de sa haute bienveillance, et que j'irai moi-même lui porter ma réponse.

« Bon ! pensa Saint-Mégrin, il est à nous. Mais il se réserve de discuter le prix de l'épée qu'il apporte. »

Tout plein de cette idée, charmé d'ailleurs des éloges que Pardaillan ne lui avait pas ménagés, il tendit une main qui fut serrée du bout des doigts.

Le chevalier l'accompagna jusqu'à sa porte où eurent lieu force salamalecs et salutations.

« Hum ! songea Pardaillan quand il fut seul. Voilà ce que je puis appeler une proposition inespérée. Être de la suite du duc de Guise ! C'est-à-dire du seigneur le plus fastueux, le plus généreux, le plus riche, le plus puissant, ah ! jamais je ne trouverai assez de mots qualitatifs… Mais c'est la fortune, cela ! C'est peut-être la gloire !… Hum ! Ah ! çà, d'où vient que je ne saute pas de joie ? Quel animal capricieux, grincheux, morose et hypocondre se cache en moi ?… Par Barabbas ! Je dois accepter, morbleu !… Non, je n'accepterai pas !… Pourquoi ? »

Pardaillan se mit à arpenter sa chambre avec agitation.

« Eh ! pardieu, j'y suis ! Je n'accepte point parce que monsieur mon père m'a commandé de me défier !… Voilà l'explication, ou que je sois étripé !… Quel bon fils je suis !… »

Content d'avoir trouvé ou feint de trouver cette explication, et de n'avoir pas à s'interroger davantage, opération cérébrale qui lui était parfaitement antipathique, le chevalier contempla avec admiration — sincère, cette fois — le diamant que lui avait laissé Saint-Mégrin.

— Cela vaut bien cent pistoles, murmura-t-il. Peut-être cent vingt ?… Qui sait si on ne m'en donnera pas cent cinquante ?

Il en était à deux cents pistoles lorsque la porte s'ouvrit de nouveau, et Pardaillan vit entrer un homme enveloppé d'un long manteau, simplement vêtu comme un marchand. Cet homme salua profondément le chevalier stupéfait et dit :

— C'est bien devant monsieur le chevalier de Pardaillan que j'ai l'honneur de m'incliner ?

— En effet monsieur. Que puis-je pour votre service ?

— Je vais vous le dire, monsieur, dit l'inconnu, qui dévorait le jeune homme du regard. Mais avant tout, voudriez-vous me faire le plaisir de me dire quel jour vous êtes né ? Quelle heure ? Quel mois ? Quelle année ?

Pardaillan s'assura d'un coup d'œil que Giboulée était à sa portée.

« Pourvu qu'il ne devienne pas furieux, pensa-t-il. »

L'inconnu, cependant, malgré l'étrangeté de ses questions, n'avait pas l'air d'un fou. Il est vrai que ses yeux brillaient d'un feu extraordinaire ; mais rien dans son attitude ne dénonçait la démence.

— Monsieur, dit Pardaillan avec la plus grande douceur, tout ce que je puis vous dire, c'est que je suis né en 49, au mois de février. Quant au jour et à l'heure, je les ignore.

— Peccato ! murmura le bizarre visiteur. Enfin ! je tâcherai de reconstituer l'horoscope du mieux que je pourrai. Monsieur, continua-t-il à haute voix, êtes-vous libre ?

« Ménageons-le se dit le chevalier. » Libre, monsieur ? Eh ! qui peut se vanter de l'être ? Le roi l'est-il, alors qu'il ne peut faire un pas hors de son Louvre ? La reine Catherine, qu'on dit plus reine que le roi n'est roi, l'est-elle ? M. de Guise l'est-il ? Libre ! comme vous y allez, mon cher monsieur ! C'est comme si vous me demandiez si je suis riche. Tout est relatif. Les jours où j'ai un écu, je me crois aussi riche q'un prince. Les jours où je puis m'attabler devant une bonne bouteille de Saumur, je me crois aussi noble qu'un Montmorency. Libre ! Par Pilate ! Si par là vous entendez que je puis me lever à midi et me coucher à l'aube, que je puis, sans crainte, sans remords, sans regarder qui me suit, entrer au cabaret ou à l'église, manger si j'ai faim, boire si j'ai soif… (la paix. Pipeau ! Qu'as-tu à grogner, imbécile !), embrasser les deux joues de la belle madame Huguette, ou pincer les servantes de la Corne d'Or, battre Paris le jour ou la nuit à ma guise (n'ayez pas peur il ne mord pas !), me moquer des truands et du guet, n'avoir de guide que ma fantaisie et de maître que l'heure du moment, oui, monsieur, je suis libre ! Et vous ?

L'inconnu avait écouté le chevalier avec une attention remarquable, tressaillant à certaines intonations sceptiques, levant un rapide regard à certaines autres où perçait une involontaire colère… ou peut-être une émotion.

Sans dire un mot, il se dirigea vers la table et y déposa un sac qu'il sortit de dessous son manteau.

— Monsieur, dit-il alors, il y a là deux cents écus.

— Deux cents écus ? Diable !

— De six livres.

— Oh ! oh ! De six livres ? Vous dites : de six livres ?

— Parisis, monsieur !

— Parisis ! Eh bien, monsieur, voilà un honnête sac.

— Il est à vous, fit brusquement l'homme.

— En ce cas, dit Pardaillan avec cette froide tranquillité qu'il prenait tout à coup, parfois, en ce cas, permettez que je le mette en lieu sûr.

Et il saisit le sac rebondit, l'enferma dans un coffre sur lequel il s'assit, et demanda :

— Maintenant, dites-moi pourquoi ces deux cents écus de six livres parisis sont à moi.

L'inconnu croyait avoir écrasé un homme. Ce fut lui qui le fut. Il s'attendait à des remerciements enthousiastes, il reçut la question de Pardaillan en pleine poitrine. Toutefois, il se remit promptement, et reconnaissant au fond de lui-même qu'il avait affaire à un rude jouteur, il résolut d'assommer d'un mot son adversaire.

— Ces deux cents écus sont à vous, dit-il, parce que je suis venu vous acheter votre liberté.

Pardaillan ne sourcilla pas, ne fit pas un mouvement.

— En ce cas, monsieur, prononça-t-il du bout des dents, c'est neuf cent quatre-vingt-dix-neuf mille huit cents écus de six livres parisis que vous me redevez.

— Briccone ! murmura l'homme dont les épaules ployèrent. Ouf, monsieur ! C'est donc à un million d'écus que vous estimez votre liberté ?

— Pour la première année, dit Pardaillan sans broncher.

Cette fois, René Ruggieri — que l'on a sûrement deviné — s'avoua vaincu.

— Monsieur, dit-il après avoir jeté un regard d'admiration sur le chevalier, modeste et paisible sur son coffre, je vois que vous maniez la parole comme l'épée et que vous connaissez toutes les escrimes. Je vous demande pardon d'avoir essayé de vous étonner. Et je viens au fait de mon affaire. Gardez votre liberté, monsieur. Vous êtes homme de cœur et d'esprit…

« Diable, pensa le chevalier ; tenons-nous bien, le fou devient enragé. »

— Vous venez de me prouver que vous avez de l'esprit, comme vous avez prouvé hier que vous avez du cœur. Per bacco, monsieur ! Vous avez une épée qui tranche et des mots qui assomment ! Que diriez-vous si je vous proposais de mettre l'un et l'autre au service d'une cause noble et juste entre toutes, d'une sainte cause pour mieux dire ! Et d'une princesse puissante, bonne, généreuse…

— Laissons la cause et voyons la princesse. Serait-ce Mme de Montpensier ?

— Peuh ! monsieur !…

— Oh ! oh ! Serait-ce Mme de Nemours ?

— Non, certes ! fit vivement Ruggieri. Mais tenez, ne cherchez pas ! Qu'il vous suffise de savoir que c'est la princesse la plus puissante qu'il soit en France.

— Cependant, il faut bien que je sache à qui et à quoi j'engage ma foi ?

— Juste ! on ne peut plus juste ! Venez donc, s'il vous plaît, demain soir, sur le coup de dix heures, au pont de bois, et frappez trois coups à la première maison qui est à droite du pont…

Pardaillan ne put s'empêcher de tressaillir en songeant à cette figure pâle qu'il avait cru entrevoir derrière le mystérieux treillis de la fenêtre grillée. En un instant, sa décision fut prise.

— On y sera ! dit-il d'un ton bref.

— C'est tout ce que voulais… pour l'instant ! répondit Ruggieri, qui fit une profonde salutation, où le chevalier crut démêler quelque chose d'ironique ou de menaçant.

Quelques instants plus tard, l'étrange visiteur avait disparu. Et Pardaillan se mit à songer :

« Je veux que le diable m'arrache un à un les poils de ma moustache si cette princesse, la plus puissante qui soit, ne s'appelle pas Catherine de Médicis ! Quant à la cause noble et sainte entre toutes, nous verrons bien. En attendant, cet homme sait qui je suis, et moi j'ignore jusqu'à son nom !… Bon ! Voyons si du moins ses écus ont un nom qui ait cours dans les tavernes ! »

Il tira le sac du coffre, l'éventra, s'assit à la table et se mit à compter les écus qu'il rangea par piles des plus méthodiques, tandis qu'un large sourire hérissait plus que jamais sa moustache.

« Ils y sont, ma foi ! Voilà bien les deux cents écus, tout battant neufs et à l'effigie de notre digne sire le roi ! Mais c'est que je suis bien éveillé, par Pilate ! Je ne rêve pas ! Voici les pièces blanches, et voici le diamant… Tiens, tiens ! est-ce que je serais en passe de devenir riche ? Ah çà, mais je crois que je suis ému ! Est-ce que j'aurais peur de la bonne fortune, moi qui n'ai jamais eu peur de la mauvaise ? »

Pardaillan tout rêveur en était là de ses réflexions lorsque, pour la troisième fois, la porte s'ouvrit.

Il sursauta, tout de bon effaré, lui qui mettait son point d'honneur à ne s'effarer de rien… nil mirari, comme eût dit Jean Dorat, poète du roi, qui daignait citer Horace quand il ne se citait pas lui-même.

Mais presque aussitôt, son étonnement, sans diminuer d'intensité, changea de sujet. En effet, l'homme qui entrait était le vivant portrait de l'homme qui venait de sortir. C'était le même air de sombre orgueil, le même port de tête emphatique, les mêmes traits accentués, le même regard de flamme.

Seulement l'homme aux deux cents écus (René Ruggieri, on le sait) paraissait âgé de quarante-cinq ans. Il était de moyenne taille. Le feu de ses yeux se voilait d'hypocrisie. Il semblait se fier plus à la ruse qu'à la force.

Le nouveau venu, au contraire, n'accusait que vingt-cinq ans, était de haute stature ; la franchise éclatait dans son regard, son orgueil était de la fierté.

Mais une lourde tristesse paraissait peser sur lui ; il y avait dans cet homme on ne sait quoi de fatal. Ses gestes, comme ceux de Ruggieri, étaient emphatiques ; mais sa voix avait une étrange expression de mélancolie.

Les deux hommes s'étudièrent un instant, et bien que l'un parût l'antithèse de l'autre, ils se sentirent tous deux comme rassurés par une indéfinissable sympathie.

— Êtes-vous le chevalier de Pardaillan ? demanda ce troisième visiteur.

— Oui, monsieur, dit Pardaillan avec une douceur qui ne lui était pas habituelle. Me ferez-vous l'honneur de me dire qui j'ai la joie de recevoir dans mon pauvre logis ?

À cette question, bien naturelle (bien que faite dans les termes amphigouriques de l'époque), l'étranger tressaillit, et pâlit légèrement. Puis, relevant la tête comme pour braver non pas le chevalier, mais la destinée, il répondit sourdement :

— C'est juste. La politesse veut que je vous dise mon nom.

— Monsieur, fit vivement Pardaillan, croyez bien que ma question m'a été inspirée par l'amitié dont je me sens porté envers vous. Si votre nom est un secret, je me croirais déshonoré à vous le demander.

— Mon nom n'est pas un secret, chevalier, dit alors l'inconnu avec une évidente amertume : je m'appelle Déodat.

Pardaillan fit un geste.

— Oui, continua le jeune homme, Déodat tout court. Déodat sans plus. C'est-à-dire un nom qui n'en est pas un. Un nom qui crie qu'on n'a ni père ni mère. Déodat, monsieur, signifie : donné à Dieu. En effet, je suis un enfant trouvé, ramassé devant le porche d'une église. Arraché à ce Dieu à qui mes parents inconnus m'avaient donné. Confié par le hasard à une femme qui a été pour moi plus qu'un Dieu. Voilà mon nom, monsieur, et l'histoire de ce nom. Cette histoire, je la dis à qui veut l'entendre, dans l'espoir qu'elle flagellera un jour ceux qui, m'ayant mis au monde, m'ont abandonné à la douleur.

L'imprévu de cette scène, la soudaineté de cette sorte de confession, le ton à la fois amer, sombre et fier de celui qui s'appelait Déodat produisirent une profonde impression sur le chevalier, qui, pour cacher son trouble, demanda machinalement :

— Et cette femme qui vous recueillit ?

— C'est la reine de Navarre.

— Madame d'Albret !

— Oui, monsieur. Et ceci me rappelle à ma mission, que je vous demande pardon d'avoir oubliée pour vous entretenir de ma médiocre personne…

— Mon cher monsieur, fit Pardaillan, vous m'avez fort honoré en me traitant de prime abord en ami ; votre personne, qu'il vous convient d'appeler médiocre, suscite à première vue une curiosité qui chez moi n'a rien eu de banal, croyez-le. Votre air me touche, et votre figure me revient tout à fait…

Le chevalier tendit la main.

Et sa figure à lui, rayonna d'une telle loyauté, son sourire fut empreint d'une si belle sympathie que le messager de Jeanne d'Albret parut bouleversé d'émotion et que son regard se voila.

— Monsieur ! monsieur ! fit-il d'une voix enrouée en saisissant et en étreignant la main de Pardaillan.

— Eh bien ? sourit le chevalier.

— Vous ne me repoussez donc pas, vous ! vous que je ne connais pas ! vous que je vois depuis cinq minutes ! vous ne méprisez donc pas celui qui n'a pas de nom !

— Vous repousser ! Vous mépriser ! Par Barabbas, mon cher ! quand on a votre tournure, et ces épaules d'athlète, et cette bonne épée qui vous pend au côté, on ne peut être méprisé. Mais fussiez-vous faible, laid, désarmé, que je ne me croirais pas le droit de vous traiter comme vous dites pour un tel motif.

— Ah ! monsieur, voilà bien longtemps que je n'ai eu un pareil moment de joie ! Je sens dans votre attitude et dans vos yeux et dans votre voix une générosité de cœur qui me touche plus que je ne puis dire. Je vous devine supérieur à tant de hauts seigneurs et de princes que j'ai approchés…

Et celui que nous appelons Déodat, puisque tel était son nom, couvrit un instant ses yeux d'une de ses mains.

— Lubin ! Lubin ! vociféra Pardaillan.

— Qu'y a-t-il ? fit Déodat.

— Il y a, mon cher, qu'une conversation commencée en ces termes ne peut dignement s'achever qu'à table. Voici midi qui sonne. Et pour tout honnête homme, midi est l'heure du dîner, quand toutefois l'honnêteté s'unit au moyen de dîner, ce qui est mon cas aujourd'hui. Lubin ! Çà, moine fieffé, je te couperai les oreilles !

— Ah chevalier ! vous me dilatez le cœur !

— Écoutez. Convenons d'une chose, tant que vous me ferez l'honneur d'être de mes amis : vous vous appelez Déodat. Moi, je m'appelle Jean. Eh bien, ne nous connaissons pas d'autre nom, ni l'un ni l'autre !

Cette proposition, d'une si ingénieuse délicatesse, fit tomber chez Déodat les derniers voiles de cette ombrageuse fierté et de cette pesante tristesse que nous avons signalées. Il s'épanouit, et apparut alors tel qu'il était réellement, doué d'une étrange beauté, d'une noblesse d'attitudes et d'une douceur de physionomie que Pardaillan avait démêlées d'instinct.

— Lubin ! Lubin ! appela de nouveau le chevalier. Lubin, ajouta-t-il, c'est le garçon de la rôtisserie. Figurez-vous que ce drôle est un ancien moine qui a quitté son couvent et s'est fait garçon de la Devinière, par amour des pâtés et des poulardes ! Quand je suis riche et de bonne humeur, je m'amuse à le faire boire ; et bien qu'il ait passé la cinquantaine, il me tient tête fort convenablement… Ah ! le voici !

C'était Lubin, en effet, mais Lubin flanqué de Landry en personne. Landry avait monté les étages avec la majestueuse rapidité d'une outre qui s'élève dans les airs. En effet, Lubin l'avait poussé au derrière. Et Landry apparaissait avec un sourire large d'une aune, le bonnet à la main, ce qui ne lui arrivait jamais, la bouche en cœur et les deux poings sur son ventre.

— Que diable faites-vous ? demanda Pardaillan étonné de cette attitude.

— Je cherche, dit Landry en soufflant, à faire rentrer ce maudit ventre… mais je n'y arrive pas… Monseigneur me pardonnera… de ne pas m'incliner.

— C'est à moi que vous parlez ?

— Oui, monsieur… Monseigneur, veux-je dire ! fit Landry en jetant un oblique regard éperdu sur les piles d'écus restées sur la table.

— Bon ! bon ! fit Pardaillan qui reprit instantanément son froid et immobile sourire figue et raisin, vous savez déjà que de simple chevalier, je deviens prince. Vous êtes bien informé, maître Landry.

L'aubergiste ouvrit des yeux énormes.

Pardaillan continua :

— Veuillez donc, s'il vous plaît, nous traiter comme des princes du sang (Déodat pâlit affreusement à ce mot) et nous monter en conséquences les éléments d'un dîner princier, ou plutôt royal (Déodat fut agité comme d'une secousse). Savoir : un bon morceau bien rissolé ; deux de ces andouillettes grillées qui font la gloire de votre auberge ; une de ces tartes aux prunes dont la belle madame Huguette détient le secret ; sans compter quelque jambon, de ceux qui sont à gauche de la troisième poutre, dans la cuisine ; sans compter quelque légère omelette bien soufflée. Avec cela, deux flacons de saumurois, de celui de l'an 1556, plus deux de ces bouteilles des côtes de Mâcon, et pour finir deux flacons de ce bordelais que vous réservez à maître Ronsard.

— Très bien, monseigneur ! fit Landry.

— Amen ! dit Lubin en claquant de la langue ; car l'ancien moine se voyait déjà vidant les fonds des bienheureux flacons énoncés. Ô mon digne frère Thibaut, ajouta-t-il, la larme à l'œil, que n'êtes-vous là ?…

Un quart d'heure plus tard, Jean et Déodat, le chevalier et l'homme sans nom, s'attablaient devant les richesses gastronomiques rangées avec amour par Lubin. Celui-ci voulait servir à table. Mais au grand désespoir de l'ancien moine, Pardaillan avait fermé sa porte en disant qu'il se servirait lui-même, tout prince qu'il était subitement devenu.

— Mon cher Jean, dit alors Déodat, vous me voyez ébahi, ravi et tout ému de cette amitié que vous voulez bien me témoigner du premier coup. Mais cela ne doit pas m'empêcher d'accomplir ma mission.

— Bon ! je la connais !

— Vous la connaissez ?

— Oui. La reine de Navarre vous envoie me dire qu'elle me remercie encore de l'avoir tirée, hier, des mains de ces enragés : elle vous charge de me réitérer l'offre qu'elle m'a faite d'entrer à son service ; et enfin, elle m'adresse par votre entremise quelque bijou précieux. Est-ce bien cela ?

— Comment savez-vous ?…

— C'est bien simple. J'ai reçu ce matin un ambassadeur de certain grand seigneur qui m'a donné un fort beau diamant et qui m'a demandé si je voulais servir son maître ; j'ai ensuite reçu un mystérieux député qui m'a remis deux cents écus et m'a fait savoir que certaine princesse me veut compter parmi ses gentilshommes. Enfin, vous voici, vous le troisième. Et je suppose que l'ordre logique des choses va se continuer.

— Voici en effet le bijou, fit Déodat en tendant au chevalier une splendide agrafe composée de trois rubis.

— Que vous disais-je ! s'écria Pardaillan qui saisit l'agrafe somptueuse et fulgurante.

— Sa Majesté, continua Déodat, m'a chargé de vous dire qu'elle avait distrait ce bijou de certain sac que vous avez dû voir. Elle ajoute que jamais elle n'oubliera ce qu'elle vous doit. Et quant à prendre rang dans son armée, vous le ferez quand cela vous conviendra.

— Mais, demanda Pardaillan, vous avez donc rencontré la reine ?

— Je ne l'ai pas rencontrée : je l'attendais à Saint-Germain, d'où Sa Majesté est partie pour Saintes après m'avoir donné la commission qui me vaut le bonheur insigne d'être devenu votre ami.

— Bon. Une autre question : avez-vous rencontré, en montant ici, un homme enveloppé d'un manteau, paraissant âgé de quarante à cinquante ans ?

— Je n'ai rencontré personne, fit Déodat.

— Dernière question : quand repartez-vous ?

— Je ne repars pas, répondit Déodat dont la physionomie redevint sombre ; la reine de Navarre m'a chargé de diverses missions qui me demanderont du temps, et puis, j'ai aussi à m'occuper un peu de… moi-même.

— Bon. En ce cas, votre logement est tout trouvé ; vous vous installez ici.

— Mille grâces, chevalier. Je suis attendu chez quelqu'un qui… Mais que dis-je là ?… Fi ! J'aurais un secret pour un homme tel que vous ! Jean, je suis attendu chez M. de Téligny, qui est secrètement à Paris.

— Le gendre de l'amiral Coligny ?

— Lui-même. Et c'est à l'hôtel de l'amiral, rue de Béthisy, que vous devriez me venir demander, si ma bonne étoile voulait jamais que vous eussiez besoin de moi. L'hôtel est désert en apparence. Mais il vous suffira de frapper trois coups à la petite porte bâtarde. Et quand on aura tiré le judas, vous direz : Jarnac et Moncontour.

— À merveille, cher ami. Mais à propos de Téligny, savez-vous ce qui se dit assez couramment ?

— Que Téligny est pauvre ? Qu'il n'a pour tout apanage que son intrépidité et son esprit ? Que l'amiral eut grand tort de donner sa fille à un gentilhomme sans fortune ?

— On dit cela. Mais on dit aussi autre chose. On, c'est un certain truand, homme de sac et de corde qui a été employé à plus d'une besogne et qui a vu beaucoup. On m'a donc affirmé que, la veille du mariage de Téligny, un gentilhomme de haute envergure se serait présenté chez l'amiral pour lui dire qu'il aimait sa fille Louise.

— Ce gentilhomme, interrompit Déodat, s'appelle Henri de Guise. Vous voyez que je connais l'histoire. Oui, c'est vrai. Henri de Guise aimait Louise de Coligny. Il vint représenter à l'amiral que son père, le grand François de Guise, et lui avaient fait ensemble leurs premières armes à Cerisoles, que l'union de la maison de Guise et de la maison de Châtillon représentée par Coligny mettrait fin aux guerres religieuses ; enfin, l'orgueilleux gentilhomme plia jusqu'à pleurer devant l'amiral, en le priant de rompre le mariage projeté et de lui accorder Louise.

— C'est bien cela. Et que répondit l'amiral ?

— L'amiral répondit qu'il n'avait qu'une parole et que cette parole était engagée à Téligny. Il ajouta que d'ailleurs, ce mariage était voulu par sa fille qui, en somme, prétendit-il, était le premier juge en cette affaire. Henri de Guise partit désespéré. Téligny épousa Louise de Coligny. Et, de chagrin, Guise se jeta à la tête de Catherine de Clèves, qu'il vient d'épouser il y a dix mois.

— Laquelle Catherine, assure-t-on, aime partout où elle peut, excepté chez son mari !

— Elle a un amant, fit Déodat.

— Qui s'appelle ?

— Saint-Mégrin.

Pardaillan éclata de rire.

— Le connaissez-vous ? demanda l'envoyé de Jeanne d'Albret.

— Je le connais depuis ce matin. Mais cher ami, laissez-moi vous apprendre une nouvelle : Henri de Guise est à Paris.

— Vous êtes sûr ? s'exclama Déodat, qui tressaillit et se leva.

— Je l'ai vu de mes yeux. Et je vous réponds que le bon peuple de Paris ne lui a pas ménagé les acclamations !

Déodat boucla rapidement son épée, et jeta son manteau sur ses épaules.

— Adieu, fit-il d'un ton bref, soudain redevenu sombre.

Et comme Pardaillan se levait à son tour :

— Laissez-moi vous embrasser, ajouta-t-il. Je viens de passer une heure de joie paisible comme j'en ai connu bien peu dans ma vie.

— J'allais vous proposer la fraternelle accolade, répondit le chevalier.

Les deux jeunes gens s'embrassèrent cordialement.

— N'oubliez pas, dit Déodat ; l'hôtel Coligny… la petite porte…

— « Jarnac et Moncontour ». Soyez tranquille, cher ami. Le jour où j'aurai besoin qu'on vienne se faire tuer près de moi, c'est à vous que je penserai d'abord.

— Merci ! dit simplement Déodat.

Et il s'éloigna en toute hâte. Quant à Pardaillan, son premier soin fut de courir chez un fripier pour remplacer ses vêtements. Il choisit un costume de velours gris tout pareil à celui qu'il quittait, avec cette différence que celui-ci était entièrement neuf. Puis il fixa l'agrafe de rubis à son chapeau neuf pour y maintenir la plume de coq. Puis il alla chez le Juif Isaac Ruben pour lui vendre le beau diamant du duc de Guise, dont il eut cent soixante pistoles.

Source: Wikisource

Disponible sur Google Play

Nouveautés



> Toutes les nouveautés

SOUTENEZ-NOUS


cards
Optimisé par paypal

Soutenez nous sur typeee

Les Auteurs les plus lus


Abrantès - Achard - Ackermann - Ahikar- Aicard - Aimard - ALAIN- Alberny - Alixe- Allais - Andersen - Andrews - Anonyme- Apollinaire - Arène - Assollant - Aubry - Audebrand - Audoux - Aulnoy - Austen - Aycard - Balzac - Banville - Barbey d aurevilly - Barbusse - Baudelaire - Bazin - Beauvoir - Beecher stowe - Bégonia ´´lili´´ - Bellême - Beltran - Bentzon - Bergerat - Bernard - Bernède - Bernhardt - Berthoud - Bible- Binet- Bizet - Blasco ibanez - Bleue- Boccace- Borie - Bourget - Boussenard - Boutet - Bove - Boylesve - Brada- Braddon - Bringer - Brontë - Bruant - Brussolo - Burney - Cabanès - Cabot - Casanova- Cervantes - Césanne - Cézembre - Chancel - Charasse - Chateaubriand - Chevalier à la Rose- Claretie - Claryssandre- Colet - Comtesse de ségur- Conan Doyle - Coppee - Coppée - Corday - Corneille - Courteline - Darrig - Daudet - Daumal - De nerval - De renneville - De staël - De vesly - Decarreau - Del - Delarue mardrus - Delattre - Delly- Delorme - Demercastel - Desbordes Valmore - Dickens - Diderot - Dionne - Dostoïevski - Dourliac - Du boisgobey - Du gouezou vraz - Dumas - Dumas fils - Duruy - Duvernois - Eberhardt - Esquiros - Essarts - Faguet - Fée - Fénice- Féré - Feuillet - Féval - Feydeau - Filiatreault - Flat - Flaubert- Fontaine - Forbin - Alain-Fournier- France - Frapié - Funck Brentano - G@rp- Gaboriau- Gaboriau - Galopin - Gautier - Geffroy - Géode am- Géod´am- Girardin - Gorki - Gragnon - Gréville - Grimm - Guimet - Gyp- Hardy - Hawthorne - Hoffmann - Homère- Houssaye - Huc - Huchon - Hugo - Irving - Jaloux - James - Janin - Kipling - La bruyère - La Fontaine - Lacroix - Lamartine - Larguier - Lavisse et rambaud- Le Braz - Le Rouge - Leblanc - Leconte de Lisle - Lemaître - Leopardi - Leprince de Beaumont - Lermina - Leroux - Les 1001 nuits- Lesclide - Level - Lichtenberger - London - Lorrain - Loti - Louÿs - Lycaon- Lys - Machiavel - Madeleine - Magog - Maizeroy - Malcor - Mallarmé - Malot - Mangeot - Margueritte - Marmier - Martin (qc) - Mason - Maturin - Maupassant - Mérimée - Mervez- Meyronein - Michelet - Miguel de Cervantes- Milosz - Mirbeau - Moinaux - Molière- Montesquieu- Mortier - Moselli - Musset - Naïmi - Nerval - Orain - Orczy - Ourgant - Pacherie - Pavie - Pergaud - Perrault - Poe - Ponson du terrail - Pouchkine - Proust - Pucciano - Pujol - Racine - Radcliffe - Rameau - Ramuz - Reclus - Renard - Richard - Richard - Gaston- Rilke - Rimbaud - Robert - Rochefort - Ronsard - Rosny aîné - Rosny_aîné - Rostand - Rousseau - Sacher masoch - Sade - Saint victor - Sainte beuve - Sand - Sazie - Scholl - Schwab - Schwob - Scott - Shakespeare - Silion - Silvestre - Snakebzh- Steel - Stendhal- Stevenson - Sue - Suétone- T. combe- Tchekhov - Theuriet - Thoreau - Tolstoï (L) - Tourgueniev - Trollope - Twain - Valéry - Vallès - Van offel - Vannereux - Verlaine - Verne - Vidocq - Villiers de l´isle adam- Voltaire- Voragine - Weil - Wells - Wharton - Wilde - Wilkie Collins- Zaccone - Zola Zweig -

--- Liste complète