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Illustration: La belle Nivernaise - Alphonse Daudet

La belle Nivernaise

(Version Intégrale)

Enregistrement : Audiocite.net
Publication : 2009-11-23

Lu par Betty
Livre audio de 1h54min
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Musiques: Felix Mendelssohn - Symphony No. 4 in A Major 'Italian', Op. 90 - Interprétation: Skidmore College Orchestra pour Musopen - Domaine public

Téléchargement chapitre par chapitre: Chapitre: 01 - 02 - 03 - 04 - 05.


La Belle-Nivernaise
Histoire d'un vieux bateau et de son équipage
Alphonse Daudet
1886


Chapitre I - Un coup de tête

La rue des Enfants-Rouges, au quartier du Temple.
Une rue étroite comme un égout, des ruisseaux stagnants, des flaques de boue noire, des odeurs de moisi et d'eau sale sortant des allées béantes.
De chaque côté, des maisons très hautes, avec des fenêtres de casernes, des vitres troubles, sans rideaux, des maisons de journaliers, d'ouvriers en chambre, des hôtels de maçons et des garnis à la nuit.
Au rez-de-chaussée, des boutiques. Beaucoup de charcutiers, de marchands de marrons ; des boulangeries de gros pain, une boucherie de viandes violettes et jaunes.
Pas d'équipages dans la rue, de falbalas, ni de flâneurs sur les trottoirs, -mais des marchands de quatre saisons criant le rebut des Halles, et une bousculade d'ouvriers sortant des fabriques, la blouse roulée sous le bras.
C'est le huit du mois, jour ou les pauvres payent leur terme, où les propriétaires, las d'attendre, mettent la misère à la porte.
C'est le jour où l'on voit passer dans des carrioles des déménagements de lits de fer et de tables boiteuses, entassés les pieds en l'air, avec les matelas éventrés et la batterie de cuisine.
Et pas même une botte de paille pour emballer tous ces pauvres meubles estropiés, douloureux, las de dégringoler les escaliers crasseux et de rouler des greniers aux caves !
La nuit tombe. Un à un les becs de gaz s'allument, reflétés dans les ruisseaux et dans les devantures de boutiques.
Le brouillard est froid.
Les passants se hâtent.
Adossé au comptoir d'un marchand de vin, dans une bonne salle bien chauffée, le père Louveau trinque avec un menuisier de la Villette.
Son énorme figure de marinier honnête, toute rougeaude et couturée, s'épanouit dans un large rire qui secoue ses boucles d'oreilles.
«Affaire conclue, père Dubac, vous m'achetez mon chargement de bois au prix que j'ai dit.
- Topez là.
- A votre santé !
- A la vôtre ! »
On choque les verres, et le père Louveau boit, la tête renversée, les yeux mi-clos, claquant la langue, pour déguster son vin blanc.
Que voulez-vous ! personne n'est parfait, et le faible du père Louveau, c'est le vin blanc. Ce n'est pas que ce soit un ivrogne.
- Dieu non ! - La ménagère, qui est une femme de tête, ne tolérerait pas la ribote ; mais quand un vit comme le marinier, les pieds dans l'eau, le crâne au soleil, il faut bien avaler un verre de temps en temps.
Et le père Louveau, de plus en plus gai, sourit au comptoir de zinc qu'il aperçoit au travers d'un brouillard et qui le fait songer à la pile d'écus qu'il empochera demain en livrant son bois. Une dernière poignée de main, un dernier petit verre et l'on se sépare.
«A demain, sans faute ?
- Comptez sur moi.»
Pour sûr il ne manquera pas le rendez-vous, le père Louveau. Le marché est trop beau, il a été trop rondement mené pour qu'on traînasse.
Et le joyeux marinier descend vers la Seine, roulant les épaules, bousculant les couples, avec la joie débordante d'un écolier qui rapporte un bon point dans sa poche.
Qu'est-ce qu'elle dira la mère Louveau, - la femme de tête, - quand elle saura que son homme a vendu le bois du premier coup, et que l'affaire est bonne ?
Encore un ou deux marchés comme celui-là et on pourra se payer un bateau neuf, planter là la Belle-Nivernaise qui commence à faire par trop d'eau.
Ce n'est pas un reproche, car c'était un fier bateau dans sa jeunesse ; seulement voilà, tout pourrit, tout vieillit, et le père Louveau lui-même sent bien qu'il n'est plus aussi ingambe que dans le temps où il était «petit derrière» sur les flotteurs de la Marne.
Mais qu'est-ce qui se passe là-bas ?
Les commères s'assemblent devant une porte ; on s'arrête, on cause et le gardien de la paix, debout au milieu du groupe, écrit sur son calepin. Le marinier traverse la chaussée par curiosité, pour faire comme tout le monde.
«Qu'est-ce qu'il y a ? »
Quelque chien écrasé, quelque voiture accrochée, un ivrogne tombé dans le ruisseau, rien d'intéressant...
Non ! c'est un petit enfant assis sur une chaise de bois, les cheveux ébouriffés, les joues pleines de confitures, qui se frotte les yeux avec les poings.
Il pleure. Les larmes, en coulant, ont tracé des dessins bizarres sur sa pauvre mine mal débarbouillée.
Imperturbable et digne comme s'il interrogeait un prévenu, l'agent questionne le marmot et prend des notes.
«Comment t'appelles-tu ?
- Totor.
- Victor quoi ? »
Pas de réponse.
Le mioche pleure plus fort et crie :
«Maman ! maman ! »
Alors une femme qui passait, une femme du peuple, très laide, très sale, traînant deux enfants après elle, sortit du groupe et dit au gardien :
«Laissez-moi faire.»
Elle s'agenouilla, moucha le petit, lui essuya les yeux, embrassa ses joues poissées.
«Comment s'appelle ta maman, mon chéri ? » Il ne savait pas.
Le sergent de ville s'adressa aux voisins :
«Voyons, vous, le concierge, vous devez connaître ces gens-là ? »
On n'avait jamais su leur nom.
Il passait tant de locataires dans la maison !
Tout ce qu'on pouvait dire, c'est qu'ils habitaient là depuis un mois, qu'ils n'avaient jamais payé un sou, que le propriétaire venait de les chasser, et que c'était un fameux débarras.
«Qu'est-ce qu'ils faisaient ?
- Rien du tout.»
Le père et la mère passaient leur journée à boire et leur soirée à se battre.
Ils ne s'entendaient que pour rosser leur enfants, deux garçons qui mendiaient dans la rue et volaient aux étalages.
Une jolie famille, comme vous voyez.
«Croyez-vous qu'ils viendront chercher leur enfant ?
- Sûrement non.»
Ils avaient profité du déménagement pour le perdre.
Ce n'était pas la première fois que cette chose-là arrivait, les jours du terme.
Alors l'agent demanda :
«Personne n'a donc vu les parents s'en aller ? »
Ils étaient partis depuis le matin, le mari poussant la charrette, la femme un paquet dans son tablier, les deux garçons les mains dans leurs poches. Et maintenant, rattrape-les.
Les passants se récriaient indignés, puis continuaient leur chemin.
Il était là depuis midi, le malheureux mioche !
Sa mère l'avait assis sur une chaise et lui avait dit :
«Sois sage.»
Depuis, il attendait.
Comme il criait la faim, la fruitière d'en face lui avait donné une tartine de confiture.
Mais la tartine était finie depuis longtemps, et le marmot avait recommencé à pleurer.
Il mourait de peur, le pauvre innocent ! Peur des chiens qui rôdaient autour de lui ; peur de la nuit qui venait ; peur des inconnus qui lui parlaient, et son petit coeur battait à grands coups dans sa poitrine, comme celui d'un oiseau qui va mourir.
Autour de lui le rassemblement grandissait et l'agent ennuyé l'avait pris par la main pour le conduire au poste.
«Voyons, personne ne le réclame ?
- Un instant ! »
Tout le monde se retourna.
Et l'on vit une grosse bonne figure rougeaude qui souriait bêtement jusqu'aux oreilles chargées d'anneaux en cuivre.
«Un instant ! si personne n'en veut, je le prends, moi.»
Et comme la foule poussait des exclamations :
«A la bonne heure !
- C'est bien, ce que vous faites là.
- Vous êtes un brave homme.»
Le père Louveau, très allumé par le vin blanc, le succès de son marché et l'approbation générale, se posa les bras croisés au milieu du cercle.
«Eh bien ! quoi ? C'est tout simple.»
Puis les curieux l'accompagnèrent chez le commissaire de police, sans laisser refroidir son enthousiasme. Là, selon l'usage en pareil cas, on lui fit subir un interrogatoire.
«Votre nom ?
- François Louveau, monsieur le commissaire, un homme marié, et bien marié, j'ose le dire, avec une femme de tête. Et c'est une chance pour moi, monsieur le commissaire, parce que je ne suis pas très fort, pas très fort, hé ! hé ! voyez-vous. Je ne suis pas un aigle. «François n'est pas un aigle», comme dit ma femme.»
Il n'avait jamais été si éloquent.
Il se sentait la langue déliée, l'assurance d'un homme qui vient de faire un bon marché et qui a bu une bouteille de vin blanc.
«Votre profession ?
- Marinier, monsieur le commissaire, patron de la Belle-Nivernaise, un rude bateau, monté par un équipage un peu chouette. Ah ! ah ! fameux, mon équipage ! ... Demandez plutôt aux éclusiers, depuis le pont Marie jusqu'à Clamecy... Connaissez-vous ça, Clamecy, monsieur le commissaire ? »
Les gens souriaient autour de lui, le père Louveau continua, bredouillant, avalant les syllabes. «Un joli endroit, Clamecy, allez ! Boisé du haut en bas ; du beau bois, du bois ouvrable ; tous les menuisiers savent ça... C'est là que j'achète mes coupes. Hé ! hé ! je suis renommé pour mes coupes. J'ai le coup d'oeil, quoi ! Ce n'est pas que je sois fort ; - bien sûr je ne suis pas un aigle, comme dit ma femme ; - mais enfin, j'ai le coup d'oeil. Ainsi, tenez je prends un arbre, gros comme vous, - sauf votre respect, monsieur le commissaire, - je l'entoure avec une corde comme ça...»
Il avait empoigné l'agent et l'entortillait avec une ficelle qu'il venait de tirer de sa poche.
L'agent se débattait.
«Laissez-moi donc tranquille.
- Mais si... Mais si... C'est pour faire voir à monsieur le commissaire... Je l'entortille comme ça, et puis, quand j'ai la mesure, je multiplie, je multiplie... Je ne me rappelle plus par quoi je multiplie... C'est ma femme qui sait le calcul. Une forte tête, ma femme.»
La galerie s'amusait énormément, et M. le commissaire lui-même daignait sourire derrière sa table.
Quand la gaieté fut un peu calmée, il demanda :
«Que ferez-vous de cet enfant-là ?
- Pas un rentier, pour sûr. Il n'y a jamais eu de rentier dans la famille. Mais un marinier, un brave garçon de marinier, comme les autres.
- Vous avez des enfants ?
- Si j'en ai ! Une qui marche, une qui tette et un qui vient. Pas trop mal, n'est-ce pas, pour un homme qui n'est pas un aigle ? Avec celui-là ça fera quatre, mais bah ! quand il y en a pour trois, il y en a pour quatre. On se tasse un peu. On serre sa ceinture, et on tâche de vendre son bois plus cher.»
Et ses boucles d'oreilles remuaient, secouées par son gros rire, tandis qu'il promenait un regard satisfait sur les assistants.
On poussa devant lui un gros livre.
Comme il ne savait pas écrire, il fit une croix, au bas de la page.
Puis le commissaire lui remit l'enfant trouvé.
«Emmenez le petit, François Louveau, et élevez-le bien. Si j'apprends quelque chose à son sujet, je vous tiendrai au courant. Mais il n'est pas probable que ses parents le réclament jamais. Quant à vous, vous m'avez l'air d'un brave homme, et j'ai confiance en vous. Obéissez toujours à votre femme.
Et au revoir ! Ne buvez pas trop de vin blanc.»
La nuit noire, le brouillard froid, la presse indifférente des gens qui se hâtent de rentrer chez eux, tout cela est fait pour dégriser vivement un pauvre homme.
A peine dans la rue, seul avec son papier timbré en poche et son protégé par la main, le marinier sentit tout d'un coup tomber son enthousiasme ; et l'énormité de son action lui apparut.
Il serait donc toujours le même ?
Un niais ? Un glorieux ?
Il ne pouvait point passer son chemin comme les autres, sans se mêler de ce qui ne le regardait pas.
Il voyait d'ici la colère de la mère Louveau !
Quel accueil, bonnes gens, quel accueil !
C'est terrible une femme de tête pour un pauvre homme qui a le coeur sur la main.
Jamais il n'oserait rentrer chez lui.
Il n'osait pas non plus retourner chez le commissaire.
Que faire ? Que faire ?
Ils cheminaient dans le brouillard.
Louveau gesticulait, parlait seul, préparait un discours.
Victor traînait ses souliers dans la crotte.
Il se faisait tirer comme un boulet.
Il n'en pouvait plus.
Alors le père Louveau s'arrêta, le prit à son cou, l'enveloppa dans sa vareuse.
L'étreinte des petits bras serrés lui rendit un peu de courage.
Il reprit son chemin.
Ma foi, tant pis ! il risquerait le paquet.
Si la mère Louveau les mettait à la porte, il serait temps de reporter le marmot à la police ; mais peut-être bien qu'elle le garderait pour une nuit, et ce serait toujours un bon dîner de gagné.
Ils arrivaient au pont d'Austerlitz, où la Belle-Nivernaise était amarrée.
L'odeur fade et douce des chargements de bois frais emplissait la nuit. Toute une flottille de bateaux grouillait dans l'ombre de la rivière.
Le mouvement du flot faisait vaciller les lanternes et grincer les chaînes entre-croisées.
Pour rejoindre son bateau, le père Louveau avait à traverser deux chalands reliés par des passerelles.
Il avançait à pas craintifs, les jambes flageolantes, gêné par l'enfant qui lui étranglait le cou.
Comme la nuit était noire !
Seule une petite lampe étoilait la vitre de la cabine, et une raie lumineuse, qui filtrait sous la porte, animait le sommeil de la Belle-Nivernaise.
On entendait la voix de la mère Louveau qui grondait les enfants en surveillant sa cuisine.
«Veux-tu finir Clara ? »
Il n'était plus temps de reculer.
Le marinier poussa la porte.
La mère Louveau lui tournait le dos, penchée sur le poêlon, mais elle avait reconnu son pas et dit sans se déranger :
«C'est toi, François ? Comme tu rentres tard ! »
Les pommes de terre sautaient dans la friture crépitante et la vapeur qui s'envolait de la marmite vers la porte ouverte troublait les vitres de la cabine.
François avait posé le marmot par terre, et le pauvre mignon, saisi par la tiédeur de la chambre, sentait se déraidir ses petits poings rougis. Il sourit et dit d'une voix un peu flûtée :
«Fait chaud...»
La mère Louveau se retourna.
Et montrant à son homme l'enfant déguenillé debout au milieu de la chambre, elle cria d'un ton courroucé.
«Qu'est-ce que c'est que ça ? »
Non ! Il y a de ces minutes, dans les meilleurs ménages.
«Une surprise, hé ! hé ! une surprise ! »
Le marinier riait jusqu'aux oreilles pour se donner une contenance ; mais il aurait bien voulu être encore dans la rue.
Et comme sa femme, attendant une explication, le regardait d'un air terrible, il bégaya l'histoire tout de travers, avec des yeux suppliants de chien qu'on menace.
Ses parents l'avaient abandonné, il l'avait trouvé pleurant sur le trottoir.
On avait demandé :
«Qu'est-ce qui en veut ? »
Il avait répondu :
«Moi.»
Et le commissaire lui avait dit :
«Emportez-le.
- Pas vrai, petit ? »
Alors la mère Louveau éclata :
«Tu es fou, ou tu as trop bu ! A-t-on jamais entendu parler d'une bêtise pareille ? «Tu veux donc nous faire mourir dans la misère ?
«Tu trouves que nous sommes trop riches ?
«Que nous avons trop de pain à manger ? Trop de place pour coucher ? »
François considérait ses souliers sans répondre.
«Mais, malheureux, regarde-toi, regarde-nous ! Ton bateau est percé comme mon écumoire !
«Et il faut encore que tu t'amuses à ramasser les enfants des autres dans les ruisseaux.»
Il s'était déjà dit tout cela, le pauvre homme.
Il ne songeait pas à protester.
Il baissait la tête comme un condamné qui entend le réquisitoire.
«Tu vas me faire le plaisir de reporter cet enfant-là au commissaire de police.
«S'il fait des façons pour le reprendre, tu lui diras que ta femme ne veut pas.
«Est-ce compris ? »
Elle marchait sur lui, son poêlon à la main, avec un geste menaçant.
Le marinier promit tout ce qu'elle voulut.
«Voyons, ne te fâche pas.
«J'avais cru bien faire.
«Je me suis trompé.
«Ça suffit.
«Faut-il le ramener tout de suite ? » La soumission du bonhomme adoucit la mère Louveau. Peut-être aussi eut-elle la vision d'un de ses enfants à elle perdu tout seul dans la nuit, la main tendue vers les passants.
Elle se détourna pour mettre son poêlon sur le feu et dit d'un ton bourru :
«Ce n'est pas possible ce soir, le bureau est fermé.
«Et maintenant que tu l'as pris, tu ne peux pas le reporter sur le trottoir.
«On le gardera cette nuit, mais demain matin...»
Et la mère Louveau était si en colère qu'elle tisonnait le feu à tour de bras...
«Mais demain matin, je te jure bien que tu m'en débarrasseras ! »
Il y eut un silence.
La ménagère mettait le couvert brutalement, heurtant les verres, jetant les fourchettes.
Clara, effrayée, se tenait coite dans un coin.
Le bébé grognait sur le lit, et l'enfant trouvé regardait avec admiration rougir la braise.
Lui qui n'avait peut-être jamais vu de feu depuis qu'il était né !
Ce fut bien une autre joie quand il se trouva à table, une serviette au cou, un monceau de pommes de terre dans son assiette.
Il avalait comme un rouge-gorge à qui l'on émiette du pain un jour de neige.
La mère Louveau le servait rageusement, au fond un brin touchée par cet appétit d'enfant maigre.
La petite Clara, ravie, le flattait avec sa cuillère. Louveau, consterné, n'osait plus lever les yeux.
La table desservie, ses enfants couchés, la mère Louveau s'assit près du feu, le petit entre les genoux, pour lui faire un peu de toilette.
«On ne peut pas le coucher, sale comme il est.
«Je parie qu'il n'a jamais vu ni l'éponge ni le peigne.»
L'enfant tournait comme une toupie entre ses mains.
Vraiment, une fois lavé et démêlé, il n'avait pas trop laide mine, le pauvre petit gosse, avec son nez rose de caniche et ses mains rondes comme des pommes d'api.
La mère Louveau considérait son oeuvre avec une nuance de satisfaction.
«Quel âge peut-il avoir ? »
François posa sa pipe, enchanté de rentrer en scène.
C'était la première fois qu'on lui parlait de la soirée, et une question valait presque un retour en grâce.
Il se leva, tira ses ficelles de sa poche.
«Quel âge, hé ! hé ! On va te dire ça.»
Il prit le marmot à bras le corps.
Il l'entortilla de ses cordes comme les arbres de Clamecy.
La mère Louveau le regardait avec stupéfaction.
«Qu'est-ce que tu fais donc ?
- Je prends la mesure, bédame ! »
Elle lui arracha la corde des mains, et la jeta à l'autre bout de la chambre. «Mon pauvre homme, que tu es bête avec tes manies !
«Un enfant n'est pas un baliveau.»
Pas de chance ce soir, le malheureux François !
Il bat en retraite, tout penaud, tandis que la mère Louveau couche le petit dans le dodo de Clara.
La fillette sommeille les poings fermés, tenant toute la place.
Elle sent vaguement que l'on glisse quelque chose à côté d'elle, étend les bras, refoule son voisin dans un coin, lui fourre les coudes dans les yeux, se retourne et se rendort.
Maintenant on a soufflé la lampe.
La Seine, qui clapote autour du bateau, balance tout doucement la maison de planches.
Le petit enfant perdu sent une douce chaleur l'envahir, et il s'endort avec la sensation inconnue de quelque chose comme une main caressante qui a passé sur sa tête, lorsque ses yeux se fermaient.


Chapitre II - La Belle-Nivernaise

Mlle Clara se réveillait toujours de bonne heure.
Elle fut tout étonnée, ce matin-là, de ne pas voir sa mère dans la cabine et de trouver cette autre tête à côté d'elle sur l'oreiller.
Elle se frotta les yeux avec ses petits poings, prit son camarade de lit par les cheveux et le secoua.
Le pauvre Totor se réveilla au milieu des supplices les plus bizarres, tourmenté par des doigts malins qui lui chatouillaient le cou et l'empoignaient par le nez.
Il promena autour de lui des yeux surpris, et fut tout étonné de voir que son rêve durait toujours.
Au-dessus d'eux, des pas craquaient.
On débarquait des planches sur le quai, avec un bruit sourd.
Mlle Clara semblait fort intriguée.
Elle éleva le petit doigt en l'air et montra le plafond à son ami avec un geste qui voulait dire :
«Qu'est-ce que c'est que ça ? »
C'était la livraison qui commençait. Dubac, le menuisier de la Villette, était arrivé à six heures, avec son cheval et sa charrette, et le père Louveau s'était mis à la besogne, d'un entrain qu'on ne lui connaissait pas.
Il n'avait pas fermé l'oeil de la nuit, le brave homme, à la pensée qu'il faudrait reporter au commissaire cet enfant qui avait si froid et si faim. Il s'attendait à une nouvelle scène au réveil ; mais la mère Louveau avait d'autres idées en tête, car elle ne lui parla pas de Victor.
François croyait gagner beaucoup en reculant l'heure de l'explication.
Il ne songeait qu'à se faire oublier, qu'à échapper à l'oeil de sa femme, travaillant de tout son coeur, de peur que la mère Louveau, le voyant oisif, ne lui criât :
«Dis donc, toi, puisque tu ne fais rien, reconduis le petit où tu l'as pris.»
Et il travaillait.
Les tas de planches diminuaient à vue d'oeil.
Dubac avait déjà fait trois voyages, et la mère Louveau, debout sur la passerelle, son nourrisson dans les bras, avait tout juste le temps de compter les livraisons au passage.
Dans sa bonne volonté, François choisissait des madriers longs comme des mâts, épais comme des murs.
Quand la solive était trop lourde, il appelait l'équipage à son secours, pour charger.
L'équipage, c'était un matelot à jambe de bois qui composait à lui tout seul le personnel de la Belle-Nivernaise.
On l'avait recueilli par charité et gardé par habitude.
L'invalide s'arc-boutait sur sa quille, on soulevait la poutre avec de grands efforts, et Louveau, ployant sous le faix, la ceinture tendue sur les reins, descendait lentement le pont volant. Le moyen de déranger un homme si occupé ?
La mère Louveau n'y pensait pas.
Elle allait et venait sur la passerelle, absorbée par Mimile, qui tétait.
Toujours altéré, ce Mimile !
Comme son père.
Altéré, lui, Louveau ! ... pas aujourd'hui, bien sûr.
Depuis le matin qu'on travaille, il n'a pas encore été question de vin blanc. On n'a pas seulement pris le temps de souffler, de s'éponger le front, de trinquer sur le coin d'un comptoir.
Même, tout à l'heure, quand Dubac a proposé d'aller boire un verre, François a répondu héroïquement :
«Plus tard, nous avons le temps.»
Refuser un verre !
La ménagère n'y comprend plus rien, on lui a changé son Louveau.
On a changé Clara aussi, car voilà onze heures sonnées, et la petite, qui ne veut jamais rester au lit, n'a pas bougé de la matinée.
Et la mère Louveau descend quatre à quatre dans la cabine pour voir ce qui se passe.
François reste sur le pont, les bras ballants, suffoqué comme s'il venait de recevoir une solive dans l'estomac.
Cette fois, ça y est.
Sa femme s'est souvenue de Victor ; elle va le remonter avec elle, et il faudra se mettre en route pour le bureau du commissaire.
Mais non ; la mère Louveau reparaît toute seule, elle rit, elle l'appelle d'un signe.
«Viens donc voir, c'est trop drôle ! » Le bonhomme ne comprend rien à cette gaieté subite, et il la suit comme un automate, les jambes roides de son émotion.
Les deux marmots étaient assis au bord du lit, en chemise, les pieds nus.
Ils s'étaient emparés du bol de soupe que la mère, en se levant, avait laissé à la portée des petits bras.
N'ayant qu'une cuillère pour deux bouches, ils s'empâtaient à tour de rôle, comme des oisillons dans un nid, et Clara, qui faisait toujours des façons pour manger sa soupe, tendait son bec à la cuillère, en riant.
On s'était bien mis un peu de pain dans les yeux et dans les oreilles, mais l'on n'avait rien cassé, rien renversé, et les deux bébés s'amusaient de si bon coeur, qu'il n'y avait pas moyen de rester fâché.
La mère Louveau riait toujours.
«Puisqu'ils s'entendent si bien que cela, nous n'avons pas besoin de nous occuper d'eux.»
François retourna vite à sa besogne, enchanté de la tournure que prenaient les choses.
D'ordinaire, les jours de livraison, il se reposait, dans la journée, c'est-à-dire qu'il roulait tous les cabarets de mariniers, du Point-du-Jour au quai de Bercy.
Aussi le déchargement traînait pendant une grande semaine, et la mère Louveau ne décolérait pas.
Mais, cette fois, pas de vin blanc, pas de paresse, une rage de bien faire, un travail fiévreux et soutenu. De son côté, comme s'il eût compris qu'il fallait gagner sa cause, le petit faisait bien tout ce qu'il pouvait pour amuser Clara.
Pour la première fois de sa vie, la fillette passa la journée sans pleurer, sans se cogner, sans trouer ses bas.
Son camarade l'amusait, la mouchait.
Il était toujours disposé à faire le sacrifice de sa chevelure pour arrêter les larmes de Clara, au bord des cils.
Et elle tirait à pleines mains dans la tignasse embrouillée, taquinant son grand ami comme un roquet qui mordille un caniche.
La mère Louveau voyait tout cela de loin.
Elle se disait que cette petite bonne d'enfant était tout de même commode.
On pouvait bien garder Victor jusqu'à la fin de la livraison. Il serait temps de le rendre après, au moment de partir.
C'est pourquoi, le soir, elle ne fit pas d'allusion au renvoi du petit, le gorgea de pommes de terre, et le coucha comme la veille.
On aurait dit que le protégé de François faisait partie de la famille et, à voir Clara le serrer par le cou en s'endormant, on devinait que la fillette l'avait pris sous sa protection.
Le déchargement de la Belle-Nivernaise dura trois jours.
Trois jours de travail forcé, sans une distraction, sans un écart.
Sur le midi, la dernière charrette fut chargée, le bateau vidé.
On ne pouvait prendre le remorqueur que le lendemain, et François passa toute la journée caché dans l'entrepont, radoubant le bordage, poursuivi par cette phrase qui, depuis trois jours, lui bourdonnait aux oreilles : «Reporte-le chez le commissaire.»
Ah ! ce commissaire !
Il n'était pas moins redouté dans la cabine de la Belle-Nivernaise que dans la maison de Guignol.
Il était devenu une espèce de croquemitaine dont la mère Louveau abusait pour faire taire Clara.
Toutes les fois qu'elle prononçait ce nom redouté, le petit attachait sur elle ses yeux inquiets d'enfant qui a trop tôt souffert.
Il comprenait vaguement tout ce que ce mot contenait de périls à venir.
Le commissaire ! Cela voulait dire : plus de Clara, plus de caresses, plus de feu, plus de pommes de terre. Mais le retour à la vie noire, aux jours sans pain, aux sommeils sans lit, aux réveils sans baisers.
Aussi, comme il se cramponna aux jupes de la mère Louveau la veille du départ, quand François demanda d'une voix tremblante :
«Voyons, le reportons-nous, oui ou non ? »
La mère Louveau ne répondit pas.
On aurait dit qu'elle cherchait une excuse pour garder Victor.
Quant à Clara, elle se roulait sur le parquet, suffoquée de larmes, décidée à avoir des convulsions si on la séparait de son ami.
La femme de tête parla gravement.
«Mon pauvre homme, tu as fait une bêtise, comme toujours.
«Maintenant il faut la payer.
«Cet enfant-là s'est attaché à nous, Clara s'est toquée de lui, et ça peinerait tout le monde de le voir partir. «Je vais essayer de le garder, mais je veux que chacun y mette du sien.
«La première fois que Clara aura ses nerfs ou que tu te griseras, je le reporterai chez le commissaire.»
Le père Louveau rayonnait.
C'était dit.
Il ne boirait plus.
Il riait jusqu'à ses boucles d'oreilles et chantait sur le pont, en roulant son câble, tandis que le remorqueur entraînait la Belle-Nivernaise avec toute une flottille de bateaux.


Chapitre III - En route

Victor était en route.
En route pour la campagne de banlieue, mirant dans l'eau ses maisonnettes et ses potagers.
En route pour le pays blanc des collines crayeuses.
En route le long des chemins de halage sonores et dallés.
En route pour la montagnette, pour le canal de l'Yonne endormi dans son lit d'écluses.
En route pour les verdures d'hiver et les bois du Morvan.
Adossé à la barre de son bateau, et entêté dans sa volonté de ne pas boire, François faisait la sourde oreille aux invitations des éclusiers et des marchands de vins étonnés de le voir passer au large.
Il fallait se cramponner à la barre pour empêcher la Belle-Nivernaise d'accoster les cabarets.
Depuis le temps que le vieux bateau faisait le même voyage, il connaissait les stations, et s'arrêtait tout seul comme un cheval d'omnibus.
A l'avant, juché sur une seule patte, l'équipage manoeuvrait mélancoliquement une gaffe immense, repoussait les herbes, arrondissait les tournants, accrochait les écluses.
Il ne faisait pas grande besogne, bien qu'on entendit jour et nuit sur le pont le clabaudement de sa jambe de bois.
Résigné et muet, il était de ceux pour qui tout a mal tourné dans la vie. Un camarade l'avait éborgné à l'école, une hache l'avait estropié à la scierie, une cuve l'avait ébouillanté à la raffinerie.
Il aurait fait un mendiant, mourant de faim au bord d'un fossé, si Louveau—qui avait toujours eu du coup d'oeil—ne l'eût embauché à la sortie de l'hôpital pour l'aider à la manoeuvre.
Ç'avait même été l'occasion d'une fière querelle, autrefois, exactement comme pour Victor.
La femme de tête s'était fâchée.
Louveau avait baissé le nez.
Et l'équipage avait fini par rester.
A présent il faisait partie de la ménagerie de la Belle-Nivernaise, au même titre que le chat et le corbeau.
Le père Louveau gouverna si droit, et l'équipage manoeuvra si juste, que douze jours après son départ de Paris, la Belle-Nivernaise, ayant remonté le fleuve et les canaux, vint s'amarrer au pont de Corbigny pour dormir en paix son sommeil d'hiver.
De décembre à la fin de février, les mariniers ne naviguent pas.
Ils radoubent leurs bateaux et parcourent les forêts pour acheter sur pied les coupes de printemps.
Comme le bois n'est pas cher, on brûle beau feu dans les cabines, et, si la vente d'automne a bien réussi, ce temps de chômage est un repos joyeux. On disposa la Belle-Nivernaise pour l'hivernage, c'est-à-dire que l'on décrocha le gouvernail, que l'on cacha le mât de fortune dans l'entrepont et que toute la place resta libre pour jouer et pour courir sur la tillac.
Quel changement de vie pour l'enfant trouvé ! Pendant tout le voyage, il était demeuré abasourdi, effarouché.
On aurait dit un oiseau élevé en cage que la liberté étonne, et qui oublie du coup sa roulade et ses ailes.
Trop jeune pour être charmé du paysage, déroulé sous ses yeux, il avait subi pourtant la majesté de cette montée du fleuve entre deux horizons fuyants.
La mère Louveau, qui le voyait sauvage et taciturne, répétait du matin au soir :
«Il est sourd-muet ! »
Non, il n'était pas muet, le petit Parisien du faubourg du Temple !
Quand il eut bien compris qu'il ne rêvait pas, qu'il ne retournerait plus dans sa mansarde, et que malgré les menaces de la mère Louveau, on n'avait plus grand chose à craindre du commissaire, sa langue se délia.
Ce fut l'épanouissement d'une fleur de cave, que l'on porterait sur une croisée.
Il cessa de se blottir dans les coins avec une sauvagerie de furet traqué.
Ses yeux enfoncés sous son front bombé perdirent leur mobilité inquiète, et, bien qu'il restât pâlot et de mine réfléchie, il apprit à rire avec Clara. La fillette aimait passionnément son camarade, comme on aime à cet âge-là, pour le plaisir de se quereller et de se raccommoder.
Bien qu'elle fût têtue comme une petite bourrique, elle avait un coeur très tendre, et il suffisait de parler du commissaire pour la faire obéir.
On était à peine arrivé à Corbigny qu'une nouvelle soeur vint au monde.
Mimile avait tout juste dix-huit mois, et cela fit bien des berceaux dans la cabine, bien de la besogne aussi ; car, avec toutes les charges que l'on avait, il n'était pas possible de payer une servante.
La mère Louveau bougonnait à faire trembler la jambe de bois de l'équipage.
Personne ne la plaignait dans le pays. Même, les paysans ne se gênèrent pas pour dire leur façon de penser à M. le curé qui proposait le marinier pour exemple.
«Tout ce que vous voudrez, monsieur le curé, ça n'a pas de bon sens, quand on a trois enfants à soi, d'aller ramasser ceux des autres.
«Mais les Louveau ont toujours été comme cela.»
«C'est la gloriole qui les tient, et tous les conseils qu'on leur donnera ne les changeront pas.»
On ne leur souhaitait pas de mal, mais on n'aurait pas été fâché qu'ils reçussent une leçon. M. le curé était un brave homme sans malice, qui devenait aisément de l'avis des autres, et finissait par se rappeler un passage de l'Écriture ou des Pères pour se rassurer lui-même sur ses revirements.
«Mes paroissiens ont raison, se disait-il en passant la main sous son menton mal rasé.
«Il ne faut pas tenter la divine Providence.»
Mais, comme à tout prendre, les Louveau étaient de braves gens, il leur fit, à l'ordinaire, sa visite pastorale.
Il trouva la mère taillant des culottes pour Victor dans une vieille vareuse, car le mioche était arrivé sans bagage et la ménagère ne pouvait souffrir des loques autour d'elle.
Elle donna un banc à M. le curé, et comme il lui parlait de Victor, insinuant que, peut-être, avec la protection de Monseigneur, on pourrait le faire entrer à l'orphelinat d'Autun, la mère Louveau, qui avait son franc-parler avec tout le monde, répondit brusquement :
«Que le petit soit une charge pour nous autres, ça c'est sûr, monsieur le curé ; m'est avis que, en me l'apportant, François a prouvé une fois de plus qu'il n'était pas un aigle.
«Je n'ai pas le coeur plus dur que le père ; si j'avais rencontré Victor, ça m'aurait fait de la peine, pourtant je l'aurais laissé où il était.
«Mais maintenant qu'on l'a pris, ce n'est pas pour s'en défaire, et, si, un jour, nous nous trouvons dans l'embarras à cause de lui, nous n'irons pas demander la charité à personne.» A ce moment Victor entra dans la cabine, portant Mimile à son cou.
Le marmot, furieux d'avoir été sevré, se vengeait en refusant de poser le pied à terre.
Il faisait ses dents et mordait le monde.
Ému de ce spectacle, M. le curé étendit la main sur la tête de l'enfant trouvé, et dit solennellement :
«Dieu bénit les grandes familles.»
Et il s'en alla, enchanté d'avoir trouvé dans ses souvenirs une sentence si appropriée à la situation.
Elle n'avait pas menti, la mère Louveau, en disant que Victor était maintenant de la famille.
Tout en bougonnant, tout en parlant sans cesse de reporter le petit chez le commissaire, la femme de tête s'était attachée au pauvre pâlot qui ne quittait pas ses jupes.
Quand Louveau trouvait qu'on en faisait trop, elle répondait invariablement :
«Il ne fallait pas le prendre.»
Dès qu'il eut sept ans, elle l'envoya à l'école avec Clara.
C'était toujours Victor qui portait le panier et les livres.
Il se battait vaillamment pour défendre le goûter contre l'appétit sans scrupules des jeunes Morvandiaux.
Il n'avait pas moins de courage au travail qu'à la bataille, et, bien qu'il ne suivit l'école qu'en hiver, quand on ne naviguait pas, il en savait plus, à son retour, que les petits paysans, lourds et bruyants comme leurs sabots, qui bâillaient douze mois de suite sur l'abécédaire. Victor et Clara revenaient de l'école par la forêt.
Les deux enfants s'amusaient à regarder les bûcherons saper les arbres.
Comme Victor était léger et adroit, on le faisait grimper à la cime des sapins pour attacher la corde qui sert à les abattre. Il paraissait plus petit à mesure qu'il montait, et quand il arrivait en haut, Clara avait très peur.
Lui, brave, se balançait tout exprès pour la taquiner.
D'autres fois, ils allaient voir M. Maugendre à son chantier.
Le charpentier était un homme maigre et sec comme une douve.
Il vivait seul, en dehors du village, en pleine forêt.
On ne lui connaissait pas d'amis.
La curiosité villageoise avait été longtemps intriguée par la solitude et le silence de cet inconnu qui était venu, du fond de la Nièvre, monter un chantier à l'écart des autres.
Depuis six ans, il travaillait par tous les temps, sans jamais chômer, comme un homme à la peine, bien qu'il passât pour avoir beaucoup de «denrée», fit de gros marchés et allât souvent consulter le notaire de Corbigny sur le placement de ses économies.
Un jour il avait dit à M. le curé qu'il était veuf.
On n'en savait pas plus.
Quand Maugendre voyait arriver les enfants, il posait sa scie, et laissait là sa besogne pour causer avec eux. Il s'était pris d'affection pour Victor. Il lui enseignait à tailler des coques de bateau dans des éclats de bois.
Une fois, il lui dit :
«Tu me rappelles un enfant que j'ai perdu.»
Et, comme s'il eût craint d'en avoir trop conté, il ajouta :
«Oh ! il y a longtemps, bien longtemps.»
Un autre jour, il dit au père Louveau :
«Quand tu ne voudras plus de Victor, donne-le moi.
«Je n'ai pas d'héritiers, je ferai des sacrifices, je l'enverrai à la ville, au collège. Il passera des examens, il entrera à l'école forestière.»
Mais François était encore dans le feu de sa belle action. Il refusa, et Maugendre attendit patiemment que l'accroissement progressif de la famille Louveau, ou quelque embarras d'argent, dégoûtât le marinier des adoptions.
Le hasard parut vouloir exaucer ses voeux.
En effet, on eût pu croire que le guignon s'était embarqué sur la Belle-Nivernaise en même temps que Victor.
Depuis ce moment-là, tout allait de travers.
Le bois se vendait mal.
L'équipage se cassait toujours quelque membre la veille des livraisons.
Enfin, un beau jour, au moment de partir pour Paris, la mère Louveau tomba malade.
Au milieu des hurlements des marmots, François perdait la tête.
Il confondait la soupe et les tisanes.
Il impatientait si fort la malade par ses sottises qu'il renonça à la soigner et laissa faire Victor.
Pour la première fois de sa vie, le marinier acheta son bois.
Il avait beau entortiller les arbres avec ses ficelles, prendre trente-six fois de suite la même mesure, il se trompait toujours dans le calcul, - vous savez le fameux calcul :
Je multiplie, je multiplie...
C'était la mère Louveau qui savait ça !
Il exécuta la commande tout de travers, se mit en route pour Paris avec une grosse inquiétude, tomba sur un acheteur malhonnête, qui profita de la circonstance pour le rouler.
Il revint au bateau le coeur bien gros, s'assit au pied du lit, et dit d'une voix désolée :
«Ma pauvre femme, tâche de te guérir ou nous sommes perdus.»
La mère Louveau se remit lentement. Elle se débattit contre la mauvaise chance, fit l'impossible pour joindre les deux bouts.
S'ils avaient eu de quoi acheter un bateau neuf, ils auraient pu relever leur commerce, mais on avait dépensé toutes les économies pendant les jours de maladie, et les bénéfices passaient à boucher les trous de la Belle-Nivernaise qui n'en pouvait plus.
Victor devint une lourde charge pour eux.
Ce n'était plus l'enfant de quatre ans qu'on habillait dans une vareuse et que l'on nourrissait par-dessus le marché.
Il avait douze ans, maintenant ; il mangeait comme un homme, bien qu'il fût resté maigrichon, tout en nerfs et qu'on ne pût encore songer à lui faire manoeuvrer la gaffe, - quand l'Équipage se cassait quelque chose. Et tout allait de mal en pis. On avait eu grand'peine au dernier voyage, à remonter la Seine jusqu'à Clamecy.
La Belle-Nivernaise faisait eau de toutes parts ; les raccords ne suffisaient plus, il aurait fallu radouber toute la coque, ou plutôt mettre la barque au rancart et la remplacer.
Un soir de mars, c'était la veille de l'appareillage pour Paris, comme Louveau tout soucieux prenait congé de Maugendre, après avoir réglé son compte de bois, le charpentier lui offrit de venir boire une bouteille dans sa maison.
«J'ai à te causer, François.»
Ils entrèrent dans la cabane.
Maugendre remplit deux verres et ils s'attablèrent en face l'un de l'autre.
«Je n'ai pas toujours été isolé comme tu vois, Louveau.
«Je me rappelle un temps où j'avais tout ce qu'il faut pour être heureux ; un peu de bien et une femme qui m'aimait.
«J'ai tout perdu.
«Par ma faute.»
Et le charpentier s'interrompit ; l'aveu qu'il avait dans la gorge l'étranglait.
«Je n'ai jamais été un méchant homme, François. Mais j'avais un vice.
- Toi ?
- Je l'ai encore. «J'aime la «denrée» par-dessus tout.
«C'est ce qui a causé mes malheurs.
- Comment ça, mon pauvre Maugendre ?
- Je vais te le dire.
«Sitôt marié, quand nous avons eu notre enfant, l'idée m'est venue d'envoyer ma femme à Paris, chercher une place de nourrice.
«Ça rapporte gros, quand le mari a de l'ordre et qu'il sait conduire sa maison tout seul.
«Ma femme ne voulait pas se séparer de son moutard.
«Elle me disait :
«Mais mon homme, nous gagnons assez d'argent comme ça !
«Le reste serait de l'argent maudit !
«Il ne nous profiterait pas.
«Laisse ces ressources-là aux pauvres ménages déjà chargés d'enfants, et épargne-moi le chagrin de vous quitter.
«Je n'ai rien voulu écouter, Louveau, et je l'ai forcée à partir.
- Eh bien ?
- Eh bien, quand ma femme a eu trouvé une place, elle a donné son enfant à une vieille pour le ramener au pays.
«Elle les a accompagnés au chemin de fer.
«Depuis on n'en a plus jamais entendu parler.
- Et ta femme, mon pauvre Maugendre ?
- Quand on lui a appris la nouvelle, ça a fait tourner son lait.
«Elle est morte.»
Ils se turent tous deux, Louveau ému de ce qu'il venait d'entendre, Maugendre accablé par ses souvenirs.
Ce fut le charpentier qui parla le premier : «Pour me punir, je me suis condamné à l'existence que je mène.
«J'ai vécu douze ans à l'écart de tous.
«Je n'en peux plus. J'ai peur de mourir seul.
«Si tu as pitié de moi, tu me donneras Victor, pour me remplacer l'enfant que j'ai perdu.»
Louveau était très embarrassé.
Victor leur coûtait cher.
Mais, si on se séparait de lui au moment on il allait pouvoir se rendre utile, tous les sacrifices qu'on s'était imposés pour l'élever seraient perdus.
Maugendre devina sa pensée :
«Il va sans dire, François, que, si tu me le donnes, je te dédommagerai de tes frais.
«Ça serait aussi une bonne affaire pour le petit. Je ne peux jamais voir les élèves forestiers dans les bois sans me dire : J'aurais pu faire de mon garçon un monsieur comme ces messieurs-là.
«Victor est laborieux et il me plaît. Tu sais bien que je le traiterai comme mon fils.
«Voyons, est-ce dit ? »
On en causa le soir, les enfants couchés dans la cabine de la Belle-Nivernaise.
La femme de tête essaya de raisonner.
«Vois-tu, François, nous avons fait pour cet enfant-là tout ce que nous avons pu. «Dieu sait qu'on désirait le garder !
«Mais, puisqu'il s'offre une occasion de nous séparer de lui sans le rendre malheureux, il faut tâcher d'avoir du courage.»
Et, malgré eux, les yeux se tournèrent vers le lit, où Victor et Mimile dormaient d'un sommeil d'enfants, calme et abandonné.
«Pauvre petit ! » dit François d'une voix douce.
Ils entendaient la rivière clapoter le long du bordage, et, de temps en temps, le sifflet du chemin de fer déchirant la nuit.
La mère Louveau éclata en sanglots :
«Dieu aie pitié de nous, François, je le garde ! »


Chapitre IV - La vie est rude

Victor touchait à ses quinze ans.
Il avait poussé tout d'un coup, le petit pâlot, devenant un fort gars aux épaules larges, aux gestes tranquilles.
Depuis le temps qu'il naviguait sur la Belle-Nivernaise, il commençait à connaître son chemin comme un vieux marinier, nommant les bas-fonds, flairant les hauteurs d'eau, passant des manoeuvres de la perche à celles du gouvernail.
Il portait la ceinture rouge et la vareuse bouffante autour des reins.
Quand le père Louveau lui abandonnait la barre, Clara, qui se faisait grande fille, venait tricoter à côté de lui, éprise de sa figure calme et de ses mouvements robustes.
Cette fois-là, la route de Corbigny à Paris avait été rude.
Grossie par les pluies d'automne, la Seine avait fait tomber les barrages, et se ruait vers la mer comme une bête échappée.
Les mariniers inquiets hâtaient leurs livraisons, car le fleuve roulait déjà au ras des quais, et les dépêches, envoyées d'heure en heure par les postes d'éclusiers annonçaient de mauvaises nouvelles.
On disait que les affluents rompaient leurs digues, inondaient la campagne, et la crue montait, montait.
Les quais étaient envahis par une foule affairée, grouillement d'hommes, de charrettes et de chevaux ; au-dessus les grues à vapeur manoeuvraient leur grand bras. La Halle aux vins était déjà déblayée.
Des camions emportaient des caisses de sucre.
Les loueurs quittaient leurs cabines ; les quais se vidaient ; et la file des charrois, gravissant la pente des rampes, fuyait la crue comme une armée en marche.
Retardés par la brutalité des eaux et les relâches des nuits sans lune, les Louveau désespéraient de livrer leur bois à temps.
Tout le monde avait mis la main à la besogne, et l'on travaillait fort tard dans la soirée à la lueur des becs de gaz du quai et des lanternes.
A onze heures, toute la cargaison était empilée au pied de la rampe.
Comme la charrette de Dubac, le menuisier, ne reparaissait pas, on se coucha.
Ce fut une terrible nuit, pleine de grincements de chaînes, de craquements de bordages, de chocs de bateaux.
La Belle-Nivernaise, disloquée par les secousses, poussait des gémissements comme un patient à la torture.
Pas moyen de fermer l'oeil.
Le père Louveau, sa femme, Victor et l'Équipage se levèrent à l'aube, laissant les enfants dans leur lit.
La Seine avait encore monté dans la nuit.
Houleuse et vaguée comme une mer, elle coulait verte sous le ciel bas. Sur les quais, pas un mouvement de vie.
Sur l'eau, pas une barque.
Mais des débris de toits et de clôtures charriés au fil du courant.
Au delà des ponts, la silhouette de Notre-Dame, estompée dans le brouillard.
Il ne fallait pas perdre une seconde, car le fleuve avait déjà franchi les parapets du bas port, et les vaguettes, léchant le bout des planches, avaient fait écrouler les piles de bois.
A mi-jambes dans l'eau, François, la mère Louveau et Dubac chargeaient la charrette.
Tout d'un coup, un grand bruit, à côté d'eux, les effraya.
Un chaland, chargé de pierres meulières brisant sa chaîne, vint couler bas contre le quai, fendu de l'étrave à l'étambot.
Il y eut un horrible déchirement suivi d'un remous.
Et, comme ils restaient immobiles, terrifiés par ce naufrage, ils entendirent une clameur derrière eux.
Déchaînée par la secousse, la Belle-Nivernaise se détachait du bord.
La mère Louveau poussa un cri :
«Mes enfants ! »
Victor s'était déjà précipité dans la cabine.
Il reparut sur le pont, le petit dans les bras. Clara et Mimile le suivaient, et tous tendaient les mains vers le quai.
«Prenez-les !
- Un canot !
- Une corde ! »
Que faire ?
Pas moyen de les passer tous à la nage.
Et l'Équipage qui courait d'un bordage à l'autre, inutile, affolé !
Il fallait accoster à tout prix.
En face de cet homme égaré et de ces petits sanglotants, Victor improvisé capitaine se sentit l'énergie qu'il fallait pour les sauver.
Il commandait :
«Allons ! Jette une amarre !
«Dépêche-toi !
- Attrape ! »
Ils recommencèrent par trois fois.
Mais la Belle-Nivernaise était déjà trop loin du quai, le câble tomba dans l'eau.
Alors Victor courut au gouvernail, et on l'entendit qui criait :
«Ayez pas peur ! Je m'en charge ! »
En effet, d'un vigoureux coup de barre il redressa l'embarcation qui s'en allait, prise de flanc, à la dérive.
Sur le quai, Louveau perdait la tête. Il voulait se jeter à l'eau pour rejoindre ses enfants, mais Dubac l'avait saisi à bras-le-corps, pendant que la mère Louveau se couvrait la figure avec les mains pour ne pas voir.
Maintenant la Belle-Nivernaise tenait le courant et filait avec la vitesse d'un remorqueur sur le pont d'Austerlitz.
Tranquillement adossé à la barre, Victor gouvernait, encourageait les petits, donnait des ordres à l'Équipage.
Il était sûr d'être dans la bonne passe, car il avait manoeuvré droit sur le drapeau rouge pendu au milieu de la maîtresse-arche pour indiquer la route aux mariniers.
Mais aurait-on la hauteur de passer, mon Dieu !
Il voyait le pont se rapprocher très vite.
«A ta gaffe, l'Équipage ! Toi, Clara, ne lâche pas les enfants.»
Il se cramponnait au gouvernail.
Il sentait déjà le vent de l'arche dans ses cheveux.
On y était.
Emportée par son élan, la Belle-Nivernaise disparut sous la travée, avec un bruit épouvantable, mais non pas si vite, que la foule, amassée sur le pont d'Austerlitz, n'aperçût le matelot à la jambe de bois manquer son coup de gaffe, et tomber à plat ventre, tandis que l'enfant criait du gouvernail :
«Un grappin ! un grappin ! » La Belle-Nivernaise était sous le pont.
Dans l'ombre de l'arche, Victor distinguait nettement les énormes anneaux scellés dans l'assise des piles, les joints de la voûte au-dessus de sa tête, et, dans la perspective, l'enfilade des autres ponts encadrant des pans de ciel.
Puis ce fut comme un élargissement d'horizon, un éblouissement de plein air au sortir d'une cave, un bruit de hourras au-dessus de sa tête, et la vision de la cathédrale, ancrée sur le fleuve comme une frégate.
Le bateau s'arrêta net.
Des pontiers avaient réussi à lancer un croc dans le bordage.
Victor courut à l'amarre et enroula solidement le câble autour de la corde.
On vit la Belle-Nivernaise virer de bord, pivoter sur l'amarre et, cédant à l'impulsion nouvelle qui la halait, accoster lentement le quai de la Tournelle, avec son équipage de marmots et son capitaine de quinze ans.
Oh ! quelle joie, le soir, de se compter tous autour du fricot fumant, dans la cabine du bateau—cette fois bien ancré, bien amarré.
Le petit héros à la place d'honneur, - la place du capitaine.
On n'avait pas beaucoup d'appétit, après la rude émotion du matin, mais les coeurs étaient dilatés, comme à la suite des angoisses. On respirait largement.
On clignait de l'oeil au travers de la table pour se dire :
«Hein ! tout de même, si nous l'avions reporté chez le commissaire ? »
Et le père Louveau riait jusqu'aux oreilles, promenant un regard mouillé sur sa couvée.
On aurait dit qu'il leur était arrivé une bonne fortune, que la Belle-Nivernaise n'avait plus un trou dans les côtes, qu'ils avaient gagné le gros lot à la loterie.
Le marinier assommait Victor de coups de poings.
Une façon de lui témoigner sa tendresse.
«Mâtin de Victor !
«Quel coup de barre !
«As-tu vu ça, l'Équipage ?
«Je n'aurais pas mieux fait, hé ! hé ! moi, le patron.»
Le bonhomme en eut pour quinze jours à pousser des exclamation, à courir les quais pour raconter le coup de barre.
«Vous comprenez :
«Le bateau drossait.
«Alors lui :
«Vlan ! »
Et il faisait un geste pour indiquer la manoeuvre.
Pendant ce temps la Seine baissait et le moment approchait de repartir. Un matin, comme Victor et Louveau pompaient sur le tillac, le facteur apporta une lettre.
Il y avait un cachet bleu derrière.
Le marinier ouvrit la lettre d'une main un peu tremblante, et, comme il n'était pas beaucoup plus fort sur la lecture que sur le calcul, il dit à Victor :
«Épelle-moi ça, toi.»
Et Victor lut :
BUREAU DU COMMISSAIRE DE POLICE
XIIe ARRONDISSEMENT
«Monsieur Louveau (François), patron-marinier est invité à passer dans le plus bref délai au cabinet du commissaire de police.»
«C'est tout ?
- C'est tout.»
Louveau s'absenta toute la journée.
Quand il rentra, le soir, toute sa gaieté avait disparu...
Il était sombre, hargneux, taciturne.
La mère Louveau n'y comprenait rien, et, comme les petits étaient montés sur le pont pour jouer, elle lui demanda :
«Qu'est-ce qui se passe ?
- J'ai des ennuis.
- A cause de ta livraison ?
- Non, à propos de Victor.»
Et il conta sa visite au commissaire. «Tu sais, cette femme qui l'a abandonné ? Ce n'était pas sa mère.
- Ah ! bah !
- Elle l'avait volé.
- Comment le sait-on ?
- C'est elle-même qui l'a avoué au commissaire avant de mourir.
- Mais alors on t'a dit le nom de ses parents ? »
Louveau tressaillit.
«Pourquoi veux-tu qu'on me l'ait dit !
- Dame ! puisqu'on t'a fait demander.»
François se fâcha.
«Si je le savais, je te le dirais peut-être ? »
Il était tout rouge de colère, et il sortit en claquant la porte.
La mère Louveau resta interdite.
«Qu'est-ce qu'il a donc ? »
Oui, qu'est-ce qu'il avait donc, François ?
A partir de ce jour, ses façons, ses paroles, son caractère, tout fut changé en lui.
Il ne mangeait plus, il dormait mal, il parlait la nuit.
Il répondait à sa femme !
Il querellait l'Équipage, rudoyait tout le monde, et Victor plus que les autres.
Quand la mère Louveau, étonnée, lui demandait ce qu'il avait, il répondait brutalement : «Je n'ai rien.
«Est-ce que j'ai l'air d'avoir quelque chose ?
«Vous êtes tous conjurés contre moi.»
La pauvre femme y perdait sa peine :
«Il devient fou, ma parole ! »
Elle le crut tout à fait toqué, lorsque, un beau soir, il leur fit une scène épouvantable à propos de Maugendre.
On était au bout du voyage et l'on allait arriver à Clamecy.
Victor et Clara causaient de l'école, et le garçon ayant dit qu'il aurait du plaisir à revoir Maugendre, le père Louveau s'emporta :
«Laisse-moi tranquille avec ton Maugendre.
«Je ne veux plus avoir affaire à lui.»
La mère intervint :
«Qu'est-ce qu'il t'a fait ?
- Il m'a fait... Il m'a fait... Ça ne te regarde pas. Je suis le maître, peut-être ! »
Hélas ! il était si bien le maître maintenant, que, au lieu de relâcher à Corbigny, comme à l'habitude, il remonta deux lieues plus haut, en pleine forêt.
Il déclara que Maugendre ne songeait qu'à le rouler dans tous ses marchés, et qu'il ferait de meilleures affaires avec un autre vendeur. On était trop loin du village pour songer à aller en classe.
Victor et Clara couraient les bois toute la journée pour faire du fagot.
Quand ils étaient las de porter leur charge, ils la déposaient au dos d'un fossé et s'asseyaient par terre au milieu des fleurs.
Victor tirait un livre de sa poche et faisait lire Clara.
Ils aimaient à voir le soleil, filtrant au travers des branches, jeter des lumières tremblantes sur leur page et sur leurs cheveux. Autour d'eux, le bourdonnement des milliers de petites bêtes ; au loin, le calme des bois.
Quand on s'était attardé, il fallait revenir bien vite tout du long de la grande avenue, barrée par l'ombre des troncs.
Au bout on apercevait dans une éclaircie le mât de la Belle-Nivernaise et la lueur d'un feu dans le brouillard léger qui montait de la rivière.
C'était la mère Louveau qui cuisinait en plein vent au bord de l'eau, sur un feu de bourrée.
Près d'elle, Mimile ébouriffé comme un plumeau, sa chemise crevant les culottes, surveillait amoureusement la marmite.
La petite soeur se roulait par terre.
L'Équipage et Louveau fumaient leurs pipes.
Un soir, à l'heure de la soupe, ils virent quelqu'un sortir du bois et venir à eux. «Tiens, Maugendre ! »
C'était le charpentier.
Bien vieilli, bien blanchi.
Il avait un bâton à la main, et semblait oppressé en parlant.
Il vint à Louveau et lui tendit la main.
«Eh bien ! Tu m'as donc quitté, François ? »
Le marinier bredouilla une réponse embarrassée.
«Oh ! je ne t'en veux pas.»
Il avait l'air si las que la mère Louveau en fut touchée.
Sans prendre garde à la mauvaise humeur de son mari, elle lui offrit un banc pour s'asseoir.
«Vous n'êtes pas malade au moins, monsieur Maugendre ?
- J'ai pris un mauvais froid.» Il parlait lentement, presque bas.
La peine l'avait adouci.
Il conta qu'il allait quitter le pays pour aller vivre au fond de la Nièvre.
«C'est fini ; je ne ferai plus le commerce.
«Je suis riche maintenant ; j'ai de l'argent, beaucoup d'argent.
«Mais à quoi bon ?
«Je ne peux pas racheter le bonheur que j'ai perdu.»
François écoutait, les sourcils froncés.
Maugendre continua :
«Plus je vieillis, plus je souffre d'être seul.
«Autrefois, j'oubliais encore en travaillant ; mais à présent, je n'ai plus le coeur à la besogne.
«Je n'ai plus de goût à rien.
«Aussi, je vais me dépatrier, ça me distraira peut-être.»
Et, comme malgré lui, ses yeux se tournaient vers les enfants.
A ce moment Victor et Clara débouchèrent de l'avenue avec leur charge de ramée.
En apercevant Maugendre, ils jetèrent leurs fagots et coururent à lui.
Il les accueillit amicalement comme toujours, et dit à Louveau, qui restait sombre :
«Tu es heureux, toi, tu as quatre enfants. Moi, je n'en ai plus.»
Et il soupira :
«Je n'ai rien à dire, c'est de ma faute.» Il s'était levé.
Tout le monde l'imita.
«Adieu, Victor. Travaille bien et aime tes parents, tu le dois.»
Il lui avait posé la main sur l'épaule, il le regardait longuement :
«Dire que si j'avais un enfant, il serait comme lui.»
En face, Louveau, la bouche colère, avait un air de dire :
«Mais va-t-on donc ! »
Pourtant au moment où le charpentier s'en allait, François eut un élan de pitié et l'appela :
«Maugendre, tu ne manges pas la soupe avec nous ? »
C'était dit comme malgré soi, d'un ton brusque qui décourageait d'accepter.
Le vieux secoua la tête.
«Merci, je n'ai pas faim.
«Le bonheur des autres, vois-tu, ça fait mal quand on est bien triste.»
Et il s'éloigna, courbé sur sa canne.
Louveau ne prononça pas une parole de la soirée.
Il passa la nuit à marcher sur le pont et, le matin, sortit sans rien dire à personne.
Il se rendit au presbytère.
La maison du curé était voisine de l'église.
C'était une grande bâtisse carrée avec une cour par devant et un potager derrière.
Des poules picoraient sur le seuil.
Une vache à l'attache beuglait dans l'herbage.
Louveau se sentait le coeur allégé par sa résolution.
En ouvrant la barrière, il se dit avec un soupir de satisfaction qu'il serait débarrassé de son souci quand il sortirait.
Il trouva M. le curé assis au frais dans sa salle à manger.
Le prêtre avait fini son repas et sommeillait légèrement, la tête inclinée sur son bréviaire.
Réveillé par l'entrée de Louveau, il marqua la page, et ayant fermé le livre, fit asseoir le marinier qui tournait sa casquette entre ses doigts.
«Voyons, François, que me voulez-vous ? »
Il voulait un conseil, et il demanda la permission de conter tout du long son histoire. «Parce que, vous savez, monsieur le curé, je ne suis pas bien fort. Je ne suis pas un aigle, hé ! hé ! comme dit ma femme.»
Et mis à l'aise par ce préambule, il narra son affaire, très essoufflé, très rouge, en considérant obstinément la visière de sa casquette.
«Vous vous souvenez, monsieur le curé, que Maugendre vous a dit qu'il était veuf ?
«Il y a quinze ans de ça ; sa femme était venue à Paris pour faire une nourriture.
«Elle avait montré son enfant au médecin comme c'était l'usage, elle lui avait donné à téter une dernière goutte, et puis elle l'avait confié à une meneuse.»
Le prêtre l'interrompit :
«Qu'est-ce que c'est qu'une meneuse, François ?
- C'est une femme, monsieur le curé, que l'on charge de reconduire au pays les enfants des nourrices.
«Elle les emporte à la hotte, dans un panier, comme de pauvres petits chats.
- Drôle de métier !
- Il y a des honnêtes gens pour le faire, monsieur le curé.
«Mais la mère Maugendre était tombée sur une femme qu'on ne connaissait pas, une sorcière qui volait les enfants et les louait à d'autres fainéantes, pour les trimbaler dans la rue et faire pitié au monde.
- Qu'est-ce que vous me contez là, François ?
- La vérité toute pure, monsieur le curé.
«Cette coquine de femme-là a enlevé un tas d'enfants, et le mioche de Maugendre avec les autres.
«Elle l'a gardé jusqu'à quatre ans.
«Elle voulait lui apprendre à mendier, mais c'était le fils d'un brave homme, il refusait de tendre la main.
«Alors, elle l'a abandonné dans la rue, et puis, deviens ce que tu peux !
«Mais voilà que, il y a six mois, à l'hôpital, au moment de mourir, un remords l'a prise.
«Je sais ce que c'est, monsieur le curé, ça fait diablement souffrir.»
Et il leva les yeux au plafond, comme pour jurer qu'il ne mentait pas, le pauvre homme.
«Alors, elle a demandé le commissaire.
«Elle lui a dit le nom de l'enfant.
«Le commissaire me l'a répété.
«C'est Victor.»
M. le curé laissa tomber son bréviaire.
«Victor est le fils de Maugendre ?
- C'est sûr.»
L'ecclésiastique n'en revenait pas.
Il balbutia une phrase où l'on distinguait les mots de... pauvre enfant... doigt de Dieu... Il se leva, marcha dans la chambre, s'approcha de la fenêtre, se versa un verre d'eau, et finit par s'arrêter en face de Louveau les mains enfoncées dans sa ceinture.
Il cherchait une sentence qui s'appliquât à l'événement, et, comme il n'en trouvait pas, il dit simplement :
«Eh bien ! mais il faut le rendre à son père.»
Louveau tressaillit.
«Voilà justement mon ennui, monsieur le curé.
«Depuis six mois que je sais ça, je n'ai eu le courage de rien dire à personne, pas même à ma femme.
«Nous nous sommes donné tant de mal pour élever cet enfant-là ; nous avons eu tant de misère ensemble, que, aujourd'hui, je ne sais plus comment je ferais pour m'en séparer.>
Tout ça, c'était vrai, et si Maugendre semblait à plaindre, on pouvait bien avoir aussi pitié du pauvre François.
Pris entre ces attendrissements contradictoires, M. le curé suait à grosses gouttes, appelait mentalement les lumières d'en haut.
Et, oubliant que Louveau était venu lui demander un avis, il articula d'une voix étouffée :
«Voyons, François, mettez-vous à ma place, que conseilleriez-vous ? »
Le marinier baissa la tête.
«Je vois bien qu'il faudra rendre Victor, monsieur le curé.
«J'ai senti ça l'autre jour quand Maugendre est venu nous surprendre, il m'a fendu le coeur à le voir si vieux, si triste et si cassé. «J'étais honteux comme si j'avais eu de l'argent à lui, de l'argent volé, dans ma poche.
«Je ne pouvais plus porter mon secret tout seul, je suis venu vous le dire.
- Et vous avez bien fait, Louveau, dit M. le cure, enchanté de voir le marinier lui fournir une solution.
«Il n'est jamais trop tard pour réparer une faute.
«Je vais vous accompagner chez Maugendre.
«Vous lui avouerez tout.
- Demain, monsieur le curé !
- Non, François, tout de suite.»
Et, voyant la douleur du bonhomme, le tortillement convulsif de sa casquette, il implora d'une voix faible :
«Je vous en prie, Louveau, pendant que nous sommes décidés tous les deux !


Chapitre V - Les ambitions de Maugendre

Un fils !
Maugendre a un fils !
Il le couve des yeux, assis en face de lui, sur la banquette du wagon, qui les emporte en bourdonnant sur Nevers.
C'est un véritable enlèvement.
Le vieux a emporté son fils presque sans dire merci, comme un manant qui a gagné le gros lot, et se sauve avec.
Il n'a pas voulu laisser son enfant ouvert à toutes les affections anciennes.
Il a l'avarice de la tendresse, comme il a eu celle de l'or.
Pas d'emprunt ! pas de partage !
Mais son trésor à lui tout seul, sans yeux autour pour le guigner.
Les oreilles de Maugendre bourdonnent comme l'express.
Sa tête est chauffée comme la locomotive.
Et son rêve roule plus vite que toutes les locomotives et que tous les express, franchissant d'un élan les jours, les mois, les années.
Ce qu'il rêve c'est un Victor de vingt ans, boutonné d'argent, habillé de vert sombre.
Un élève de l'école forestière !
On dirait même que l'élève Maugendre a l'épée au côté et le bicorne sur l'oreille, - comme un polytechnicien ; - ca toutes les écoles et tous les uniformes sont un peu mêlés dans le rêve de Maugendre. Et qu'importe !
Les galons et les dorures ne coûtent pas au charpentier.
On a de la «denrée» pour payer tout ça... Et Victor sera un «monsieur» chamarré des pieds à la tête.
Les hommes lui parleront chapeau bas.
Les belles dames en seront folles.
Et, dans un coin, il y aura un vieux aux mains calleuses qui dira en se rengorgeant :
«Voilà mon fils !
«Allons, mon fils ! »
Il songe aussi, «mon fils», son petit béret sur les yeux, - en attendant le tricorne doré.
Il ne voudrait pas que son père le vit pleurer.
Ça été si brusque la séparation !
Clara lui a donné un baiser qui lui brûle encore la joue.
Le père Louveau s'est détourné.
La mère Louveau était toute pâle.
Et Mimile lui a apporté son écuelle de soupe, pour le consoler.
Tous ! jusqu'à Mimile !
Oh ! comment vivront-ils sans lui ?
Comment vivra-t-il sans eux ?
Et le futur élève de l'école forestière est si troublé qu'il répond :
«Oui, monsieur Maugendre.»
Toutes les fois que son père lui parle.
Et il n'est pas au bout de ses tribulations, le petit marinier de la Belle-Nivernaise. Cela ne coûte pas seulement de l'argent de devenir un «monsieur», mais bien des sacrifices et des tristesses.
Victor en a le sentiment, tandis que le train rapide passe en sifflant, sur les ponts, au-dessus du faubourg de Nevers.
Il lui semble qu'il les a déjà vues quelque part, dans un passé éloigné et douloureux, ces rues étroites, ces fenêtres étranglées comme des soupiraux de prisons, d'où pendent des loques effilochées.
Maintenant ils ont le pavé sous les pieds. Autour d'eux circule et bourdonne la cohue des débarcadères, presse de curieux, bousculade de gens chargés de colis, roulement des fiacres et des lourds omnibus du chemin de fer, que des voyageurs, chargés de couvertures serrées dans des courroies, prennent bruyamment d'assaut.
Victor et son père sortent en voiture des grilles de la gare.
Le charpentier ne lâche pas son idée.
Il lui faut une transformation subite.
Et il conduit «son fils» tout droit chez le tailleur du collège.
La boutique est neuve, les comptoirs luisants, des messieurs bien mis, qui ressemblent à ceux que l'on voit dans les gravures coloriées, appendues aux murailles, ouvrent la porte aux clients avec un petit sourire protecteur.
Ils mettent sous les yeux du père Maugendre une prime des Modes illustrées, où un collégien fume en compagnie d'une amazone, d'un gentleman en complet de chasse, et d'une mariée vêtue de satin blanc. Justement, le tailleur a sous la main la tunique type rembourrée devant et derrière, à basques carrées, à boutons d'or.
Il l'étale sous les yeux du charpentier, qui s'écrie rayonnant d'orgueil.
«Tu auras l'air d'un militaire là-dedans ! »
Un monsieur en bras de chemise, qui porte un mètre autour du cou, s'approche de l'élève Maugendre.
Il lui mesure le tour des cuisses, la taille et la colonne vertébrale.
Cette opération rappelle au petit marinier des souvenirs qui lui noient les yeux de larmes ! Les tics du pauvre père Louveau, les colères de la femme de tête, tout ce qu'il a laissé derrière lui.
C'est bien fini, maintenant.
Le jeune homme correct que Victor aperçoit en pantalon d'uniforme, dans la grande glace d'essayage, n'a plus rien de commun avec le «petit derrière» de la Belle-Nivernaise.
Le tailleur pousse dédaigneusement du bout du pied, sous l'établi, la vareuse humiliée, comme un paquet de loques.
Victor sent que c'est tout son passé qu'on lui a fait quitter là.
Qu'est-ce à dire, quitter !
Voici qu'on lui défend même de se souvenir !
«Il faut rompre avec les vices de votre éducation première», dit sévèrement M. le principal, qui ne dissimule pas sa méfiance.
Et, pour faciliter cette régénération, on décide que l'élève Maugendre ne sortira du collège que tous les premiers dimanches des mois. Oh ! comme il pleure, le premier soir, au fond du dortoir triste et froid, tandis que les autres écoliers ronflent dans leurs lits de fer, et que le pion dévore un roman, en cachette, à la lueur d'une veilleuse !
Comme il souffre pendant l'heure maudite de récréations, tandis que les camarades le bousculent et le houspillent !
Comme il est triste en étude, le nez dans son pupitre, tremblant aux colères du pion qui tape à tour de bras sur la chaire en répétant toujours la même phrase :
«Un peu de silence, messieurs.»
Cette voix criarde remue toute la lie des mauvais souvenirs, empoisonne sa vie.
Elle lui rappelle les jours noirs de la première enfance, le taudis du faubourg du Temple, les coups, les querelles, tout ce qu'il avait oublié.
Et il se raccroche désespérément aux images de Clara, de la Belle-Nivernaise, comme à une éclaircie de soleil, dans le sombre de sa vie.
Et c'est sans doute pour cela que le pion trouve avec stupéfaction des dessins de bateaux à toutes les pages des livres de l'élève Maugendre.
Toujours la même chaloupe reproduite à tous les feuillets avec une obstination d'obsédé.
Tantôt, elle gravit lentement, resserrée comme dans un canal, l'échelle étroite des marges. Tantôt, elle vient s'échouer en plein théorème, éclaboussant les figures intercalées et les corollaires en petit texte.
Tantôt, elle navigue à pleines voiles sur les océans des planisphères.
C'est là qu'elle se carre à l'aise, qu'elle déploie ses voiles, qu'elle fait flotter son drapeau.
M. le principal, lassé des rapports circonstanciés qu'on lui adresse à ce sujet, finit par en parler à M. Maugendre le père.
Le charpentier n'en revient pas.
«Un garçon si doux !
- Il est têtu comme un âne.
- Si intelligent !
- On ne peut rien lui apprendre.»
Et personne ne peut comprendre que l'élève Maugendre a appris à lire en plein bois, par-dessus l'épaule de Clara, et que ce n'est pas la même chose que d'étudier la géométrie, sous la férule d'un pion hirsute.
Voilà pourquoi l'élève Maugendre dégringole de l'étude des «moyens» dans l'étude des «petits».
C'est qu'il y a une singulière différence entre les leçons du Magister de Corbigny et celles de MM. les professeurs du collège de Nevers.
Toute la distance qui sépare un enseignement en bonnet de peau de lapin d'un enseignement en toque d'hermine.
Le père Maugendre se désespère. Il lui semble que le forestier en bicorne s'éloigne à grandes enjambées.
Il gronde, il supplie, il promet.
«Veux-tu des leçons ?
«Veux-tu des maîtres ?
«Je te donnerai les meilleurs.
«Les plus chers ! »
En attendant, l'élève Maugendre devient un cancre, et les «bulletins trimestriels» constatent impitoyablement sa «turpitude».
Lui-même, il a le sentiment de sa sottise.
Il s'enfonce tous les jours davantage dans l'ombre et dans la tristesse.
Si Clara et les autres pouvaient voir ce qu'on a fait de leur Victor !
Comme ils viendraient ouvrir toutes grandes les portes de sa prison !
Comme ils lui offriraient de bon coeur de partager avec lui leur dernier morceau de pain, leur dernier bout de planche !
Car ils sont malheureux eux aussi, les autres.
Les affaires vont de mal en pis.
Le bateau est de plus en plus vieux.
Victor sait cela par les lettres de Clara, qui lui arrivent de temps en temps marquées d'un «vu» au crayon rouge, énorme, furieux, griffonné par M. le principal, qui déteste ces «correspondances interlopes».
«Ah ! Quand tu étais là ! disent les épîtres de Clara, toujours aussi tendres, mais de plus en plus affligées... Ah ! si tu étais avec nous ! »
Ne dirait-on pas, vraiment, que tout allait bien dans ce temps-là, et que tout serait sauvé si Victor revenait ?
Eh bien ! Victor sauvera tout.
Il achètera un bateau neuf.
Il consolera Clara.
Il relèvera le commerce.
Il montrera qu'on n'a pas aimé un ingrat et recueilli un inutile.
Mais, pour cela, il faut devenir un homme.
Il faut gagner de l'argent.
Il faut être savant.
Et Victor rouvre les livres à la bonne page.
A présent, les flèches peuvent voler, le pion peut frapper à tour de bras sur la chaire en lançant sa phrase de perroquet :
«Messieurs, un peu de silence ! »
Victor ne lève plus le nez.
Il ne dessine plus de bateaux.
Il méprise les boulettes qui s'aplatissent sur sa figure.
Il bûche... il bûche...
«Une lettre pour l'élève Maugendre.»
C'est une bénédiction que ce souvenir de Clara qui vient le surprendre en pleine étude, pour l'encourager et lui apporter un parfum de liberté et de tendresse. Victor se cache la tête dans son pupitre pour baiser l'adresse zigzagante, péniblement tracée, tremblée, comme si un perpétuel tangage de bateau balançait la table sur laquelle Clara écrit. Hélas ! ce n'est pas le tangage, c'est l'émotion qui a fait trembler la main de Clara.
«C'est fini, mon cher Victor, la Belle-Nivernaise ne naviguera plus.
«Elle est bien morte, et, en mourant, elle nous ruine.
«On a suspendu un écriteau noir à l'arrière :
BOIS A VENDRE Provenant de démolitions.
«Des gens sont venus, qui ont tout estimé, tout numéroté, depuis la gaffe de l'Équipage jusqu'au berceau où dormait la petite soeur. Il paraît que l'on va tout vendre, et nous n'avons plus rien.
«Qu'allons-nous devenir ?
«Maman est capable d'en mourir de chagrin, et papa est si changé...»
Victor n'acheva pas la lettre.
Les mots dansaient devant ses yeux ; il avait comme un coup de feu sur la face, un bourdonnement dans les oreilles.
Ah ! il était bien loin de l'étude, maintenant.
Épuisé par le travail, le chagrin et la fièvre, il délirait.
Il croyait s'en aller à la dérive, en pleine Seine sur le beau fleuve frais.
Il voulait tremper son front dans la rivière.
Puis, il entendit vaguement un son de cloche. Sans doute, un remorqueur qui passait dans le brouillard ; —puis, ce fut comme un bruit de grandes eaux, et il cria :
«La crue ! La crue ! »
Un frisson le prit, rien qu'à penser à l'ombre accumulée sous l'arche du pont ; et, au milieu de toutes ces visions, la figure du pion lui apparut tout près de lui, sous l'abat-jour, hirsute et effarée :
«Vous êtes malade, Maugendre ? »
L'élève Maugendre est bien malade.
M. le docteur a beau secouer la tête, quand le pauvre père, qui le reconduit jusqu'à la porte du collège, lui demande d'une voix étranglée d'angoisse :
«Il ne va pas mourir, n'est-ce pas ? »
On voit bien que M. le docteur n'est pas rassuré.
Ses cheveux gris ne sont pas rassurés non plus.
Ils disent «non» mollement, comme s'ils avaient peur de se compromettre.
On ne parle plus d'habit vert ni de bicorne.
Il s'agit seulement d'empêcher l'élève Maugendre de mourir.
M. le docteur a dit nettement qu'on ferait bien de lui rendre la clef des champs, s'il en réchappait...
S'il en réchappait !
La pensée de perdre l'enfant qu'il vient de retrouver anéantit tous les désirs ambitieux du père enrichi.
C'est fini, il renonce à son rêve.
Il est tout prêt à enterrer de ses propres mains l'élève de l'école forestière.
Il le clouera dans la bière, si l'on veut.
Il ne portera pas son deuil.
Mais, au moins, que l'autre consente à vivre.
Qu'il lui parle, qu'il se lève, qu'il lui jette les bras au cou, qu'il lui dise :
«Console-toi, mon père.
«Je suis guéri.»
Et le charpentier se pencha sur le lit de Victor.
C'est fini. Le vieil arbre est fendu jusqu'à l'aubier. Le coeur de Maugendre est devenu tendre.
«Je te laisserai partir, mon gars.
«Tu retourneras avec eux, tu navigueras encore.
«Et ce sera trop bon pour moi de te voir quelquefois en passant.»
A présent, la cloche ne sonne plus les heures de la récréation, du réfectoire et de l'étude.
On est en vacances et le grand collège est désert.
Pas d'autre bruit que celui du jet d'eau dans la cour d'honneur et des moineaux piaillant sur les préaux.
Le roulement des rares voitures arrive lointain et assourdi, car on a mis de la paille dans la rue.
C'est au milieu de ce silence et de cette solitude que l'élève Maugendre revient à lui. Il est tout surpris de se retrouver dans un lit bien blanc, entouré de grands rideaux de percale qui mettent tout autour un isolement de demi-jour et de paix.
Il voudrait bien se soulever sur l'oreiller, les écarter un peu pour voir où il est ; mais, bien qu'il se sente délicieusement reposé, il n'en a pas la force, et il attend.
Mais des voix chuchotent autour de lui.
On dirait, sur le plancher, un bruit de pieds marchant sur la pointe, et même un clabaudement connu : quelque chose comme la promenade d'un manche à balai sur des planches.
Victor a déjà entendu cela autrefois.
Où donc ?
Eh ! sur le tillac de la Belle-Nivernaise.
C'est cela ! C'est bien cela !
Et le malade, réunissant toute sa force, d'une voix faible, qu'il croit bien grosse :
«Ohé ! L'Équipage ! ohé ! »
Les rideaux se tirent, et, dans un éblouissement de lumière, il aperçoit tous les êtres chéris qu'il a tant appelés dans son délire.
Tous. Oui, tous !
Ils sont tous là, Clara, Maugendre, le père Louveau, la mère Louveau, Mimile, la petite soeur, et le vieux héron ébouillanté, maigre comme sa gaffe, qui sourit démesurément de son rire silencieux. Et tous les bras sont tendus, et toutes les têtes sont penchées, et il y a des baisers pour tout le monde, des sourires, des poignées de main, des questions.
«Où suis-je ?
- Comment êtes-vous là ? »
Mais les ordres de M. le docteur sont formels. - Les cheveux gris ne plaisantaient pas en commandant cela. - Il faut rentrer les bras sous les couvertures, se taire, ne pas s'exciter.
Et, pour empêcher l'enfant de causer, Maugendre parle tout le temps.
«Figure-toi qu'il y a dix jours, - le jour où tu es tombé malade, - je venais justement voir le principal pour lui parler de toi.
«Il me dit que tu faisais des progrès, que tu travaillais comme un manoeuvre...
«Tu juges si j'étais content !
«Je demande à te voir.
«On t'envoie chercher, et, juste, ton pion tombe dans le cabinet du principal tout effaré.
«Tu venais d'avoir un accès de fièvre chaude.
«Je cours à l'infirmerie ; tu ne me reconnais pas. Des yeux comme des chandelles, et un délire !
«Ah ! mon pauvre petit gars, comme tu as été malade !
«Je ne t'ai plus quitté d'une minute.
«Tu battais la campagne... Tu parlais de la Belle-Nivernaise, de Clara, de bateau neuf. Est-ce que je sais ? «Alors je me suis rappelé la lettre, la lettre de Clara ; on te l'avait trouvée dans les mains, on me l'avait donnée. Et, moi, je l'avais oubliée, tu comprends ?
«Je la tire de ma poche, je la lis, je me cogne la tête, je me dis : «Maugendre, il ne faut pas que ton chagrin te fasse oublier la peine des amis.»
«J'écris à tous ces gens-là de venir nous retrouver.
«Pas de réponse.
«Je profite d'un jour où tu vas mieux, je vais les chercher, je les amène chez moi où ils habitent, et où ils habiteront jusqu'à ce qu'on ait trouvé moyen d'arranger les affaires.
«Pas vrai, Louveau ? »
Tout le monde a la larme à l'oeil, et, ma foi ! tant pis pour les cheveux gris du docteur, les deux bras de Victor sortent de la couverture. Et Maugendre est embrassé comme il ne l'a jamais été, un vrai baiser d'enfant tendre.
Puis, comme il n'est pas possible d'emmener Victor à la maison, on arrange la vie.
Clara restera près du malade pour sucrer ses tisanes et faire la causette.
La mère Louveau ira tenir la maison, François surveillera une bâtisse que le charpentier a entreprise dans la Grande-Rue.
Quant à Maugendre, il part pour Clamecy.
Il va voir des connaissances qui ont une grande entreprise de trains de bois. Ces gens-là seront enchantés d'employer un fin marinier comme Louveau.
Non ! non ! pas de récriminations, pas de résistance. C'est une affaire entendue, une chose toute simple.
Certes, ce n'est pas Victor qui récrimine.
On le lève maintenant et l'on roule son grand fauteuil contre la fenêtre.
Il est tout seul avec Clara, dans l'infirmerie silencieuse.
Et Victor est ravi.
Il bénit sa maladie. Il bénit la vente de la Belle-Nivernaise. Il bénit toutes les ventes et toutes les maladies du monde.
«Te souviens-tu, Clara, quand je tenais la barre, et que tu venais t'asseoir auprès de moi, avec ton tricot ? »
Clara se souvient si bien qu'elle baisse les yeux, qu'elle rougit, et qu'ils restent tous les deux embarrassés.
Car maintenant il n'est plus le petit gars en béret rouge dont les pieds ne touchaient pas le tillac quand il grimpait sur la barre à califourchon.
Et, elle, quand elle arrive le matin, et qu'elle ôte son petit châle pour le jeter sur le lit, elle a l'air d'une vraie jeune fille, tant ses bras sont ronds dans ses manches, sa taille élancée.
«Viens de bonne heure, Clara, et reste le plus tard possible.»
Il fait si bon déjeuner et dîner en tête-à-tête tout près de la fenêtre, à l'abri des rideaux blancs.
Ils se rappellent la petite enfance, les panades mangées au bord du lit, avec la même cuillère. Ah ! les souvenirs d'enfance !
Ils voltigent dans l'infirmerie du collège comme des oiseaux en volière. Sans doute ils font leur nid dans tous les coins des rideaux, car il y en a de nouveaux chaque matin, frais éclos, qui prennent leur vol.
Et vraiment l'on dirait, à entendre ces conversations du passé, un couple d'octogénaires, ne regardant plus qu'au loin derrière eux.
N'y a-t-il donc pas un avenir, qui pourrait bien être intéressant, lui aussi ?
Oui, il y a un avenir, et l'on y pense souvent, si l'on n'en parle jamais.
D'ailleurs, il n'est pas indispensable de faire des phrases pour causer. Certaine façon de se prendre la main et de rougir à tout propos en dit plus long que la parole.
Victor et Clara causent dans cette langue-là toute la journée.
C'est probablement pour cela qu'ils sont souvent silencieux.
Et c'est pour cela aussi que les jours passent si vite, que le mois s'écoule à petit bruit sans qu'on l'entende.
C'est pour cela que M. le docteur est obligé de hérisser ses cheveux gris et de mettre son malade à la porte de l'infirmerie.
Justement, le père Maugendre revient de voyage à cette époque.
Il trouve tout le monde réuni à la maison. Et quand le pauvre Louveau, tout inquiet, lui demande :
«Eh bien ! veut-on de moi, là-bas ? ...» Maugendre ne peut se tenir de rire.
«Si on veut de toi, mon vieux ! ...
«Ils avaient besoin d'un patron pour un nouveau navire, et ils m'ont remercié du cadeau que je leur faisais.»
Qui ça «ils» ?
Le père Louveau est si enchanté qu'il n'en demande pas davantage.
Et tout le monde se met en route pour Clamecy, sans en savoir plus long.
Quelle joie, en arrivant au bord du canal !
Là, à quai, pavoisé du haut en bas, un magnifique bateau, flambant neuf, dresse son mât verni au milieu des verdures.
On lui donne le dernier coup d'astic, et l'étambot, où le nom de l'embarcation est écrit, demeure couvert d'une toile grise.
Un cri sort de toutes les bouches : «Ah ! le beau navire ! »
Louveau n'en croit pas ses yeux.
Il a une émotion de tous les diables qui lui picote les paupières, lui fend la bouche d'un pied, et secoue ses boucles d'oreilles comme des paniers à salade.
«C'est trop beau !
«Je n'oserai jamais conduire un bateau comme ça. C'est pas fait pour naviguer.
«On devrait mettre ça sous globe.»
Il faut que Maugendre le pousse de force sur la passerelle, d'où l'Équipage leur fait des signes.
Comment !
L'Équipage lui-même est restauré ?
Restauré, radoubé, calfaté à neuf.
Il a une gaffe et une jambe de bois toutes fraîches. C'est une gracieuseté de l'entrepreneur, un homme entendu qui a bien fait les choses.
Voyez plutôt :
Le tillac est en bois ciré entouré d'une balustrade. Il y a un banc pour s'asseoir, une tente pour s'abriter.
La cale est de taille à porter cargaison double.
Et la cabine ! ... oh ! la cabine !
«Trois chambres !
- Une cuisine ! »
- Des glaces !
Louveau entraîne Maugendre sur le pont.
Il est ému, secoué d'attendrissement, - comme ses boucles d'oreilles.
Il bégaye :
«Mon vieux Maugendre...
- Qu'est-ce qu'il y a ?
- Tu n'as oublié qu'une chose...
- Voyons ?
- Tu ne m'as pas dit pour le compte de qui je naviguerais.
- Tu veux le savoir ?
- Bédame !

- Eh bien ! pour ton compte !
- Comment... mais alors... le bateau.
- Est à toi ! ».
Quel coup, mes enfants !
Quel abordage en pleine poitrine !
Heureusement que l'entrepreneur, - qui est un homme entendu, - a eu l'idée de mettre un banc sur le pont.
Louveau tombe dessus comme assommé.
«Ce n'est pas possible... on ne peut pas accepter...»
Mais Maugendre a réponse à tout : «Allons donc ?
«Tu oublies notre vieille dette, les dépenses que tu as faites pour Victor !
«Sois tranquille, François, c'est encore moi qui te dois le plus.»
Et les deux compagnons s'embrassent comme des frères.
Cette fois, ça y est, on a pleuré.
Décidément Maugendre a tout disposé pour que la surprise soit complète, car tandis qu'on s'embrasse sur le pont, voilà M. le curé qui débouche du bois, bannière au vent, musique en tête.
Qu'est-ce encore ?
La bénédiction du bateau, parbleu !
Tout Clamecy est venu en procession pour assister à la fête.
Et la bannière flotte au vent.
Et la musique joue.
Zim-boum-boum !
Et les figures sont joyeuses.

Et il y a sur tout cela un joli soleil qui fait flamber l'argent de la croix et les cuivres des musiciens.
La jolie fête !
On vient de découvrir la toile qui masquait l'étambot ; le nom du bateau se détache en belles lettres d'or sur un fond d'azur : La Nouvelle-Nivernaise
Hurrah ! pour la Nouvelle-Nivernaise ! Qu'elle ait longue vie comme l'ancienne et plus heureuse vieillesse !
M. le curé s'est approché du bateau.
Derrière lui, les chantres et les musiciens sont rangés sur une seule ligne.
La bannière fait fond.
«Benedicat Deus...»
C'est Victor qui est le parrain et Clara qui est la marraine.
M. le curé les a fait avancer au bord du quai, tout près de lui. Ils se tiennent par la main, ils sont tout timides, tout tremblants.
Ils bredouillent de travers les phrases que l'enfant de choeur leur souffle, tandis que M. le curé secoue le goupillon sur eux :
«Benedicat Deus...»
Ne dirait-on pas un jeune couple à l'autel ?
Cette pensée-là vient à tout le monde.
Peut-être bien qu'elle leur vient à eux aussi, car ils n'osent pas se regarder et se troublent de plus en plus à mesure que la cérémonie avance. C'est fini. La foule se retire et la Nouvelle-Nivernaise est bénie.
Mais on ne peut laisser partir les musiciens, comme cela, sans les rafraîchir.
Et, tandis que Louveau verse une rasade aux musiciens, Maugendre cligne de l'oeil à la mère Louveau, prend par la main le parrain et la marraine, et se tournant vers M. le curé :
«Voilà le baptême fini, monsieur le curé ; à quand le mariage ? »
Victor et Clara deviennent rouges comme des coquelicots.
Mimile et la petite soeur battent des mains.
Et au milieu de l'enthousiasme général, le père Louveau, très allumé, se penche sur l'épaule de sa fille.
Il rit jusqu'aux oreilles, le brave marinier, et, réjoui d'avance de sa plaisanterie, il dit d'un ton goguenard :
«Dis donc, Clara, v'là le moment... si nous reportions Victor chez le commissaire ? »

Source: InLibroVeritas

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