Les prénoms de la mémoire
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Publication : 2018-09-18
Lu par Sabine
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Musique : Borodin: String Quartet No. 2 in D Major - III. Nocturne Andante : https://musopen.org/
Illustration d'après https://pixabay.com/ Domaine public
Illustration d'après https://pixabay.com/ Domaine public
Louis RAOUL est né en 1953 à Paris où il réside toujours. Retraité de la profession bancaire. Il a publié à ce jour de nombreux recueils dont :
Démantèlement du jour (éditions Éclats d'encre),
Les beaux suivants (éditions de l'Atlantique),
En attendant les murs (éditions La Renverse),
Pailles de pluie (éditions Alcyone)
et a collaboré à diverses revues et anthologies.
Je le remercie vivement du cadeau qu'il nous fait aujourd'hui avec Les prénoms de la mémoire.
Retrouvez ses oeuvres ici: http://data.bnf.fr/12633840/louis_raoul/
Les prénoms de la mémoire
Tu poses un premier mot. Tu inaugures. Le discours du vent. Les arbres qui se penchent pour voir. Ce sera un abri sûr dans l'hiver de la page, comme une avance sur le temps où les lampes viennent tard lire par-dessus l'épaule, où le poids des neiges à venir reste encore à négocier.
Madeleine
Une trace dans l'écoute, celle de vos pas qui vous conduisaient au jardin. Tu aurais dû compter ces syllabes plus sonores que les tiennes, parce qu'appartenant à une femme en âge de se pencher vers l'enfance. Difficile maintenant d'interroger ces chemins, tu fais confiance aux paroles de ceux qui l'ont assemblée dans ta mémoire. Tu fais semblant de croire à sa légende, mais il manquera toujours une ombre au soir.
Tu penses à ce jardin, et c'est ce souvenir aux mailles serrées que tu places devant la mémoire, afin de ne retenir du vent que la voix de celle qui parlait bas pour rassurer l'enfance, quand les lampes taisaient le nom des choses. Puis les draps à marée haute pour noyer la peur, et le passage du nom dans le souffle.
Il y a au fond de la mémoire, un visage qui attend sa chair et qui sourit en même temps que toi quand vient le moment de la rencontre. Lorsqu'ils parlaient de celui de ta mère, ils achevaient toujours le portrait par quelques retouches à la couleur des yeux, du bout d'un regret. Visage, résigné d'être à jamais le reflet de celle qui se penchait pour boire à ton sommeil, et que trouble à peine, le vol lent des paupières, quand elles passent d'un bord à l'autre de la fatigue.
Simplement, tu aurais voulu qu'elle capture l'orage entre ses paumes, pour ne plus avoir peur. Elle n'a pas répondu, elle était occupée à recoudre les déchirures du ciel. Tu as douté un moment du pouvoir de ta mère. Mais ce jour-là, c'est bien elle qui a libéré les arbres et leurs oiseaux des cages de la pluie.
Lorsque tu entrais dans le jour
Tu retrouvais la trace d'un corps d'hier
T'intégrant parfaitement à toi-même
Et le vent prenait l'empreinte de ton visage
Maintenant qu'il ne reste que l'absence
Quand je sors et me tourne face au vent
J'essaie des masques sans miroir
Je te connaissais déjà de l'intérieur.
*
Elle venait s'asseoir au bord du lit
Voir le corps et son sillage
Sur les draps
Quand tu remontais le sommeil
Sur un nom fragile
Cela après que l'enfance
Ait commandé à la nuit
Courant dans le soir
En bousculant ce qu'il restait de jour.
Encore un matin, un pont de gestes pour passer le jour, que tu ne verras pas. L'été comme un long cri, la frayeur des feuilles dans l'attente d'être nommées par un vent qui parlait autrefois dans tes cheveux. Le sable des saisons. Les traces de ta soif. Une gorge sèche, craquante sous l'appel. C'est encore de toi qu'il s'agit, même s'il n'y a plus le silence et la nuit d'un corps à partager. Et qu'il faut plus d'un sommeil pour t'atteindre.
Quand elle disait qu'il était tard et que la parole s'éteignait, tu entrais dans la forêt et tout un peuple de feuillage te saluait sous le vent. Passant par l'agneau et le loup tu retournais à la fable pour tenter d'expliquer ce piège tendu par la soif. Il fallait réhabiliter celui qui t'épargnait chaque fois que tu te penchais pour boire dans le sommeil.
Michel
Andrée
Elise
L'amitié était un atelier où se façonnaient ces mains s'ajustant si bien l'une dans l'autre, en un salut où il n'était prouvé que la force qui nous liait. Jusqu'à la blessure, jusqu'à ces copeaux de chair, que l'aube ramassait.
Ce soir-là, tu as décroché l'absence, composé le numéro d'une voix à venir. Chaque sonnerie te ramenait à cette pensée d'un corps traversant la pièce en perdant une à une, les lettres de la solitude. Tu allais être, au moment où la main décrocherait l'arme, cette voix en plein coeur qui allait dire : « je viens, je serai une ombre de plus pour ta lampe ». Mais il y eut ces paupières baissées en signe d'acquiescement à la dernière question d'une vie... De l'amitié, il ne reste que les traces d'un temps où tout était possible : un théâtre dans le jour, un coup de ciseau dans le vent, pour voir s'installer les premières filles de la pluie.
Je n'ai pas eu le temps de venir te voir, de t'embrasser, je croyais ce dernier mouvement de paupières plus tardif. Je n'ai pas chargé l'impatience de doigts sûrs d'atteindre ton visage. Tu es partie et je n'ai rien pu te dire, j'ai un adieu de trop dans la parole. Un demain sans la résonance des pas qui auraient dû nommer la rencontre.
Tu ouvres à l'amitié
Prépares les lèvres
Pour l'aube d'une joue
Celui qui viendra étrenner les bonjours
Aura une main sur ton épaule
Comme faisant un voeu
Au premier baiser du jour.
Tu viendras bien un soir, tard dans l'amitié. Tu porteras une fleur jaune en guise de lampe, et nous nous tiendrons dans son odeur qui est son ombre. Là, nous serons au mieux de nos mots pour parler de nos mères qui chantent en peignant la mémoire d'un autre été. Quand leur voix avait la prudence du soleil entre les feuilles.
Jean
Geneviève
Louis
Volets ouverts, les premières fouilles dans le vent, pour exhumer l'odeur des feuilles qui furent de nos automnes, et le gant ôté de la mémoire pour saluer le paysage. L'âge nous rend attentifs, et cette politesse est une réponse aux arbres qui, soulevant leurs oiseaux, saluaient notre enfance.
Genoux
Vos pâles saisons dans les villes
Où des nuits de toile longue
Vous couvraient en temps d'hiver
Genoux
Vos autres saisons
Aux jeux aussi longs que les jours
Jusqu'à ce que fatigue et silence
Vous portent à nos yeux
Pour prendre mesure de nos douleurs
Aux écorchures du soir.
Nous ne savions pas encore, en marchant dans le sang bruissant de septembre, ce qu'allait être pour nous cette cruauté du don. Le poème était jeune, et nous le tenions par le vague. D'enfance nous étions encore les hôtes, et ce que nous vivions était sans partage avec les mots. Nous allions très loin dans la fatigue, et le sommeil nous rejoignait dans l'obscur où les lampes dociles dans les mains qui les portaient, nommaient très bas ses chambres.
Quand l'enfance criait, ils entrouvraient la nuit avec leur lampe, parlaient de cette ombre disjointe par où s'échappait le sommeil. Ils parlaient aussi de la mort, comme d'un outil nécessaire pour colmater cette absence qui laissait entrer la pluie, comme un nom mille fois répété.
Feuillage ployant doucement
Nous assistions à la pesée des jockeys du vent
Nous n'avions pas besoin de parier
Sur notre ordre d'arrivée dans l'âge
Nos projets avaient toujours de faux départs
Enfance de toutes les victoires
Nous posions en silence devant un ciel gris
La brève éclaircie nous fixant à jamais
Avec les oiseaux de l'instant.
Quand nos jeux étaient finis, c'est le vent qui pliait les peupliers pour les ranger dans la nuit. Nous partions grandir d'un sommeil de plus, laissant les gestes, les rires, et les pierres au fond de la rivière, avec l'amitié de nos mains.
L'été
Le soir était une autre saison pour nous
Un automne pour nos jeux
Et les arbres perdaient nos mains
Nous avancions très loin dans la nuit
Nous n'avions pas peur
Nous savions qu'il y aurait ces appels
Comme des lampes dans l'écoute
Pour guider le retour.
Devant la source qui grimace et nous tire une belle langue d'eau, le corps se courbe sur son reflet, ouvrant une parenthèse dans l'âge. Comme pour nous rappeler ces années où nos pas nourrissaient les chemins sans compter. Nous pensions que le soir les ramassait derrière nous, et les rangeait en même temps que le silence, dans nos coffres à sommeils.
(Gévaudan)
Ils ont longtemps réservé cette brume pour un matin de chasse particulier. Ils sont sortis de la légende pour la poursuivre par-delà l'enfance, jusque dans nos sommeils d'hommes incrédules. Et c'est dans un sursaut, quand le corps se retourne avec le temps, qu'on ouvre les yeux et la mémoire sur la nuit où un croc de lune, trahit la présence de la bête.
De ceux que nous aimions, il nous reste leur ombre pour nous parler de leurs étés. Aux soirs qui les rassemblent toutes pour un grand commerce avec la mémoire, nous n'avons que leur nom pour aval. Et si peu de la monnaie d'une vie, quand la nuit ouvre ses marchés.
Ce peu d'aube dans ta paume pour un regard qui porte encore le fin duvet du sommeil. Plus tard, dans le jour, tu t'inquiéteras des visages et des choses qui seront autant d'arbres pour ses questions. Qu'en sera-t-il alors, une fois de plus, de sa préférence pour ce feuillage qui s'immobilise quand tu t'endors.
Tu conjugues la forêt
Au temps de tes pas
Et depuis que tu marches
L'âge a ouvert de nouveaux sentiers
Sur ton visage
Tu viens du milieu du jour
Là où l'horizon marque le pli
Tu cherches le cerf tranquille
Les grands bois où suspendre l'ombre
Pour qu'il soit midi à l'instant du désir.
*
Le souffle dans le souffle
Tu reprends le chemin d'hier
Avec ce signe
Cette invitation à aller plus loin
Vers ce qui se redit dans l'espace
Et que pourtant les yeux
N'épuisent pas.
Une aube
Suffisamment affranchie en oiseaux
Glissée sous les paupières
Et sur le plus beau papier du jour
Des nouvelles de nous
La confirmation d'être là
Encore
Parmi les lettres du nom.
*
Des premières lèvres offertes
À celles qui aujourd'hui prononcent ton nom
Une simple porte ouverte dans l'âge
Et la feuille de vivre
Un courant d'air plus loin
Avec la pluie sur le visage
Comme acné sollicitant la mémoire
Pour d'anciennes expériences.
L'appel, la voix promise, reconnue. Tu t'es levée pour aller à la rencontre de celui que tu attendais à force de légendes. Il est venu tard dans le poème, et son cheval était déjà vieux de tant d'orages. Tu étais impatiente, et lui t'a demandé d'approcher la lampe pour y laver son visage. Rien que cela, tandis que le corps, le sexe, étaient encore dans l'ombre.
Dans l'atelier
Étaient les planches
Comme de grandes tartines
0ù s'étalait le jour
Puis l'homme en ciel d'été
Passant le rabot
Et les premières vagues de bois
Tu penses à cela
Sous la haute lampe de midi
Où l'ombre rejoint le corps
Comme l'enfance la mémoire
Quand elles jouent ensemble
Dans les copeaux de la mer.
Cette maison sans porte ni fenêtre n'a pas peur des voleurs. Un homme y dort. Il n'a pas de monnaie à rendre au passé et ses songes sont des provisions pour longtemps. Il est venu avec le bois des mots sur la page. Il est de ce poème, avec l'hiver tout autour.
Ils tirent à eux la nuit
Ceux d'autres lieux
D'autres langages
Ici
Il reste à réactiver la parole
À enfiler les gestes d'hier
Comme des vêtements devenus trop petits
Nous avons mal dormi
Dans une chambre voisine de la nôtre
Une enfance turbulente y a remué des songes
Nous allons sortir
Pour ramener ce qui reste de lumière
Et attendre du vent
Les masques anciens de nos rires.
*
On a changé les draps de l'aube
L'enfance y a saigné
Et ce qui s'approche
Fait s'agiter un autre feuillage en elle
Elle va à sa rencontre
Tenant une lampe étonnée
Dans ce qui sera la chambre
De nouveaux songes.
*
Été
Des gestes saluant la soif
De la source brève
Au fond de la gorge
Des songes de blés anciens
Des pains de nuages
Et des premières gouttes
Pour humecter le silence
Juste avant que l'on ne tire
Les tables de l'orage.
*
Nuit de neige
Où le vent fut complice de la colère
Il attendit la pierre et la vitre brisée
Pour entrer avec l'invective
Et les petites étoiles du froid.
De moins en moins rappelées
Quand la joue repose nue sur la paume
Ces lèvres qui s'ouvraient sous l'averse
Et la lampe a vieilli
Qui éclairait la demeure d'un visage
Où battaient les paupières
Au vent de vivre
Reste un grand arbre
Qui me lie au sommeil de ses feuilles
Dans leur saison d'ombre
Pour que j'y vois
Un plus grand délabrement des songes.
*
Canne d'eau
Au milieu du bassin
Plus vieux d'une rêverie
Le regard se voûte
Et prend appui.
Jardin du Luxembourg, avril 1993
Démantèlement du jour (éditions Éclats d'encre),
Les beaux suivants (éditions de l'Atlantique),
En attendant les murs (éditions La Renverse),
Pailles de pluie (éditions Alcyone)
et a collaboré à diverses revues et anthologies.
Je le remercie vivement du cadeau qu'il nous fait aujourd'hui avec Les prénoms de la mémoire.
Retrouvez ses oeuvres ici: http://data.bnf.fr/12633840/louis_raoul/
Les prénoms de la mémoire
Tu poses un premier mot. Tu inaugures. Le discours du vent. Les arbres qui se penchent pour voir. Ce sera un abri sûr dans l'hiver de la page, comme une avance sur le temps où les lampes viennent tard lire par-dessus l'épaule, où le poids des neiges à venir reste encore à négocier.
Madeleine
Une trace dans l'écoute, celle de vos pas qui vous conduisaient au jardin. Tu aurais dû compter ces syllabes plus sonores que les tiennes, parce qu'appartenant à une femme en âge de se pencher vers l'enfance. Difficile maintenant d'interroger ces chemins, tu fais confiance aux paroles de ceux qui l'ont assemblée dans ta mémoire. Tu fais semblant de croire à sa légende, mais il manquera toujours une ombre au soir.
Tu penses à ce jardin, et c'est ce souvenir aux mailles serrées que tu places devant la mémoire, afin de ne retenir du vent que la voix de celle qui parlait bas pour rassurer l'enfance, quand les lampes taisaient le nom des choses. Puis les draps à marée haute pour noyer la peur, et le passage du nom dans le souffle.
Il y a au fond de la mémoire, un visage qui attend sa chair et qui sourit en même temps que toi quand vient le moment de la rencontre. Lorsqu'ils parlaient de celui de ta mère, ils achevaient toujours le portrait par quelques retouches à la couleur des yeux, du bout d'un regret. Visage, résigné d'être à jamais le reflet de celle qui se penchait pour boire à ton sommeil, et que trouble à peine, le vol lent des paupières, quand elles passent d'un bord à l'autre de la fatigue.
Simplement, tu aurais voulu qu'elle capture l'orage entre ses paumes, pour ne plus avoir peur. Elle n'a pas répondu, elle était occupée à recoudre les déchirures du ciel. Tu as douté un moment du pouvoir de ta mère. Mais ce jour-là, c'est bien elle qui a libéré les arbres et leurs oiseaux des cages de la pluie.
Lorsque tu entrais dans le jour
Tu retrouvais la trace d'un corps d'hier
T'intégrant parfaitement à toi-même
Et le vent prenait l'empreinte de ton visage
Maintenant qu'il ne reste que l'absence
Quand je sors et me tourne face au vent
J'essaie des masques sans miroir
Je te connaissais déjà de l'intérieur.
*
Elle venait s'asseoir au bord du lit
Voir le corps et son sillage
Sur les draps
Quand tu remontais le sommeil
Sur un nom fragile
Cela après que l'enfance
Ait commandé à la nuit
Courant dans le soir
En bousculant ce qu'il restait de jour.
Encore un matin, un pont de gestes pour passer le jour, que tu ne verras pas. L'été comme un long cri, la frayeur des feuilles dans l'attente d'être nommées par un vent qui parlait autrefois dans tes cheveux. Le sable des saisons. Les traces de ta soif. Une gorge sèche, craquante sous l'appel. C'est encore de toi qu'il s'agit, même s'il n'y a plus le silence et la nuit d'un corps à partager. Et qu'il faut plus d'un sommeil pour t'atteindre.
Quand elle disait qu'il était tard et que la parole s'éteignait, tu entrais dans la forêt et tout un peuple de feuillage te saluait sous le vent. Passant par l'agneau et le loup tu retournais à la fable pour tenter d'expliquer ce piège tendu par la soif. Il fallait réhabiliter celui qui t'épargnait chaque fois que tu te penchais pour boire dans le sommeil.
Michel
Andrée
Elise
L'amitié était un atelier où se façonnaient ces mains s'ajustant si bien l'une dans l'autre, en un salut où il n'était prouvé que la force qui nous liait. Jusqu'à la blessure, jusqu'à ces copeaux de chair, que l'aube ramassait.
Ce soir-là, tu as décroché l'absence, composé le numéro d'une voix à venir. Chaque sonnerie te ramenait à cette pensée d'un corps traversant la pièce en perdant une à une, les lettres de la solitude. Tu allais être, au moment où la main décrocherait l'arme, cette voix en plein coeur qui allait dire : « je viens, je serai une ombre de plus pour ta lampe ». Mais il y eut ces paupières baissées en signe d'acquiescement à la dernière question d'une vie... De l'amitié, il ne reste que les traces d'un temps où tout était possible : un théâtre dans le jour, un coup de ciseau dans le vent, pour voir s'installer les premières filles de la pluie.
Je n'ai pas eu le temps de venir te voir, de t'embrasser, je croyais ce dernier mouvement de paupières plus tardif. Je n'ai pas chargé l'impatience de doigts sûrs d'atteindre ton visage. Tu es partie et je n'ai rien pu te dire, j'ai un adieu de trop dans la parole. Un demain sans la résonance des pas qui auraient dû nommer la rencontre.
Tu ouvres à l'amitié
Prépares les lèvres
Pour l'aube d'une joue
Celui qui viendra étrenner les bonjours
Aura une main sur ton épaule
Comme faisant un voeu
Au premier baiser du jour.
Tu viendras bien un soir, tard dans l'amitié. Tu porteras une fleur jaune en guise de lampe, et nous nous tiendrons dans son odeur qui est son ombre. Là, nous serons au mieux de nos mots pour parler de nos mères qui chantent en peignant la mémoire d'un autre été. Quand leur voix avait la prudence du soleil entre les feuilles.
Jean
Geneviève
Louis
Volets ouverts, les premières fouilles dans le vent, pour exhumer l'odeur des feuilles qui furent de nos automnes, et le gant ôté de la mémoire pour saluer le paysage. L'âge nous rend attentifs, et cette politesse est une réponse aux arbres qui, soulevant leurs oiseaux, saluaient notre enfance.
Genoux
Vos pâles saisons dans les villes
Où des nuits de toile longue
Vous couvraient en temps d'hiver
Genoux
Vos autres saisons
Aux jeux aussi longs que les jours
Jusqu'à ce que fatigue et silence
Vous portent à nos yeux
Pour prendre mesure de nos douleurs
Aux écorchures du soir.
Nous ne savions pas encore, en marchant dans le sang bruissant de septembre, ce qu'allait être pour nous cette cruauté du don. Le poème était jeune, et nous le tenions par le vague. D'enfance nous étions encore les hôtes, et ce que nous vivions était sans partage avec les mots. Nous allions très loin dans la fatigue, et le sommeil nous rejoignait dans l'obscur où les lampes dociles dans les mains qui les portaient, nommaient très bas ses chambres.
Quand l'enfance criait, ils entrouvraient la nuit avec leur lampe, parlaient de cette ombre disjointe par où s'échappait le sommeil. Ils parlaient aussi de la mort, comme d'un outil nécessaire pour colmater cette absence qui laissait entrer la pluie, comme un nom mille fois répété.
Feuillage ployant doucement
Nous assistions à la pesée des jockeys du vent
Nous n'avions pas besoin de parier
Sur notre ordre d'arrivée dans l'âge
Nos projets avaient toujours de faux départs
Enfance de toutes les victoires
Nous posions en silence devant un ciel gris
La brève éclaircie nous fixant à jamais
Avec les oiseaux de l'instant.
Quand nos jeux étaient finis, c'est le vent qui pliait les peupliers pour les ranger dans la nuit. Nous partions grandir d'un sommeil de plus, laissant les gestes, les rires, et les pierres au fond de la rivière, avec l'amitié de nos mains.
L'été
Le soir était une autre saison pour nous
Un automne pour nos jeux
Et les arbres perdaient nos mains
Nous avancions très loin dans la nuit
Nous n'avions pas peur
Nous savions qu'il y aurait ces appels
Comme des lampes dans l'écoute
Pour guider le retour.
Devant la source qui grimace et nous tire une belle langue d'eau, le corps se courbe sur son reflet, ouvrant une parenthèse dans l'âge. Comme pour nous rappeler ces années où nos pas nourrissaient les chemins sans compter. Nous pensions que le soir les ramassait derrière nous, et les rangeait en même temps que le silence, dans nos coffres à sommeils.
(Gévaudan)
Ils ont longtemps réservé cette brume pour un matin de chasse particulier. Ils sont sortis de la légende pour la poursuivre par-delà l'enfance, jusque dans nos sommeils d'hommes incrédules. Et c'est dans un sursaut, quand le corps se retourne avec le temps, qu'on ouvre les yeux et la mémoire sur la nuit où un croc de lune, trahit la présence de la bête.
De ceux que nous aimions, il nous reste leur ombre pour nous parler de leurs étés. Aux soirs qui les rassemblent toutes pour un grand commerce avec la mémoire, nous n'avons que leur nom pour aval. Et si peu de la monnaie d'une vie, quand la nuit ouvre ses marchés.
Ce peu d'aube dans ta paume pour un regard qui porte encore le fin duvet du sommeil. Plus tard, dans le jour, tu t'inquiéteras des visages et des choses qui seront autant d'arbres pour ses questions. Qu'en sera-t-il alors, une fois de plus, de sa préférence pour ce feuillage qui s'immobilise quand tu t'endors.
Tu conjugues la forêt
Au temps de tes pas
Et depuis que tu marches
L'âge a ouvert de nouveaux sentiers
Sur ton visage
Tu viens du milieu du jour
Là où l'horizon marque le pli
Tu cherches le cerf tranquille
Les grands bois où suspendre l'ombre
Pour qu'il soit midi à l'instant du désir.
*
Le souffle dans le souffle
Tu reprends le chemin d'hier
Avec ce signe
Cette invitation à aller plus loin
Vers ce qui se redit dans l'espace
Et que pourtant les yeux
N'épuisent pas.
Une aube
Suffisamment affranchie en oiseaux
Glissée sous les paupières
Et sur le plus beau papier du jour
Des nouvelles de nous
La confirmation d'être là
Encore
Parmi les lettres du nom.
*
Des premières lèvres offertes
À celles qui aujourd'hui prononcent ton nom
Une simple porte ouverte dans l'âge
Et la feuille de vivre
Un courant d'air plus loin
Avec la pluie sur le visage
Comme acné sollicitant la mémoire
Pour d'anciennes expériences.
L'appel, la voix promise, reconnue. Tu t'es levée pour aller à la rencontre de celui que tu attendais à force de légendes. Il est venu tard dans le poème, et son cheval était déjà vieux de tant d'orages. Tu étais impatiente, et lui t'a demandé d'approcher la lampe pour y laver son visage. Rien que cela, tandis que le corps, le sexe, étaient encore dans l'ombre.
Dans l'atelier
Étaient les planches
Comme de grandes tartines
0ù s'étalait le jour
Puis l'homme en ciel d'été
Passant le rabot
Et les premières vagues de bois
Tu penses à cela
Sous la haute lampe de midi
Où l'ombre rejoint le corps
Comme l'enfance la mémoire
Quand elles jouent ensemble
Dans les copeaux de la mer.
Cette maison sans porte ni fenêtre n'a pas peur des voleurs. Un homme y dort. Il n'a pas de monnaie à rendre au passé et ses songes sont des provisions pour longtemps. Il est venu avec le bois des mots sur la page. Il est de ce poème, avec l'hiver tout autour.
Ils tirent à eux la nuit
Ceux d'autres lieux
D'autres langages
Ici
Il reste à réactiver la parole
À enfiler les gestes d'hier
Comme des vêtements devenus trop petits
Nous avons mal dormi
Dans une chambre voisine de la nôtre
Une enfance turbulente y a remué des songes
Nous allons sortir
Pour ramener ce qui reste de lumière
Et attendre du vent
Les masques anciens de nos rires.
*
On a changé les draps de l'aube
L'enfance y a saigné
Et ce qui s'approche
Fait s'agiter un autre feuillage en elle
Elle va à sa rencontre
Tenant une lampe étonnée
Dans ce qui sera la chambre
De nouveaux songes.
*
Été
Des gestes saluant la soif
De la source brève
Au fond de la gorge
Des songes de blés anciens
Des pains de nuages
Et des premières gouttes
Pour humecter le silence
Juste avant que l'on ne tire
Les tables de l'orage.
*
Nuit de neige
Où le vent fut complice de la colère
Il attendit la pierre et la vitre brisée
Pour entrer avec l'invective
Et les petites étoiles du froid.
De moins en moins rappelées
Quand la joue repose nue sur la paume
Ces lèvres qui s'ouvraient sous l'averse
Et la lampe a vieilli
Qui éclairait la demeure d'un visage
Où battaient les paupières
Au vent de vivre
Reste un grand arbre
Qui me lie au sommeil de ses feuilles
Dans leur saison d'ombre
Pour que j'y vois
Un plus grand délabrement des songes.
*
Canne d'eau
Au milieu du bassin
Plus vieux d'une rêverie
Le regard se voûte
Et prend appui.
Jardin du Luxembourg, avril 1993
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