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L'ODYSSéE-CHANTS1-7
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L'Odyssée (en grec ancien ?δυσσε?α / Odusseía) est une épopée attribuée à l'aède Homère, comptant 12 109 hexamètres dactyliques, répartis en 24 chants. On pense qu'elle a été écrite après l'Iliade, vers la fin du VIIIe siècle av. J.-C. Elle est considérée comme l'un des plus grands chefs-d'œuvre de la littérature mondiale et un des deux poèmes fondateurs (avec l'Iliade) de la civilisation européenne. +++Partie suivante (Chants 8 à 12) Téléchargement chant par chant: Chants: 1 - 2 - 3 - 4 - 5 - 6 - 7.
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Dis-moi, Muse, cet homme subtil qui erra si longtemps, après qu'il eut renversé la citadelle sacrée de Troiè. Et il vit les cités de peuples nombreux, et il connut leur esprit ; et, dans son coeur, il endura beaucoup de maux, sur la mer, pour sa propre vie et le retour de ses compagnons Mais il ne les sauva point, contre son désir ; et ils périrent par leur impiété, les insensés ! ayant mangé les boeufs de Hèlios Hypérionade. Et ce dernier leur ravit l'heure du retour. Dis-moi une partie de ces choses, Déesse, fille de Zeus. Tous ceux qui avaient évité la noire mort, échappés de la guerre et de la mer, étaient rentrés dans leurs demeures ; mais Odysseus restait seul, loin de son pays et de sa femme, et la vénérable Nymphe Kalypsô, la très-noble déesse, le retenait dans ses grottes creuses, le désirant pour mari. Et quand le temps vint, après le déroulement des années, où les Dieux voulurent qu'il revît sa demeure en Ithakè, même alors il devait subir des combats au milieu des siens. Et tous les Dieux le prenaient en pitié, excepté Poseidaôn, qui était toujours irrité contre le divin Odysseus, jusqu'à ce qu'il fût rentré dans son pays.
Et Poseidaôn était allé chez les Aithiopiens qui habitent au loin et sont partagés en deux peuples, dont l'un regarde du côté de Hypériôn, au couchant, et l'autre au levant. Et le Dieu y était allé pour une hécatombe de taureaux et d'agneaux. Et comme il se réjouissait, assis à ce repas, les autres Dieux étaient réunis dans la demeure royale de Zeus Olympien. Et le Père des hommes et des Dieux commença de leur parler, se rappelant dans son coeur l'irréprochable Aigisthos que l'illustre Orestès Agamemnonide avait tué. Se souvenant de cela, il dit ces paroles aux Immortels :
– Ah ! combien les hommes accusent les Dieux ! Ils disent que leurs maux viennent de nous, et, seuls, ils aggravent leur destinée par leur démence. Maintenant, voici qu'Aigisthos, contre le destin, a épousé la femme de l'Atréide et a tué ce dernier, sachant quelle serait sa mort terrible ; car nous l'avions prévenu par Herméias, le vigilant tueur d'Argos, de ne point tuer Agamemnôn et de ne point désirer sa femme, de peur que l'Atréide Orestès se vengeât, ayant grandi et désirant revoir son pays. Herméias parla ainsi, mais son conseil salutaire n'a point persuadé l'esprit d'Aigisthos, et, maintenant, celui-ci a tout expié d'un coup.
Et Athènè, la Déesse aux yeux clairs, lui répondit :
– Ô notre Père, Kronide, le plus haut des Rois ! celui-ci du moins a été frappé d'une mort juste. Qu'il meure ainsi celui qui agira de même ! Mais mon coeur est déchiré au souvenir du brave Odysseus, le malheureux ! qui souffre depuis longtemps loin des siens, dans une île, au milieu de la mer, et où en est le centre. Et, dans cette île plantée d'arbres, habite une Déesse, la fille dangereuse d'Atlas, lui qui connaît les profondeurs de la mer, et qui porte les hautes colonnes dressées entre la terre et l'Ouranos. Et sa fille retient ce malheureux qui se lamente et qu'elle flatte toujours de molles et douces paroles, afin qu'il oublie Ithakè ; mais il désire revoir la fumée de son pays et souhaite de mourir. Et ton cœur n'est point touché, Olympien, par les sacrifices qu'Odysseus accomplissait pour toi auprès des nefs Argiennes, devant la grande Troiè. Zeus, pourquoi donc es-tu si irrité contre lui ?
Et Zeus qui amasse les nuées, lui répondant, parla ainsi :
– Mon enfant, quelle parole s'est échappée d'entre tes dents ? Comment pourrais-je oublier le divin Odysseus, qui, par l'intelligence, est au-dessus de tous les hommes, et qui offrait le plus de sacrifices aux Dieux qui vivent toujours et qui habitent le large Ouranos ? Mais Poseidaôn qui entoure la terre est constamment irrité à cause du Kyklôps qu'Odysseus a aveuglé, Polyphèmos tel qu'un Dieu, le plus fort des Kyklôpes. La Nymphe Thoôsa, fille de Phorkyn, maître de la mer sauvage, l'enfanta, s'étant unie à Poseidaôn dans ses grottes creuses. C'est pour cela que Poseidaôn qui secoue la terre, ne tuant point Odysseus, le contraint d'errer loin de son pays. Mais nous, qui sommes ici, assurons son retour ; et Poseidaôn oubliera sa colère, car il ne pourra rien, seul, contre tous les dieux immortels.
Et la Déesse Athènè aux yeux clairs lui répondit :
– Ô notre Père, Kronide, le plus haut des Rois ! s'il plaît aux Dieux heureux que le sage Odysseus retourne en sa demeure, envoyons le Messager Herméias, tueur d'Argos, dans l'île Ogygiè, afin qu'il avertisse la Nymphe à la belle chevelure que nous avons résolu le retour d'Odysseus à l'âme forte et patiente.
Et moi j'irai à Ithakè, et j'exciterai son fils et lui inspirerai la force, ayant réuni l'agora des Akhaiens chevelus, de chasser tous les Prétendants qui égorgent ses brebis nombreuses et ses boeufs aux jambes torses et aux cornes recourbées. Et je l'enverrai à Spartè et dans la sablonneuse Pylos, afin qu'il s'informe du retour de son père bien-aimé, et qu'il soit très honoré parmi les hommes.
Ayant ainsi parlé, elle attacha à ses pieds de belles sandales ambroisiennes, dorées, qui la portaient sur la mer et sur l'immense terre comme le souffle du vent. Et elle prit une forte lance, armée d'un airain aigu, lourde, grande et solide, avec laquelle elle dompte la foule des hommes héroïques contre qui, fille d'un père puissant, elle est irritée. Et, s'étant élancée du faite de l'Olympos, elle descendit au milieu du peuple d'Ithakè, dans le vestibule d'Odysseus, au seuil de la cour, avec la lance d'airain en main, et semblable à un étranger, au chef des Taphiens, à Mentès.
Et elle vit les prétendants insolents qui jouaient aux jetons devant les portes, assis sur la peau des boeufs qu'ils avaient tués eux-mêmes. Et des hérauts et des serviteurs s'empressaient autour d'eux ; et les uns mêlaient l'eau et le vin dans les kratères ; et les autres lavaient les tables avec les éponges poreuses ; et, les ayant dressées, partageaient les viandes abondantes. Et, le premier de tous, le divin Tèlémakhos vit Athènè. Et il était assis parmi les prétendants, le coeur triste, voyant en esprit son brave père revenir soudain, chasser les prétendants hors de ses demeures, ressaisir sa puissance et régir ses biens.
Or, songeant à cela, assis parmi eux, il vit Athènè : et il alla dans le vestibule, indigné qu'un étranger restât longtemps debout à la porte. Et il s'approcha, lui prit la main droite, reçut la lance d'airain et dit ces paroles ailées :
– Salut, Étranger. Tu nous seras ami, et, après le repas, tu nous diras ce qu'il te faut.
Ayant ainsi parlé, il le conduisit, et Pallas Athènè le suivit. Et lorsqu'ils furent entrés dans la haute demeure, il appuya la lance contre une longue colonne, dans un arsenal luisant où étaient déjà rangées beaucoup d'autres lances d'Odysseus à l'âme ferme et patiente. Et il fit asseoir Athènè, ayant mis un beau tapis bien travaillé sur le thrône, et, sous ses pieds, un escabeau. Pour lui-même il plaça auprès d'elle un siège sculpté, loin des prétendants, afin que l'étranger ne souffert point du repas tumultueux, au milieu de convives injurieux, et afin de l'interroger sur son père absent. Et une servante versa, pour les ablutions, de l'eau dans un bassin d'argent, d'une belle aiguière d'or ; et elle dressa auprès d'eux une table luisante. Puis, une intendante vénérable apporta du pain et couvrit la table de mets nombreux et réservés ; et un découpeur servit les plats de viandes diverses et leur offrit des coupes d'or ; et un héraut leur servait souvent du vin.
Et les prétendants insolents entrèrent. Ils s'assirent en ordre sur des sièges et sur des thrônes : et des hérauts versaient de l'eau sur leurs mains ; et les servantes entassaient le pain dans les corbeilles, et les jeunes hommes emplissaient de vin les kratères. Puis, les prétendants mirent la main sur les mets ; et, quand leur faim et leur soif furent assouvies, ils désirèrent autre chose, la danse et le chant, ornements des repas. Et un héraut mit une très belle kithare aux mains de Phèmios, qui chantait là contre son gré. Et il joua de la kithare et commença de bien chanter.
Mais Tèlémakhos dit à Athènè aux yeux clairs, en penchant la tête, afin que les autres ne pussent entendre :
– Cher Étranger, seras-tu irrité de mes paroles ? La kithare et le chant plaisent aisément à ceux-ci, car ils mangent impunément le bien d'autrui, la richesse d'un homme dont les ossements blanchis pourrissent à la pluie, quelque part, sur la terre ferme ou dans les flots de la mer qui les roule. Certes, s'ils le voyaient de retour à Ithakè, tous préféreraient des pieds rapides à l'abondance de l'or et aux riches vêtements ! Mais il est mort, subissant une mauvaise destinée ; et il ne nous reste plus d'espérance, quand même un des habitants de la terre nous annoncerait son retour, car ce jour n'arrivera jamais.
Mais parle-moi, et réponds sincèrement. Qui es-tu, et de quelle race ? Où est ta ville et quels sont tes parents ? Sur quelle nef es-tu venu ? Quels matelots t'ont conduit à Ithakè, et qui sont-ils ? Car je ne pense pas que tu sois venu à pied. Et dis-moi vrai, afin que je sache : viens-tu pour la première fois, ou bien es-tu un hôte de mon père ? Car beaucoup d'hommes connaissent notre demeure, et Odysseus aussi visitait les hommes.
Et la Déesse Athènè aux yeux clairs lui répondit :
– Je te dirai des choses sincères. Je me vante d'être Mentès, fils du brave Ankhialos, et je commande aux Taphiens, amis des avirons. Et voici que j'ai abordé ici avec une nef et des compagnons, voguant sur la noire mer vers des hommes qui parlent une langue étrangère, vers Témésè, où je vais chercher de l'airain et où je porte du fer luisant. Et ma nef s'est arrêtée là, près de la campagne, en dehors de la ville, dans le port Rhéitrôs, sous le Néios couvert de bois. Et nous nous honorons d'être unis par l'hospitalité, dès l'origine, et de père en fils. Tu peux aller interroger sur ceci le vieux Laertès, car on dit qu'il ne vient plus à la ville, mais qu'il souffre dans une campagne éloignée, seul avec une vieille femme qui lui sert à manger et à boire, quand il s'est fatigué à parcourir sa terre fertile plantée de vignes. Et je suis venu, parce qu'on disait que ton père était de retour ; mais les Dieux entravent sa route. Car le divin Odysseus n'est point encore mort sur la terre ; et il vit, retenu en quelque lieu de la vaste mer, dans une île entourée des flots ; et des hommes rudes et farouches, ses maîtres, le retiennent par la force.
Mais, aujourd'hui, je te prédirai ce que les immortels m'inspirent et ce qui s'accomplira, bien que je ne sois point un divinateur et que j'ignore les augures. Certes, il ne restera point longtemps loin de la chère terre natale, même étant chargé de liens de fer. Et il trouvera les moyens de revenir, car il est fertile en ruses. Mais parle, et dis-moi sincèrement si tu es le vrai fils d'Odysseus lui-même. Tu lui ressembles étrangement par la tête et la beauté des yeux. Car nous nous sommes rencontrés souvent, avant son départ pour Troiè, où allèrent aussi, sur leurs nefs creuses, les autres chefs Argiens. Depuis ce temps je n'ai plus vu Odysseus, et il ne m'a plus vu.
Et le sage Tèlémakhos lui répondit :
– Étranger, je te dirai des choses très sincères. Ma mère dit que je suis fils d'Odysseus, mais moi, je n'en sais rien, car nul ne sait par lui-même qui est son père. Que ne suis-je plutôt le fils de quelque homme heureux qui dût vieillir sur ses domaines ! Et maintenant, on le dit, c'est du plus malheureux des hommes mortels que je suis né, et c'est ce que tu m'as demandé.
Et la déesse Athènè aux yeux clairs lui répondit :
– Les dieux ne t'ont point fait sortir d'une race sans gloire dans la postérité, puisque Pènélopéia t'a enfanté tel que te voilà. Mais parle, et réponds-moi sincèrement. Quel est ce repas ? Pourquoi cette assemblée ? En avais-tu besoin ? Est-ce un festin ou une noce ? Car ceci n'est point payé en commun, tant ces convives mangent avec insolence et arrogance dans cette demeure ! Tout homme, d'un esprit sensé du moins, s'indignerait de te voir au milieu de ces choses honteuses.
Et le sage Tèlémakhos lui répondit :
– Étranger, puisque tu m'interroges sur ceci, cette demeure fut autrefois riche et honorée, tant que le héros habita le pays ; mais, aujourd'hui, les dieux, source de nos maux, en ont décidé autrement, et ils ont fait de lui le plus ignoré d'entre tous les hommes. Et je ne le pleurerais point ainsi, même le sachant mort, s'il avait été frappé avec ses compagnons, parmi le peuple des Troiens, ou s'il était mort entre des mains amies, après la guerre. Alors les Panakhaiens lui eussent bâti un tombeau, et il eût légué à son fils une grande gloire dans la postérité. Mais, aujourd'hui, les Harpyes l'ont enlevé obscurément, et il est mort, et nul n'a rien su, ni rien appris de lui, et il ne m'a laissé que les douleurs et les lamentations.
Mais je ne gémis point uniquement sur lui, et les Dieux m'ont envoyé d'autres peines amères. Tous ceux qui commandent aux îles, à Doulikios, à Samè, à Zakyntos couverte de bois, et ceux qui commandent dans la rude Ithakè, tous recherchent ma mère et épuisent ma demeure. Et ma mère ne peut refuser des noces odieuses ni mettre fin à ceci ; et ces hommes épuisent ma demeure en mangeant, et ils me perdront bientôt aussi.
Et, pleine de pitié, Pallas Athènè lui répondit :
– Ah ! sans doute, tu as grand besoin d'Odysseus qui mettrait la main sur ces prétendants injurieux ! Car s'il survenait et se tenait debout sur le seuil de la porte, avec le casque et le bouclier et deux piques, tel que je le vis pour la première fois buvant et se réjouissant dans notre demeure, à son retour d'Ephyrè, d'auprès d'Illos Merméridaïde ; – car Odysseus était allé chercher là, sur une nef rapide, un poison mortel, pour y tremper ses flèches armées d'une pointe d'airain ; et Illos ne voulut point le lui donner, redoutant les dieux qui vivent éternellement, mais mon père, qui l'aimait beaucoup, le lui donna ; – si donc Odysseus, tel que je le vis, survenait au milieu des prétendants, leur destinée serait brève et leurs noces seraient amères ! Mais il appartient aux dieux de décider s'il reviendra, ou non, les punir dans sa demeure. Je t'exhorte donc à chercher comment tu pourras les chasser d'ici.
Maintenant, écoute, et souviens-toi de mes paroles. Demain, ayant réuni l'agora des héros Akhaiens, parle-leur, et prends les dieux à témoin. Contrains les prétendants de se retirer chez eux. Que ta mère, si elle désire d'autres noces, retourne dans la demeure de son père qui a une grande puissance. Ses proches la marieront et lui donneront une aussi grande dot qu'il convient à une fille bien-aimée. Et je te conseillerai sagement, si tu veux m'en croire. Arme ta meilleure nef de vingt rameurs, et va t'informer de ton père parti depuis si longtemps, afin que quelqu'un des hommes t'en parle, ou que tu entendes un de ces bruits de Zeus qui dispense le mieux la gloire aux hommes.
Rends-toi d'abord à Pylos et interroge le divin Nestôr ; puis à Spartè, auprès du blond Ménélaos, qui est revenu le dernier des Akhaiens cuirassés d'airain. Si tu apprends que ton père est vivant et revient, attends encore une année, malgré ta douleur ; mais si tu apprends qu'il est mort, ayant cessé d'exister, reviens dans la chère terre natale, pour lui élever un tombeau et célébrer de grandes funérailles comme il convient, et donner ta mère à un mari. Puis, lorsque tu auras fait et achevé tout cela, songe, de l'esprit et du coeur, à tuer les prétendants dans ta demeure, par ruse ou par force. Il ne faut plus te livrer aux choses enfantines, car tu n'en as plus l'âge. Ne sais-tu pas de quelle gloire s'est couvert le divin Orestès parmi les hommes, en tuant le meurtrier de son père illustre, Aigisthos aux ruses perfides ? Toi aussi, ami, que voilà grand et beau, sois brave, afin que les hommes futurs te louent. Je vais redescendre vers ma nef rapide et mes compagnons qui s'irritent sans doute de m'attendre. Souviens-toi, et ne néglige point mes paroles.
Et le sage Tèlémakhos lui répondit :
– Étranger, tu m'as parlé en ami, comme un père à son fils, et je n'oublierai jamais tes paroles. Mais reste, bien que tu sois pressé, afin que t'étant baigné et ayant charmé ton coeur, tu retournes vers ta nef, plein de joie, avec un présent riche et précieux qui te viendra de moi et sera tel que des amis en offrent à leurs hôtes.
Et la déesse Athènè aux yeux clairs lui répondit :
– Ne me retiens plus, il faut que je parte. Quand je reviendrai, tu me donneras ce présent que ton coeur me destine, afin que je l'emporte dans ma demeure. Qu'il soit fort beau, et que je puisse t'en offrir un semblable.
Et Athènè aux yeux clairs, ayant ainsi parlé, s'envola et disparut comme un oiseau ; mais elle lui laissa au coeur la force et l'audace et le souvenir plus vif de son père. Et lui, le coeur plein de crainte, pensa dans son esprit que c'était un Dieu. Puis, le divin jeune homme s'approcha des Prétendants. Et l'Aoide très illustre chantait, et ils étaient assis, l'écoutant en silence. Et il chantait le retour fatal des Akhaiens, que Pallas Athènè leur avait infligé au sortir de Troiè. Et, de la haute chambre, la fille d'Ikarios, la sage Pènélopéia, entendit ce chant divin, et elle descendit l'escalier élevé, non pas seule, mais suivie de deux servantes. Et quand la divine femme fut auprès des prétendants, elle resta debout contre la porte, sur le seuil de la salle solidement construite, avec un beau voile sur les joues, et les honnêtes servantes se tenaient à ses côtés. Et elle pleura et dit à l'Aoide divin :
– Phèmios, tu sais d'autres chants par lesquels les Aoides célèbrent les actions des hommes et des Dieux. Assis au milieu de ceux-ci, chante-leur une de ces choses, tandis qu'ils boivent du vin en silence ; mais cesse ce triste chant qui déchire mon coeur dans ma poitrine, puisque je suis la proie d'un deuil que je ne puis oublier. Car je pleure une tête bien aimée, et je garde le souvenir
éternel de l'homme dont la gloire emplit Hellas et Argos.
Et le sage Tèlémakhos lui répondit :
– Ma mère, pourquoi défends-tu que ce doux Aoide nous réjouisse, comme son esprit le lui inspire ? Les Aoides ne sont responsables de rien, et Zeus dispense ses dons aux poètes comme il lui plaît. Il ne faut point t'indigner contre celui-ci parce qu'il chante la sombre destinée des Danaens, car les hommes chantent toujours les choses les plus récentes. Aie donc la force d'âme d'écouter.
Odysseus n'a point perdu seul, à Troiè, le jour du retour, et beaucoup d'autres y sont morts aussi. Rentre dans ta demeure ; continue tes travaux à l'aide de la toile et du fuseau, et remets tes servantes à leur tâche. La parole appartient aux hommes, et surtout à moi qui commande ici.
Étonnée, Pènélopéia s'en retourna chez elle, emportant dans son coeur les sages paroles de son fils. Remontée dans les hautes chambres, avec ses femmes, elle pleura Odysseus, son cher mari, jusqu'à ce que Athènè aux yeux clairs eût répandu un doux sommeil sur ses paupières.
Et les prétendants firent un grand bruit dans la sombre demeure, et tous désiraient partager son lit. Et le sage Tèlémakhos commença de leur parler :
– Prétendants de ma mère, qui avez une insolence arrogante, maintenant réjouissons-nous, mangeons et ne poussons point de clameurs, car il est bien et convenable d'écouter un tel Aoide qui est semblable aux Dieux par sa voix ; mais, dès l'aube, rendons-nous tous à l'agora, afin que je vous déclare nettement que vous ayez tous à sortir d'ici. Faites d'autres repas, mangez vos biens en vous recevant tour à tour dans vos demeures ; mais s'il vous paraît meilleur de dévorer impunément la subsistance d'un seul homme, dévorez-la. Moi, je supplierai les Dieux qui vivent toujours, afin que Zeus ordonne que votre action soit punie, et vous périrez peut-être sans vengeance dans cette demeure.
Il parla ainsi, et tous, se mordant les lèvres, s'étonnaient que Tèlémakhos parlât avec cette audace. Et Antinoos, fils d'Eupeithès, lui répondit :
– Tèlémakhos, certes, les Dieux mêmes t'enseignent à parler haut et avec audace ; mais puisse le Kroniôn ne point te faire roi dans Ithakè entourée des flots, bien qu'elle soit ton héritage par ta naissance !
Et le sage Tèlémakhos lui répondit :
– Antinoos, quand tu t'irriterais contre moi à cause de mes paroles, je voudrais être roi par la volonté de Zeus. Penses-tu qu'il soit mauvais de l'être parmi les hommes ? Il n'est point malheureux de régner. On possède une riche demeure, et on est honoré. Mais beaucoup d'autres rois Akhaiens, jeunes et vieux, sont dans Ithakè entourée des flots. Qu'un d'entre eux règne, puisque le divin Odysseus est mort. Moi, du moins, je serai le maître de la demeure et des esclaves que le divin Odysseus a conquis pour moi.
Et Eurymakhos, fils de Polybos, lui répondit :
– Tèlémakhos, il appartient aux Dieux de décider quel sera l'Akhaien qui régnera dans Ithakè entourée des flots. Pour toi, possède tes biens et commande en ta demeure, et que nul ne te dépouille jamais par violence et contre ton gré, tant que Ithakè sera habitée. Mais je veux, ami, t'interroger sur cet étranger. D'où est-il ? De quelle terre se vante-t-il de sortir ? Où est sa famille ? Où est son pays ? Apporte-t-il quelque nouvelle du retour de ton père ? Est-il venu réclamer une dette ? Il est parti promptement et n'a point daigné se faire connaître. Son aspect, d'ailleurs, n'est point celui d'un misérable.
Et le sage Tèlémakhos lui répondit :
– Eurymakhos, certes, mon père ne reviendra plus, et je n'en croirais pas la nouvelle, s'il m'en venait ; et je ne me soucie point des prédictions que ma mère demande au divinateur qu'elle a appelé dans cette demeure. Mais cet hôte de mes pères est de Taphos ; et il se vante d'être Mentès, fils du brave Ankhialos, et il commande aux Taphiens, amis des avirons.
Et Tèlémakhos parla ainsi ; mais, dans son coeur, il avait reconnu la déesse immortelle. Donc, les prétendants, se livrant aux danses et au chant, se réjouissaient en attendant le soir, et comme ils se réjouissaient, la nuit survint. Alors, désirant dormir, chacun d'eux rentra dans sa demeure.
Et Tèlémakhos monta dans la chambre haute qui avait été construite pour lui dans une belle cour, et d'où l'on voyait de tous côtés. Et il se coucha, l'esprit plein de pensées. Et la sage Eurykléia portait des flambeaux allumés et elle était fille d'Ops Peisènôride, et Laertès l'avait achetée, dans sa première jeunesse, et payée du prix de vingt boeufs, et il l'honorait dans sa demeure, autant qu'une chaste épouse ; mais il ne s'était point uni à elle, pour éviter la colère de sa femme. Elle portait des flambeaux allumés auprès de Tèlémakhos, étant celle qui l'aimait le plus, l'ayant nourri et élevé depuis son enfance. Elle ouvrit les portes de la chambre solidement construite. Et il s'assit sur le lit, ôta sa molle tunique et la remit entre les mains de la vieille femme aux sages conseils. Elle plia et arrangea la tunique avec soin et la suspendit à un clou auprès du lit sculpté. Puis, sortant de la chambre, elle attira la porte par un anneau d'argent dans lequel elle poussa le verrou à l'aide d'une courroie. Et Tèlémakhos, couvert d'une toison de brebis, médita, pendant toute la nuit, le voyage que Athènè lui avait conseillé.
Chant2
Quand Eôs aux doigts rosés, née au matin, apparut, le cher fils d'Odysseus quitta son lit. Et il se vêtit, et il suspendit une épée à ses épaules, et il attacha de belles sandales à ses pieds brillants, et, semblable à un dieu, il se hâta de sortir de sa chambre. Aussitôt, il ordonna aux hérauts à la voix éclatante de convoquer les Akhaiens chevelus à l'agora. Et ils les convoquèrent, et ceux-ci se réunirent rapidement. Et quand ils furent réunis, Tèlémakhos se rendit à l'agora, tenant à la main une lance d'airain. Et il n'était point seul, mais deux chiens rapides le suivaient. Et Pallas avait répandu sur lui une grâce divine, et les peuples l'admiraient tandis qu'il s'avançait. Et il s'assit sur le siège de son père, que les vieillards lui cédèrent.
Et, aussitôt parmi eux, le héros Aigyptios parla le premier. Il était courbé par la vieillesse et il savait beaucoup de choses. Et son fils bien-aimé, le brave Antiphos, était parti, sur les nefs creuses, avec le divin Odysseus, pour Ilios, nourrice de beaux chevaux ; mais le féroce Kyklôps l'avait tué dans sa caverne creuse, et en avait fait son dernier repas. Il lui restait trois autres fils, et un d'entre eux, Eurynomos, était parmi les prétendants. Les deux autres s'occupaient assidûment des biens paternels. Mais Aigyptios gémissait et se lamentait, n'oubliant point Antiphos. Et il parla ainsi en pleurant, et il dit :
– Écoutez maintenant, Ithakèsiens, ce que je vais dire. Nous n'avons jamais réuni l'agora, et nous ne nous y sommes point assis depuis que le divin Odysseus est parti sur ses nefs creuses. Qui nous rassemble ici aujourd'hui ? Quelle nécessité le presse ? Est-ce quelqu'un d'entre les jeunes hommes ou d'entre les vieillards ? A-t-il reçu quelque nouvelle de l'armée, et veut-il nous dire hautement ce qu'il a entendu le premier ? Ou désire-t-il parler de choses qui intéressent tout le peuple ? Il me semble plein de justice. Que Zeus soit propice à son dessein, quel qu'il soit.
Il parla ainsi, et le cher fils d'Odysseus se réjouit de cette louange, et il ne resta pas plus longtemps assis, dans son désir de parler. Et il se leva au milieu de l'agora, et le sage héraut Peisènôr lui mit le sceptre en main. Et, se tournant vers Aigyptios, il lui dit :
– Ô vieillard, il n'est pas loin, et, dès maintenant, tu peux le voir, celui qui a convoqué le peuple, car une grande douleur m'accable. Je n'ai reçu aucune nouvelle de l'armée que je puisse vous rapporter hautement après l'avoir apprise le premier, et je n'ai rien à dire qui intéresse tout le peuple ; mais j'ai à parler de mes propres intérêts et du double malheur tombé sur ma demeure ; car, d'une part, j'ai perdu mon père irréprochable, qui autrefois vous commandait, et qui, pour vous aussi, était doux comme un père ; et, d'un autre côté, voici maintenant, – et c'est un mal pire qui détruira bientôt ma demeure et dévorera tous mes biens, – que des prétendants assiègent ma mère contre sa volonté. Et ce sont les fils bien-aimés des meilleurs d'entre ceux qui siègent ici. Et ils ne veulent point se rendre dans la demeure d'Ikarios, père de Pènélopéia, qui dotera sa fille et la donnera à qui lui plaira davantage. Et ils envahissent tous les jours notre demeure, tuant mes boeufs, mes brebis et mes chèvres grasses, et ils en font des repas magnifiques, et ils boivent mon vin noir effrontément et dévorent tout. Il n'y a point ici un homme tel qu'Odysseus qui puisse repousser cette ruine loin de ma demeure, et je ne puis rien, moi qui suis inhabile et sans force guerrière. Certes, je le ferais si j'en avais la force, car ils commettent des actions intolérables, et ma maison périt honteusement.
Indignez-vous donc, vous-mêmes. Craignez les peuples voisins qui habitent autour d'Ithakè, et la colère des dieux qui puniront ces actions iniques. Je vous supplie, par Zeus Olympien, ou par Thémis qui réunit ou qui disperse les agoras des hommes, venez à mon aide, amis, et laissez-moi subir au moins ma douleur dans la solitude. Si jamais mon irréprochable père Odysseus a opprimé les Akhaiens aux belles knèmides, et si, pour venger leurs maux, vous les excitez contre moi, consumez plutôt vous-mêmes mes biens et mes richesses ; car, alors, peut-être verrions-nous le jour de l'expiation. Nous pourrions enfin nous entendre devant tous, expliquant les choses jusqu'à ce qu'elles soient résolues.
Il parla ainsi, irrité, et il jeta son sceptre contre terre en versant des larmes, et le peuple fut rempli de compassion, et tous restaient dans le silence, et nul n'osait répondre aux paroles irritées de Tèlémakhos. Et Antinoos seul, lui répondant, parla ainsi :
– Tèlémakhos, agorète orgueilleux et plein de colère, tu as parlé en nous outrageant, et tu veux nous couvrir d'une tache honteuse. Les prétendants Akhaiens ne t'ont rien fait. C'est plutôt ta mère, qui, certes, médite mille ruses. Voici déjà la troisième année, et bientôt la quatrième, qu'elle se joue du coeur des Akhaiens. Elle les fait tous espérer, promet à chacun, envoie des messages et médite des desseins contraires. Enfin, elle a ourdi une autre ruse dans son esprit. Elle a tissé dans ses demeures une grande toile, large et fine, et nous a dit :
– Jeunes hommes, mes prétendants, puisque le divin Odysseus est mort, cessez de hâter mes noces jusqu'à ce que j'aie achevé, pour que mes fils ne restent pas inutiles, ce linceul du héros Laertès, quand la Moire mauvaise de la mort inexorable l'aura saisi, afin qu'aucune des femmes Akhaiennes ne puisse me reprocher, devant tout le peuple, qu'un homme qui a possédé tant de biens ait été enseveli sans linceul.
Elle parla ainsi, et notre coeur généreux fut aussitôt persuadé. Et, alors, pendant le jour, elle tissait la grande toile, et, pendant la nuit, ayant allumé les torches, elle la défaisait. Ainsi, trois ans, elle cacha sa ruse et trompa les Akhaiens ; mais quand vint la quatrième année, et quand les saisons recommencèrent, une de ses femmes, sachant bien sa ruse, nous la dit. Et nous la trouvâmes défaisant sa belle toile. Mais, contre sa volonté, elle fut contrainte de l'achever. Et c'est ainsi que les prétendants te répondent, afin que tu le saches dans ton esprit, et que tous les Akhaiens le sachent aussi. Renvoie ta mère et ordonne-lui de se marier à celui que son père choisira et qui lui plaira à elle-même. Si elle a abusé si longtemps les fils des Akhaiens, c'est qu'elle songe, dans son coeur, à tous les dons que lui a faits Athènè, à sa science des travaux habiles, à son esprit profond, à ses ruses. Certes, nous n'avons jamais entendu dire rien de semblable des Akhaiennes aux belles chevelures, qui vécurent autrefois parmi les femmes anciennes, Tyrô, Alkmènè et Mykènè aux beaux cheveux. Nulle d'entre elles n'avait des arts égaux à ceux de Pènélopéia ; mais elle n'en use pas avec droiture. Donc, les prétendants consumeront tes troupeaux et tes richesses tant qu'elle gardera le même esprit que les dieux mettent maintenant dans sa poitrine. À la vérité, elle remportera une grande gloire, mais il ne t'en restera que le regret de tes biens dissipés ; car nous ne retournerons point à nos travaux, et nous n'irons point en quelque autre lieu, avant qu'elle ait épousé celui des Akhaiens qu'elle choisira.
Et le prudent Tèlémakhos lui répondit :
– Antinoos, je ne puis renvoyer de ma demeure, contre son gré, celle qui m'a enfanté et qui m'a nourri. Mon père vit encore quelque part sur la terre, ou bien il est mort, et il me sera dur de rendre de nombreuses richesses à Ikarios, si je renvoie ma mère. J'ai déjà subi beaucoup de maux à cause de mon père, et les dieux m'en enverront d'autres après que ma mère, en quittant ma demeure, aura supplié les odieuses Érinnyes, et ce sont les hommes qui la vengeront. Et c'est pourquoi je ne prononcerai point une telle parole. Si votre coeur s'en indigne, sortez de ma demeure, songez à d'autres repas, mangez vos propres biens en des festins réciproques. Mais s'il vous semble meilleur et plus équitable de dévorer impunément la subsistance d'un seul homme, faites ! Moi, j'invoquerai les dieux éternels. Et si jamais Zeus permet qu'un juste retour vous châtie, vous périrez sans vengeance dans ma demeure.
Tèlémakhos parla ainsi, et Zeus qui regarde au loin fit voler du haut sommet d'un mont deux aigles qui s'enlevèrent au souffle du vent, et, côte à côte, étendirent leurs ailes. Et quand ils furent parvenus au-dessus de l'agora bruyante, secouant leurs plumes épaisses, ils en couvrirent toutes les têtes, en signe de mort. Et, de leurs serres, se déchirant la tête et le cou, ils s'envolèrent sur la droite à travers les demeures et la ville des Ithakèsiens. Et ceux-ci, stupéfaits, voyant de leurs yeux ces aigles, cherchaient dans leur esprit ce qu'ils présageaient. Et le vieux héros Halithersès Mastoride leur parla. Et il l'emportait sur ses égaux en âge pour expliquer les augures et les destinées. Et, très-sage, il parla ainsi au milieu de tous :
– Écoutez maintenant, Ithakèsiens, ce que je vais dire. Ce signe s'adresse plus particulièrement aux prétendants. Un grand danger est suspendu sur eux, car Odysseus ne restera pas longtemps encore loin de ses amis ; mais voici qu'il est quelque part près d'ici et qu'il prépare aux prétendants la Kèr et le carnage. Et il arrivera malheur à beaucoup parmi ceux qui habitent l'illustre Ithakè. Voyons donc, dès maintenant, comment nous éloignerons les Prétendants, à moins qu'ils se retirent d'eux-mêmes, et ceci leur serait plus salutaire. Je ne suis point, en effet, un divinateur inexpérimenté, mais bien instruit ; car je pense qu'elles vont s'accomplir les choses que j'ai prédites à Odysseus quand les Argiens partirent pour Ilios, et que le subtil Odysseus les commandait. Je dis qu'après avoir subi une foule de maux et perdu tous ses compagnons, il reviendrait dans sa demeure vers la vingtième année. Et voici que ces choses s'accomplissent.
Et Eurymakhos, fils de Polybos, lui répondit :
– Ô Vieillard, va dans ta maison faire des prédictions à tes enfants, de peur qu'il leur arrive malheur dans l'avenir ; mais ici je suis de beaucoup meilleur divinateur que toi. De nombreux oiseaux volent sous les rayons de Hèlios, et tous ne sont pas propres aux augures. Certes, Odysseus est mort au loin, et plût aux dieux que tu fusses mort comme lui ! Tu ne proférerais pas tant de prédictions vaines, et tu n'exciterais pas ainsi Tèlémakhos déjà irrité, avec l'espoir sans doute qu'il t'offrira un présent dans sa maison. Mais je te le dis, et ceci s'accomplira : Si, le trompant par ta science ancienne et tes paroles, tu pousses ce jeune homme à la colère, tu lui seras surtout funeste ; car tu ne pourras rien contre nous ; et nous t'infligerons, ô vieillard, une amende que tu déploreras dans ton coeur, la supportant avec peine ; et ta douleur sera accablante.
Moi, je conseillerai à Tèlémakhos d'ordonner que sa mère retourne chez Ikarios, afin que les siens célèbrent ses noces et lui fassent une dot illustre, telle qu'il convient d'en faire à une fille bien-aimée. Je ne pense pas qu'avant cela les fils des Akhaiens restent en repos et renoncent à l'épouser ; car nous ne craignons personne, ni, certes, Tèlémakhos, bien qu'il parle beaucoup ; et nous n'avons nul souci, ô Vieillard, de tes vaines prédictions, et tu ne nous en seras que plus odieux. Les biens de Tèlémakhos seront de nouveau consumés, et ce sera ainsi tant que Pènélopéia retiendra les Akhaiens par l'espoir de ses noces. Et, en effet, c'est à cause de sa vertu que nous attendons de jour en jour, en nous la disputant, et que nous n'irons point chercher ailleurs d'autres épouses.
Et le prudent Tèlémakhos lui répondit :
– Eurymakhos, et tous, tant que vous êtes, illustres prétendants, je ne vous supplierai ni ne vous parlerai plus longtemps. Les dieux et tous les Akhaiens savent maintenant ces choses. Mais donnez-moi promptement une nef rapide et vingt compagnons qui fendent avec moi les chemins de la mer. J'irai à Spartè et dans la sablonneuse Pylos m'informer du retour de mon père depuis longtemps absent. Ou quelqu'un d'entre les hommes m'en parlera, ou j'entendrai la renommée de Zeus qui porte le plus loin la gloire des hommes. Si j'entends dire que mon père est vivant et revient, j'attendrai encore une année, bien qu'affligé. Si j'entends dire qu'il est mort et ne doit plus reparaître, je reviendrai dans la chère terre de la patrie, je lui élèverai un tombeau, je célébrerai d'illustres funérailles, telles qu'il convient, et je donnerai ma mère à un mari.
Ayant ainsi parlé, il s'assit. Et au milieu d'eux se leva Mentôr, qui était le compagnon de l'irréprochable Odysseus. Et celui-ci, comme il partait, lui confia toute sa maison, lui remit ses biens en garde et voulut qu'on obéisse au vieillard. Et, au milieu d'eux, plein de sagesse, il parla et dit :
– Écoutez-moi maintenant, Ithakèsiens, quoi que je dise. Craignez qu'un roi porte-sceptre ne soit plus jamais ni bienveillant, ni doux, et qu'il ne médite plus de bonnes actions dans son esprit, mais qu'il soit cruel désormais et veuille l'iniquité, puisque nul ne se souvient du divin Odysseus parmi les peuples auxquels il commandait aussi doux qu'un père. Je ne reproche point aux prétendants orgueilleux de commettre des actions violentes dans un esprit inique, car ils jouent leurs têtes en consumant la demeure d'Odysseus qu'ils pensent ne plus revoir. Maintenant, c'est contre tout le peuple que je m'irrite, contre vous qui restez assis en foule et qui n'osez point parler, ni réprimer les prétendants peu nombreux, bien que vous soyez une multitude.
Et l'Euènoride Leiôkritos lui répondit :
– Mentôr, injurieux et stupide, qu'as-tu dit ? Tu nous exhortes à nous retirer ! Certes, il serait difficile de chasser violemment du festin tant de jeunes hommes. Même si l'Ithakèsien Odysseus, survenant lui-même, songeait dans son esprit à chasser les illustres prétendants assis au festin dans sa demeure, certes, sa femme, bien qu'elle le désire ardemment, ne se réjouirait point alors de le revoir, car il rencontrerait une mort honteuse, s'il combattait contre un si grand nombre. Tu n'as donc point bien parlé. Allons ! dispersons-nous, et que chacun retourne à ses travaux. Mentôr et Halithersès prépareront le voyage de Tèlémakhos, puisqu'ils sont dès sa naissance ses amis paternels. Mais je pense qu'il restera longtemps ici, écoutant des nouvelles dans Ithakè, et qu'il n'accomplira point son dessein.
Ayant ainsi parlé, il rompit aussitôt l'agora, et ils se dispersèrent, et chacun retourna vers sa demeure. Et les prétendants se rendirent à la maison du divin Odysseus.
Et Tèlémakhos s'éloigna sur le rivage de la mer, et, plongeant ses mains dans la blanche mer, il supplia Athènè :
– Entends-moi, déesse qui es venue hier dans ma demeure, et qui m'as ordonné d'aller sur une nef, à travers la mer sombre, m'informer de mon père depuis longtemps absent. Et voici que les Akhaiens m'en empêchent, et surtout les orgueilleux prétendants.
Il parla ainsi en priant, et Athènè parut auprès de lui, semblable à Mentôr par l'aspect et par la voix, et elle lui dit ces paroles ailées :
– Tèlemakhos, tu ne seras ni un lâche, ni un insensé, si l'excellent esprit de ton père est en toi, tel qu'il le possédait pour parler et pour agir, et ton voyage ne sera ni inutile, ni imparfait. Si tu n'étais le fils d'Odysseus et de Pènélopéia, je n'espérerais pas que tu pusses accomplir ce que tu entreprends, car peu de fils sont semblables à leur père. La plupart sont moindres, peu son meilleurs que leurs parents. Mais tu ne seras ni un lâche, ni un insensé, puisque l'intelligence d'Odysseus est restée en toi, et tu dois espérer accomplir ton dessein. C'est pourquoi oublie les projets et les résolutions des prétendants insensés, car ils ne sont ni prudents, ni équitables, et ils ne songent point à la mort et à la kèr noire qui vont les faire périr tous en un seul jour. Ne tarde donc pas plus longtemps à faire ce que tu as résolu. Moi qui suis le compagnon de ton père, je te préparerai une nef rapide et je t'accompagnerai.
Mais retourne à ta demeure te mêler aux prétendants. Apprête nos vivres ; enferme le vin dans les amphores, et, dans les outres épaisses, la farine, moelle des hommes. Moi, je te réunirai des compagnons volontaires parmi le peuple. Il y a beaucoup de nefs, neuves et vieilles, dans Ithakè entourée des flots. Je choisirai la meilleure de toutes, et nous la conduirons, bien armée, sur la mer vaste.
Ainsi parla Athènè, fille de Zeus ; et Tèlémakhos ne tarda pas plus longtemps, dès qu'il eut entendu la voix de la Déesse. Et, le coeur triste, il se hâta de retourner dans sa demeure. Et il trouva les prétendants orgueilleux dépouillant les chèvres et faisant rôtir les porcs gras dans la cour. Et Antinoos, en riant, vint au-devant de Tèlémakhos ; et, lui prenant la main, il lui parla ainsi :
– Tèlémakhos, agorète orgueilleux et plein de colère, qu'il n'y ait plus dans ton coeur ni soucis, ni mauvais desseins. Mange et bois en paix comme auparavant. Les Akhaiens agiront pour toi. Ils choisiront une nef et des rameurs, afin que tu ailles promptement à la divine Pylos t'informer de ton illustre père.
Et le prudent Tèlémakhos lui répondit :
– Antinoos, il ne m'est plus permis de m'asseoir au festin et de me réjouir en paix avec vous, orgueilleux ! N'est-ce pas assez, prétendants, que vous ayez déjà dévoré mes meilleures richesses, tandis que j'étais enfant ? Maintenant, je suis plus grand, et j'ai écouté les conseils des autres hommes, et la colère a grandi dans mon coeur. Je tenterai donc de vous apporter la kèr fatale, soit en allant à Pylos, soit ici, par le peuple. Certes, je partirai, et mon voyage ne sera point inutile. J'irai sur une nef louée, puisque je n'ai moi-même ni nef, ni rameurs, et qu'il vous a plu de m'en réduire là.
Ayant parlé, il arracha vivement sa main de la main d'Antinoos. Et les Prétendants préparaient le repas dans la maison. Et ces jeunes hommes orgueilleux poursuivaient Tèlémakhos de paroles outrageantes et railleuses :
– Certes, voici que Tèlémakhos médite notre destruction, soit qu'il ramène des alliés de la sablonneuse Pylos, soit qu'il en ramène de Spartè. Il le désire du moins avec ardeur. Peut-être aussi veut-il aller dans la fertile terre d'Ephyrè, afin d'en rapporter des poisons mortels qu'il jettera dans nos kratères pour nous tuer tous.
Et un autre de ces jeunes hommes orgueilleux disait :
– Qui sait si, une fois parti sur sa nef creuse, il ne périra pas loin des siens, ayant erré comme Odysseus ? Il nous donnerait ainsi un plus grand travail. Nous aurions à partager ses biens, et nous donnerions cette demeure à sa mère et à celui qu'elle épouserait.
Ils parlaient ainsi. Et Tèlémakhos monta dans la haute chambre de son père, où étaient amoncelés l'or et l'airain, et les vêtements dans les coffres, et l'huile abondante et parfumée. Et là aussi étaient des muids de vieux vin doux. Et ils étaient rangés contre le mur, enfermant la boisson pure et divine réservée à Odysseus quand il reviendrait dans sa patrie, après avoir subi beaucoup de maux. Et les portes étaient bien fermées au double verrou, et une femme les surveillait nuit et jour avec une active vigilance ; et c'était Eurykléia, fille d'Ops Peisènôride. Et Tèlémakhos, l'ayant appelée dans la chambre, lui dit :
– Nourrice, puise dans les amphores le plus doux de ces vins parfumés que tu conserves dans l'attente d'un homme très-malheureux, du divin Odysseus, s'il revient jamais, ayant évité la kèr et la mort. Emplis douze vases et ferme-les de leurs couvercles. Verse de la farine dans des outres bien cousues, et qu'il y en ait vingt mesures. Que tu le saches seule, et réunis toutes ces provisions, je les prendrai à la nuit, quand ma mère sera retirée dans sa chambre, désirant son lit. Je vais à Spartè et à la sablonneuse Pylos pour m'informer du retour de mon père bien-aimé.
Il parla ainsi, et sa chère nourrice Eurykléia gémit, et, se lamentant, elle dit ces paroles ailées :
– Pourquoi, cher enfant, as-tu cette pensée ? Tu veux aller à travers tant de pays, ô fils unique et bien-aimé ? Mais le divin Odysseus est mort, loin de la terre de la patrie, chez un peuple inconnu. Et les prétendants te tendront aussitôt des pièges, et tu périras par ruse, et ils partageront tes biens. Reste donc ici auprès des tiens ! Il ne faut pas que tu subisses des maux et que tu erres sur la mer indomptée.
Et le prudent Tèlémakhos lui répondit :
– Rassure-toi, nourrice ; ce dessein n'est point sans l'avis d'un dieu. Mais jure que tu ne diras rien à ma chère mère avant onze ou douze jours, à moins qu'elle me demande ou qu'elle sache que je suis parti, de peur qu'en pleurant elle blesse son beau corps.
Il parla ainsi, et la vieille femme jura le grand serment des dieux. Et, après avoir juré et accompli les formes du serment, elle puisa aussitôt le vin dans les amphores et versa la farine dans les outres bien cousues.
Et Tèlémakhos, entrant dans sa demeure, se mêla aux Prétendants. Alors la déesse Athènè aux yeux clairs songea à d'autres soins. Et, semblable à Tèlémakhos, elle marcha par la ville, parlant aux hommes qu'elle avait choisis et leur ordonnant de se réunir à la nuit sur une nef rapide. Elle avait demandé cette nef rapide à Noèmôn, le cher fils de Phronios, et celui-ci la lui avait confiée très-volontiers. Et Hèlios tomba, et tous les chemins se couvrirent d'ombre. Alors Athènè lança à la mer la nef rapide et y déposa les agrès ordinaires aux nefs bien pontées. Puis, elle la plaça à l'extrémité du port. Et, autour de la nef, se réunirent tous les excellents compagnons, et la déesse exhortait chacun d'eux.
Alors la déesse Athènè aux yeux clairs songea à d'autres soins. Se hâtant d'aller à la demeure du divin Odysseus, elle y répandit le doux sommeil sur les Prétendants. Elle les troubla tandis qu'ils buvaient, et fit tomber les coupes de leurs mains. Et ils s'empressaient de retourner par la ville pour se coucher, et, à peine étaient-ils couchés, le sommeil ferma leurs paupières. Et la Déesse Athènè aux yeux clairs, ayant appelé Tèlémakhos hors de la maison, lui parla ainsi, ayant pris l'aspect et la voix de Mentôr :
– Tèlémakhos, déjà tes compagnons aux belles knèmides sont assis, l'aviron aux mains, prêts à servir ton ardeur. Allons, et ne tardons pas plus longtemps à faire route.
Ayant ainsi parlé, Pallas Athènè le précéda aussitôt, et il suivit en hâte les pas de la déesse ; et, parvenus à la mer et à la nef, ils trouvèrent leurs compagnons chevelus sur le rivage. Et le divin Tèlémakhos leur dit :
– Venez, amis. Emportons les provisions qui sont préparées dans ma demeure. Ma mère et ses femmes ignorent tout. Ma nourrice seule est instruite.
Ayant ainsi parlé, il les précéda et ils le suivirent. Et ils transportèrent les provisions dans la nef bien pontée, ainsi que le leur avait ordonné le cher fils d'Odysseus. Et Tèlémakhos monta dans la nef, conduit par Athènè qui s'assit à la poupe. Et auprès d'elle s'assit Tèlémakhos. Et ses compagnons détachèrent le câble et se rangèrent sur les bancs de rameurs. Et Athènè aux yeux clairs fit souffler un vent favorable, Zéphyros, qui les poussait en résonnant sur la mer sombre. Puis, Tèlémakhos ordonna à ses compagnons de dresser le mât, et ils lui obéirent. Et ils dressèrent le mât de sapin sur sa base creuse et ils le fixèrent avec des câbles. Puis, ils déployèrent les voiles blanches retenues par des courroies, et le vent les gonfla par le milieu. Et le flot pourpré résonnait le long de la carène de la nef qui marchait et courait sur la mer, faisant sa route. Puis, ayant lié la mâture sur la nef rapide et noire, ils se levèrent debout, avec des kratères pleins de vin, faisant des libations aux Dieux éternels et surtout à la fille aux yeux clairs de Zeus. Et, toute la nuit, jusqu'au jour, la Déesse fit route avec eux.
Chant3
Hèlios, quittant son beau lac, monta dans l'Ouranos d'airain, afin de porter la lumière aux immortels et aux hommes mortels sur la terre féconde. Et ils arrivèrent à Pylos, la citadelle bien bâtie de Nèleus. Et les Pyliens, sur le rivage de la mer, faisaient des sacrifices de taureaux entièrement noirs à Poseidaôn aux cheveux bleus. Et il y avait neuf rangs de sièges, et sur chaque rang cinq cents hommes étaient assis, et devant chaque rang il y avait neuf taureaux égorgés. Et ils goûtaient les entrailles et ils brûlaient les cuisses pour le dieu, quand ceux d'Ithakè entrèrent dans le port, serrèrent les voiles de la nef égale, et, l'ayant amarrée, en sortirent. Et Tèlémakhos sortit aussi de la nef, conduit par Athènè. Et, lui parlant la première, la déesse Athènè aux yeux clairs lui dit :
– Tèlémakhos, il ne te convient plus d'être timide, maintenant que tu as traversé la mer pour l'amour de ton père, afin de t'informer quelle terre le renferme, et quelle a été sa destinée. Allons ! va droit au dompteur de chevaux Nestôr, et voyons quelle pensée il cache dans sa poitrine. Supplie-le de te dire la vérité. Il ne mentira pas, car il est plein de sagesse.
Et le prudent Tèlémakhos lui répondit :
– Mentôr, comment l'aborder et comment le saluer ? Je n'ai point l'expérience des sages discours, et un jeune homme a quelque honte d'interroger un vieillard.
Et Athènè, la déesse aux yeux clairs, lui répondit :
– Tèlémakhos, tu y songeras dans ton esprit, ou un dieu te l'inspirera, car je ne pense pas que tu sois né et que tu aies été élevé sans la bienveillance des dieux.
Ayant ainsi parlé, Pallas Athènè le précéda rapidement et il suivit aussitôt la déesse. Et ils parvinrent à l'assemblée où siégeaient les hommes Pyliens. Là était assis Nestôr avec ses fils, et, tout autour, leurs compagnons préparaient le repas, faisaient rôtir les viandes et les embrochaient. Et dès qu'ils eurent vu les étrangers, ils vinrent tous à eux, les accueillant du geste, et ils les firent asseoir. Et le Nestôride Peisistratos, s'approchant le premier, les prit l'un et l'autre par la main et leur fit place au repas, sur des peaux moelleuses qui couvraient le sable marin, auprès de son frère Thrasymèdès et de son père. Puis, il leur offrit des portions d'entrailles, versa du vin dans une coupe d'or, et, la présentant à Pallas Athènè, fille de Zeus tempétueux, il lui dit :
– Maintenant, ô mon hôte, supplie le roi Poseidaôn. Ce festin auquel vous venez tous deux prendre part est à lui. Après avoir fait des libations et imploré le dieu, comme il convient, donne cette coupe de vin doux à ton compagnon, afin qu'il fasse à son tour des libations. Je pense qu'il supplie aussi les immortels. Tous les hommes ont besoin des dieux. Mais il est plus jeune que toi et semble être de mon âge, c'est pourquoi je te donne d'abord cette coupe d'or.
Ayant ainsi parlé, il lui mit aux mains la coupe de vin doux, et Athènè se réjouit de la sagesse et de l'équité du jeune homme, parce qu'il lui avait offert d'abord la coupe d'or. Et aussitôt elle supplia le roi Poseidaôn :
– Entends-moi, Poseidaôn qui contient la terre ! Ne nous refuse pas, à nous qui t'en supplions, d'accomplir notre dessein. Glorifie d'abord Nestôr et ses fils, et sois aussi favorable à tous les Pyliens en récompense de cette illustre hécatombe. Fais, enfin, que Tèlémakhos et moi nous retournions, ayant accompli l'oeuvre pour laquelle nous sommes venus sur une nef noire et rapide.
Elle pria ainsi, exauçant elle-même ses voeux. Et elle donna la belle coupe ronde à Tèlémakhos, et le cher fils d'Odysseus supplia aussi le dieu. Et dès que les Pyliens eurent rôti les chairs supérieures, ils les retirèrent du feu, et, les distribuant par portions, ils célébrèrent le festin splendide. Et dès qu'ils eurent assouvi le besoin de boire et de manger, le cavalier Gérennien Nestôr leur parla ainsi :
– Maintenant, nous pouvons demander qui sont nos hôtes, puisqu'ils sont rassasiés de nourriture.
Ô nos hôtes, qui êtes-vous ? Naviguez-vous pour quelque trafic, ou bien, à l'aventure, comme des pirates qui, jouant leur vie, portent le malheur aux étrangers ?
Et le prudent Tèlémakhos lui répondit avec assurance, car Athènè avait mis la fermeté dans son coeur, afin qu'il s'informât de son père absent et qu'une grande gloire lui fût acquise par là parmi les hommes :
– Ô Nestôr Nèlèiade, grande gloire des Akhaiens, tu demandes d'où nous sommes, et je puis te le dire. Nous venons d'Ithakè, sous le Nèios, pour un intérêt privé, et non public, que je t'apprendrai. Je cherche à entendre parler de l'immense gloire de mon père, le divin et patient Odysseus qui, autrefois, dit-on, combattant avec toi, a renversé la ville des Troiens. Nous avons su dans quel lieu chacun de ceux qui combattaient contre les Troiens a subi la mort cruelle ; mais le Kroniôn, au seul Odysseus, a fait une mort ignorée ; et aucun ne peut dire où il a péri, s'il a été dompté sur la terre ferme par des hommes ennemis, ou dans la mer, sous les écumes d'Amphitrite. C'est pour lui que je viens, à tes genoux, te demander de me dire, si tu le veux, quelle a été sa mort cruelle, soit que tu l'aies vue de tes yeux, soit que tu l'aies apprise de quelque voyageur ; car sa mère l'a enfanté pour être très malheureux. Ne me flatte point d'espérances vaines, par compassion ; mais parle-moi ouvertement, je t'en supplie, si jamais mon père, l'excellent Odysseus, soit par ses paroles, soit par ses actions, a tenu les promesses qu'il t'avait faites, chez le peuple des Troiens, où vous, Akhaiens, avez subi tant de maux. Souviens-t'en maintenant, et dis-moi la vérité.
Et le cavalier Gérennien Nestôr lui répondit :
– Ô ami, tu me fais souvenir des maux que nous, fils indomptables des Akhaiens, nous avons subis chez le peuple Troien, soit en poursuivant notre proie, sur nos nefs, à travers la mer sombre, et conduits par Akhilleus, soit en combattant autour de la grande ville du roi Priamos, là où tant de guerriers excellents ont été tués. C'est là que gisent le brave Aias, et Akhilleus, et Patroklos semblable aux dieux par la sagesse, et mon fils bien-aimé Antilokhos, robuste et irréprochable, habile à la course et courageux combattant. Et nous avons subi bien d'autres maux, et nul, parmi les hommes mortels, ne pourrait les raconter tous. Et tu pourrais rester ici et m'interroger pendant cinq ou six ans, que tu retournerais, plein de tristesse, dans la terre de la patrie, avant de connaître tous les maux subis par les divins Akhaiens. Et, pendant neuf ans, nous avons assiégé Troiè par mille ruses, et le Kroniôn ne nous donna la victoire qu'avec peine. Là, nul n'égala jamais le divin Odysseus par la sagesse, car ton père l'emportait sur tous par ses ruses sans nombre, si vraiment tu es son fils.
Mais l'admiration me saisit en te regardant. Tes paroles sont semblables aux siennes, et on ne te croirait pas si jeune, tant tu sais parler comme lui. Là-bas, jamais le divin Odysseus et moi, dans l'agora ou dans le conseil, nous n'avons parlé différemment ; et nous donnions aux Akhaiens les meilleurs avis, ayant le même esprit et la même sagesse.
Enfin, après avoir renversé la haute citadelle de Priamos, nous partîmes sur nos nefs, et un dieu dispersa les Akhaiens. Déjà Zeus, sans doute, préparait, dans son esprit, un triste retour aux Akhaiens ; car tous n'étaient point prudents et justes, et une destinée terrible était réservée à beaucoup d'entre eux, à cause de la colère d'Athènè aux yeux clairs qui a un père effrayant, et qui jeta la discorde entre les deux Atréides. Et ceux-ci avaient convoqué tous les Akhaiens à l'agora, sans raison et contre l'usage, au coucher de Hèlios, et les fils des Akhaiens y vinrent, alourdis par le vin, et les Atréides leur expliquèrent pourquoi ils avaient convoqué le peuple. Alors Ménélaos leur ordonna de songer au retour sur le vaste dos de la mer ; mais cela ne plut point à Agamemnôn, qui voulait retenir le peuple et sacrifier de saintes hécatombes, afin d'apaiser la violente colère d'Athènè. Et l'insensé ne savait pas qu'il ne pourrait l'apaiser, car l'esprit des Dieux éternels ne change point aussi vite. Et tandis que les Atréides, debout, se disputaient avec d'âpres paroles, tous les Akhaiens aux belles knèmides se levèrent, dans une grande clameur, pleins de résolutions contraires.
Et nous dormîmes pendant la nuit, méditant un dessein fatal, car Zeus préparait notre plus grand malheur. Et, au matin, traînant nos nefs à la mer divine, nous y déposâmes notre butin et les femmes aux ceintures dénouées. Et la moitié de l'armée resta auprès du Roi Atréide Agamemnôn ; et nous, partant sur nos nefs, nous naviguions. Un dieu apaisa la mer où vivent les monstres, et, parvenus promptement à Ténédos, nous fîmes des sacrifices aux dieux, désirant revoir nos demeures. Mais Zeus irrité, nous refusant un prompt retour, excita de nouveau une fatale dissension. Et quelques-uns, remontant sur leurs nefs à double rang d'avirons, et parmi eux était le roi Odysseus plein de prudence, retournèrent vers l'Atréide Agamemnôn, afin de lui complaire.
Pour moi, ayant réuni les nefs qui me suivaient, je pris la fuite, car je savais quels malheurs préparait le dieu. Et le brave fils de Tydeus, excitant ses compagnons, prit aussi la fuite ; et le blond Ménélaos nous rejoignit plus tard à Lesbos, où nous délibérions sur la route à suivre. Irions-nous par le nord de l'âpre Khios, ou vers l'île Psyriè, en la laissant à notre gauche, ou par le sud de Khios, vers Mimas battue des vents ? Ayant supplié Zeus de nous montrer un signe, il nous le montra et nous ordonna de traverser le milieu de la mer d'Euboia, afin d'éviter notre perte. Et un vent sonore commença de souffler ; et nos nefs, ayant parcouru rapidement les chemins poissonneux, arrivèrent dans la nuit à Géraistos ; et là, après avoir traversé la grande mer, nous brûlâmes pour Poseidaôn de nombreuses cuisses de taureaux.
Le quatrième jour, les nefs égales et les compagnons du dompteur de chevaux Tydéide Diomèdès s'arrêtèrent dans Argos, mais je continuai ma route vers Pylos, et le vent ne cessa pas depuis qu'un dieu lui avait permis de souffler. C'est ainsi que je suis arrivé, cher fils, ne sachant point quels sont ceux d'entre les Akhaiens qui se sont sauvés ou qui ont péri. Mais ce que j'ai appris, tranquille dans mes demeures, il est juste que tu en sois instruit, et je ne te le cacherai point. On dit que l'illustre fils du magnanime Akhilleus a ramené en sûreté les Myrmidones habiles à manier la lance. Philoktètès, l'illustre fils de Paian, a aussi ramené les siens, et Idoméneus a reconduit dans la Krètè ceux de ses compagnons qui ont échappé à la guerre, et la mer ne lui en a ravi aucun. Tu as entendu parler de l'Atréide, bien qu'habitant au loin ; et tu sais comment il revint, et comment Aigisthos lui infligea une mort lamentable. Mais le meurtrier est mort misérablement, tant il est bon qu'un homme laisse un fils qui le venge. Et Orestès a tiré vengeance d'Aigisthos qui avait tué son illustre père. Et toi, ami, que je vois si beau et si grand, sois brave, afin qu'on parle bien de toi parmi les hommes futurs.
Et le prudent Tèlémakhos lui répondit :
– Ô Nestôr Nèlèiade, grande gloire des Akhaiens, certes, Orestès a tiré une juste vengeance, et tous les Akhaiens l'en glorifient, et les hommes futurs l'en glorifieront. Plût aux dieux que j'eusse la force de faire expier aux prétendants les maux qu'ils me font et l'opprobre dont ils me couvrent. Mais les dieux ne nous ont point destinés à être honorés, mon père et moi, et, maintenant, il me faut tout subir avec patience.
Et le cavalier Gérennien Nestôr lui répondit :
– Ô ami, ce que tu me dis m'a été rapporté, que de nombreux prétendants, à cause de ta mère, t'opprimaient dans ta demeure. Mais, dis-moi, souffres-tu ces maux sans résistance, ou bien les peuples, obéissant à l'oracle d'un dieu, t'ont-ils pris en haine ! Qui sait si Odysseus ne châtiera pas un jour leur iniquité violente, seul, ou aidé de tous les Akhaiens ? Qu'Athènè aux yeux clairs puisse t'aimer autant qu'elle aimait le glorieux Odysseus, chez le peuple des Troiens, où, nous, Akhaiens, nous avons subi tant de maux ! Non, je n'ai jamais vu les Dieux aimer aussi manifestement un homme que Pallas Athènè aimait Odysseus. Si elle voulait t'aimer ainsi et te protéger, chacun des prétendants oublierait bientôt ses désirs de noces !
Et le prudent Tèlémakhos lui répondit :
– Ô vieillard, je ne pense pas que ceci arrive jamais. Les grandes choses que tu prévois me troublent et me jettent dans la stupeur. Elles tromperaient mes espérances, même si les dieux le voulaient.
Alors, Athènè, la déesse aux yeux clairs, lui répondit :
– Tèlémakhos, quelle parole s'est échappée d'entre tes dents ! Un dieu peut aisément sauver un homme, même de loin. J'aimerais mieux, après avoir subi de nombreuses douleurs, revoir le jour du retour et revenir dans ma demeure, plutôt que de périr à mon arrivée, comme Agamemnôn par la perfidie d'Aigisthos et de Klytaimnestrè. Cependant, les dieux eux-mêmes ne peuvent éloigner de l'homme qu'ils aiment la mort commune à tous, quand la Moire fatale de la rude mort doit les saisir.
Et le prudent Tèlémakhos lui répondit :
– Mentôr, n'en parlons pas plus longtemps, malgré notre tristesse. Odysseus ne reviendra jamais, et déjà les dieux immortels lui ont infligé la mort et la noire kèr. Maintenant, je veux interroger Nestôr, car il l'emporte sur tous par l'intelligence et par la justice. Ô Nestôr Nèlèiade, dis-moi la vérité ; comment a péri l'Atréide Agamemnôn qui commandait au loin ? Quelle mort lui préparait le perfide Aigisthos ? Certes, il a tué un homme qui lui était bien supérieur. Où était Ménélaos ? Non dans l'Argos Akhaïque, sans doute ; et il errait au loin parmi les hommes, et Aigisthos, en son absence, a commis le meurtre.
Et le cavalier Gérennien Nestôr lui répondit :
– Certes, mon enfant, je te dirai la vérité sur ces choses, et tu les sauras, telles qu'elles sont arrivées. Si le blond Ménélaos Atréide, à son retour de Troiè, avait trouvé, dans ses demeures, Aigisthos vivant, sans doute celui-ci eût péri, et n'eût point été enseveli, et les chiens et les oiseaux carnassiers l'eussent mangé, gisant dans la plaine, loin d'Argos ; et aucune Akhaienne ne l'eût pleuré, car il avait commis un grand crime. En effet, tandis que nous subissions devant Ilios des combats sans nombre, lui, tranquille en une retraite, dans Argos nourrice de chevaux, séduisait par ses paroles l'épouse Agamemnonienne. Et certes, la divine Klytaimnestrè repoussa d'abord cette action indigne, car elle obéissait à ses bonnes pensées ; et auprès d'elle était un Aoide à qui l'Atréide, en partant pour Troiè, avait confié la garde de l'Épouse.
Mais quand la moire des dieux eut décidé que l'Aoide mourrait, on jeta celui-ci dans une île déserte et on l'y abandonna pour être déchiré par les oiseaux carnassiers. Alors, ayant tous deux les mêmes désirs, Aigisthos conduisit Klytaimnestrè dans sa demeure. Et il brûla de nombreuses cuisses sur les autels des dieux, et il y suspendit de nombreux ornements et des vêtements d'or, parce qu'il avait accompli le grand dessein qu'il n'eût jamais osé espérer dans son âme. Et nous naviguions loin de Troiè, l'Atréide et moi, ayant l'un pour l'autre la même amitié. Mais, comme nous arrivions à Sounios, sacré promontoire des Athènaiens, Phoibos Apollôn tua soudainement de ses douces flèches le pilote de Ménélaos, Phrontis Onètoride, au moment où il tenait le gouvernail de la nef qui marchait. Et c'était le plus habile de tous les hommes à gouverner une nef, aussi souvent que soufflaient les tempêtes. Et Ménélaos, bien que pressé de continuer sa course, s'arrêta en ce lieu pour ensevelir son compagnon et célébrer ses funérailles.
Puis, reprenant son chemin à travers la mer sombre, sur ses nefs creuses, il atteignit le promontoire Maléien. Alors Zeus à la grande voix, s'opposant à sa marche, répandit le souffle des vents sonores qui soulevèrent les grands flots pareils à des montagnes. Et les nefs se séparèrent, et une partie fut poussée en Krètè, où habitent les Kydônes, sur les rives du Iardanos. Mais il y a, sur les côtes de Gortyna, une roche escarpée et plate qui sort de la mer sombre. Là, le Notos pousse les grands flots vers Phaistos, à la gauche du promontoire ; et cette roche, très petite, rompt les grands flots. C'est là qu'ils vinrent, et les hommes évitèrent à peine la mort ; et les flots fracassèrent les nefs contre les rochers, et le vent et la mer poussèrent cinq nefs aux proues bleues vers le fleuve Aigyptos.
Et Ménélaos, amassant beaucoup de richesses et d'or, errait parmi les hommes qui parlent une langue étrangère. Pendant ce temps, Aigisthos accomplissait dans ses demeures son lamentable dessein, en tuant l'Atréide et en soumettant son peuple. Et il commanda sept années dans la riche Mykènè. Et, dans la huitième année, le divin Orestès revint d'Athéna, et il tua le meurtrier de son père, le perfide Aigisthos, qui avait tué son illustre père.
Et, quand il l'eut tué, il offrit aux Argiens le repas funéraire de sa malheureuse mère et du lâche Aigisthos. Et ce jour-là, arriva le brave Ménélaos, apportant autant de richesses que sa nef en pouvait contenir. Mais toi, ami, ne reste pas plus longtemps éloigné de ta maison, ayant ainsi laissé dans tes demeures tant d'hommes orgueilleux, de peur qu'ils consument tes biens et se partagent tes richesses, car tu aurais fait un voyage inutile. Je t'exhorte cependant à te rendre auprès de Ménélaos. Il est récemment arrivé de pays étrangers, d'où il n'espérait jamais revenir ; et les tempêtes l'ont poussé à travers la grande mer que les oiseaux ne pourraient traverser dans l'espace d'une année, tant elle est vaste et horrible. Va maintenant avec ta nef et tes compagnons ; ou, si tu veux aller par terre, je te donnerai un char et des chevaux, et mes fils te conduiront dans la divine Lakédaimôn où est le blond Ménélaos, afin que tu le pries de te dire la vérité. Et il ne te dira pas de mensonges, car il est très-sage.
Il parla ainsi, et Hèlios descendit, et les ténèbres arrivèrent.
Et la déesse Athènè aux yeux clairs lui dit :
– Vieillard, tu as parlé convenablement. Mais tranchez les langues des victimes, et mêlez le vin, afin que nous fassions des libations à Poseidaôn et aux autres immortels. Puis, nous songerons à notre lit, car voici l'heure. Déjà la lumière est sous l'horizon, et il ne convient pas de rester plus longtemps au festin des dieux ; mais il faut nous retirer.
La fille de Zeus parla ainsi, et tous obéirent à ses paroles. Et les hérauts leur versèrent de l'eau sur les mains, et les jeunes hommes couronnèrent les kratères de vin et les distribuèrent entre tous à pleines coupes. Et ils jetèrent les langues dans le feu. Et ils firent, debout, des libations ; et, après avoir fait des libations et bu autant que leur coeur le désirait, alors, Athènè et Tèlémakhos voulurent tous deux retourner à leur nef creuse.
Mais, aussitôt, Nestôr les retint et leur dit :
– Que Zeus et tous les autres dieux immortels me préservent de vous laisser retourner vers votre nef rapide, en me quittant, comme si j'étais un homme pauvre qui n'a dans sa maison ni vêtements ni tapis, afin que ses hôtes y puissent dormir mollement ! Certes, je possède beaucoup de vêtements et de beaux tapis. Et jamais le cher fils du héros Odysseus ne passera la nuit dans sa nef tant que je vivrai, et tant que mes enfants habiteront ma maison royale et y recevront les étrangers qui viennent dans ma demeure.
Et la déesse Athènè aux yeux clairs lui répondit :
– Tu as bien parlé, cher vieillard. Il convient que tu persuades Tèlémakhos, afin que tout soit pour le mieux. Il te suivra donc pour dormir dans ta demeure, et je retournerai vers notre nef noire pour donner des ordres à nos compagnons, car je me glorifie d'être le plus âgé d'entre eux. Ce sont des jeunes hommes, du même âge que le magnanime Tèlémakhos, et ils l'ont suivi par amitié. Je dormirai dans la nef noire et creuse, et, dès le matin, j'irai vers les magnanimes Kaukônes, pour une somme qui m'est due et qui n'est pas médiocre. Quand Tèlémakhos sera dans ta demeure, envoie-le sur le char, avec ton fils, et donne-lui tes chevaux les plus rapides et les plus vigoureux.
Ayant ainsi parlé, Athènè aux yeux clairs disparut semblable à un aigle, et la stupeur saisit tous ceux qui la virent. Et le vieillard, l'ayant vue de ses yeux, fut plein d'admiration, et il prit la main de Tèlémakhos et il lui dit ces paroles :
– Ô ami, tu ne seras ni faible ni lâche, puisque les dieux eux-mêmes te conduisent, bien que tu sois si jeune. C'est là un des habitants des demeures Olympiennes, la fille de Zeus, la dévastatrice Tritogénéia, qui honorait ton père excellent entre tous les Argiens. C'est pourquoi, ô reine, sois-moi favorable ! Donne-nous une grande gloire, à moi, à mes fils et à ma vénérable épouse, et je te sacrifierai une génisse d'un an, au front large, indomptée, et que nul autre n'a soumise au joug ; et je te la sacrifierai après avoir répandu de l'or sur ses cornes.
Il parla ainsi, et Pallas-Athènè l'entendit.
Et le cavalier Gérennien Nestôr, en tête de ses fils et de ses gendres, retourna vers sa belle demeure. Et quand ils furent arrivés à l'illustre demeure du roi, ils s'assirent en ordre sur des gradins et sur des thrônes. Et le vieillard mêla pour eux un kratère de vin doux, âgé de onze ans, dont une servante ôta le couvercle. Et le vieillard, ayant mêlé le vin dans le kratère, supplia Athènè, faisant des libations à la fille de Zeus tempétueux. Et chacun d'eux, ayant fait des libations et bu autant que son coeur le désirait, retourna dans sa demeure pour y dormir. Et le cavalier Gérennien Nestôr fit coucher Tèlémakhos, le cher fils du divin Odysseus, en un lit sculpté, sous le portique sonore, auprès du brave Peisistratos, le plus jeune des fils de la maison royale. Et lui-même s'endormit au fond de sa haute demeure, là où l'épouse lui avait préparé un lit.
Et quand Éôs aux doigts rosés, née au matin, apparut, le cavalier Gérennien Nestôr se leva de son lit. Puis, étant sorti, il s'assit sur les pierres polies, blanches et brillantes comme de l'huile, qui étaient devant les hautes portes, et sur lesquelles s'asseyait autrefois Nèleus semblable aux dieux par la sagesse. Mais celui-ci, dompté par la Kèr, était descendu chez Aidés. Et, maintenant, le Gérennien Nestôr, rempart des Akhaiens, s'asseyait à sa place, tenant le sceptre. Et ses fils, sortant des chambres nuptiales, se réunirent autour de lui : Ekhéphrôn, et Stratios, et Perseus, et Arètos, et le divin Thrasymèdès. Et le héros Peisistratos vint le sixième. Et ils firent approcher Tèlémakhos semblable à un dieu, et le cavalier Gérennien Nestôr commença de leur parler :
– Mes chers enfants, satisfaites promptement mon désir, afin que je me rende favorable, avant tous les dieux, Athènè qui s'est montrée ouvertement à moi au festin sacré de Poseidaôn. Que l'un de vous aille dans la campagne chercher une génisse que le bouvier amènera, et qu'il revienne à la hâte. Un autre se rendra à la nef noire du magnanime Tèlémakhos, et il amènera tous ses compagnons, et il n'en laissera que deux. Un autre ordonnera au fondeur d'or Laerkeus de venir répandre de l'or sur les cornes de la génisse ; et les autres resteront auprès de moi. Ordonnez aux servantes de préparer un festin sacré dans la demeure, et d'apporter des sièges, du bois et de l'eau pure.
Il parla ainsi, et tous lui obéirent. La génisse vint de la campagne, et les compagnons du magnanime Tèlémakhos vinrent de la nef égale et rapide. Et l'ouvrier vint, portant dans ses mains les instruments de son art, l'enclume, le maillet et la tenaille, avec lesquels il travaillait l'or. Et Athènè vint aussi, pour jouir du sacrifice. Et le vieux cavalier Nestôr donna de l'or, et l'ouvrier le répandit et le fixa sur les cornes de la génisse, afin que la déesse se réjouît en voyant cet ornement. Stratios et le divin Ekhéphrôn amenèrent la génisse par les cornes, et Arètos apporta, de la chambre nuptiale, dans un bassin fleuri, de l'eau pour leurs mains, et une servante apporta les orges dans une corbeille. Et le brave Thrasymèdès se tenait prêt à tuer la génisse, avec une hache tranchante à la main, et Perseus tenait un vase pour recevoir le sang. Alors, le vieux cavalier Nestôr répandit l'eau et les orges, et supplia Athènè, en jetant d'abord dans le feu quelques poils arrachés de la tête.
Et, après qu'ils eurent prié et répandu les orges, aussitôt, le noble Thrasymèdès, fils de Nestôr, frappa, et il trancha d'un coup de hache les muscles du cou ; et les forces de la génisse furent rompues. Et les filles, les belles-filles et la vénérable épouse de Nestôr, Eurydikè, l'aînée des filles de Klyménos, hurlèrent toutes.
Puis, relevant la génisse qui était largement étendue, ils la soutinrent, et Peisistratos, chef des hommes, l'égorgea. Et un sang noir s'échappa de sa gorge, et le souffle abandonna ses os. Aussitôt ils la divisèrent. Les cuisses furent coupées, selon le rite, et recouvertes de graisse des deux côtés. Puis, on déposa, par-dessus, les entrailles saignantes. Et le vieillard les brûlait sur du bois, faisant des libations de vin rouge. Et les jeunes hommes tenaient en mains des broches à cinq pointes. Les cuisses étant consumées, ils goûtèrent les entrailles ; puis, divisant les chairs avec soin, ils les embrochèrent et les rôtirent, tenant en mains les broches aiguës.
Pendant ce temps, la belle Polykastè, la plus jeune des filles de Nestôr Nèlèiade, baigna Tèlémakhos et, après l'avoir baigné et parfumé d'une huile grasse, elle le revêtit d'une tunique et d'un beau manteau. Et il sortit du bain, semblable par sa beauté aux Immortels. Et le prince des peuples vint s'asseoir auprès de Nestôr.
Les autres, ayant rôti les chairs, les retirèrent du feu et s'assirent au festin. Et les plus illustres, se levant, versaient du vin dans les coupes d'or. Et quand ils eurent assouvi la soif et la faim, le cavalier Gérennien Nestôr commença de parler au milieu d'eux :
– Mes enfants, donnez promptement à Tèlémakhos des chevaux au beau poil, et liez-les au char, afin qu'il fasse son voyage.
Il parla ainsi, et, l'ayant entendu, ils lui obéirent aussitôt. Et ils lièrent promptement au char deux chevaux rapides. Et la servante intendante y déposa du pain et du vin et tous les mets dont se nourrissent les rois élevés par Zeus. Et Tèlémakhos monta dans le beau char, et, auprès de lui, le Nestoride Peisistratos, chef des hommes, monta aussi et prit les rênes en mains. Puis, il fouetta les chevaux, et ceux-ci s'élancèrent avec ardeur dans la plaine, laissant derrière eux la ville escarpée de Pylos. Et, tout le jour, ils secouèrent le joug qui les retenait des deux côtés.
Alors, Hèlios tomba, et les chemins s'emplirent d'ombre. Et ils arrivèrent à Phèra, dans la demeure de Diokleus, fils d'Orthilokhos que l'Alphéios engendra. Là, ils passèrent la nuit, et Diokleus leur fit les dons de l'hospitalité.
Et quand Éôs aux doigts rosés, née au matin, apparut, ils attelèrent les chevaux et montèrent sur le beau char, et ils sortirent du vestibule et du portique sonore. Et Peisistratos fouetta les chevaux, qui s'élancèrent ardemment dans la plaine fertile. Et ils achevèrent leur route, tant les chevaux rapides couraient avec vigueur. Et Hèlios tomba de nouveau, et les chemins s'emplirent d'ombre.
Chant4
Et ils parvinrent à la vaste et creuse Lakédaimôn. Et ils se dirigèrent vers la demeure du glorieux Ménélaos, qu'ils trouvèrent célébrant dans sa demeure, au milieu de nombreux convives, les noces de son fils et de sa fille irréprochable qu'il envoyait au fils du belliqueux Akhilleus. Dès longtemps, devant Troiè, il l'avait promise et fiancée, et les dieux accomplissaient leurs noces, et Ménélaos l'envoyait, avec un char et des chevaux, vers l'illustre ville des Myrmidones, auxquels commandait le fils d'Akhilleus.
Et il mariait une Spartiate, fille d'Alektôr, à son fils, le robuste Mégapenthès, que, dans sa vieillesse, il avait eu d'une captive. Car les dieux n'avaient plus accordé d'enfants à Hélènè depuis qu'elle avait enfanté sa fille gracieuse, Hermionè, semblable à Aphroditè d'or.
Et les voisins et les compagnons du glorieux Ménélaos étaient assis au festin, dans la haute et grande demeure ; et ils se réjouissaient, et un Aoide divin chantait au milieu d'eux, en jouant de la flûte, et deux danseurs bondissaient au milieu d'eux, aux sons du chant.
Et le héros Tèlémakhos et l'illustre fils de Nestôr s'arrêtèrent, eux et leurs chevaux, dans le vestibule de la maison. Et le serviteur familier du glorieux Ménélaos, Etéôneus, accourant et les ayant vus, alla rapidement les annoncer dans les demeures du prince des peuples. Et, se tenant debout auprès de lui, il dit ces paroles ailées :
– Ménélaos, nourri par Zeus, voici deux étrangers qui semblent être de la race du grand Zeus. Dis-moi s'il faut dételer leurs chevaux rapides, ou s'il faut les renvoyer vers quelqu'autre qui les reçoive.
Et le blond Ménélaos lui répondit en gémissant :
– Étéôneus Boèthoide, tu n'étais pas insensé avant ce moment, et voici que tu prononces comme un enfant des paroles sans raison. Nous avons souvent reçu, en grand nombre, les présents de l'hospitalité chez des hommes étrangers, avant de revenir ici. Que Zeus nous affranchisse de nouvelles misères dans l'avenir ! Mais délie les chevaux de nos hôtes et conduis-les eux-mêmes à ce festin.
Il parla ainsi, et Etéôneus sortit à la hâte des demeures, et il ordonna aux autres serviteurs fidèles de le suivre. Et ils délièrent les chevaux suant sous le joug, et ils les attachèrent aux crèches, en plaçant devant eux l'orge blanche et l'épeautre mêlés. Et ils appuyèrent le char contre le mur poli. Puis, ils conduisirent les étrangers dans la demeure divine.
Et ceux-ci regardaient, admirant la demeure du roi nourrisson de Zeus. Et la splendeur de la maison du glorieux Ménélaos était semblable à celle de Hèlios et de Sélénè. Et quand ils furent rassasiés de regarder, ils entrèrent, pour se laver, dans des baignoires polies. Et après que les servantes les eurent lavés et parfumés d'huile, et revêtus de tuniques et de manteaux moelleux, ils s'assirent sur des thrônes auprès de l'Atréide Ménélaos. Et une servante, pour laver leurs mains, versa de l'eau, d'une belle aiguière d'or, dans un bassin d'argent ; et elle dressa devant eux une table polie ; et la vénérable intendante, pleine de bienveillance, y déposa du pain et des mets nombreux. Et le découpeur leur offrit les plateaux couverts de viandes différentes, et il posa devant eux des coupes d'or. Et le blond Ménélaos, leur donnant la main droite, leur dit :
– Mangez et réjouissez-vous. Quand vous serez rassasiés de nourriture, nous vous demanderons qui vous êtes parmi les hommes. Certes, la race de vos aïeux n'a point failli, et vous êtes d'une race de rois porte-sceptres nourris par Zeus, car jamais des lâches n'ont enfanté de tels fils.
Il parla ainsi, et, saisissant de ses mains le dos gras d'une génisse, honneur qu'on lui avait fait à lui-même, il le plaça devant eux. Et ceux-ci étendirent les mains vers les mets offerts. Et quand ils eurent assouvi le besoin de manger et de boire, Tèlémakhos dit au fils de Nestôr, en approchant la tête de la sienne, afin de n'être point entendu :
– Vois, Nestoride, très-cher à mon coeur, la splendeur de l'airain et la maison sonore, et l'or, et l'émail, et l'argent et l'ivoire. Sans doute, telle est la demeure de l'olympien Zeus, tant ces richesses sont nombreuses. L'admiration me saisit en les regardant.
Et le blond Ménélaos, ayant compris ce qu'il disait, leur adressa ces paroles ailées :
– Chers enfants, aucun vivant ne peut lutter contre Zeus, car ses demeures et ses richesses sont immortelles. Il y a des hommes plus ou moins riches que moi ; mais j'ai subi bien des maux, et j'ai erré sur mes nefs pendant huit années, avant de revenir. Et j'ai vu Kypros et la Phoinikè, et les Aigyptiens, et les Aithiopiens, et les Sidônes, et les Érembes, et la Libyè où les agneaux sont cornus et où les brebis mettent bas trois fois par an. Là, ni le roi ni le berger ne manquent de fromage, de viandes et de lait doux, car ils peuvent traire le lait pendant toute l'année. Et tandis que j'errais en beaucoup de pays, amassant des richesses, un homme tuait traîtreusement mon frère, aidé par la ruse d'une femme perfide. Et je règne, plein de tristesse malgré mes richesses. Mais vous devez avoir appris ces choses de vos pères, quels qu'ils soient. Et j'ai subi des maux nombreux, et j'ai détruit une ville bien peuplée qui renfermait des trésors précieux. Plût aux dieux que j'en eusse trois fois moins dans mes demeures, et qu'ils fussent encore vivants les héros qui ont péri devant la grande Troiè, loin d'Argos où paissent les beaux chevaux ! Et je pleure et je gémis sur eux tous. Souvent, assis dans mes demeures, je me plais à m'attrister en me souvenant, et tantôt je cesse de gémir, car la lassitude du deuil arrive promptement.
Mais, bien qu'attristé, je les regrette moins tous ensemble qu'un seul d'entre eux, dont le souvenir interrompt mon sommeil et chasse ma faim ; car Odysseus a supporté plus de travaux que tous les Akhaiens. Et d'autres douleurs lui étaient réservées dans l'avenir ; et une tristesse incurable me saisit à cause de lui qui est depuis si longtemps absent. Et nous ne savons s'il est vivant ou mort ; et le vieux Laertès le pleure, et la sage Pènélopéia, et Tèlémakhos qu'il laissa tout enfant dans ses demeures.
Il parla ainsi, et il donna à Tèlémakhos le désir de pleurer à cause de son père ; et, entendant parler de son père, il se couvrit les yeux de son manteau pourpré, avec ses deux mains, et il répandit des larmes hors de ses paupières. Et Ménélaos le reconnut, et il délibéra dans son esprit et dans son coeur s'il le laisserait se souvenir le premier de son père, ou s'il l'interrogerait en lui disant ce qu'il pensait.
Pendant qu'il délibérait ainsi dans son esprit et dans son coeur, Hélénè sortit de la haute chambre nuptiale parfumée, semblable à Artémis qui porte un arc d'or. Aussitôt Adrestè lui présenta un beau siège, Alkippè apporta un tapis de laine moelleuse, et Phylô lui offrit une corbeille d'argent que lui avait donnée Alkandrè, femme de Polybos, qui habitait dans Thèbè Aigyptienne, où de nombreuses richesses étaient renfermées dans les demeures. Et Polybos donna à Ménélaos deux baignoires d'argent, et deux trépieds, et dix talents d'or ; et Alkandrè avait aussi offert de beaux présents à Hélénè : Une quenouille d'or et une corbeille d'argent massif dont la bordure était d'or. Et la servante Phylô la lui apporta, pleine de fil préparé, et, par-dessus, la quenouille chargée de laine violette. Hélénè s'assit, avec un escabeau sous les pieds, et aussitôt elle interrogea ainsi son époux :
– Savons-nous, divin Ménélaos, qui sont ces hommes qui se glorifient d'être entrés dans notre demeure ? Mentirai-je ou dirai-je la vérité ? Mon esprit me l'ordonne. Je ne pense pas avoir jamais vu rien de plus ressemblant, soit un homme, soit une femme ; et l'admiration me saisit tandis que je regarde ce jeune homme, tant il est semblable au fils du magnanime Odysseus, à Tèlémakhos qu'il laissa tout enfant dans sa demeure, quand pour moi, chienne, les Akhaiens vinrent à Troiè, portant la guerre audacieuse.
Et le blond Ménélaos, lui répondant, parla ainsi ;
– Je reconnais comme toi, femme, que ce sont là les pieds, les mains, l'éclair des yeux, la tête et les cheveux d'Odysseus. Et voici que je me souvenais de lui et que je me rappelais combien de misères il avait patiemment subies pour moi. Mais ce jeune homme répand de ses paupières des larmes amères, couvrant ses yeux de son manteau pourpré.
Et le Nestoride Peisistratos lui répondit :
Atréide Ménélaos, nourri par Zeus, prince des peuples, certes, il est le fils de celui que tu dis. Mais il est sage, et il pense qu'il ne serait pas convenable, dès son arrivée, de prononcer des paroles téméraires devant toi dont nous écoutons la voix comme celle d'un dieu. Le cavalier Gérennien Nestôr m'a ordonné de l'accompagner. Et il désire te voir, afin que tu le conseilles ou que tu l'aides ; car il subit beaucoup de maux, à cause de son père absent, dans sa demeure où il a peu de défenseurs. Cette destinée est faite à Tèlémakhos, et son père est absent, et il n'a personne, parmi son peuple, qui puisse détourner de lui les calamités.
Et le blond Ménélaos, lui répondant, parla ainsi :
– Ô dieux ! certes, le fils d'un homme que j'aime est entré dans ma demeure, d'un héros qui, pour ma cause, a subi tant de combats. J'avais résolu de l'honorer entre tous les Akhaiens, si l'olympien Zeus qui tonne au loin nous eût donné de revenir sur la mer et sur nos nefs rapides. Et je lui aurais élevé une ville dans Argos, et je lui aurais bâti une demeure ; et il aurait transporté d'Ithakè ses richesses et sa famille et tout son peuple dans une des villes où je commande et qui aurait été quittée par ceux qui l'habitent. Et, souvent, nous nous fussions visités tour à tour, nous aimant et nous charmant jusqu'à ce que la noire nuée de la mort nous eût enveloppés. Mais, sans doute, un dieu nous a envié cette destinée, puisque, le retenant seul et malheureux, il lui refuse le retour.
Il parla ainsi, et il excita chez tous le désir de pleurer. Et l'Argienne Hélénè, fille de Zeus, pleurait ; et Tèlémakhos pleurait aussi, et l'Atréide Ménélaos ; et le fils de Nestôr avait les yeux pleins de larmes, et il se souvenait dans son esprit de l'irréprochable Antilokhos que l'illustre fils de la splendide Éôs avait tué et, se souvenant, il dit en paroles ailées :
– Atréide, souvent le vieillard Nestôr m'a dit, quand nous nous souvenions de toi dans ses demeures, et quand nous nous entretenions, que tu l'emportais sur tous par ta sagesse. C'est pourquoi, maintenant, écoute-moi. Je ne me plais point à pleurer après le repas ; mais nous verserons des larmes quand Éôs née au matin reviendra. Il faut pleurer ceux qui ont subi leur destinée. C'est là, certes, la seule récompense des misérables mortels de couper pour eux sa chevelure et de mouiller ses joues de larmes. Mon frère aussi est mort, et il n'était pas le moins brave des Argiens, tu le sais. Je n'en ai pas été témoin, et je ne l'ai point vu, mais on dit qu'Antilokhos l'emportait sur tous, quand il courait et quand il combattait.
Et le blond Ménélaos lui répondit :
– Ô cher, tu parles comme un homme sage et plus âgé que toi parlerait et agirait, comme le fils d'un sage père. On reconnaît facilement l'illustre race d'un homme que le Kroniôn a honoré, qu'il a bien marié et qui est bien né. C'est ainsi qu'il a accordé tous les jours à Nestôr de vieillir en paix dans sa demeure, au milieu de fils sages et qui excellent par la lance. Mais retenons les pleurs qui viennent de nous échapper. Souvenons-nous de notre repas et versons de l'eau sur nos mains. Tèlémakhos et moi, demain matin, nous parlerons et nous nous entretiendrons.
Il parla ainsi, et Asphaliôn, fidèle serviteur de l'illustre Ménélaos, versa de l'eau sur leurs mains, et tous étendirent les mains vers les mets placés devant eux.
Et alors Hélénè, fille de Zeus, eut une autre pensée, et, aussitôt, elle versa dans le vin qu'ils buvaient un baume, le népenthès, qui donne l'oubli des maux. Celui qui aurait bu ce mélange ne pourrait plus répandre des larmes de tout un jour, même si sa mère et son père étaient morts, même si on tuait devant lui par l'airain son frère ou son fils bien-aimé, et s'il le voyait de ses yeux. Et la fille de Zeus possédait cette liqueur excellente que lui avait donnée Polydamna, femme de Thôs, en Aigyptiè, terre fertile qui produit beaucoup de baumes, les uns salutaires et les autres mortels. Là tous les médecins sont les plus habiles d'entre les hommes, et ils sont de la race de Paièôn. Après l'avoir préparé, Hélénè ordonna de verser le vin, et elle parla ainsi :
– Atréide Ménélaos, nourrisson de Zeus, certes, ceux-ci sont fils d'hommes braves, mais Zeus dispense comme il le veut le bien et le mal, car il peut tout. C'est pourquoi, maintenant, mangeons, assis dans nos demeures, et charmons-nous par nos paroles. Je vous dirai des choses qui vous plairont. Cependant, je ne pourrai raconter, ni même rappeler tous les combats du patient Odysseus, tant cet homme brave a fait et supporté de travaux chez le peuple des Troiens, là où les Akhaiens ont été accablés de misères. Se couvrant lui-même de plaies honteuses, les épaules enveloppées de vils haillons et semblable à un esclave, il entra dans la vaste ville des guerriers ennemis, s'étant fait tel qu'un mendiant, et bien différent de ce qu'il était auprès des nefs des Akhaiens. C'est ainsi qu'il entra dans la ville des Troiens, inconnu de tous. Seule, je le reconnus et je l'interrogeais mais il me répondit avec ruse. Puis, je le baignai et je le parfumais d'huile, et je le couvris de vêtements, et je jurais un grand serment, promettant de ne point révéler Odysseus aux Troiens avant qu'il fût retourné aux nefs rapides et aux tentes. Et alors il me découvrit tous les projets des Akhaiens. Et, après avoir tué avec le long airain un grand nombre de Troiens, il retourna vers les Argiens, leur rapportant beaucoup de secrets. Et les Troiennes gémissaient lamentablement ; mais mon esprit se réjouissait, car déjà j'avais dans mon coeur le désir de retourner vers ma demeure, et je pleurais sur la mauvaise destinée qu'Aphroditè m'avait faite, quand elle me conduisit, en me trompant, loin de la chère terre de la patrie, et de ma fille, et de la chambre nuptiale, et d'un mari qui n'est privé d'aucun don, ni d'intelligence, ni de beauté.
Et le blond Ménélaos, lui répondant, parla ainsi :
– Tu as dit toutes ces choses, femme, comme il convient. Certes, j'ai connu la pensée et la sagesse de beaucoup de héros, et j'ai parcouru beaucoup de pays, mais je n'ai jamais vu de mes yeux un coeur tel que celui du patient Odysseus, ni ce que ce vaillant homme fit et affronta dans le cheval bien travaillé où nous étions tous entrés, nous, les princes des Argiens, afin de porter le meurtre et la kèr aux Troiens. Et tu vins là, et sans doute un dieu te l'ordonna qui voulut accorder la gloire aux Troiens, et Dèiphobos semblable à un dieu te suivait. Et tu fis trois fois le tour de l'embûche creuse, en la frappant ; et tu nommais les princes des Danaens en imitant la voix des femmes de tous les Argiens ; et nous, moi, Diomèdès et le divin Odysseus, assis au milieu, nous écoutions ta voix. Et Diomèdès et moi nous voulions sortir impétueusement plutôt que d'écouter de l'intérieur, mais Odysseus nous arrêta et nous retint malgré notre désir. Et les autres fils des Akhaiens restaient muets, et Antiklos, seul, voulut te répondre : mais Odysseus lui comprima la bouche de ses mains robustes, et il sauva tous les Akhaiens ; et il le contint ainsi jusqu'à ce que Pallas Athènè t'eût éloignée.
Et le prudent Tèlémakhos lui répondit :
– Atréide Ménélaos, nourrisson de Zeus, prince des peuples, cela est triste, mais ces actions n'ont point éloigné de lui la mauvaise mort, et même si son coeur eût été de fer. Mais conduis-nous à nos lits, afin que nous jouissions du doux sommeil.
Il parla ainsi, et l'Argienne Hélénè ordonna aux servantes de préparer les lits sous le portique, d'amasser des vêtements beaux et pourprés, de les couvrir de tapis et de recouvrir ceux-ci de laines épaisses. Et les servantes sortirent des demeures, portant des torches dans leurs mains, et elles étendirent les lits, et un héraut conduisit les hôtes. Et le héros Tèlémakhos et l'illustre fils de Nestôr s'endormirent sous le portique de la maison. Et l'Atréide s'endormit au fond de la haute demeure, et Hélénè au large péplos, la plus belle des femmes, se coucha auprès de lui.
Mais quand Éôs aux doigts rosés, née au matin, apparut, le brave Ménélaos se leva de son lit, mit ses vêtements, suspendit une épée aiguë autour de ses épaules et attacha de belles sandales à ses pieds luisants. Et, semblable à un dieu, sortant de la chambre nuptiale, il s'assit auprès de Tèlémakhos et il lui parla :
– Héros Tèlémakhos, quelle nécessité t'a poussé vers la divine Lakédaimôn, sur le large dos de la mer ? Est-ce un intérêt public ou privé ? Dis-le-moi avec vérité.
Et le prudent Tèlémakhos lui répondit :
– Atréide Ménélaos, nourrisson de Zeus, prince des peuples, je viens afin que tu me dises quelque chose de mon père. Ma maison est ruinée, mes riches travaux périssent. Ma demeure est pleine d'hommes ennemis qui égorgent mes brebis grasses et mes boeufs aux pieds flexibles et aux fronts sinueux. Ce sont les prétendants de ma mère, et ils ont une grande insolence. C'est pourquoi, maintenant, je viens à tes genoux, afin que, me parlant de la mort lamentable de mon père, tu me dises si tu l'as vue de tes yeux, ou si tu l'as apprise d'un voyageur. Certes, une mère malheureuse l'a enfanté. Ne me trompe point pour me consoler, et par pitié ; mais raconte-moi franchement tout ce que tu as vu. Je t'en supplie, si jamais mon père, le brave Odysseus, par la parole ou par l'action, a tenu ce qu'il avait promis, chez le peuple des Troiens, où les Akhaiens ont subi tant de misères, souviens-t'en et dis-moi la vérité.
Et, avec un profond soupir, le blond Ménélaos lui répondit :
– Ô dieux ! certes, des lâches veulent coucher dans le lit d'un brave ! Ainsi une biche a déposé dans le repaire d'un lion robuste ses faons nouveau-nés et qui tètent, tandis qu'elle va paître sur les hauteurs ou dans les vallées herbues ; et voici que le lion, rentrant dans son repaire, tue misérablement tous les faons. Ainsi Odysseus leur fera subir une mort misérable. Plaise au père Zeus, à Athènè, à Apollôn, qu'Odysseus se mêle aux Prétendants tel qu'il était dans Lesbos bien bâtie, quand se levant pour lutter contre le Philomèléide, il le terrassa rudement. Tous les Akhaiens s'en réjouirent. La vie des Prétendants serait brève et leurs noces seraient amères ! Mais les choses que tu me demandes en me suppliant, je te les dirai sans te rien cacher, telles que me les a dites le Vieillard véridique de la mer. Je te les dirai toutes et je ne te cacherai rien.
Malgré mon désir du retour, les dieux me retinrent en Aigyptiè, parce que je ne leur avais point offert les hécatombes qui leur étaient dues. Les Dieux, en effet, ne veulent point que nous oubliions leurs commandements. Et il y a une île, au milieu de la mer onduleuse, devant l'Aigyptiè, et on la nomme Pharos, et elle est éloignée d'autant d'espace qu'une nef creuse, que le vent sonore pousse en poupe, peut en franchir en un jour entier. Et dans cette île il y a un port excellent d'où, après avoir puisé une eau profonde, on traîne à la mer les nefs égales. Là, les dieux me retinrent vingt jours, et les vents marins ne soufflèrent point qui mènent les nefs sur le large dos de la mer. Et mes vivres étaient déjà épuisés, et l'esprit de mes hommes était abattu, quand une déesse me regarda et me prit en pitié, la fille du Vieillard de la mer, de l'illustre Prôteus, Eidothéè. Et je touchai son âme, et elle vint au-devant de moi tandis que j'étais seul, loin de mes compagnons qui, sans cesse, erraient autour de l'île, pêchant à l'aide des hameçons recourbés, car la faim tourmentait leur ventre. Et, se tenant près de moi, elle parla ainsi :
– Tu es grandement insensé, ô étranger, ou tu as perdu l'esprit, ou tu restes ici volontiers et tu te plais à souffrir, car, certes, voici longtemps que tu es retenu dans l'île, et tu ne peux trouver aucune fin à cela, et le coeur de tes compagnons s'épuise.
Elle parla ainsi, et, lui répondant aussitôt, je dis :
– Je te dirai avec vérité, qui que tu sois entre les déesses, que je ne reste point volontairement ici ; mais je dois avoir offensé les Immortels qui habitent le large Ouranos. Dis-moi donc, car les dieux savent tout, quel est celui des immortels qui me retarde en route et qui s'oppose à ce que je retourne en fendant la mer poissonneuse.
Je parlais ainsi, et, aussitôt, l'illustre déesse me répondit :
– Ô étranger, je te répondrai avec vérité. C'est ici qu'habite le véridique Vieillard de la mer, l'immortel Prôteus Aigyptien qui connaît les profondeurs de toute la mer et qui est esclave de Poseidaôn. On dit qu'il est mon père et qu'il m'a engendrée. Si tu peux le saisir par ruse, il te dira ta route et comment tu retourneras à travers la mer poissonneuse ; et, de plus, il te dira, ô enfant de Zeus, si tu le veux, ce qui est arrivé dans tes demeures, le bien et le mal, pendant ton absence et ta route longue et difficile.
Elle parla ainsi, et, aussitôt, je lui répondis :
– Maintenant, explique-moi les ruses du Vieillard, de peur que, me voyant, il me prévienne et m'échappe, car un dieu est difficile à dompter pour un homme mortel.
Je parlais ainsi, et, aussitôt, l'illustre déesse me répondit :
– Ô étranger, je te répondrai avec vérité. Quand Hèlios atteint le milieu de l'Ouranos, alors le véridique Vieillard marin sort de la mer, sous le souffle de Zéphyros, et couvert d'une brume épaisse. Étant sorti, il s'endort sous les grottes creuses. Autour de lui, les phoques sans pieds de la belle Halosydnè, sortant aussi de la blanche mer, s'endorment, innombrables, exhalant l'âcre odeur de la mer profonde. Je te conduirai là, au lever de la lumière, et je t'y placerai comme il convient, et tu choisiras trois de tes compagnons parmi les plus braves qui sont sur tes nefs aux bancs de rameurs. Maintenant, je te dirai toutes les ruses du Vieillard.
D'abord il comptera et il examinera les phoques ; puis, les ayant séparés par cinq, il se couchera au milieu d'eux comme un berger au milieu d'un troupeau de brebis. Dès que vous le verrez presque endormi, alors souvenez-vous de votre courage et de votre force, et retenez-le malgré son désir de vous échapper, et ses efforts. Il se fera semblable à toutes les choses qui sont sur la terre, aux reptiles, à l'eau, au feu ardent ; mais retenez-le vigoureusement et serrez-le plus fort. Mais quand il t'interrogera lui-même et que tu le verras tel qu'il était endormi, n'use plus de violence et lâche le Vieillard. Puis, ô Héros, demande-lui quel dieu t'afflige, et il te dira comment retourner à travers la mer poissonneuse.
Elle parla ainsi et sauta dans la mer agitée. Et je retournai vers mes nefs, là où elles étaient tirées sur la plage, et mon coeur agitait de nombreuses pensées tandis que j'allais. Puis, étant arrivé à ma nef et à la mer, nous préparâmes le repas, et la nuit divine survint, et alors nous nous endormîmes sur le rivage de la mer.
Et quand Éôs aux doigts rosés, née au matin, apparut, je marchais vers le rivage de la mer large, en suppliant les dieux ; et je conduisais trois de mes compagnons, me confiant le plus dans leur courage. Pendant ce temps, la déesse, étant sortie du large sein de la mer, en apporta quatre peaux de phoques récemment écorchés, et elle prépara une ruse contre son père. Et elle s'était assise, nous attendant, après avoir creusé des lits dans le sable marin. Et nous vînmes auprès d'elle. Et elle nous plaça et couvrit chacun de nous d'une peau. C'était une embuscade très dure, car l'odeur affreuse des phoques nourris dans la mer nous affligeait cruellement. Qui peut en effet coucher auprès d'un monstre marin ? Mais la déesse nous servit très utilement, et elle mit dans les narines de chacun de nous l'ambroisie au doux parfum qui chassa l'odeur des bêtes marines. Et nous attendîmes, d'un esprit patient, toute la durée du matin. Enfin, les phoques sortirent, innombrables, de la mer, et vinrent se coucher en ordre le long du rivage. Et, vers midi, le Vieillard sortit de la mer, rejoignit les phoques gras, les compta, et nous les premiers parmi eux, ne se doutant point de la ruse ; puis, il se coucha lui-même. Aussitôt, avec des cris, nous nous jetâmes sur lui en l'entourant de nos bras ; mais le Vieillard n'oublia pas ses ruses adroites, et il se changea d'abord en un lion à longue crinière, puis en dragon, en panthère, en grand sanglier, en eau, en arbre au vaste feuillage. Et nous le tenions avec vigueur et d'un coeur ferme ; mais quand le Vieillard plein de ruses se vit réduit, alors il m'interrogea et il me dit :
– Qui d'entre les dieux, fils d'Atreus, t'a instruit, afin que tu me saisisses malgré moi ? Que désires-tu ?
Il parla ainsi, et, lui répondant, je lui dis :
– Tu le sais, Vieillard. Pourquoi me tromper en m'interrogeant ? Depuis longtemps déjà je suis retenu dans cette île, et je ne puis trouver fin à cela, et mon coeur s'épuise. Dis-moi donc, car les dieux savent tout, quel est celui des immortels qui me détourne de ma route et qui m'empêche de retourner à travers la mer poissonneuse ?
Je parlai ainsi, et lui, me répondant, dit :
– Avant tout, tu devais sacrifier à Zeus et aux autres dieux, afin d'arriver très promptement dans ta patrie, en naviguant sur la noire mer. Ta destinée n'est point de revoir tes amis ni de regagner ta demeure bien construite et la terre de la patrie, avant que tu ne sois retourné vers les eaux du fleuve Aigyptos tombé de Zeus, et que tu n'aies offert de sacrées hécatombes aux dieux immortels qui habitent le large Ouranos. Alors les dieux t'accorderont la route que tu désires.
Il parla ainsi, et, aussitôt, mon cher coeur se brisa parce qu'il m'ordonnait de retourner en Aigyptiè, à travers la noire mer, par un chemin long et difficile. Mais, lui répondant, je parlai ainsi :
– Je ferai toutes ces choses, Vieillard, ainsi que tu me le recommandes ; mais dis-moi, et réponds avec vérité, s'ils sont revenus sains et saufs avec leurs nefs tous les Akhaiens que Nestôr et moi nous avions laissés en partant de Troiè, ou si quelqu'un d'entre eux a péri d'une mort soudaine, dans sa nef, ou dans les bras de ses amis, après la guerre ?
Je parlai ainsi, et, me répondant, il dit :
– Atréide, ne m'interroge point, car il ne te convient pas de connaître ma pensée, et je ne pense pas que tu restes longtemps sans pleurer, après avoir tout entendu. Beaucoup d'Akhaiens ont été domptés, beaucoup sont vivants. Tu as vu toi-même les choses de la guerre. Deux chefs des Akhaiens cuirassés d'airain ont péri au retour ; un troisième est vivant et retenu au milieu de la mer large. Aias a été dompté sur sa nef aux longs avirons. Poseidaôn le conduisit d'abord vers les grandes roches de Gyras et le sauva de la mer ; et sans doute il eût évité la mort, bien que haï d'Athènè, s'il n'eût dit une parole impie et s'il n'eût commis une action mauvaise. Il dit que, malgré les dieux, il échapperait aux grands flots de la mer. Et Poseidaôn entendit cette parole orgueilleuse, et, aussitôt, de sa main robuste saisissant le trident, il frappa la roche de Gyras et la fendit en deux ; et une partie resta debout, et l'autre, sur laquelle Aias s'était réfugié, tomba et l'emporta dans la grande mer onduleuse. C'est ainsi qu'il périt, ayant bu l'eau salée.
Ton frère évita la mort et il s'échappa sur sa nef creuse, et la vénérable Hèrè le sauva ; mais à peine avait-il vu le haut cap des Maléiens, qu'une tempête, l'ayant saisi, l'emporta, gémissant, à l'extrémité du pays où Thyestès habitait autrefois, et où habitait alors le Thyestade Aigisthos. Là, le retour paraissait sans danger, et les dieux firent changer les vents et regagnèrent leurs demeures. Et Agamemnôn, joyeux, descendit sur la terre de la patrie, et il la baisait, et il versait des larmes abondantes parce qu'il l'avait revue avec joie. Mais une sentinelle le vit du haut d'un rocher où le traître Aigisthos l'avait placée, lui ayant promis en récompense deux talents d'or. Et, de là, elle veillait depuis toute une année, de peur que l'Atréide arrivât en secret et se souvint de sa force et de son courage. Et elle se hâta d'aller l'annoncer, dans ses demeures, au prince des peuples. Aussitôt Aigisthos médita une embûche rusée, et il choisit, parmi le peuple, vingt hommes très braves, et il les plaça en embuscade, et, d'un autre côté, il ordonna de préparer un repas. Et lui-même il invita, méditant de honteuses actions, le prince des peuples Agamemnôn à le suivre avec ses chevaux et ses chars. Et il mena ainsi à la mort l'Atréide imprudent, et il le tua pendant le repas, comme on égorge un boeuf à l'étable. Et aucun des compagnons d'Agamemnôn ne fut sauvé, ni même ceux d'Aigisthos ; et tous furent égorgés dans la demeure royale.
Il parla ainsi, et ma chère âme fut brisée aussitôt, et je pleurais couché sur le sable, et mon coeur ne voulait plus vivre ni voir la lumière de Hèlios. Mais, après que je me fus rassasié de pleurer, le véridique Vieillard de la mer me dit :
– Ne pleure point davantage, ni plus longtemps, sans agir, fils d'Atreus, car il n'y a en cela nul remède ; mais tente plutôt très promptement de regagner la terre de la patrie. Ou tu saisiras Aigisthos encore vivant, ou Orestès, te prévenant, l'aura tué, et tu seras présent au repas funèbre.
Il parla ainsi, et, dans ma poitrine, mon coeur et mon esprit généreux, quoique tristes, se réjouirent de nouveau, et je lui dis ces paroles ailées :
– Je connais maintenant la destinée de ceux-ci mais nomme-moi le troisième, celui qui, vivant ou mort, est retenu au milieu de la mer large. Je veux le connaître, quoique plein de tristesse.
Je parlai ainsi, et, me répondant, il dit :
– C'est le fils de Laertès qui avait ses demeures dans Ithakè. Je l'ai vu versant des larmes abondantes dans l'île et dans les demeures de la nymphe Kalypsô qui le retient de force ; et il ne peut regagner la terre de la patrie. Il n'a plus en effet de nefs armées d'avirons ni de compagnons qui puissent le reconduire sur le large dos de la mer. Pour toi, ô divin Ménélaos, ta destinée n'est point de subir la Moire et la mort dans Argos nourrice de chevaux ; mais les dieux t'enverront dans la prairie Élysienne, aux bornes de la terre, là où est le blond Rhadamanthos. Là, il est très facile aux hommes de vivre. Ni neige, ni longs hivers, ni pluie ; mais toujours le Fleuve Okéanos envoie les douces haleines de Zéphyros, afin de rafraîchir les hommes. Et ce sera ta destinée, parce que tu possèdes Hélénè et que tu es gendre de Zeus.
– Il parla ainsi, et il plongea dans la mer écumeuse. Et je retournai vers mes nefs avec mes divins compagnons. Et mon coeur agitait de nombreuses pensées tandis que je marchais. Étant arrivés à ma nef et à la mer, nous préparâmes le repas, et la nuit solitaire survint, et nous nous endormîmes sur le rivage de la mer. Et quand Éôs aux doigts rosés, née au matin, apparut, nous traînâmes nos nefs à la mer divine. Puis, dressant les mâts et déployant les voiles des nefs égales, mes compagnons s'assirent sur les bancs de rameurs, et tous, assis en ordre, frappèrent de leurs avirons la mer écumeuse. Et j'arrêtai de nouveau mes nefs dans le fleuve Aigyptos tombé de Zeus, et je sacrifiais de saintes hécatombes. Et, après avoir apaisé la colère des dieux qui vivent toujours, j'élevai un tombeau à Agamemnôn, afin que sa gloire se répandît au loin. Ayant accompli ces choses, je retournai, et les dieux m'envoyèrent un vent propice et me ramenèrent promptement dans la chère patrie. Maintenant, reste dans mes demeures jusqu'au onzième ou au douzième jour ; et, alors, je te renverrai dignement, et je te ferai des présents splendides, trois chevaux et un beau char ; et je te donnerai aussi une belle coupe afin que tu fasses des libations aux dieux immortels et que tu te souviennes toujours de moi.
Et le sage Tèlémakhos lui répondit :
– Atréide, ne me retiens pas ici plus longtemps. Certes, je consumerais toute une année assis auprès de toi, que je n'aurais le regret ni de ma demeure, ni de mes parents, tant je suis profondément charmé de tes paroles et de tes discours ; mais déjà je suis un souci pour mes compagnons dans la divine Pylos, et tu me retiens longtemps ici. Mais que le don, quel qu'il soit, que tu désires me faire, puisse être emporté et conservé. Je ne conduirai point de chevaux dans Ithakè, et je te les laisserai ici dans l'abondance. Car tu possèdes de vastes plaines où croissent abondamment le lotos, le souchet et le froment, et l'avoine et l'orge. Dans Itakhè il n'y a ni routes pour les chars, ni prairies ; elle nourrit plutôt les chèvres que les chevaux et plaît mieux aux premières. Aucune des îles qui s'inclinent à la mer n'est grande, ni munie de prairies, et Ithakè par-dessus toutes.
Il parla ainsi, et le brave Ménélaos rit, et il lui prit la main, et il lui dit :
– Tu es d'un bon sang, cher enfant, puisque tu parles ainsi. Je changerai ce présent, car je le puis. Parmi tous les trésors qui sont dans ma demeure je te donnerai le plus beau et le plus précieux. Je te donnerai un beau kratère tout en argent et dont les bords sont ornés d'or. C'est l'ouvrage de Hèphaistos, et le héros illustre, roi des Sidônes, quand il me reçut dans sa demeure, à mon retour, me le donna ; et je veux te le donner.
Et ils se parlaient ainsi, et les convives revinrent dans la demeure du roi divin. Et ils amenaient des brebis, et ils apportaient le vin qui donne la vigueur ; et les épouses aux belles bandelettes apportaient le pain. Et ils préparaient ainsi le repas dans la demeure.
Mais les prétendants, devant la demeure d'Odysseus, se plaisaient à lancer les disques à courroies de peau de chèvre sur le pavé orné où ils déployaient d'habitude leur insolence. Antinoos et Eurymakhos semblable à un Dieu y étaient assis, et c'étaient les chefs des prétendants et les plus braves d'entre eux. Et Noèmôn, fils de Phronios, s'approchant d'eux, dit à Antinoos :
– Antinoos, savons-nous, ou non, quand Tèlémakhos revient de la sablonneuse Pylos ? Il est parti, emmenant ma nef dont j'ai besoin pour aller dans la grande Élis, où j'ai douze cavales et de patients mulets encore indomptés dont je voudrais mettre quelques-uns sous le joug.
Il parla ainsi, et tous restèrent stupéfaits, car ils ne pensaient pas que Tèlémakhos fût parti pour la Nèléienne Pylos, mais ils croyaient qu'il était dans les champs, auprès des brebis ou du berger. Et, aussitôt, Antinoos, fils d'Eupeithès, lui dit :
– Dis-moi avec vérité quand il est parti, et quels jeunes hommes choisis dans Ithakè l'ont suivi. Sont-ce des mercenaires ou ses esclaves ? Ils ont donc pu faire ce voyage ! Dis-moi ceci avec vérité, afin que je sache s'il t'a pris ta nef noire par force et contre ton gré, ou si, t'ayant persuadé par ses paroles, tu la lui as donnée volontairement.
Et le fils de Phronios, Noèmôn, lui répondit :
– Je la lui ai donnée volontairement. Comment aurais-je fait autrement ? Quand un tel homme, ayant tant de soucis, adresse une demande, il est difficile de refuser. Les jeunes hommes qui l'ont suivi sont des nôtres et les premiers du peuple, et j'ai reconnu que leur chef était Mentôr, ou un dieu qui est tout semblable à lui ; car j'admire ceci : j'ai vu le divin Mentôr, hier, au matin, et cependant il était parti sur la nef pour Pylos !
Ayant ainsi parlé, il regagna la demeure de son père. Et l'esprit généreux des deux hommes fut troublé. Et les prétendants s'assirent ensemble, se reposant de leurs jeux. Et le fils d'Eupeithès, Antinoos, leur parla ainsi, plein de tristesse, et une noire colère emplissait son coeur, et ses yeux étaient comme des feux flambants :
– Ô dieux ! voici une grande action orgueilleusement accomplie, ce départ de Tèlémakhos ! Nous disions qu'il n'en serait rien, et cet enfant est parti témérairement, malgré nous, et il a traîné une nef à la mer, après avoir choisi les premiers parmi le peuple ! Il a commencé, et il nous réserve des calamités, à moins que Zeus ne rompe ses forces avant qu'il nous porte malheur. Mais donnez-moi promptement une nef rapide et vingt compagnons, afin que je lui tende une embuscade à son retour, dans le détroit d'Ithakè et de l'âpre Samos ; et, à cause de son père, il aura couru la mer pour sa propre ruine.
Il parla ainsi, et tous l'applaudirent et donnèrent des ordres, et aussitôt ils se levèrent pour entrer dans la demeure d'Odysseus.
Mais Pènélopéia ne fut pas longtemps sans connaître leurs paroles et ce qu'ils agitaient dans leur esprit, et le héraut Médôn, qui les avait entendus, le lui dit, étant au seuil de la cour, tandis qu'ils ourdissaient leur dessein à l'intérieur. Et il se hâta d'aller l'annoncer par les demeures à Pènélopéia. Et comme il paraissait sur le seuil, Pènélopéia lui dit :
– Héraut, pourquoi les illustres prétendants t'envoient-ils ? Est-ce pour dire aux servantes du divin Odysseus de cesser de travailler afin de préparer leur repas ? Si, du moins, ils ne me recherchaient point en mariage, s'ils ne s'entretenaient point ici ni ailleurs, si, enfin, ils prenaient ici leur dernier repas ! Vous qui vous êtes rassemblés pour consumer tous les biens et la richesse du sage Tèlémakhos, n'avez-vous jamais entendu dire par vos pères, quand vous étiez enfants, quel était Odysseus parmi vos parents ? Il n'a jamais traité personne avec iniquité, ni parlé injurieusement en public, bien que ce soit le droit des rois divins de haïr l'un et d'aimer l'autre ; mais lui n'a jamais violenté un homme. Et votre mauvais esprit et vos indignes actions apparaissent, et vous n'avez nulle reconnaissance des bienfaits reçus.
Et Médôn plein de sagesse lui répondit :
Plût aux dieux, reine, que tu subisses maintenant tes pires malheurs ! mais les prétendants méditent un dessein plus pernicieux. Que le Kroniôn ne l'accomplisse pas ! Ils veulent tuer Tèlémakhos avec l'airain aigu, à son retour dans sa demeure ; car il est parti, afin de s'informer de son père, pour la sainte Pylos et la divine Lakédaimôn.
Il parla ainsi, et les genoux de Pènélopéia et son cher coeur furent brisés, et longtemps elle resta muette, et ses yeux s'emplirent de larmes, et sa tendre voix fut haletante, et, lui répondant, elle dit enfin :
– Héraut, pourquoi mon enfant est-il parti ? Où était la nécessité de monter sur les nefs rapides qui sont pour les hommes les chevaux de la mer et qui traversent les eaux immenses ? Veut-il que son nom même soit oublié parmi les hommes ?
Et Médôn plein de sagesse lui répondit
– Je ne sais si un dieu l'a poussé, ou s'il est allé de lui-même vers Pylos, afin de s'informer si son père revient ou s'il est mort.
Ayant ainsi parlé, il sortit de la demeure d'Odysseus. Et une douleur déchirante enveloppa l'âme de Pènélopéia, et elle ne put même s'asseoir sur ses sièges, quoiqu'ils fussent nombreux dans la maison ; mais elle s'assit sur le seuil de la belle chambre nuptiale, et elle gémit misérablement, et, de tous côtés, les servantes jeunes et vieilles, qui étaient dans la demeure, gémissaient aussi.
Et Pènélopéia leur dit en pleurant :
– Écoutez, amies ! les Olympiens m'ont accablée de maux entre toutes les femmes nées et nourries avec moi. J'ai perdu d'abord mon brave mari au coeur de lion, ayant toutes les vertus parmi les Danaens, illustre, et dont la gloire s'est répandue dans la grande Hellas et tout Argos ; et maintenant voici que les tempêtes ont emporté obscurément mon fils bien-aimé loin de ses demeures, sans que j'aie appris son départ ! Malheureuses ! aucune de vous n'a songé dans son esprit à me faire lever de mon lit, bien que sachant, certes, qu'il allait monter sur une nef creuse et noire. Si j'avais su qu'il se préparait à partir, ou il serait resté malgré son désir, ou il m'eût laissée morte dans cette demeure. Mais qu'un serviteur appelle le vieillard Dolios, mon esclave, que mon père me donna quand je vins ici, et qui cultive mon verger, afin qu'il aille dire promptement toutes ces choses à Laertès, et que celui-ci prenne une résolution dans son esprit, et vienne en deuil au milieu de ce peuple qui veut détruire sa race et celle du divin Odysseus.
Et la bonne nourrice Eurykléia lui répondit :
– Chère nymphe, tue-moi avec l'airain cruel ou garde-moi dans ta demeure ! Je ne te cacherai rien. Je savais tout, et je lui ai porté tout ce qu'il m'a demandé, du pain et du vin. Et il m'a fait jurer un grand serment que je ne te dirais rien avant le douzième jour, si tu ne le demandais pas, ou si tu ignorais son départ. Et il craignait qu'en pleurant tu blessasses ton beau corps. Mais baigne-toi et revêts de purs vêtements, et monte dans la haute chambre avec tes femmes. Là, supplie Athènè, fille de Zeus tempétueux, afin qu'elle sauve Tèlémakhos de la mort. N'afflige point un vieillard. Je ne pense point que la race de l'Arkeisiade soit haïe des dieux heureux. Mais Odysseus ou Tèlémakhos possèdera encore ces hautes demeures et ces champs fertiles.
Elle parla ainsi, et la douleur de Pènélopéia cessa, et ses larmes s'arrêtèrent. Elle se baigna, se couvrit de purs vêtements, et, montant dans la chambre haute avec ses femmes, elle répandit les orges sacrées d'une corbeille et supplia Athènè :
– Entends-moi, fille indomptée de Zeus tempétueux. Si jamais, dans ses demeures, le subtil Odysseus a brûlé pour toi les cuisses grasses des boeufs et des agneaux, souviens-t'en et garde-moi mon cher fils. Romps le mauvais dessein des insolents prétendants.
Elle parla ainsi en gémissant, et la déesse entendit sa prière.
Et les prétendants s'agitaient tumultueusement dans les salles déjà noires. Et chacun de ces jeunes hommes insolents disait :
– Déjà la reine, désirée par beaucoup, prépare, certes, nos noces, et elle ne sait pas que le meurtre de son fils est proche.
Chacun d'eux parlait ainsi, mais elle connaissait leurs desseins, et Antinoos leur dit :
– Insensés ! cessez tous ces paroles téméraires, de peur qu'on les répète à Pènélopéia ; mais levons-nous, et accomplissons en silence ce que nous avons tous approuvé dans notre esprit.
Il parla ainsi, et il choisit vingt hommes très braves qui se hâtèrent vers le rivage de la mer et la nef rapide. Et ils traînèrent d'abord la nef à la mer, établirent le mât et les voiles dans la nef noire, et lièrent comme il convenait les avirons avec des courroies. Puis, ils tendirent les voiles blanches, et leurs braves serviteurs leur apportèrent des armes. Enfin, s'étant embarqués, ils poussèrent la nef au large et ils prirent leur repas, en attendant la venue de Hespéros.
Mais, dans la chambre haute, la sage Pènélopéia s'était couchée, n'ayant mangé ni bu, et se demandant dans son esprit si son irréprochable fils éviterait la mort, ou s'il serait dompté par les orgueilleux prétendants. Comme un lion entouré par une foule d'hommes s'agite, plein de crainte, dans le cercle perfide, de même le doux sommeil saisit Pènélopéia tandis qu'elle roulait en elle-même toutes ces pensées. Et elle s'endormit, et toutes ses peines disparurent.
Alors la déesse aux yeux clairs, Athènè, eut une autre pensée, et elle forma une image semblable à Iphthimè, à la fille du magnanime Ikarios, qu'Eumèlos qui habitait Phérè avait épousée. Et Athènè l'envoya dans la demeure du divin Odysseus, afin d'apaiser les peines et les larmes de Pènélopéia qui se lamentait et pleurait. Et l'image entra dans la chambre nuptiale le long de la courroie du verrou, et, se tenant au-dessus de sa tête, elle lui dit :
– Tu dors, Pènélopéia, affligée dans ton cher coeur ; mais les dieux qui vivent toujours ne veulent pas que tu pleures, ni que tu sois triste, car ton fils reviendra, n'ayant jamais offensé les dieux.
Et la sage Pènélopéia, doucement endormie aux portes des Songes, lui répondit :
– Ô soeur, pourquoi es-tu venue ici, où je ne t'avais encore jamais vue, tant la demeure est éloignée où tu habites ? Pourquoi m'ordonnes-tu d'apaiser les maux et les peines qui me tourmentent dans l'esprit et dans l'âme ? J'ai perdu d'abord mon brave mari au coeur de lion, ayant toutes les vertus parmi les Danaens, illustre, et dont la gloire s'est répandue dans la grande Hellas et tout Argos ; et, maintenant, voici que mon fils bien-aimé est parti sur une nef creuse, l'insensé ! sans expérience des travaux et des discours. Et je pleure sur lui plus que sur son père ; et je tremble, et je crains qu'il souffre chez le peuple vers lequel il est allé, ou sur la mer. De nombreux ennemis lui tendent des embûches et veulent le tuer avant qu'il revienne dans la terre de la patrie.
Et la vague image lui répondit :
– Prends courage, et ne redoute rien dans ton esprit. Il a une compagne telle que les autres hommes en souhaiteraient volontiers, car elle peut tout. C'est Pallas Athènè, et elle a compassion de tes gémissements, et, maintenant, elle m'envoie te le dire.
Et la sage Pènélopéia lui répondit :
– Si tu es déesse, et si tu as entendu la voix de la déesse, parle-moi du malheureux Odysseus. Vit-il encore quelque part, et voit-il la lumière de Hèlios, ou est-il mort et dans les demeures d'Aidès ?
Et la vague image lui répondit :
– Je ne te dirai rien de lui. Est-il vivant ou mort ?
Il ne faut point parler de vaines paroles.
En disant cela, elle s'évanouit le long du verrou dans un souffle de vent. Et la fille d'Ikarios se réveilla, et son cher coeur se réjouit parce qu'un songe véridique lui était survenu dans l'ombre de la nuit.
Et les prétendants naviguaient sur les routes humides, méditant dans leur esprit le meurtre cruel de Tèlémakhos. Et il y a une île au milieu de la mer pleine de rochers, entre Ithakè et l'âpre Samos, Astéris, qui n'est pas grande, mais où se trouvent pour les nefs des ports ayant une double issue. C'est là que s'arrêtèrent les Akhaiens embusqués.
Chant5
Eôs sortait du lit de l'illustre Tithôn, afin de porter la lumière aux Immortels et aux mortels. Et les dieux étaient assis en conseil, et au milieu d'eux était Zeus qui tonne dans les hauteurs et dont la puissance est la plus grande. Et Athènè leur rappelait les nombreuses traverses d'Odysseus. Et elle se souvenait de lui avec tristesse parce qu'il était retenu dans les demeures d'une Nymphe :
– Père Zeus, et vous, dieux heureux qui vivez toujours, craignez qu'un roi porte-sceptre ne soit plus jamais ni doux, ni clément, mais que, loin d'avoir des pensées équitables, il soit dur et injuste, si nul ne se souvient du divin Odysseus parmi ceux sur lesquels il a régné comme un père plein de douceur. Voici qu'il est étendu, subissant des peines cruelles, dans l'île et dans les demeures de la Nymphe Kalypsô qui le retient de force, et il ne peut retourner dans la terre de la patrie, car il n'a ni nefs armées d'avirons, ni compagnons, qui puissent le conduire sur le vaste dos de la mer. Et voici maintenant qu'on veut tuer son fils bien-aimé à son retour dans ses demeures, car il est parti, afin de s'informer de son père, pour la divine Pylos et l'illustre Lakédaimôn.
Et Zeus qui amasse les nuées lui répondit :
– Mon enfant, quelle parole s'est échappée d'entre tes dents ? N'as-tu point délibéré toi-même dans ton esprit pour qu'Odysseus revint et se vengeât ? Conduis Tèlémakhos avec soin, car tu le peux, afin qu'il retourne sain et sauf dans la terre de la patrie, et les prétendants reviendront sur leur nef.
Il parla ainsi, et il dit à Herméias, son cher fils :
– Herméias, qui es le messager des dieux, va dire à la Nymphe aux beaux cheveux que nous avons résolu le retour d'Odysseus. Qu'elle le laisse partir. Sans qu'aucun dieu ou qu'aucun homme mortel le conduise, sur un radeau uni par des liens, seul, et subissant de nouvelles douleurs, il parviendra le vingtième jour à la fertile Skhériè, terre des Phaiakiens qui descendent des Dieux. Et les Phaiakiens, dans leur esprit, l'honoreront comme un dieu, et ils le renverront sur une nef dans la chère terre de la patrie, et ils lui donneront en abondance de l'airain, de l'or et des vêtements, de sorte qu'Odysseus n'en eût point rapporté autant de Troiè, s'il était revenu sain et sauf, ayant reçu sa part du butin. Ainsi sa destinée est de revoir ses amis et de rentrer dans sa haute demeure et dans la terre de la patrie.
Il parla ainsi, et le messager-tueur d'Argos obéit. Et il attacha aussitôt à ses pieds de belles sandales, immortelles et d'or, qui le portaient, soit au-dessus de la mer, soit au-dessus de la terre immense, pareil au souffle du vent. Et il prit aussi la baguette à l'aide de laquelle il charme les yeux des hommes, ou il les réveille, quand il le veut. Tenant cette baguette dans ses mains, le puissant Tueur d'Argos, s'envolant vers la Piériè, tomba de l'Aithèr sur la mer et s'élança, rasant les flots, semblable à la mouette qui, autour des larges golfes de la mer indomptée, chasse les poissons et plonge ses ailes robustes dans l'écume salée. Semblable à cet oiseau, Hermès rasait les flots innombrables.
Et, quand il fut arrivé à l'île lointaine, il passa de la mer bleue sur la terre, jusqu'à la vaste grotte que la nymphe aux beaux cheveux habitait, et où il la trouva. Et un grand feu brûlait au foyer, et l'odeur du cèdre et du thuia ardents parfumait toute l'île. Et la nymphe chantait d'une belle voix, tissant une toile avec une navette d'or. Et une forêt verdoyante environnait la grotte, l'aune, le peuplier et le cyprès odorant, où les oiseaux qui déploient leurs ailes faisaient leurs nids : les chouettes, les éperviers et les bavardes corneilles de mer qui s'inquiètent toujours des flots. Et une jeune vigne, dont les grappes mûrissaient, entourait la grotte, et quatre cours d'eau limpide, tantôt voisins, tantôt allant çà et là, faisaient verdir de molles prairies de violettes et d'aches. Même si un immortel s'en approchait, il admirerait et serait charmé dans son esprit. Et le puissant messager-tueur d'Argos s'arrêta et, ayant tout admiré dans son esprit, entra aussitôt dans la vaste grotte.
Et l'illustre déesse Kalypsô le reconnut, car les dieux immortels ne sont point inconnus les uns aux autres, même quand ils habitent, chacun, une demeure lointaine. Et Hermès ne vit pas dans la grotte le magnanime Odysseus, car celui-ci pleurait, assis sur le rivage ; et, déchirant son coeur de sanglots et de gémissements, il regardait la mer agitée et versait des larmes. Mais l'illustre déesse Kalypsô interrogea Herméias, étant assise sur un thrône splendide :
– Pourquoi es-tu venu vers moi, Herméias à la baguette d'or, vénérable et cher, que je n'ai jamais vu ici ? Dis ce que tu désires. Mon coeur m'ordonne de te satisfaire, si je le puis et si cela est possible. Mais suis-moi, afin que je t'offre les mets hospitaliers.
Ayant ainsi parlé, la déesse dressa une table en la couvrant d'ambroisie et mêla le rouge nektar. Et le messager-tueur d'Argos but et mangea, et quand il eut achevé son repas et satisfait son âme, il dit à la déesse :
– Tu me demandes pourquoi un dieu vient vers toi, déesse ; je te répondrai avec vérité, comme tu le désires. Zeus m'a ordonné de venir, malgré moi, car qui parcourrait volontiers les immenses eaux salées où il n'y a aucune ville d'hommes mortels qui font des sacrifices aux dieux et leur offrent de saintes hécatombes ? Mais il n'est point permis à tout autre dieu de résister à la volonté de Zeus tempétueux. On dit qu'un homme est auprès de toi, le plus malheureux de tous les hommes qui ont combattu pendant neuf ans autour de la ville de Priamos, et qui l'ayant saccagée dans la dixième année, montèrent sur leurs nefs pour le retour. Et ils offensèrent Athènè, qui souleva contre eux le vent, les grands flots et le malheur. Et tous les braves compagnons d'Odysseus périrent, et il fut lui-même jeté ici par le vent et les flots. Maintenant, Zeus t'ordonne de le renvoyer très promptement, car sa destinée n'est point de mourir loin de ses amis, mais de les revoir et de rentrer dans sa haute demeure et dans la terre de la patrie.
Il parla ainsi, et l'illustre déesse Kalypsô frémit, et, lui répondant, elle dit en paroles ailées :
– Vous êtes injustes, ô dieux, et les plus jaloux des autres dieux, et vous enviez les déesses qui dorment ouvertement avec les hommes qu'elles choisissent pour leurs chers maris. Ainsi, quand Éôs aux doigts rosés enleva Oriôn, vous fûtes jaloux d'elle, ô dieux qui vivez toujours, jusqu'à ce que la chaste Artémis au thrône d'or eût tué Oriôn de ses douces flèches, dans Ortygiè ; ainsi, quand Dèmètèr aux beaux cheveux, cédant à son âme, s'unit d'amour à Iasiôn sur une terre récemment labourée, Zeus, l'ayant su aussitôt, le tua en le frappant de la blanche foudre ; ainsi, maintenant, vous m'enviez, ô dieux, parce que je garde auprès de moi un homme mortel que j'ai sauvé et recueilli seul sur sa carène, après que Zeus eut fendu d'un jet de foudre sa nef rapide au milieu de la mer sombre. Tous ses braves compagnons avaient péri, et le vent et les flots l'avaient poussé ici. Et je l'aimai et je le recueillis, et je me promettais de le rendre immortel et de le mettre pour toujours à l'abri de la vieillesse. Mais il n'est point permis à tout autre dieu de résister à la volonté de Zeus tempétueux. Puisqu'il veut qu'Odysseus soit de nouveau errant sur la mer agitée, soit ; mais je ne le renverrai point moi-même, car je n'ai ni nefs armées d'avirons, ni compagnons qui le reconduisent sur le vaste dos de la mer. Je lui révélerai volontiers et ne lui cacherai point ce qu'il faut faire pour qu'il parvienne sain et sauf dans la terre de la patrie.
Et le messager tueur d'Argos lui répondit aussitôt :
– Renvoie-le dès maintenant, afin d'éviter la colère de Zeus, et de peur qu'il s'enflamme contre toi à l'avenir.
Ayant ainsi parlé, le puissant Tueur d'Argos s'envola, et la vénérable nymphe, après avoir reçu les ordres de Zeus, alla vers le magnanime Odysseus. Et elle le trouva assis sur le rivage, et jamais ses yeux ne tarissaient de larmes, et sa douce vie se consumait à gémir dans le désir du retour, car la nymphe n'était point aimée de lui. Certes, pendant la nuit, il dormait contre sa volonté dans la grotte creuse, sans désir, auprès de celle qui le désirait ; mais, le jour, assis sur les rochers et sur les rivages, il déchirait son coeur par les larmes, les gémissements et les douleurs, et il regardait la mer indomptée en versant des larmes.
Et l'illustre déesse, s'approchant, lui dit :
– Malheureux, ne te lamente pas plus longtemps ici, et ne consume point ta vie, car je vais te renvoyer promptement. Va ! fais un large radeau avec de grands arbres tranchés par l'airain, et pose par-dessus un banc très élevé, afin qu'il te porte sur la mer sombre. Et j'y placerai moi-même du pain, de l'eau et du vin rouge qui satisferont ta faim, et je te donnerai des vêtements, et je t'enverrai un vent propice afin que tu parviennes sain et sauf dans la terre de la patrie, si les dieux le veulent ainsi qui habitent le large Ouranos et qui sont plus puissants que moi par l'intelligence et la sagesse.
Elle parla ainsi, et le patient et divin Odysseus frémit et il lui dit en paroles ailées :
– Certes, tu as une autre pensée, déesse, que celle de mon départ, puisque tu m'ordonnes de traverser sur un radeau les grandes eaux de la mer, difficiles et effrayantes, et que traversent à peine les nefs égales et rapides se réjouissant du souffle de Zeus. Je ne monterai point, comme tu le veux, sur un radeau, à moins que tu ne jures par le grand serment des dieux que tu ne prépares point mon malheur et ma perte.
Il parla ainsi, et l'illustre déesse Kalypsô rit, et elle le caressa de la main, et elle lui répondit :
– Certes, tu es menteur et rusé, puisque tu as pensé et parlé ainsi. Que Gaia le sache, et le large Ouranos supérieur, et l'eau souterraine de Styx, ce qui est le plus grand et le plus terrible serment des dieux heureux, que je ne prépare ni ton malheur, ni ta perte. Je t'ai offert et conseillé ce que je tenterais pour moi-même, si la nécessité m'y contraignait. Mon esprit est équitable, et je n'ai point dans ma poitrine un coeur de fer, mais compatissant.
Ayant ainsi parlé, l'illustre déesse le précéda promptement, et il allait sur les traces de la déesse. Et tous deux parvinrent à la grotte creuse. Et il s'assit sur le thrône d'où s'était levé Herméias et la Nymphe plaça devant lui les choses que les hommes mortels ont coutume de manger et de boire. Elle-même s'assit auprès du divin Odysseus, et les servantes placèrent devant elle l'ambroisie et le nektar. Et tous deux étendirent les mains vers les mets placés devant eux ; et quand ils eurent assouvi la faim et la soif, l'illustre déesse Kalypsô commença de parler :
– Divin Laertiade, subtil Odysseus, ainsi, tu veux donc retourner dans ta demeure et dans la chère terre de la patrie ? Cependant, reçois mon salut. Si tu savais dans ton esprit combien de maux il est dans ta destinée de subir avant d'arriver à la terre de la patrie, certes, tu resterais ici avec moi, dans cette demeure, et tu serais immortel, bien que tu désires revoir ta femme que tu regrettes tous les jours. Et certes, je me glorifie de ne lui être inférieure ni par la beauté, ni par l'esprit, car les mortelles ne peuvent lutter de beauté avec les immortelles.
Et le subtil Odysseus, lui répondant, parla ainsi :
– Vénérable déesse, ne t'irrite point pour cela contre moi. Je sais en effet que la sage Pènélopéia t'est bien inférieure en beauté et majesté. Elle est mortelle, et tu ne connaîtras point la vieillesse ; et, cependant, je veux et je désire tous les jours revoir le moment du retour et regagner ma demeure. Si quelque dieu m'accable encore de maux sur la sombre mer, je les subirai avec un coeur patient. J'ai déjà beaucoup souffert sur les flots et dans la guerre ; que de nouvelles misères m'arrivent, s'il le faut.
Il parla ainsi, et Hèlios tomba et les ténèbres survinrent ; et tous deux, se retirant dans le fond de la grotte creuse, se charmèrent par l'amour, couchés ensemble. Et quand Éôs aux doigts rosés, née au matin, apparut, aussitôt Odysseus revêtit sa tunique et son manteau, et la nymphe se couvrit d'une grande robe blanche, légère et gracieuse ; et elle mit autour de ses reins une belle ceinture d'or, et, sur sa tête, un voile. Enfin, préparant le départ du magnanime Odysseus, elle lui donna une grande hache d'airain, bien en main, à deux tranchants et au beau manche fait de bois d'olivier. Et elle lui donna ensuite une doloire aiguisée. Et elle le conduisit à l'extrémité de l'île où croissaient de grands arbres, des aunes, des peupliers et des pins qui atteignaient l'Ouranos, et dont le bois sec flotterait plus légèrement. Et, lui ayant montré le lieu où les grands arbres croissaient, l'illustre déesse Kalypsô retourna dans sa demeure.
Et aussitôt Odysseus trancha les arbres et fit promptement son travail. Et il en abattit vingt qu'il ébrancha, équarrit et aligna au cordeau. Pendant ce temps l'illustre déesse Kalypsô apporta des tarières ; et il perça les bois et les unit entre eux, les liant avec des chevilles et des cordes. Aussi grande est la cale d'une nef de charge que construit un excellent ouvrier, aussi grand était le radeau construit par Odysseus. Et il éleva un pont qu'il fit avec des ais épais ; et il tailla un mât auquel il attacha l'antenne. Puis il fit le gouvernail, qu'il munit de claies de saule afin qu'il résistât au choc des flots ; puis il amassa un grand lest. Pendant ce temps, l'illustre déesse Kalypsô apporta de la toile pour faire les voiles, et il les fit habilement et il les lia aux antennes avec des cordes. Puis il conduisit le radeau à la mer large, à l'aide de leviers. Et le quatrième jour tout le travail était achevé ; et le cinquième jour la divine Kalypsô le renvoya de l'île, l'ayant baigné et couvert de vêtements parfumés. Et la déesse mit sur le radeau une outre de vin noir, puis une outre plus grande pleine d'eau, puis elle lui donna, dans un sac de cuir, une grande quantité de vivres fortifiants, et elle lui envoya un vent doux et propice.
Et le divin Odysseus, joyeux, déploya ses voiles au vent propice ; et, s'étant assis à la barre, il gouvernait habilement, sans que le sommeil fermât ses paupières. Et il contemplait les Plèiades, et le Bouvier qui se couchait, et l'Ourse qu'on nomme le Chariot, et qui tourne en place en regardant Oriôn, et, seule, ne touche point les eaux de l'Okéanos. L'illustre déesse Kalypsô lui avait ordonné de naviguer en la laissant toujours à gauche. Et, pendant dix-sept jours, il fit route sur la mer, et, le dix-huitième, apparurent les monts boisés de la terre des Phaiakiens. Et cette terre était proche, et elle lui apparaissait comme un bouclier sur la mer sombre.
Et le puissant qui ébranle la terre revenait du pays des Aithiopiens, et du haut des montagnes des Solymes, il vit de loin Odysseus traversant la mer ; et son coeur s'échauffa violemment, et secouant la tête, il dit dans son esprit :
– Ô dieux ! les immortels ont décidé autrement d'Odysseus tandis que j'étais chez les Aithiopiens. Voici qu'il approche de la terre des Phaiakiens, où sa destinée est qu'il rompe la longue chaîne de misères qui l'accablent. Mais je pense qu'il va en subir encore.
Ayant ainsi parlé, il amassa les nuées et souleva la mer. Et il saisit de ses mains son trident et il déchaîna la tempête de tous les vents. Et il enveloppa de nuages la terre et la mer, et la nuit se rua de l'Ouranos. Et l'Euros et le Notos soufflèrent, et le violent Zéphyros et l'impétueux Boréas, soulevant de grandes lames. Et les genoux d'Odysseus et son cher coeur furent brisés, et il dit avec tristesse dans son esprit magnanime :
– Ah ! malheureux que je suis ! Que va-t-il m'arriver ? Je le crains, la déesse ne m'a point trompé quand elle m'a dit que je subirais des maux nombreux sur la mer, avant de parvenir à la terre de la patrie. Certes, voici que ses paroles s'accomplissent. De quelles nuées Zeus couronne le large Ouranos ! La mer est soulevée, les tempêtes de tous les vents sont déchaînées, et voici ma ruine suprême. Trois et quatre fois heureux les Danaens qui sont morts autrefois, devant la grande Troiè, pour plaire aux Atréides ! Plût aux dieux que j'eusse subi ma destinée et que je fusse mort le jour où les Troiens m'assiégeaient de leurs lances d'airain autour du cadavre d'Akhilleus ! Alors on eût accompli mes funérailles, et les Akhaiens eussent célébré ma gloire. Maintenant ma destinée est de subir une mort obscure !
Il parla ainsi, et une grande lame, se ruant sur lui, effrayante, renversa le radeau. Et Odysseus en fut enlevé, et le gouvernail fut arraché de ses mains ; et la tempête horrible des vents confondus brisa le mât par le milieu ; et l'antenne et la voile furent emportées à la mer ; et Odysseus resta longtemps sous l'eau, ne pouvant émerger de suite, à cause de l'impétuosité de la mer. Et il reparut enfin, et les vêtements que la divine Kalypsô lui avait donnés étaient alourdis, et il vomit l'eau salée, et l'écume ruisselait de sa tête. Mais, bien qu'affligé, il n'oublia point le radeau, et, nageant avec vigueur à travers les flots, il le ressaisit, et, se sauvant de la mort, il s'assit. Et les grandes lames impétueuses emportaient le radeau çà et là. De même que l'automnal Boréas chasse par les plaines les feuilles desséchées, de même les vents chassaient çà et là le radeau sur la mer. Tantôt l'Euros le cédait à Zéphyros afin que celui-ci l'entraînât, tantôt le Notos le cédait à Boréas.
Et la fille de Kadmos, Inô aux beaux talons, qui autrefois était mortelle, le vit. Maintenant elle se nomme Leukothéè et partage les honneurs des dieux dans les flots de la mer. Et elle prit en pitié Odysseus errant et accablé de douleurs. Et elle émergea de l'abîme, semblable à un plongeon, et, se posant sur le radeau, elle dit à Odysseus
– Malheureux ! pourquoi Poseidaôn qui ébranle la terre est-il si cruellement irrité contre toi, qu'il t'accable de tant de maux ? Mais il ne te perdra pas, bien qu'il le veuille. Fais ce que je vais te dire, car tu ne me sembles pas manquer de sagesse. Ayant rejeté tes vêtements, abandonne le radeau aux vents et nage de tes bras jusqu'à la terre des Phaiakiens, où tu dois être sauvé. Prends cette bandelette immortelle, étends-la sur ta poitrine et ne crains plus ni la douleur, ni la mort. Dès que tu auras saisi le rivage de tes mains, tu la rejetteras au loin dans la sombre mer en te détournant.
La déesse, ayant ainsi parlé, lui donna la bandelette puis elle se replongea dans la mer tumultueuse, semblable à un plongeon, et le flot noir la recouvrit. Mais le patient et divin Odysseus hésitait, et il dit, en gémissant, dans son esprit magnanime :
– Hélas ! je crains qu'un des immortels ourdisse une ruse contre moi en m'ordonnant de me jeter hors du radeau ; mais je ne lui obéirai pas aisément, car cette terre est encore très éloignée où elle dit que je dois échapper à la mort ; mais je ferai ceci, et il me semble que c'est le plus sage : aussi longtemps que ces pièces de bois seront unies par leurs liens, je resterai ici et je subirai mon mal patiemment, et dès que la mer aura rompu le radeau, je nagerai, car je ne pourrai rien faire de mieux.
Tandis qu'il pensait ainsi dans son esprit et dans son coeur, Poseidaôn qui ébranle la terre souleva une lame immense, effrayante, lourde et haute, et il la jeta sur Odysseus. De même que le vent qui souffle avec violence disperse un monceau de pailles sèches qu'il emporte çà et là, de même la mer dispersa les longues poutres, et Odysseus monta sur une d'entre elles comme sur un cheval qu'on dirige. Et il dépouilla les vêtements que la divine Kalypsô lui avait donnés, et il étendit aussitôt sur sa poitrine la bandelette de Leukothéè ; puis, s'allongeant sur la mer, il étendit les bras, plein du désir de nager. Et le puissant qui ébranle la terre le vit, et secouant la tête, il dit dans son esprit :
– Va ! subis encore mille maux, errant sur la mer, jusqu'à ce que tu abordes ces hommes nourris par Zeus ; mais j'espère que tu ne te riras plus de mes châtiments.
Ayant ainsi parlé, il poussa ses chevaux aux belles crinières et parvint à Aigas, où sont ses demeures illustres.
Mais Athènè, la fille de Zeus, eut d'autres pensées. Elle rompit le cours des vents, et elle leur ordonna de cesser et de s'endormir. Et elle excita, seul, le rapide Boréas, et elle refréna les flots, jusqu'à ce que le divin Odysseus, ayant évité la kèr et la mort, se fût mêlé aux Phaiakiens habiles aux travaux de la mer.
Et, pendant deux nuits et deux jours, Odysseus erra par les flots sombres, et son coeur vit souvent la mort ; mais quand Éôs aux beaux cheveux amena le troisième jour, le vent s'apaisa, et la sérénité tranquille se fit ; et, se soulevant sur la mer, et regardant avec ardeur, il vit la terre toute proche. De même qu'à des fils est rendue la vie désirée d'un père qui, en proie à un dieu contraire, a longtemps subi de grandes douleurs, mais que les dieux ont enfin délivré de son mal, de même la terre et les bois apparurent joyeusement à Odysseus. Et il nageait s'efforçant de fouler de ses pieds cette terre. Mais, comme il n'en était éloigné que de la portée de la voix, il entendit le son de la mer contre les rochers. Et les vastes flots se brisaient, effrayants, contre la côte aride, et tout était enveloppé de l'écume de la mer. Et il n'y avait là ni ports, ni abris pour les nefs, et le rivage était hérissé d'écueils et de rochers. Alors, les genoux et le cher coeur d'Odysseus furent brisés, et, gémissant, il dit dans son esprit magnanime :
– Hélas ! Zeus m'a accordé de voir une terre inespérée, et je suis arrivé ici, après avoir sillonné les eaux, et je ne sais comment sortir de la mer profonde. Les rochers aigus se dressent, les flots impétueux écument de tous côtés et la côte est escarpée. La profonde mer est proche, et je ne puis appuyer mes pieds nulle part, ni échapper à mes misères, et peut-être le grand flot va-t-il me jeter contre ces roches, et tous mes efforts seront vains. Si je nage encore, afin de trouver ailleurs une plage heurtée par les eaux, ou un port, je crains que la tempête me saisisse de nouveau et me rejette, malgré mes gémissements, dans la haute mer poissonneuse ; ou même qu'un dieu me livre à un monstre marin, de ceux que l'illustre Amphitritè nourrit en grand nombre. Je sais, en effet, combien l'illustre qui ébranle la terre est irrité contre moi.
Tandis qu'il délibérait ainsi dans son esprit et dans son coeur, une vaste lame le porta vers l'âpre rivage, et il y eût déchiré sa peau et brisé ses os, si Athènè, la déesse aux yeux clairs, ne l'eût inspiré. Emporté en avant, de ses deux mains il saisit la roche et il l'embrassa en gémissant jusqu'à ce que le flot immense se fût déroulé, et il se sauva ainsi ; mais le reflux, se ruant sur lui, le frappa et le remporta en mer. De même que les petites pierres restent, en grand nombre, attachées aux articulations creuses du polypode arraché de son abri, de même la peau de ses mains vigoureuses s'était déchirée au rocher, et le flot vaste le recouvrit. Là, enfin, le malheureux Odysseus eût péri malgré la destinée, si Athènè, la déesse aux yeux clairs, ne l'eût inspiré sagement. Il revint sur l'eau, et, traversant les lames qui le poussaient à la côte, il nagea, examinant la terre et cherchant s'il trouverait quelque part une plage heurtée par les flots, ou un port. Et quand il fut arrivé, en nageant, à l'embouchure d'un fleuve au beau cours, il vit que cet endroit était excellent et mis à l'abri du vent par des roches égales. Et il examina le cours du fleuve, et, dans son esprit, il dit en suppliant :
– Entends-moi, ô roi, qui que tu sois ! Je viens à toi en te suppliant avec ardeur, et fuyant hors de la mer la colère de Poseidaôn. Celui qui vient errant est vénérable aux dieux immortels et aux hommes. Tel je suis maintenant en abordant ton cours, car je t'approche après avoir subi de nombreuses misères. Prends pitié, ô roi ! Je me glorifie d'être ton suppliant.
Il parla ainsi, et le fleuve s'apaisa, arrêtant son cours et les flots ; et il se fit tranquille devant Odysseus, et il le recueillit à son embouchure. Et les genoux et les bras vigoureux du Laertiade étaient rompus, et son cher coeur était accablé par la mer. Tout son corps était gonflé, et l'eau salée remplissait sa bouche et ses narines. Sans haleine et sans voix, il gisait sans force, et une violente fatigue l'accablait. Mais, ayant respiré et recouvré l'esprit, il détacha la bandelette de la déesse et la jeta dans le fleuve, qui l'emporta à la mer, où Inô la saisit aussitôt de ses chères mains. Alors Odysseus, s'éloignant du fleuve, se coucha dans les joncs. Et il baisa la terre et dit en gémissant dans son esprit magnanime :
– Hélas ! que va-t-il m'arriver et que vais-je souffrir, si je passe la nuit dangereuse dans le fleuve ? Je crains que la mauvaise fraîcheur et la rosée du matin achèvent d'affaiblir mon âme. Le fleuve souffle en effet, au matin, un air froid. Si je montais sur la hauteur, vers ce bois ombragé, je m'endormirais sous les arbustes épais, et le doux sommeil me saisirait, à moins que le froid et la fatigue s'y opposent. Mais je crains d'être la proie des bêtes fauves.
Ayant ainsi délibéré, il vit que ceci était pour le mieux, et il se hâta vers la forêt qui se trouvait sur la hauteur, près de la côte. Et il aperçut deux arbustes entrelacés, dont l'un était un olivier sauvage et l'autre un olivier. Et là, ni la violence humide des vents, ni Hèlios étincelant de rayons, ni la pluie ne pénétrait, tant les rameaux entrelacés étaient touffus. Et Odysseus s'y coucha, après avoir amassé un large lit de feuilles, et si abondant, que deux ou trois hommes s'y seraient blottis par le temps d'hiver le plus rude. Et le patient et divin Odysseus, joyeux de voir ce lit, se coucha au milieu, en se couvrant de l'abondance des feuilles. De même qu'un berger, à l'extrémité d'une terre où il n'a aucun voisin, recouvre ses tisons de cendre noire et conserve ainsi le germe du feu, afin de ne point aller le chercher ailleurs ; de même Odysseus était caché sous les feuilles, et Athènè répandit le sommeil sur ses yeux et ferma ses paupières, pour qu'il se reposât promptement de ses rudes travaux.
Chant6
Ainsi dormait là le patient et divin Odysseus, dompté par le sommeil et par la fatigue, tandis qu'Athènè se rendait à la ville et parmi le peuple des hommes Phaiakiens qui habitaient autrefois la grande Hypériè, auprès des kyklôpes insolents qui les opprimaient, étant beaucoup plus forts qu'eux. Et Nausithoos, semblable à un dieu, les emmena de là et les établit dans l'île de Skhériè, loin des autres hommes. Et il bâtit un mur autour de la ville, éleva des demeures, construisit les temples des dieux et partagea les champs. Mais, déjà, dompté par la kèr, il était descendu chez Aidés. Et maintenant régnait Alkinoos, instruit dans la sagesse par les dieux. Et Athènè, la déesse aux yeux clairs, se rendait à sa demeure, méditant le retour du magnanime Odysseus. Et elle entra promptement dans la chambre ornée où dormait la jeune vierge semblable aux Immortelles par la grâce et la beauté, Nausikaa, fille du magnanime Alkinoos. Et deux servantes, belles comme les Kharites, se tenaient des deux côtés du seuil, et les portes brillantes étaient fermées.
Athènè, comme un souffle du vent, approcha du lit de la jeune vierge, et, se tenant au-dessus de sa tête, lui parla, semblable à la fille de l'illustre marin Dymas, laquelle était du même âge qu'elle, et qu'elle aimait. Semblable à cette jeune fille, Athènè aux yeux clairs parla ainsi :
– Nausikaa, pourquoi ta mère t'a-t-elle enfantée si négligente ? En effet, tes belles robes gisent négligées, et tes noces approchent où il te faudra revêtir les plus belles et en offrir à ceux qui te conduiront. La bonne renommée, parmi les hommes, vient des beaux vêtements, et le père et la mère vénérable s'en réjouissent. Allons donc laver tes robes, au premier lever du jour, et je te suivrai et t'aiderai, afin que nous finissions promptement, car tu ne seras plus longtemps vierge. Déjà les premiers du peuple te recherchent, parmi tous les Phaiakiens d'où sort ta race. Allons ! demande à ton illustre père, dès le matin, qu'il fasse préparer les mulets et le char qui porteront les ceintures, les péplos et les belles couvertures. Il est mieux que tu montes aussi sur le char que d'aller à pied, car les lavoirs sont très éloignés de la ville.
Ayant ainsi parlé, Athènè aux yeux clairs retourna dans l'Olympos, où sont toujours, dit-on, les solides demeures des dieux, que le vent n'ébranle point, où la pluie ne coule point, dont la neige n'approche point, mais où la sérénité vole sans nuage et qu'enveloppe une splendeur éclatante dans laquelle les dieux heureux se réjouissent sans cesse. C'est là que remonta la déesse aux yeux clairs, après qu'elle eut parlé à la jeune vierge.
Et aussitôt la brillante Éôs se leva et réveilla Nausikaa au beau péplos, qui admira le songe qu'elle avait eu. Et elle se hâta d'aller par les demeures, afin de prévenir ses parents, son cher père et sa mère, qu'elle trouva dans l'intérieur. Et sa mère était assise au foyer avec ses servantes, filant la laine teinte de pourpre marine ; et son père sortait avec les rois illustres, pour se rendre au conseil où l'appelaient les nobles Phaiakiens. Et, s'arrêtant près de son cher père, elle lui dit :
– Cher père, ne me feras-tu point préparer un char large et élevé, afin que je porte au fleuve et que je lave nos beaux vêtements qui gisent salis ? Il te convient, en effet, à toi qui t'assieds au conseil parmi les premiers, de porter de beaux vêtements. Tu as cinq fils dans ta maison royale ; deux sont mariés, et trois sont encore des jeunes hommes florissants. Et ceux-ci veulent aller aux danses, couverts de vêtements propres et frais, et ces soins me sont réservés.
Elle parla ainsi, n'osant nommer à son cher père ses noces fleuries ; mais il la comprit et il lui répondit :
– Je ne te refuserai, mon enfant, ni des mulets, ni autre chose. Va, et mes serviteurs te prépareront un char large et élevé propre à porter une charge.
Ayant ainsi parlé, il commanda aux serviteurs, et ils obéirent. Ils firent sortir un char rapide et ils le disposèrent, et ils mirent les mulets sous le joug et les lièrent au char. Et Nausikaa apporta de sa chambre ses belles robes, et elle les déposa dans le char. Et sa mère enfermait d'excellents mets dans une corbeille, et elle versa du vin dans une outre de peau de chèvre. La jeune vierge monta sur le char, et sa mère lui donna dans une fiole d'or une huile liquide, afin qu'elle se parfumât avec ses femmes. Et Nausikaa saisit le fouet et les belles rênes, et elle fouetta les mulets afin qu'ils courussent ; et ceux-ci, faisant un grand bruit, s'élancèrent, emportant les vêtements et Nausikaa, mais non pas seule, car les autres femmes allaient avec elle.
Et quand elles furent parvenues au cours limpide du fleuve, là où étaient les lavoirs pleins toute l'année, car une belle eau abondante y débordait, propre à laver toutes les choses souillées, elles délièrent les mulets du char, et elles les menèrent vers le fleuve tourbillonnant, afin qu'ils pussent manger les douces herbes. Puis, elles saisirent de leurs mains, dans le char, les vêtements qu'elles plongèrent dans l'eau profonde, les foulant dans les lavoirs et disputant de promptitude. Et, les ayant lavés et purifiés de toute souillure, elles les étendirent en ordre sur les rochers du rivage que la mer avait baignés. Et s'étant elles-mêmes baignées et parfumées d'huile luisante, elles prirent leur repas sur le bord du fleuve. Et les vêtements séchaient à la splendeur de Hèlios.
Après que Nausikaa et ses servantes eurent mangé, elles jouèrent à la balle, ayant dénoué les bandelettes de leur tête. Et Nausikaa aux beaux bras commença une mélopée. Ainsi Artémis marche sur les montagnes, joyeuse de ses flèches, et, sur le Tèygétos escarpé ou l'Érymanthos, se réjouit des sangliers et des cerfs rapides. Et les nymphes agrestes, filles de Zeus tempétueux, jouent avec elle, et Lètô se réjouit dans son coeur. Artémis les dépasse toutes de la tête et du front, et on la reconnaît facilement, bien qu'elles soient toutes belles. Ainsi la jeune vierge brillait au milieu de ses femmes.
Mais quand il fallut plier les beaux vêtements, atteler les mulets et retourner vers la demeure, alors Athènè, la déesse aux yeux clairs, eut d'autres pensées, et elle voulut qu'Odysseus se réveillât et vît la vierge aux beaux yeux, et qu'elle le conduisît à la ville des Phaiakiens. Alors, la jeune reine jeta une balle à l'une de ses femmes, et la balle s'égara et tomba dans le fleuve profond. Et toutes poussèrent de hautes clameurs, et le divin Odysseus s'éveilla. Et, s'asseyant, il délibéra dans son esprit et dans son coeur :
– Hélas ! à quels hommes appartient cette terre où je suis venu ? Sont-ils injurieux, sauvages, injustes, ou hospitaliers, et leur esprit craint-il les dieux ? J'ai entendu des clameurs de jeunes filles. Est-ce la voix des nymphes qui habitent le sommet des montagnes et les sources des fleuves et les marais herbus, ou suis-je près d'entendre la voix des hommes ? Je m'en assurerai et je verrai.
Ayant ainsi parlé, le divin Odysseus sortit du milieu des arbustes, et il arracha de sa main vigoureuse un rameau épais afin de voiler sa nudité sous les feuilles. Et il se hâta, comme un lion des montagnes, confiant dans ses forces, marche à travers les pluies et les vents. Ses yeux luisent ardemment, et il se jette sur les boeufs, les brebis ou les cerfs sauvages, car son ventre le pousse à attaquer les troupeaux et à pénétrer dans leur solide demeure. Ainsi Odysseus parut au milieu des jeunes filles aux beaux cheveux, tout nu qu'il était, car la nécessité l'y contraignait. Et il leur apparut horrible et souillé par l'écume de la mer, et elles s'enfuirent, çà et là, sur les hauteurs du rivage. Et, seule, la fille d'Alkinoos resta, car Athènè avait mis l'audace dans son coeur et chassé la crainte de ses membres. Elle resta donc seule en face d'Odysseus.
Et celui-ci délibérait, ne sachant s'il supplierait la vierge aux beaux yeux, en saisissant ses genoux, ou s'il la prierait de loin, avec des paroles flatteuses, de lui donner des vêtements et de lui montrer la ville. Et il vit qu'il valait mieux la supplier de loin par des paroles flatteuses, de peur que, s'il saisissait ses genoux, la s'irritât dans son esprit. Et, aussitôt, il lui adressa la vierge ce discours flatteur et adroit :
– Je te supplie, ô reine, que tu sois déesse ou mortelle ! si tu es déesse, de celles qui habitent le large Ouranos, tu me sembles Artémis, fille du grand Zeus, par la beauté, la stature et la grâce ; si tu es une des mortelles qui habitent sur la terre, trois fois heureux ton père et ta mère vénérable ! trois fois heureux tes frères ! Sans doute leur âme est pleine de joie devant ta grâce, quand ils te voient te mêler aux choeurs dansants ! Mais plus heureux entre tous celui qui, te comblant de présents d'hyménée, te conduira dans sa demeure ! Jamais, en effet, je n'ai vu de mes yeux un homme aussi beau, ni une femme aussi belle, et je suis saisi d'admiration. Une fois, à Dèlos, devant l'autel d'Apollôn, je vis une jeune tige de palmier. J'étais allé là, en effet, et un peuple nombreux m'accompagnait dans ce voyage qui devait me porter malheur. Et, en voyant ce palmier, je restai longtemps stupéfait dans l'âme qu'un arbre aussi beau fût sorti de terre. Ainsi je t'admire, Ô femme, et je suis stupéfait, et je tremble de saisir tes genoux, car je suis en proie à une grande douleur. Hier, après vingt jours, je me suis enfin échappé de la sombre mer. Pendant ce temps-là, les flots et les rapides tempêtes m'ont entraîné de l'île d'Ogygiè, et voici qu'un dieu m'a poussé ici, afin que j'y subisse encore peut-être d'autres maux, car je ne pense pas en avoir vu la fin, et les dieux vont sans doute m'en accabler de nouveau. Mais, ô reine, aie pitié de moi, car c'est vers toi, la première, que je suis venu, après avoir subi tant de misères. Je ne connais aucun des hommes qui habitent cette ville et cette terre. Montre-moi la ville et donne moi quelque lambeau pour me couvrir, si tu as apporté ici quelque enveloppe de vêtements. Que les dieux t'accordent autant de choses que tu en désires : un mari, une famille et une heureuse concorde ; car rien n'est plus désirable et meilleur que la concorde à l'aide de laquelle on gouverne sa famille. Le mari et l'épouse accablent ainsi leurs ennemis de douleurs et leurs amis de joie, et eux-mêmes sont heureux.
Et Nausikaa aux bras blancs lui répondit :
– Étranger, car, certes, tu n'es semblable ni à un lâche, ni à un insensé, Zeus Olympien dispense la richesse aux hommes, aux bons et aux méchants, à chacun, comme il veut. C'est lui qui t'a fait cette destinée, et il faut la subir patiemment. Maintenant, étant venu vers notre terre et notre ville, tu ne manqueras ni de vêtements, ni d'aucune autre des choses qui conviennent à un malheureux qui vient en suppliant. Et je te montrerai la ville et je te dirai le nom de notre peuple. Les Phaiakiens habitent cette ville et cette terre, et moi, je suis la fille du magnanime Alkinoos, qui est le premier parmi les Phaiakiens par le pouvoir et la puissance.
Elle parla ainsi et commanda à ses servantes aux belles chevelures :
– Venez près de moi, servantes. Où fuyez-vous pour avoir vu cet homme ? Pensez-vous que ce soit quelque ennemi ? Il n'y a point d'homme vivant, et il ne peut en être un seul qui porte la guerre sur la terre des Phaiakiens, car nous sommes très chers aux dieux immortels, et nous habitons aux extrémités de la mer onduleuse, et nous n'avons aucun commerce avec les autres hommes. Mais si quelque malheureux errant vient ici, il nous faut le secourir, car les hôtes et les mendiants viennent de Zeus, et le don, même modique, qu'on leur fait, lui est agréable. C'est pourquoi, servantes, donnez à notre hôte à manger et à boire, et lavez-le dans le fleuve, à l'abri du vent.
Elle parla ainsi, et les servantes s'arrêtèrent et s'exhortèrent l'une l'autre, et elles conduisirent Odysseus à l'abri du vent, comme l'avait ordonné Nausikaa, fille du magnanime Alkinoos, et elles placèrent auprès de lui des vêtements, un manteau et une tunique, et elles lui donnèrent l'huile liquide dans la fiole d'or, et elles lui commandèrent de se laver dans le courant du fleuve. Mais alors le divin Odysseus leur dit :
– Servantes, éloignez-vous un peu, afin que je lave l'écume de mes épaules et que je me parfume d'huile, car il y a longtemps que mon corps manque d'onction. Je ne me laverai point devant vous, car je crains, par respect, de me montrer nu au milieu de jeunes filles aux beaux cheveux.
Il parla ainsi, et, se retirant, elles rapportèrent ces paroles à la vierge Nausikaa.
Et le divin Odysseus lava dans le fleuve l'écume salée qui couvrait son dos, ses flancs et ses épaules ; et il purifia sa tête des souillures de la mer indomptée. Et, après s'être entièrement baigné et parfumé d'huile, il se couvrit des vêtements que la jeune vierge lui avait donnés. Et Athènè, fille de Zeus, le fit paraître plus grand et fit tomber de sa tête sa chevelure bouclée semblable aux fleurs d'hyacinthe. De même un habile ouvrier qui répand de l'or sur de l'argent, et que Hèphaistos et Pallas Athènè ont instruit, achève de brillantes oeuvres avec un art accompli, de même Athènè répandit la grâce sur sa tête et sur ses épaules. Et il s'assit ensuite à l'écart, sur le rivage de la mer, resplendissant de beauté et de grâce. Et la vierge, l'admirant, dit à ses servantes aux beaux cheveux :
– Écoutez-moi, servantes aux bras blancs, afin que je dise quelque chose. Ce n'est pas malgré tous les dieux qui habitent l'Olympos que cet homme divin est venu chez les Phaiakiens. Il me semblait d'abord méprisable, et maintenant il est semblable aux dieux qui habitent le large Ouranos. Plût aux dieux qu'un tel homme fût nommé mon mari, qu'il habitât ici et qu'il lui plût d'y rester ! Mais, vous, servantes, offrez à notre hôte à boire et à manger.
Elle parla ainsi, et les servantes l'entendirent et lui obéirent ; et elles offrirent à Odysseus à boire et à manger. Et le divin Odysseus buvait et mangeait avec voracité, car il y avait longtemps qu'il n'avait pris de nourriture. Mais Nausikaa aux bras blancs eut d'autres pensées ; elle posa les vêtements pliés dans le char, y monta après avoir attelé les mulets aux sabots massifs, et, exhortant Odysseus, elle lui dit :
– Lève-toi, étranger, afin d'aller à la ville et que je te conduise à la demeure de mon père prudent, où je pense que tu verras les premiers d'entre les Phaiakiens. Mais fais ce que je vais te dire, car tu me sembles plein de sagesse : aussi longtemps que nous irons à travers les champs et les travaux des hommes, marche rapidement avec les servantes, derrière les mulets et le char, et, moi, je montrerai le chemin ; mais quand nous serons arrivés à la ville, qu'environnent de hautes tours et que partage en deux un beau port dont l'entrée est étroite, où sont conduites les nefs, chacune à une station sûre, et devant lequel est le beau temple de Poseidaôn dans l'agora pavée de grandes pierres taillées ; – et là aussi sont les armements des noires nefs, les cordages et les antennes et les avirons qu'on polit, car les arcs et les carquois n'occupent point les Phaiakiens, mais seulement les mâts, et les avirons des nefs, et les nefs égales sur lesquelles ils traversent joyeux la mer pleine d'écume ; – évite alors leurs amères paroles, de peur qu'un d'entre eux me blâme en arrière, car ils sont très insolents, et que le plus méchant, nous rencontrant, dise peut-être : – Quel est cet étranger grand et beau qui suit Nausikaa ? Où l'a-t-elle trouvé ? Certes, il sera son mari. Peut-être l'a-t-elle reçu avec bienveillance, comme il errait hors de sa nef conduite par des hommes étrangers, car aucuns n'habitent près d'ici ; ou peut-être encore un dieu qu'elle a supplié ardemment est-il descendu de l'Ouranos, et elle le possédera tous les jours. Elle a bien fait d'aller au-devant d'un mari étranger, car, certes, elle dédaigne les Phaiakiens illustres et nombreux qui la recherchent ! – Ils parleraient ainsi, et leurs paroles seraient honteuses pour moi. Je blâmerais moi-même celle qui, à l'insu de son cher père et de sa mère, irait seule parmi les hommes avant le jour des noces.
Écoute donc mes paroles, étranger, afin d'obtenir de mon père des compagnons et un prompt retour. Nous trouverons auprès du chemin un beau bois de peupliers consacré à Athènè. Une source en coule et une prairie l'entoure, et là sont le verger de mon père et ses jardins florissants, éloignés de la ville d'une portée de voix. Il faudra t'arrêter là quelque temps, jusqu'à ce que nous soyons arrivées à la ville et à la maison de mon père. Dès que tu penseras que nous y sommes parvenues, alors, marche vers la ville des Phaiakiens et cherche les demeures de mon père, le magnanime Alkinoos. Elles sont faciles à reconnaître, et un enfant pourrait y conduire ; car aucune des maisons des Phaiakiens n'est telle que la demeure du héros Alkinoos. Quand tu seras entré dans la cour, traverse promptement la maison royale afin d'arriver jusqu'à ma mère. Elle est assise à son foyer, à la splendeur du feu, filant une laine pourprée admirable à voir. Elle est appuyée contre une colonne et ses servantes sont assises autour d'elle. Et, à côté d'elle, est le thrône de mon père, où il s'assied, pour boire du vin, semblable à un immortel. En passant devant lui, embrasse les genoux de ma mère, afin que, joyeux, tu voies promptement le jour du retour, même quand tu serais très loin de ta demeure. En effet, si ma mère t'est bienveillante dans son âme, tu peux espérer revoir tes amis, et rentrer dans ta demeure bien bâtie et dans la terre de la patrie.
Ayant ainsi parlé, elle frappa les mulets du fouet brillant, et les mulets, quittant rapidement les bords du fleuve, couraient avec ardeur et en trépignant. Et Nausikaa les guidait avec art des rênes et du fouet, de façon que les servantes et Odysseus suivissent à pied. Et Hèlios tomba, et ils parvinrent au bois sacré d'Athènè, où le divin Odysseus s'arrêta. Et, aussitôt, il supplia la fille du magnanime Zeus :
– Entends-moi, fille indomptée de Zeus tempêtueux ! Exauce-moi maintenant, puisque tu ne m'as point secouru quand l'illustre qui entoure la terre m'accablait. Accorde-moi d'être le bien venu chez les Phaiakiens, et qu'ils aient pitié.
Il parla ainsi en suppliant, et Pallas Athènè l'entendit, mais elle ne lui apparut point, respectant le frère de son père ; car il devait être violemment irrité contre le divin Odysseus jusqu'à ce que celui-ci fût arrivé dans la terre de la patrie.
Chant7
Tandis que le patient et divin Odysseus suppliait ainsi Athènè, la vigueur des mulets emportait la jeune vierge vers la ville. Et quand elle fut arrivée aux illustres demeures de son père, elle s'arrêta dans le vestibule ; et, de tous côtés, ses frères, semblables aux immortels, s'empressèrent autour d'elle, et ils détachèrent les mulets du char, et ils portèrent les vêtements dans la demeure. Puis la vierge rentra dans sa chambre où la vieille servante épirote Eurymédousa alluma du feu. Des nefs à deux rangs d'avirons l'avaient autrefois amenée du pays des épirotes, et on l'avait donnée en récompense à Alkinoos, parce qu'il commandait à tous les Phaiakiens et que le peuple l'écoutait comme un dieu. Elle avait allaité Nausikaa aux bras blancs dans la maison royale, et elle allumait son feu et elle préparait son repas.
Et, alors, Odysseus se leva pour aller à la ville, et Athènè, pleine de bienveillance pour lui, l'enveloppa d'un épais brouillard, de peur qu'un des Phaiakiens insolents, le rencontrant, l'outrageât par ses paroles et lui demandât qui il était. Mais, quand il fut entré dans la belle ville, alors Athènè, la déesse aux yeux clairs, sous la figure d'une jeune vierge portant une urne, s'arrêta devant lui, et le divin Odysseus l'interrogea :
– Ô mon enfant, ne pourrais-tu me montrer la demeure du héros Alkinoos qui commande parmi les hommes de ce pays ? Je viens ici, d'une terre lointaine et étrangère, comme un hôte, ayant subi beaucoup de maux, et je ne connais aucun des hommes qui habitent cette ville et cette terre.
Et la déesse aux yeux clairs, Athènè, lui répondit :
– Hôte vénérable, je te montrerai la demeure que tu me demandes, car elle est auprès de celle de mon père irréprochable. Mais viens en silence, et je t'indiquerai le chemin. Ne parle point et n'interroge aucun de ces hommes, car ils n'aiment point les étrangers et ils ne reçoivent point avec amitié quiconque vient de loin. Confiants dans leurs nefs légères et rapides, ils traversent les grandes eaux, et celui qui ébranle la terre leur a donné des nefs rapides comme l'aile des oiseaux et comme la pensée.
Ayant ainsi parlé, Pallas Athènè le précéda promptement, et il marcha derrière la déesse, et les illustres navigateurs Phaiakiens ne le virent point tandis qu'il traversait la ville au milieu d'eux, car Athènè, la vénérable déesse aux beaux cheveux, ne le permettait point, ayant enveloppé Odysseus d'un épais brouillard, dans sa bienveillance pour lui. Et Odysseus admirait le port, les nefs égales, l'agora des héros et les longues murailles fortifiées de hauts pieux, admirables à voir. Et, quand ils furent arrivés à l'illustre demeure du roi, Athènè, la déesse aux yeux clairs, lui parla d'abord :
– Voici, hôte, mon père, la demeure que tu m'as demandé de te montrer. Tu trouveras les rois, nourrissons de Zeus, prenant leur repas. Entre, et ne crains rien dans ton âme. D'où qu'il vienne, l'homme courageux est celui qui accomplit le mieux tout ce qu'il fait. Va d'abord à la reine, dans la maison royale. Son nom est Arètè, et elle le mérite, et elle descend des mêmes parents qui ont engendré le roi Alkinoos. Poseidaôn qui ébranle la terre engendra Nausithoos que conçut Périboia, la plus belle des femmes et la plus jeune fille du magnanime Eurymédôn qui commanda autrefois aux fiers géants. Mais il perdit son peuple impie et périt lui-même. Poseidaôn s'unit à Périboia, et il engendra le magnanime Nausithoos qui commanda aux Phaiakiens. Et Nausithoos engendra Rhèxènôr et Alkinoos. Apollôn à l'arc d'argent frappa le premier qui venait de se marier dans la maison royale et qui ne laissa point de fils, mais une fille unique, Arètè, qu'épousa Alkinoos. Et il l'a honorée plus que ne sont honorées toutes les autres femmes qui, sur la terre, gouvernent leur maison sous la puissance de leurs maris. Et elle est honorée par ses chers enfants non moins que par Alkinoos, ainsi que par les peuples, qui la regardent comme une déesse et qui recueillent ses paroles quand elle marche par la ville. Elle ne manque jamais de bonnes pensées dans son esprit, et elle leur est bienveillante, et elle apaise leurs différends. Si elle t'est favorable dans son âme, tu peux espérer revoir tes amis et rentrer dans ta haute demeure et dans la terre de la patrie.
Ayant ainsi parlé, Athènè aux yeux clairs s'envola sur la mer indomptée, et elle abandonna l'aimable Skhériè, et elle arriva à Marathôn, et, étant parvenue dans Athéna aux larges rues, elle entra dans la forte demeure d'Erekhtheus.
Et Odysseus se dirigea vers l'illustre maison d'Alkinoos, et il s'arrêta, l'âme pleine de pensées, avant de fouler le pavé d'airain. En effet, la haute demeure du magnanime Alkinoos resplendissait comme Hèlios ou Sélènè. De solides murs d'airain, des deux côtés du seuil, enfermaient la cour intérieure, et leur pinacle était d'émail. Et des portes d'or fermaient la solide demeure, et les poteaux des portes étaient d'argent sur le seuil d'airain argenté, et, au-dessus, il y avait une corniche d'or, et, des deux côtés, il y avait des chiens d'or et d'argent que Hèphaistos avait faits très habilement, afin qu'ils gardassent la maison du magnanime Alkinoos, étant immortels et ne devant point vieillir. Dans la cour, autour du mur, des deux côtés, étaient des thrônes solides, rangés jusqu'à l'entrée intérieure et recouverts de légers péplos, ouvrage des femmes. Là, siégeaient les princes des Phaiakiens, mangeant et buvant toute l'année. Et des figures de jeunes hommes, en or, se dressaient sur de beaux autels, portant aux mains des torches flambantes qui éclairaient pendant la nuit les convives dans la demeure. Et cinquante servantes habitaient la maison, et les unes broyaient sous la meule le grain mûr, et les autres, assises, tissaient les toiles et tournaient la quenouille agitée comme les feuilles du haut peuplier, et une huile liquide distillait de la trame des tissus. Autant les Phaiakiens étaient les plus habiles de tous les hommes pour voguer en mer sur une nef rapide, autant leurs femmes l'emportaient pour travailler les toiles, et Athènè leur avait accordé d'accomplir de très beaux et très habiles ouvrages. Et, au delà de la cour, auprès des portes, il y avait un grand jardin de quatre arpents, entouré de tous côtés par une haie. Là, croissaient de grands arbres florissants qui produisaient, les uns la poire et la grenade, les autres les belles oranges, les douces figues et les vertes olives. Et jamais ces fruits ne manquaient ni ne cessaient, et ils duraient tout l'hiver et tout l'été, et Zéphyros, en soufflant, faisait croître les uns et mûrir les autres ; la poire succédait à la poire, la pomme mûrissait après la pomme, et la grappe après la grappe, et la figue après la figue. Là, sur la vigne fructueuse, le raisin séchait, sous l'ardeur de Hèlios, en un lieu découvert, et, là, il était cueilli et foulé ; et, parmi les grappes, les unes perdaient leurs fleurs tandis que d'autres mûrissaient. Et à la suite du jardin, il y avait un verger qui produisait abondamment toute l'année. Et il y avait deux sources, dont l'une courait à travers tout le jardin, tandis que l'autre jaillissait sous le seuil de la cour, devant la haute demeure, et les citoyens venaient y puiser de l'eau. Et tels étaient les splendides présents des dieux dans la demeure d'Alkinoos.
Tandis que le patient et divin Odysseus suppliait ainsi Athènè, la vigueur des mulets emportait la jeune vierge vers la ville. Et quand elle fut arrivée aux illustres demeures de son père, elle s'arrêta dans le vestibule ; et, de tous côtés, ses frères, semblables aux immortels, s'empressèrent autour d'elle, et ils détachèrent les mulets du char, et ils portèrent les vêtements dans la demeure. Puis la vierge rentra dans sa chambre où la vieille servante épirote Eurymédousa alluma du feu. Des nefs à deux rangs d'avirons l'avaient autrefois amenée du pays des épirotes, et on l'avait donnée en récompense à Alkinoos, parce qu'il commandait à tous les Phaiakiens et que le peuple l'écoutait comme un dieu. Elle avait allaité Nausikaa aux bras blancs dans la maison royale, et elle allumait son feu et elle préparait son repas.
Et, alors, Odysseus se leva pour aller à la ville, et Athènè, pleine de bienveillance pour lui, l'enveloppa d'un épais brouillard, de peur qu'un des Phaiakiens insolents, le rencontrant, l'outrageât par ses paroles et lui demandât qui il était. Mais, quand il fut entré dans la belle ville, alors Athènè, la déesse aux yeux clairs, sous la figure d'une jeune vierge portant une urne, s'arrêta devant lui, et le divin Odysseus l'interrogea :
– Ô mon enfant, ne pourrais-tu me montrer la demeure du héros Alkinoos qui commande parmi les hommes de ce pays ? Je viens ici, d'une terre lointaine et étrangère, comme un hôte, ayant subi beaucoup de maux, et je ne connais aucun des hommes qui habitent cette ville et cette terre.
Et la déesse aux yeux clairs, Athènè, lui répondit :
– Hôte vénérable, je te montrerai la demeure que tu me demandes, car elle est auprès de celle de mon père irréprochable. Mais viens en silence, et je t'indiquerai le chemin. Ne parle point et n'interroge aucun de ces hommes, car ils n'aiment point les étrangers et ils ne reçoivent point avec amitié quiconque vient de loin. Confiants dans leurs nefs légères et rapides, ils traversent les grandes eaux, et celui qui ébranle la terre leur a donné des nefs rapides comme l'aile des oiseaux et comme la pensée.
Ayant ainsi parlé, Pallas Athènè le précéda promptement, et il marcha derrière la déesse, et les illustres navigateurs Phaiakiens ne le virent point tandis qu'il traversait la ville au milieu d'eux, car Athènè, la vénérable déesse aux beaux cheveux, ne le permettait point, ayant enveloppé Odysseus d'un épais brouillard, dans sa bienveillance pour lui. Et Odysseus admirait le port, les nefs égales, l'agora des héros et les longues murailles fortifiées de hauts pieux, admirables à voir. Et, quand ils furent arrivés à l'illustre demeure du roi, Athènè, la déesse aux yeux clairs, lui parla d'abord :
– Voici, hôte, mon père, la demeure que tu m'as demandé de te montrer. Tu trouveras les rois, nourrissons de Zeus, prenant leur repas. Entre, et ne crains rien dans ton âme. D'où qu'il vienne, l'homme courageux est celui qui accomplit le mieux tout ce qu'il fait. Va d'abord à la reine, dans la maison royale. Son nom est Arètè, et elle le mérite, et elle descend des mêmes parents qui ont engendré le roi Alkinoos. Poseidaôn qui ébranle la terre engendra Nausithoos que conçut Périboia, la plus belle des femmes et la plus jeune fille du magnanime Eurymédôn qui commanda autrefois aux fiers géants. Mais il perdit son peuple impie et périt lui-même. Poseidaôn s'unit à Périboia, et il engendra le magnanime Nausithoos qui commanda aux Phaiakiens. Et Nausithoos engendra Rhèxènôr et Alkinoos. Apollôn à l'arc d'argent frappa le premier qui venait de se marier dans la maison royale et qui ne laissa point de fils, mais une fille unique, Arètè, qu'épousa Alkinoos. Et il l'a honorée plus que ne sont honorées toutes les autres femmes qui, sur la terre, gouvernent leur maison sous la puissance de leurs maris. Et elle est honorée par ses chers enfants non moins que par Alkinoos, ainsi que par les peuples, qui la regardent comme une déesse et qui recueillent ses paroles quand elle marche par la ville. Elle ne manque jamais de bonnes pensées dans son esprit, et elle leur est bienveillante, et elle apaise leurs différends. Si elle t'est favorable dans son âme, tu peux espérer revoir tes amis et rentrer dans ta haute demeure et dans la terre de la patrie.
Ayant ainsi parlé, Athènè aux yeux clairs s'envola sur la mer indomptée, et elle abandonna l'aimable Skhériè, et elle arriva à Marathôn, et, étant parvenue dans Athéna aux larges rues, elle entra dans la forte demeure d'Erekhtheus.
Et Odysseus se dirigea vers l'illustre maison d'Alkinoos, et il s'arrêta, l'âme pleine de pensées, avant de fouler le pavé d'airain. En effet, la haute demeure du magnanime Alkinoos resplendissait comme Hèlios ou Sélènè. De solides murs d'airain, des deux côtés du seuil, enfermaient la cour intérieure, et leur pinacle était d'émail. Et des portes d'or fermaient la solide demeure, et les poteaux des portes étaient d'argent sur le seuil d'airain argenté, et, au-dessus, il y avait une corniche d'or, et, des deux côtés, il y avait des chiens d'or et d'argent que Hèphaistos avait faits très habilement, afin qu'ils gardassent la maison du magnanime Alkinoos, étant immortels et ne devant point vieillir. Dans la cour, autour du mur, des deux côtés, étaient des thrônes solides, rangés jusqu'à l'entrée intérieure et recouverts de légers péplos, ouvrage des femmes. Là, siégeaient les princes des Phaiakiens, mangeant et buvant toute l'année. Et des figures de jeunes hommes, en or, se dressaient sur de beaux autels, portant aux mains des torches flambantes qui éclairaient pendant la nuit les convives dans la demeure. Et cinquante servantes habitaient la maison, et les unes broyaient sous la meule le grain mûr, et les autres, assises, tissaient les toiles et tournaient la quenouille agitée comme les feuilles du haut peuplier, et une huile liquide distillait de la trame des tissus. Autant les Phaiakiens étaient les plus habiles de tous les hommes pour voguer en mer sur une nef rapide, autant leurs femmes l'emportaient pour travailler les toiles, et Athènè leur avait accordé d'accomplir de très beaux et très habiles ouvrages. Et, au delà de la cour, auprès des portes, il y avait un grand jardin de quatre arpents, entouré de tous côtés par une haie. Là, croissaient de grands arbres florissants qui produisaient, les uns la poire et la grenade, les autres les belles oranges, les douces figues et les vertes olives. Et jamais ces fruits ne manquaient ni ne cessaient, et ils duraient tout l'hiver et tout l'été, et Zéphyros, en soufflant, faisait croître les uns et mûrir les autres ; la poire succédait à la poire, la pomme mûrissait après la pomme, et la grappe après la grappe, et la figue après la figue. Là, sur la vigne fructueuse, le raisin séchait, sous l'ardeur de Hèlios, en un lieu découvert, et, là, il était cueilli et foulé ; et, parmi les grappes, les unes perdaient leurs fleurs tandis que d'autres mûrissaient. Et à la suite du jardin, il y avait un verger qui produisait abondamment toute l'année. Et il y avait deux sources, dont l'une courait à travers tout le jardin, tandis que l'autre jaillissait sous le seuil de la cour, devant la haute demeure, et les citoyens venaient y puiser de l'eau. Et tels étaient les splendides présents des dieux dans la demeure d'Alkinoos.
Le patient et divin Odysseus, s'étant arrêté, admira toutes ces choses, et, quand il les eut admirées, il passa rapidement le seuil de la demeure. Et il trouva les princes et les chefs des Phaiakiens faisant des libations au vigilant tueur d'Argos, car ils finissaient par lui, quand ils songeaient à gagner leurs lits. Et le divin et patient Odysseus, traversa la demeure, enveloppé de l'épais brouillard que Pallas Athènè avait répandu autour de lui, et il parvint à Arètè et au roi Alkinoos. Et Odysseus entoura de ses bras les genoux d'Arètè, et le brouillard divin tomba. Et, à sa vue, tous restèrent muets dans la demeure, et ils l'admiraient. Mais Odysseus fit cette prière :
– Arètè, fille du divin Rhèxènôr, je viens à tes genoux, et vers ton mari et vers ses convives, après avoir beaucoup souffert. Que les dieux leur accordent de vivre heureusement, et de laisser à leurs enfants les biens qui sont dans leurs demeures et les récompenses que le peuple leur a données ! Mais préparez mon retour, afin que j'arrive promptement dans ma patrie, car il y a longtemps que je subis de nombreuses misères, loin de mes amis.
Ayant ainsi parlé, il s'assit dans les cendres du foyer, devant le feu, et tous restaient muets.
Enfin, le vieux héros Ekhénèos parla ainsi. C'était le plus âgé de tous les Phaiakiens, et il savait beaucoup de choses anciennes, et il l'emportait sur tous par son éloquence. Plein de sagesse, il parla ainsi au milieu de tous :
– Alkinoos, il n'est ni bon, ni convenable pour toi, que ton hôte soit assis dans les cendres du foyer. Tes convives attendent tous ta décision. Mais hâte-toi ; fais asseoir ton hôte sur un thrône orné de clous d'argent, et commande aux hérauts de verser du vin, afin que nous fassions des libations à Zeus foudroyant qui accompagne les suppliants vénérables. Pendant ce temps, l'économe offrira à ton hôte les mets qui sont dans la demeure.
Dès que la force sacrée d'Alkinoos eut entendu ces paroles, il prit par la main le sage et subtil Odysseus, et il le fit lever du foyer, et il le fit asseoir sur un thrône brillant d'où s'était retiré son fils, le brave Laodamas, qui siégeait à côté de lui et qu'il aimait le plus. Une servante versa de l'eau d'une belle aiguière d'or dans un bassin d'argent, pour qu'il lavât ses mains, et elle dressa devant lui une table polie. Et la vénérable économe, gracieuse pour tous, apporta le pain et de nombreux mets. Et le sage et divin Odysseus buvait et mangeait. Alors Alkinoos dit à un héraut :
– Pontonoos, mêle le vin dans le kratère et distribue-le à tous dans la demeure, afin que nous fassions des libations à Zeus foudroyant qui accompagne les suppliants vénérables.
Il parla ainsi, et Pontonoos mêla le doux vin, et il le distribua en goûtant d'abord à toutes les coupes. Et ils firent des libations, et ils burent autant que leur âme le désirait, et Alkinoos leur parla ainsi :
– Écoutez-moi, princes et chefs des Phaiakiens, afin que je dise ce que mon coeur m'inspire dans ma poitrine. Maintenant que le repas est achevé, allez dormir dans vos demeures. Demain matin, ayant convoqué les vieillards, nous exercerons l'hospitalité envers notre hôte dans ma maison, et nous ferons de justes sacrifices aux dieux ; puis nous songerons au retour de notre hôte, afin que, sans peine et sans douleur, et par nos soins, il arrive plein de joie dans la terre de sa patrie, quand même elle serait très lointaine. Et il ne subira plus ni maux, ni misères, jusqu'à ce qu'il ait foulé sa terre natale. Là, il subira ensuite la destinée que les lourdes Moires lui ont filée dès l'instant où sa mère l'enfanta. Qui sait s'il n'est pas un des immortels descendu de l'Ouranos ? Les dieux auraient ainsi médité quelque autre dessein ; car ils se sont souvent, en effet, manifestés à nous, quand nous leur avons offert d'illustres hécatombes, et ils se sont assis à nos repas, auprès de nous et comme nous ; et si un voyageur Phaiakien les rencontre seul sur sa route, ils ne se cachent point de lui, car nous sommes leurs parents, de même que les kyklôpes et la race sauvage des géants.
Et le prudent Odysseus lui répondit :
– Alkinoos, que d'autres pensées soient dans ton esprit. Je ne suis point semblable aux immortels qui habitent le large Ouranos ni par l'aspect, ni par la démarche ; mais je ressemble aux hommes mortels, de ceux que vous savez être le plus accablés de misères. C'est à ceux-ci que je suis semblable par mes maux. Et les douleurs infinies que je pourrais raconter, certes, je les ai toutes souffertes par la volonté des dieux. Mais laissez-moi prendre mon repas malgré ma tristesse ; car il n'est rien de pire qu'un ventre affamé, et il ne se laisse pas oublier par l'homme le plus affligé et dont l'esprit est le plus tourmenté d'inquiétudes. Ainsi, j'ai dans l'âme un grand deuil, et la faim et la soif m'ordonnent de manger et de boire et de me rassasier, quelques maux que j'aie subis. Mais hâtez-vous, dès qu'Eôs reparaîtra, de me renvoyer, malheureux que je suis, dans ma patrie, afin qu'après avoir tant souffert, la vie ne me quitte pas sans que j'aie revu mes biens, mes serviteurs et ma haute demeure !
Il parla ainsi, et tous l'applaudirent, et ils s'exhortaient à reconduire leur hôte, parce qu'il avait parlé convenablement. Puis, ayant fait des libations et bu autant que leur âme le désirait, ils allèrent dormir, chacun dans sa demeure. Mais le divin Odysseus resta, et, auprès de lui, Arètè et le divin Alkinoos s'assirent, et les servantes emportèrent les vases du repas. Et Arètè aux bras blancs parla la première, ayant reconnu le manteau, la tunique, les beaux vêtements qu'elle avait faits elle-même avec ses femmes. Et elle dit à Odysseus ces paroles ailées :
– Mon hôte, je t'interrogerai la première. Qui es-tu ? D'où viens-tu ? Qui t'a donné ces vêtements ? Ne dis-tu pas qu'errant sur la mer, tu es venu ici ?
Et le prudent Odysseus lui répondit :
– Il me serait difficile, reine, de raconter de suite tous les maux dont les dieux Ouraniens m'ont accablé ; mais je te dirai ce que tu me demandes d'abord. Il y a au milieu de la mer une île, Ogygiè, qu'habite Kalypsô, déesse dangereuse, aux beaux cheveux, fille rusée d'Atlas ; et aucun des Dieux ni des hommes mortels n'habite avec elle. Un daimôn m'y conduisit seul, malheureux que j'étais ! car Zeus, d'un coup de la blanche foudre, avait fendu en deux ma nef rapide au milieu de la noire mer où tous mes braves compagnons périrent. Et moi, serrant de mes bras la carène de ma nef au double rang d'avirons, je fus emporté pendant neuf jours, et, dans la dixième nuit noire, les dieux me poussèrent dans l'île Ogygiè, où habitait Kalypsô, la déesse dangereuse aux beaux cheveux. Et elle m'accueillit avec bienveillance, et elle me nourrit, et elle me disait qu'elle me rendrait immortel et qu'elle m'affranchirait pour toujours de la vieillesse ; mais elle ne put persuader mon coeur dans ma poitrine.
Et je passai là sept années, et je mouillais de mes larmes les vêtements immortels que m'avait donnés Kalypsô. Mais quand vint la huitième année, alors elle me pressa elle-même de m'en retourner, soit par ordre de Zeus, soit que son coeur eût changé. Elle me renvoya sur un radeau lié de cordes, et elle me donna beaucoup de pain et de vin, et elle me couvrit de vêtements divins, et elle me suscita un vent propice et doux. Je naviguais pendant dix-sept jours, faisant ma route sur la mer, et, le dix-huitième jour, les montagnes ombragées de votre terre m'apparurent, et mon cher coeur fut joyeux. Malheureux ! j'allais être accablé de nouvelles et nombreuses misères que devait m'envoyer Poseidaôn qui ébranle la terre.
Et il excita les vents, qui m'arrêtèrent en chemin ; et il souleva la mer immense, et il voulut que les flots, tandis que je gémissais, accablassent le radeau, que la tempête dispersa ; et je nageai, fendant les eaux, jusqu'à ce que le vent et le flot m'eurent porté à terre, où la mer me jeta d'abord contre de grands rochers, puis me porta en un lieu plus favorable ; car je nageai de nouveau jusqu'au fleuve, à un endroit accessible, libre de rochers et à l'abri du vent. Et je raffermis mon esprit, et la nuit divine arriva. Puis, étant sorti du fleuve tombé de Zeus, je me couchai sous les arbustes, où j'amassai des feuilles, et un dieu m'envoya un profond sommeil. Là, bien qu'affligé dans mon cher coeur, je dormis toute la nuit jusqu'au matin et tout le jour. Et Hèlios tombait, et le doux sommeil me quitta. Et j'entendis les servantes de ta fille qui jouaient sur le rivage, et je la vis elle-même, au milieu de toutes, semblable aux immortelles. Je la suppliais, et elle montra une sagesse excellente bien supérieure à celle qu'on peut espérer d'une jeune fille, car la jeunesse, en effet, est toujours imprudente. Et elle me donna aussitôt de la nourriture et du vin rouge, et elle me fit baigner dans le fleuve, et elle me donna des vêtements. Je t'ai dit toute la vérité, malgré mon affliction.
Et Alkinoos, lui répondant, lui dit :
– Mon hôte, certes, ma fille n'a point agi convenablement, puisqu'elle ne t'a point conduit, avec ses servantes, dans ma demeure, car tu l'avais suppliée la première.
Et le subtil Odysseus lui répondit :
– Héros, ne blâme point, à cause de moi, la jeune vierge irréprochable. Elle m'a ordonné de la suivre avec ses femmes, mais je ne l'ai point voulu, craignant de t'irriter si tu avais vu cela ; car nous, race des hommes, sommes soupçonneux sur la terre.
Et Alkinoos, lui répondant, dit :
– Mon hôte, mon cher coeur n'a point coutume de s'irriter sans raison dans ma poitrine, et les choses équitables sont toujours les plus puissantes sur moi. Plaise au père Zeus, à Athènè, à Apollôn, que, tel que tu es, et sentant en toutes choses comme moi, tu veuilles rester, épouser ma fille, être appelé mon gendre ! Je te donnerais une demeure et des biens, si tu voulais rester. Mais aucun des Phaiakiens ne te retiendra malgré toi, car ceci ne serait point agréable au père Zeus. Afin que tu le saches bien, demain je déciderai ton retour.
Jusque-là, dors, dompté par le sommeil ; et mes hommes profiteront du temps paisible, afin que tu parviennes dans ta patrie et dans ta demeure, ou partout où il te plaira d'aller, même par-delà l'Euboiè, que ceux de notre peuple qui l'ont vue disent la plus lointaine des terres, quand ils y conduisirent le blond Rhadamanthos, pour visiter Tityos, le fils de Gaia. Ils y allèrent et en revinrent en un seul jour. Tu sauras par toi-même combien mes nefs et mes jeunes hommes sont habiles à frapper la mer de leurs avirons.
Il parla ainsi, et le subtil et divin Odysseus, plein de joie, fit cette supplication :
– Père Zeus ! qu'il te plaise qu'Alkinoos accomplisse ce qu'il promet, et que sa gloire soit immortelle sur la terre féconde si je rentre dans ma patrie !
Et tandis qu'ils se parlaient ainsi, Arètè ordonna aux servantes aux bras blancs de dresser un lit sous le portique, d'y mettre plusieurs couvertures pourprées, et d'étendre par-dessus des tapis et des manteaux laineux. Et les servantes sortirent de la demeure en portant des torches flambantes ; et elles dressèrent un beau lit à la hâte, et, s'approchant d'Odysseus, elles lui dirent :
– Lève-toi, notre hôte, et va dormir : ton lit est préparé.
Elles parlèrent ainsi, et il lui sembla doux de dormir. Et ainsi le divin et patient Odysseus s'endormit dans un lit profond, sous le portique sonore. Et Alkinoos dormait aussi au fond de sa haute demeure. Et, auprès de lui, la Reine, ayant préparé le lit, se coucha.
Source: InLibroVeritas
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