Rosalie Prudent suivi de Sauvée
Enregistrement : Audiocite.net
Publication : 2011-05-16
Lu par Alain Bernard
Livre audio de 22min
Fichier mp3 de 17,2 Mo
Télécharger
(clic droit "enregistrer sous")Lien Torrent
Peer to peerSignaler
une erreur Commentaires
Peinture: Femme à l'ombrelle tournée vers la gauche - Claude Monet
Domaine public Musique : BRAHMS, Sonata D licence MUSOPEN
Domaine public Musique : BRAHMS, Sonata D licence MUSOPEN
ROSALIE PRUDENT
Auteur : Guy de Maupassant
Catégorie : Romans / Nouvelles
Il y avait vraiment dans cette affaire un mystère que ni les jurés, ni le
président, ni le procureur de la République lui-même ne parvenaient à
comprendre.
Licence : Domaine public
ROSALIE PRUDENT
Il y avait vraiment dans cette affaire un mystère que ni les jurés, ni le
président, ni le procureur de la République lui-même ne parvenaient à
comprendre.
La fille Prudent (Rosalie), bonne chez les époux Varambot, de Mantes,
devenue grosse à l'insu de ses maîtres, avait accouché, pendant la nuit,
dans sa mansarde, puis tué et enterré son enfant dans le jardin.
C'était là l'histoire courante de tous les infanticides accomplis par les
servantes. Mais un fait demeurait inexplicable. La perquisition opérée dans
la chambre de la fille Prudent avait amené la découverte d'un trousseau
complet d'enfant, fait par Rosalie elle-même, qui avait passé ses nuits à le
couper et à le coudre pendant trois mois. L'épicier chez qui elle avait
acheté de la chandelle, payée sur ses gages, pour ce long travail, était venu
témoigner. De plus, il demeurait acquis que la sage-femme du pays,
prévenue par elle de son état, lui avait donné tous les renseignements et
tous les conseils pratiques pour le cas où l'accident arriverait dans un
moment où les secours demeureraient impossibles. Elle avait cherché en
outre une place à Poissy pour la fille Prudent qui prévoyait son renvoi, car
les époux Varambot ne plaisantaient pas sur la morale.
Ils étaient là, assistant aux assises, l'homme et la femme, petits rentiers de
province, exaspérés contre cette traînée qui avait souillé leur maison. Ils
auraient voulu la voir guillotiner tout de suite, sans jugement, et ils
l'accablaient de dépositions haineuses devenues dans leur bouche des
accusations.
La coupable, une belle grande fille de Basse-Normandie, assez instruite
pour son état, pleurait sans cesse et ne répondait rien.
On en était réduit à croire qu'elle avait accompli cet acte barbare dans un
moment de désespoir et de folie, puisque tout indiquait qu'elle avait espéré
garder et élever son fils.
Le président essaya encore une fois de la faire parler, d'obtenir des aveux,
et l'ayant sollicitée avec une grande douceur, lui fit enfin comprendre que
tous ces hommes réunis pour la juger ne voulaient point sa mort et
pouvaient même la plaindre.
Alors elle se décida.
Il demandait : «Voyons, dites-nous d'abord quel est le père de cet enfant ?»
Jusque-là elle l'avait caché obstinément.
Elle répondit soudain, en regardant ses maîtres qui venaient de la
calomnier avec rage.
-C'est M. Joseph, le neveu à M. Varambot.
Les deux époux eurent un sursaut et crièrent en même temps : «C'est faux !
Elle ment. C'est une infamie.»
Le président les fit taire et reprit : «Continuez, je vous prie, et dites-nous
comment cela est arrivé.»
Alors elle se mit brusquement à parler avec abondance, soulageant son
coeur fermé, son pauvre coeur solitaire et broyé, vidant son chagrin, tout
son chagrin maintenant devant ces hommes sévères qu'elle avait pris
jusque-là pour des ennemis et des juges inflexibles.
-Oui, c'est M. Joseph Varambot, quand il est venu en congé l'an dernier.
-Qu'est-ce qu'il fait, M. Joseph Varambot ?
-Il est sous-officier d'artilleurs, m'sieu. Donc il resta deux mois à la
maison. Deux mois d'été. Moi, je ne pensais à rien quand il s'est mis à me
regarder, et puis à me dire des flatteries, et puis à me cajoler tant que le
jour durait. Moi, je me suis laissé prendre, m'sieu. Il m' répétait que j'étais
belle fille, que j'étais plaisante... que j'étais de son goût... Moi, il me
plaisait pour sûr... Que voulez-vous ?... on écoute ces choses-là, quand on
est seule... toute seule... comme moi. J' suis seule sur la terre, m'sieu... j'
n'ai personne à qui parler... personne à qui compter mes ennuyances... Je
n'ai pu d' père, pu d' mère, ni frère, ni soeur, personne ! Ça m'a fait comme
un frère qui serait r'venu quand il s'est mis à me causer. Et puis, il m'a
demandé de descendre au bord de la rivière, un soir, pour bavarder sans
faire de bruit. J'y suis v'nue, moi... Je sais-t-il ? je sais-t-il après ?... Il me
tenait la taille... Pour sûr, je ne voulais pas... non... non... J'ai pas pu...
j'avais envie de pleurer tant que l'air était douce... il faisait clair de lune...
J'ai pas pu... Non... je vous jure... j'ai pas pu... il a fait ce qu'il a voulu... Ça
a duré encore trois semaines, tant qu'il est resté... Je l'aurais suivi au bout
du monde... il est parti... Je ne savais pas que j'étais grosse, moi !... Je ne l'ai su que l' mois d'après...
Elle se mit à pleurer si fort qu'on dut lui laisser le temps de se remettre.
Puis le président reprit sur un ton de prêtre au confessionnal : «Voyons,
continuez».
Elle recommença à parler : «Quand j'ai vu que j'étais grosse, j'ai prévenu
Mme Boudin, la sage-femme, qu'est là pour le dire ; et j'y ai demandé la
manière pour le cas que ça arriverait sans elle. Et puis j'ai fait mon
trousseau, nuit à nuit, jusqu'à une heure du matin, chaque soir ; et puis j'ai
cherché une autre place, car je savais bien que je serais renvoyée ; mais j'
voulais rester jusqu'au bout dans la maison, pour économiser des sous, vu
que j' n'en ai guère, et qu'il m'en faudrait, pour le p'tit...
-Alors vous ne vouliez pas le tuer ?
-Oh ! pour sûr non, m'sieu.
-Pourquoi l'avez-vous tué, alors ?
-V'là la chose. C'est arrivé plus tôt que je n'aurais cru. Ça m'a pris dans ma
cuisine, comme j' finissais ma vaisselle.
M. et Mme Varambot dormaient déjà ; donc je monte, pas sans peine, en
me tirant à la rampe ; et je m' couche par terre, sur le carreau, pour n' point
gâter mon lit. Ça a duré p't-être une heure, p't-être deux, p't-être trois ; je ne
sais point, tant ça me faisait mal ; et puis, je l' poussais d' toute ma force,
j'ai senti qu'il sortait, et je l'ai ramassé.
Oh ! oui, j'étais contente, pour sûr ! J'ai fait tout ce que m'avait dit Mme
Boudin, tout ! Et puis je l'ai mis sur mon lit, lui ! Et puis v'là qu'il me
r'vient une douleur, mais une douleur à mourir.-Si vous connaissiez ça,
vous autres, vous n'en feriez pas tant, allez !-J'en ai tombé sur les genoux,
puis sur le dos, par terre ; et v'là que ça me reprend, p't-être une heure
encore, p't-être deux, là toute seule..., et puis qu'il en sort un autre..., un
autre p'tit..., deux..., oui..., deux... comme ça ! Je l'ai pris comme le
premier, et puis je l'ai mis sur le lit, côte à côte-deux.-Est-ce possible,
dites ? Deux enfants ! Moi qui gagne vingt francs par mois ! Dites... est-ce
possible ? Un, oui, ça s' peut, en se privant... mais pas deux ! Ça m'a tourné
la tête. Est-ce que je sais, moi ?-J' pouvais-t-il choisir, dites ?
Est-ce que je sais ! Je me suis vue à la fin de mes jours ! J'ai mis l'oreiller
d'sus, sans savoir... Je n' pouvais pas en garder deux... et je m' suis couchée
d'sus encore. Et puis, j' suis restée à m' rouler et à pleurer jusqu'au jour que
j'ai vu venir par la fenêtre ; ils étaient morts sous l'oreiller, pour sûr. Alors
je les ai pris sous mon bras, j'ai descendu l'escalier, j'ai sorti dans l'
potager, j'ai pris la bêche au jardinier, et je les ai enfouis sous terre, l' plus
profond que j'ai pu, un ici, puis l'autre là, pas ensemble, pour qu'ils n'
parlent pas de leur mère, si ça parle, les p'tits morts. Je sais-t-il, moi ?
Et puis, dans mon lit, v'là que j'ai été si mal que j'ai pas pu me lever. On a
fait venir le médecin qu'a tout compris. C'est la vérité, m'sieu le juge.
Faites ce qu'il vous plaira, j' suis prête.
La moitié des jurés se mouchaient coup sur coup pour ne point pleurer.
Des femmes sanglotaient dans l'assistance.
Le président interrogea.
-A quel endroit avez-vous enterré l'autre ?
Elle demanda :
-Lequel que vous avez ?
-Mais... celui... celui qui était dans les artichauts.
-Ah bien ! L'autre est dans les fraisiers, au bord du puits.
Et elle se mit à sangloter si fort qu'elle gémissait à fendre les coeurs.
La fille Rosalie Prudent fut acquittée.
Guy de Maupassant
SAUVÉE
- Collection Romans / Nouvelles -
Guy de Maupassant
SAUVÉE
- Collection Romans / Nouvelles -
Retrouvez cette oeuvre et beaucoup d'autres sur
http://www.inlibroveritas.net
SAUVÉE
Auteur : Guy de Maupassant
Catégorie : Romans / Nouvelles
Elle entra comme une balle qui crève une vitre, la petite marquise de
Rennedon, et elle se mit à rire avant de parler, à rire aux larmes comme
elle avait fait un mois plus tôt en annonçant à son amie qu'elle avait trompé
le marquis pour se venger, rien que pour se venger, et rien qu'une fois,
parce qu'il était vraiment trop bête et trop jaloux. Elle entra comme une balle qui crève une vitre, la petite marquise de
Rennedon, et elle se mit à rire avant de parler, à rire aux larmes comme
elle avait fait un mois plus tôt en annonçant à son amie qu'elle avait trompé
le marquis pour se venger, rien que pour se venger, et rien qu'une fois,
parce qu'il était vraiment trop bête et trop jaloux.
La petite baronne de Grangerie avait jeté sur son canapé le livre qu'elle
lisait et elle regardait Annette avec curiosité, riant déjà elle-même.
Enfin elle demanda :
-Qu'est-ce que tu as encore fait ?
-Oh !... ma chère... ma chère... C'est trop drôle... trop drôle..., figure-toi...
je suis sauvée !... sauvée !... sauvée !...
-Comment, sauvée ?
-Oui, sauvée !
-De quoi ?
-De mon mari, ma chère, sauvée ! Délivrée ! libre ! libre ! libre !
-Comment libre ? En quoi ?
-En quoi ? Le divorce ! Oui, le divorce ! Je tiens le divorce !
-Tu es divorcée ?
-Non, pas encore, que tu es sotte ! On ne divorce pas en trois heures ! Mais
j'ai des preuves... des preuves... des preuves qu'il me trompe... un flagrant
délit... songe !... un flagrant délit... je le tiens...
-Oh, dis-moi ça ! Alors il te trompait ?
-Oui... c'est-à-dire non... oui et non... je ne sais pas. Enfin, j'ai des preuves,
c'est l'essentiel.
-Comment as-tu fait ?
-Comment j'ai fait ?... Voilà ! Oh ! j'ai été forte, rudement forte. Depuis
trois mois il était devenu odieux, tout à fait odieux, brutal, grossier,
despote, ignoble enfin. Je me suis dit : Ça ne peut pas durer, il me faut le
divorce ! Mais comment ? Ça n'était pas facile. J'ai essayé de me faire
battre par lui. Il n'a pas voulu. Il me contrariait du matin au soir, me forçait
à sortir quand je ne voulais pas, à rester chez moi quand je désirais dîner en
ville ; il me rendait la vie insupportable d'un bout à l'autre de la semaine,
mais il ne me battait pas.
Alors, j'ai tâché de savoir s'il avait une maîtresse. Oui, il en avait une, mais
il prenait mille précautions pour aller chez elle. Ils étaient imprenables
ensemble. Alors, devine ce que j'ai fait ?
-Je ne devine pas.
-Oh ! tu ne devineras jamais. J'ai prié mon frère de me procurer une
photographie de cette fille.
-De la maîtresse de ton mari ?
-Oui. Ça a coûté quinze louis à Jacques, le prix d'un soir, de sept heures à
minuit, dîner compris, trois louis l'heure. Il a obtenu la photographie par
dessus le marché.
-Il me semble qu'il aurait pu l'avoir à moins en usant d'une ruse quelconque
et sans... sans... sans être obligé de prendre en même temps l'original.
-Oh ! elle est jolie. Ça ne déplaisait pas à Jacques. Et puis moi j'avais
besoin de détails physiques sur sa taille, sur sa poitrine, sur son teint, sur
mille choses enfin.
-Je ne comprends pas.
-Tu vas voir.
Quand j'ai connu tout ce que je voulais savoir, je me suis rendue chez un...
comment dirais-je... chez un homme d'affaires... tu sais... de ces hommes
qui font des affaires de toute... de toute nature... des agents de... de... de
publicité et de complicité... de ces hommes... enfin tu comprends.
-Oui, à peu près. Et tu lui as dit ?
-Je lui ai dit, en lui montrant la photographie de Clarisse (elle s'appelle
Clarisse) : «Monsieur, il me faut une femme de chambre qui ressemble à
ça. Je la veux jolie, élégante, fine, propre. Je la payerai ce qu'il faudra. Si
ça me coûte dix mille francs, tant pis. Je n'en aurai pas besoin plus de trois
mois.»
Il avait l'air très étonné, cet homme. Il demanda : «Madame la veut-elle
irréprochable ?»
Je rougis, et je balbutiai : «-Mais oui, comme probité.»
Il reprit : «... Et... comme moeurs ?...» Je n'osai pas répondre. Je fis
seulement un signe de tête qui voulait dire : non. Puis, tout à coup, je
compris qu'il avait un horrible soupçon, et je m'écriai, perdant l'esprit :
«Oh ! monsieur... c'est pour mon mari... qui me trompe... qui me trompe en
ville... et je veux... je veux qu'il me trompe chez moi... vous comprenez...
pour le surprendre...»
Alors, l'homme se mit à rire. Et je compris à son regard qu'il m'avait rendu
son estime. Il me trouvait même très forte. J'aurais bien parié qu'à ce
moment-là il avait envie de me serrer la main.
Il me dit : «Dans huit jours, madame, j'aurai votre affaire. Et nous
changerons de sujet s'il le faut. Je réponds du succès. Vous ne me payerez
qu'après réussite. Ainsi cette photographie représente la maîtresse de
monsieur votre mari ?»-«Oui, monsieur.»
-«Une belle personne, une fausse maigre. Et quel parfum ?»-Je ne
comprenais pas ; je répétai : «Comment, quel parfum ?» Il sourit. «Oui,
madame, le parfum est essentiel pour séduire un homme ; car cela lui
donne des ressouvenirs inconscients qui le disposent à l'action ; le parfum
établit des confusions obscures dans son esprit, le trouble et l'énerve en lui
rappelant ses plaisirs. Il faudrait tâcher de savoir aussi ce que monsieur
votre mari a l'habitude de manger quand il dîne avec cette dame. Vous
pourriez lui servir les mêmes plats le soir où vous le pincerez. Oh ! nous le
tenons, madame, nous le tenons.»
Je m'en allai enchantée. J'étais tombée là vraiment sur un homme très
intelligent.
-Trois jours plus tard, je vis arriver chez moi une grande fille brune, très
belle, avec l'air modeste et hardi en même temps, un singulier air de rouée.
Elle fut très convenable avec moi. Comme je ne savais trop qui c'était, je
l'appelais «mademoiselle» ; alors, elle me dit : «Oh ! madame peut
m'appeler Rose tout court.» Nous commençâmes à causer.
-Eh bien, Rose, vous savez pourquoi vous venez ici ?
-Je m'en doute, madame.
-Fort bien, ma fille..., et cela ne vous... ne vous ennuie pas trop ?
-Oh ! madame, c'est le huitième divorce que je fais ; j'y suis habituée.
-Alors parfait. Vous faut-il longtemps pour réussir ?
-Oh ! madame, cela dépend tout à fait du tempérament de monsieur. Quand
j'aurai vu monsieur cinq minutes en tête-à-tête, je pourrai répondre
exactement à madame.
-Vous le verrez tout à l'heure, mon enfant. Mais je vous préviens qu'il n'est
pas beau.
-Cela ne me fait rien, madame. J'en ai séparé déjà de très laids. Mais je
demanderai à madame si elle s'est informée du parfum.
-Oui, ma bonne Rose,-la verveine.
-Tant mieux, madame, j'aime beaucoup cette odeur-là !
Madame peut-elle me dire aussi si la maîtresse de monsieur porte du linge
de soie.
-Non, mon enfant : de la batiste avec dentelles.
-Oh ! alors, c'est une personne comme il faut. Le linge de soie commence à
devenir commun.
-C'est très vrai ce que vous dites-là !
-Eh bien, madame, je vais prendre mon service.
Elle prit son service, en effet, immédiatement, comme si elle n'eût fait que
cela toute sa vie.
II
Une heure plus tard mon mari rentrait, Rose ne leva même pas les yeux sur
lui, mais il leva les yeux sur elle, lui. Elle sentait déjà la verveine à plein
nez. Au bout de cinq minutes elle sortit.
Il me demanda aussitôt :
-Qu'est-ce que c'est que cette fille-là !
-Mais... ma nouvelle femme de chambre.
-Où l'avez-vous trouvée ?
-C'est la baronne de Grangerie qui me l'a donnée, avec les meilleurs
renseignements.
-Ah ! elle est assez jolie !
-Vous trouvez ?
-Mais oui... pour une femme de chambre.
J'étais ravie. Je sentais qu'il mordait déjà.
Le soir même, Rose me disait : «Je puis maintenant promettre à madame
que ça ne durera pas quinze jours. Monsieur est très facile !
-Ah ! vous avez déjà essayé ?
-Non, madame, mais ça se voit au premier coup d'oeil. Il a déjà envie de
m'embrasser en passant à côté de moi.
-Il ne vous a rien dit ?
-Non, madame, il m'a seulement demandé mon nom... pour entendre le son
de ma voix.
-Très bien, ma bonne Rose. Allez le plus vite que vous pourrez.
-Que madame ne craigne rien. Je ne résisterai que le temps nécessaire pour
ne pas me déprécier.
Au bout de huit jours mon mari ne sortait presque plus. Je le voyais rôder
toute l'après-midi par la maison ; et ce qu'il y avait de plus significatif dans
son affaire, c'est qu'il ne m'empêchait plus de sortir. Et moi j'étais dehors
toute la journée... pour... pour le laisser libre.
Le neuvième jour, comme Rose me déshabillait, elle me dit d'un air
timide :
-C'est fait, madame, de ce matin.
-Je fus un peu surprise, un rien émue même, non de la chose, mais plutôt
de la manière dont elle me l'avait dite. Je balbutiai :-Et... et... ça s'est bien
passé !...
-Oh ! très bien, madame. Depuis trois jours déjà il me pressait, mais je ne
voulais pas aller trop vite. Madame me préviendra du moment où elle
désire le flagrant délit.
-Oui, ma fille. Tenez !... prenons jeudi.
-Va pour jeudi, madame. Je n'accorderai plus rien jusque-là pour tenir
monsieur en éveil.
-Vous êtes sûre de ne pas manquer ?
-Oh, oui, madame, très sûre. Je vais allumer monsieur dans les grands prix
de façon à le faire donner juste à l'heure que madame voudra bien me
désigner.
-Prenons cinq heures, ma bonne Rose.
-Ça va pour cinq heures, madame ; et à quel endroit ?...
-Mais... dans ma chambre.
-Soit, dans la chambre de madame.
Alors, ma chérie, tu comprends ce que j'ai fait. J'ai été chercher papa et
maman d'abord, et puis mon oncle d'Orvelin, le président, et puis M.
Raplet, le juge, l'ami de mon mari. Je ne les ai pas prévenus de ce que
j'allais leur montrer. Je les ai fait entrer tous sur la pointe des pieds jusqu'à
la porte de ma chambre. J'ai attendu cinq heures, cinq heures juste... Oh !
comme mon coeur battait. J'avais fait monter aussi le concierge pour avoir
un témoin de plus ! Et puis... et puis, au moment où la pendule commence
à sonner, pan, j'ouvre la porte toute grande... Ah ! ah ! ah ! ça y était en
plein... en plein... ma chère... Oh ! quelle tête !... quelle tête !... si tu avais
vu sa tête !... Et il s'est retourné... l'imbécile ! Ah qu'il était drôle... Je riais,
je riais... Et papa qui s'est fâché, qui voulait battre mon mari... Et le
concierge, un bon serviteur, qui l'aidait à se rhabiller... devant nous...
devant nous... Il boutonnait ses bretelles... que c'était farce !... Quant à
Rose, parfaite ! absolument parfaite... Elle pleurait... elle pleurait très bien.
C'est une fille précieuse... Si tu en as jamais besoin, n'oublie pas !
Et me voici... Je suis venue tout de suite te raconter la chose... tout de suite.
Je suis libre. Vive le divorce !...
Et elle se mit à danser au milieu du salon, tandis que la petite baronne,
songeuse et contrariée, murmurait :
-Pourquoi ne m'as-tu pas invitée à voir ça ?
ROSALIE PRUDENT
Source: http://www.inlibroveritas
Auteur : Guy de Maupassant
Catégorie : Romans / Nouvelles
Il y avait vraiment dans cette affaire un mystère que ni les jurés, ni le
président, ni le procureur de la République lui-même ne parvenaient à
comprendre.
Licence : Domaine public
ROSALIE PRUDENT
Il y avait vraiment dans cette affaire un mystère que ni les jurés, ni le
président, ni le procureur de la République lui-même ne parvenaient à
comprendre.
La fille Prudent (Rosalie), bonne chez les époux Varambot, de Mantes,
devenue grosse à l'insu de ses maîtres, avait accouché, pendant la nuit,
dans sa mansarde, puis tué et enterré son enfant dans le jardin.
C'était là l'histoire courante de tous les infanticides accomplis par les
servantes. Mais un fait demeurait inexplicable. La perquisition opérée dans
la chambre de la fille Prudent avait amené la découverte d'un trousseau
complet d'enfant, fait par Rosalie elle-même, qui avait passé ses nuits à le
couper et à le coudre pendant trois mois. L'épicier chez qui elle avait
acheté de la chandelle, payée sur ses gages, pour ce long travail, était venu
témoigner. De plus, il demeurait acquis que la sage-femme du pays,
prévenue par elle de son état, lui avait donné tous les renseignements et
tous les conseils pratiques pour le cas où l'accident arriverait dans un
moment où les secours demeureraient impossibles. Elle avait cherché en
outre une place à Poissy pour la fille Prudent qui prévoyait son renvoi, car
les époux Varambot ne plaisantaient pas sur la morale.
Ils étaient là, assistant aux assises, l'homme et la femme, petits rentiers de
province, exaspérés contre cette traînée qui avait souillé leur maison. Ils
auraient voulu la voir guillotiner tout de suite, sans jugement, et ils
l'accablaient de dépositions haineuses devenues dans leur bouche des
accusations.
La coupable, une belle grande fille de Basse-Normandie, assez instruite
pour son état, pleurait sans cesse et ne répondait rien.
On en était réduit à croire qu'elle avait accompli cet acte barbare dans un
moment de désespoir et de folie, puisque tout indiquait qu'elle avait espéré
garder et élever son fils.
Le président essaya encore une fois de la faire parler, d'obtenir des aveux,
et l'ayant sollicitée avec une grande douceur, lui fit enfin comprendre que
tous ces hommes réunis pour la juger ne voulaient point sa mort et
pouvaient même la plaindre.
Alors elle se décida.
Il demandait : «Voyons, dites-nous d'abord quel est le père de cet enfant ?»
Jusque-là elle l'avait caché obstinément.
Elle répondit soudain, en regardant ses maîtres qui venaient de la
calomnier avec rage.
-C'est M. Joseph, le neveu à M. Varambot.
Les deux époux eurent un sursaut et crièrent en même temps : «C'est faux !
Elle ment. C'est une infamie.»
Le président les fit taire et reprit : «Continuez, je vous prie, et dites-nous
comment cela est arrivé.»
Alors elle se mit brusquement à parler avec abondance, soulageant son
coeur fermé, son pauvre coeur solitaire et broyé, vidant son chagrin, tout
son chagrin maintenant devant ces hommes sévères qu'elle avait pris
jusque-là pour des ennemis et des juges inflexibles.
-Oui, c'est M. Joseph Varambot, quand il est venu en congé l'an dernier.
-Qu'est-ce qu'il fait, M. Joseph Varambot ?
-Il est sous-officier d'artilleurs, m'sieu. Donc il resta deux mois à la
maison. Deux mois d'été. Moi, je ne pensais à rien quand il s'est mis à me
regarder, et puis à me dire des flatteries, et puis à me cajoler tant que le
jour durait. Moi, je me suis laissé prendre, m'sieu. Il m' répétait que j'étais
belle fille, que j'étais plaisante... que j'étais de son goût... Moi, il me
plaisait pour sûr... Que voulez-vous ?... on écoute ces choses-là, quand on
est seule... toute seule... comme moi. J' suis seule sur la terre, m'sieu... j'
n'ai personne à qui parler... personne à qui compter mes ennuyances... Je
n'ai pu d' père, pu d' mère, ni frère, ni soeur, personne ! Ça m'a fait comme
un frère qui serait r'venu quand il s'est mis à me causer. Et puis, il m'a
demandé de descendre au bord de la rivière, un soir, pour bavarder sans
faire de bruit. J'y suis v'nue, moi... Je sais-t-il ? je sais-t-il après ?... Il me
tenait la taille... Pour sûr, je ne voulais pas... non... non... J'ai pas pu...
j'avais envie de pleurer tant que l'air était douce... il faisait clair de lune...
J'ai pas pu... Non... je vous jure... j'ai pas pu... il a fait ce qu'il a voulu... Ça
a duré encore trois semaines, tant qu'il est resté... Je l'aurais suivi au bout
du monde... il est parti... Je ne savais pas que j'étais grosse, moi !... Je ne l'ai su que l' mois d'après...
Elle se mit à pleurer si fort qu'on dut lui laisser le temps de se remettre.
Puis le président reprit sur un ton de prêtre au confessionnal : «Voyons,
continuez».
Elle recommença à parler : «Quand j'ai vu que j'étais grosse, j'ai prévenu
Mme Boudin, la sage-femme, qu'est là pour le dire ; et j'y ai demandé la
manière pour le cas que ça arriverait sans elle. Et puis j'ai fait mon
trousseau, nuit à nuit, jusqu'à une heure du matin, chaque soir ; et puis j'ai
cherché une autre place, car je savais bien que je serais renvoyée ; mais j'
voulais rester jusqu'au bout dans la maison, pour économiser des sous, vu
que j' n'en ai guère, et qu'il m'en faudrait, pour le p'tit...
-Alors vous ne vouliez pas le tuer ?
-Oh ! pour sûr non, m'sieu.
-Pourquoi l'avez-vous tué, alors ?
-V'là la chose. C'est arrivé plus tôt que je n'aurais cru. Ça m'a pris dans ma
cuisine, comme j' finissais ma vaisselle.
M. et Mme Varambot dormaient déjà ; donc je monte, pas sans peine, en
me tirant à la rampe ; et je m' couche par terre, sur le carreau, pour n' point
gâter mon lit. Ça a duré p't-être une heure, p't-être deux, p't-être trois ; je ne
sais point, tant ça me faisait mal ; et puis, je l' poussais d' toute ma force,
j'ai senti qu'il sortait, et je l'ai ramassé.
Oh ! oui, j'étais contente, pour sûr ! J'ai fait tout ce que m'avait dit Mme
Boudin, tout ! Et puis je l'ai mis sur mon lit, lui ! Et puis v'là qu'il me
r'vient une douleur, mais une douleur à mourir.-Si vous connaissiez ça,
vous autres, vous n'en feriez pas tant, allez !-J'en ai tombé sur les genoux,
puis sur le dos, par terre ; et v'là que ça me reprend, p't-être une heure
encore, p't-être deux, là toute seule..., et puis qu'il en sort un autre..., un
autre p'tit..., deux..., oui..., deux... comme ça ! Je l'ai pris comme le
premier, et puis je l'ai mis sur le lit, côte à côte-deux.-Est-ce possible,
dites ? Deux enfants ! Moi qui gagne vingt francs par mois ! Dites... est-ce
possible ? Un, oui, ça s' peut, en se privant... mais pas deux ! Ça m'a tourné
la tête. Est-ce que je sais, moi ?-J' pouvais-t-il choisir, dites ?
Est-ce que je sais ! Je me suis vue à la fin de mes jours ! J'ai mis l'oreiller
d'sus, sans savoir... Je n' pouvais pas en garder deux... et je m' suis couchée
d'sus encore. Et puis, j' suis restée à m' rouler et à pleurer jusqu'au jour que
j'ai vu venir par la fenêtre ; ils étaient morts sous l'oreiller, pour sûr. Alors
je les ai pris sous mon bras, j'ai descendu l'escalier, j'ai sorti dans l'
potager, j'ai pris la bêche au jardinier, et je les ai enfouis sous terre, l' plus
profond que j'ai pu, un ici, puis l'autre là, pas ensemble, pour qu'ils n'
parlent pas de leur mère, si ça parle, les p'tits morts. Je sais-t-il, moi ?
Et puis, dans mon lit, v'là que j'ai été si mal que j'ai pas pu me lever. On a
fait venir le médecin qu'a tout compris. C'est la vérité, m'sieu le juge.
Faites ce qu'il vous plaira, j' suis prête.
La moitié des jurés se mouchaient coup sur coup pour ne point pleurer.
Des femmes sanglotaient dans l'assistance.
Le président interrogea.
-A quel endroit avez-vous enterré l'autre ?
Elle demanda :
-Lequel que vous avez ?
-Mais... celui... celui qui était dans les artichauts.
-Ah bien ! L'autre est dans les fraisiers, au bord du puits.
Et elle se mit à sangloter si fort qu'elle gémissait à fendre les coeurs.
La fille Rosalie Prudent fut acquittée.
Guy de Maupassant
SAUVÉE
- Collection Romans / Nouvelles -
Guy de Maupassant
SAUVÉE
- Collection Romans / Nouvelles -
Retrouvez cette oeuvre et beaucoup d'autres sur
http://www.inlibroveritas.net
SAUVÉE
Auteur : Guy de Maupassant
Catégorie : Romans / Nouvelles
Elle entra comme une balle qui crève une vitre, la petite marquise de
Rennedon, et elle se mit à rire avant de parler, à rire aux larmes comme
elle avait fait un mois plus tôt en annonçant à son amie qu'elle avait trompé
le marquis pour se venger, rien que pour se venger, et rien qu'une fois,
parce qu'il était vraiment trop bête et trop jaloux. Elle entra comme une balle qui crève une vitre, la petite marquise de
Rennedon, et elle se mit à rire avant de parler, à rire aux larmes comme
elle avait fait un mois plus tôt en annonçant à son amie qu'elle avait trompé
le marquis pour se venger, rien que pour se venger, et rien qu'une fois,
parce qu'il était vraiment trop bête et trop jaloux.
La petite baronne de Grangerie avait jeté sur son canapé le livre qu'elle
lisait et elle regardait Annette avec curiosité, riant déjà elle-même.
Enfin elle demanda :
-Qu'est-ce que tu as encore fait ?
-Oh !... ma chère... ma chère... C'est trop drôle... trop drôle..., figure-toi...
je suis sauvée !... sauvée !... sauvée !...
-Comment, sauvée ?
-Oui, sauvée !
-De quoi ?
-De mon mari, ma chère, sauvée ! Délivrée ! libre ! libre ! libre !
-Comment libre ? En quoi ?
-En quoi ? Le divorce ! Oui, le divorce ! Je tiens le divorce !
-Tu es divorcée ?
-Non, pas encore, que tu es sotte ! On ne divorce pas en trois heures ! Mais
j'ai des preuves... des preuves... des preuves qu'il me trompe... un flagrant
délit... songe !... un flagrant délit... je le tiens...
-Oh, dis-moi ça ! Alors il te trompait ?
-Oui... c'est-à-dire non... oui et non... je ne sais pas. Enfin, j'ai des preuves,
c'est l'essentiel.
-Comment as-tu fait ?
-Comment j'ai fait ?... Voilà ! Oh ! j'ai été forte, rudement forte. Depuis
trois mois il était devenu odieux, tout à fait odieux, brutal, grossier,
despote, ignoble enfin. Je me suis dit : Ça ne peut pas durer, il me faut le
divorce ! Mais comment ? Ça n'était pas facile. J'ai essayé de me faire
battre par lui. Il n'a pas voulu. Il me contrariait du matin au soir, me forçait
à sortir quand je ne voulais pas, à rester chez moi quand je désirais dîner en
ville ; il me rendait la vie insupportable d'un bout à l'autre de la semaine,
mais il ne me battait pas.
Alors, j'ai tâché de savoir s'il avait une maîtresse. Oui, il en avait une, mais
il prenait mille précautions pour aller chez elle. Ils étaient imprenables
ensemble. Alors, devine ce que j'ai fait ?
-Je ne devine pas.
-Oh ! tu ne devineras jamais. J'ai prié mon frère de me procurer une
photographie de cette fille.
-De la maîtresse de ton mari ?
-Oui. Ça a coûté quinze louis à Jacques, le prix d'un soir, de sept heures à
minuit, dîner compris, trois louis l'heure. Il a obtenu la photographie par
dessus le marché.
-Il me semble qu'il aurait pu l'avoir à moins en usant d'une ruse quelconque
et sans... sans... sans être obligé de prendre en même temps l'original.
-Oh ! elle est jolie. Ça ne déplaisait pas à Jacques. Et puis moi j'avais
besoin de détails physiques sur sa taille, sur sa poitrine, sur son teint, sur
mille choses enfin.
-Je ne comprends pas.
-Tu vas voir.
Quand j'ai connu tout ce que je voulais savoir, je me suis rendue chez un...
comment dirais-je... chez un homme d'affaires... tu sais... de ces hommes
qui font des affaires de toute... de toute nature... des agents de... de... de
publicité et de complicité... de ces hommes... enfin tu comprends.
-Oui, à peu près. Et tu lui as dit ?
-Je lui ai dit, en lui montrant la photographie de Clarisse (elle s'appelle
Clarisse) : «Monsieur, il me faut une femme de chambre qui ressemble à
ça. Je la veux jolie, élégante, fine, propre. Je la payerai ce qu'il faudra. Si
ça me coûte dix mille francs, tant pis. Je n'en aurai pas besoin plus de trois
mois.»
Il avait l'air très étonné, cet homme. Il demanda : «Madame la veut-elle
irréprochable ?»
Je rougis, et je balbutiai : «-Mais oui, comme probité.»
Il reprit : «... Et... comme moeurs ?...» Je n'osai pas répondre. Je fis
seulement un signe de tête qui voulait dire : non. Puis, tout à coup, je
compris qu'il avait un horrible soupçon, et je m'écriai, perdant l'esprit :
«Oh ! monsieur... c'est pour mon mari... qui me trompe... qui me trompe en
ville... et je veux... je veux qu'il me trompe chez moi... vous comprenez...
pour le surprendre...»
Alors, l'homme se mit à rire. Et je compris à son regard qu'il m'avait rendu
son estime. Il me trouvait même très forte. J'aurais bien parié qu'à ce
moment-là il avait envie de me serrer la main.
Il me dit : «Dans huit jours, madame, j'aurai votre affaire. Et nous
changerons de sujet s'il le faut. Je réponds du succès. Vous ne me payerez
qu'après réussite. Ainsi cette photographie représente la maîtresse de
monsieur votre mari ?»-«Oui, monsieur.»
-«Une belle personne, une fausse maigre. Et quel parfum ?»-Je ne
comprenais pas ; je répétai : «Comment, quel parfum ?» Il sourit. «Oui,
madame, le parfum est essentiel pour séduire un homme ; car cela lui
donne des ressouvenirs inconscients qui le disposent à l'action ; le parfum
établit des confusions obscures dans son esprit, le trouble et l'énerve en lui
rappelant ses plaisirs. Il faudrait tâcher de savoir aussi ce que monsieur
votre mari a l'habitude de manger quand il dîne avec cette dame. Vous
pourriez lui servir les mêmes plats le soir où vous le pincerez. Oh ! nous le
tenons, madame, nous le tenons.»
Je m'en allai enchantée. J'étais tombée là vraiment sur un homme très
intelligent.
-Trois jours plus tard, je vis arriver chez moi une grande fille brune, très
belle, avec l'air modeste et hardi en même temps, un singulier air de rouée.
Elle fut très convenable avec moi. Comme je ne savais trop qui c'était, je
l'appelais «mademoiselle» ; alors, elle me dit : «Oh ! madame peut
m'appeler Rose tout court.» Nous commençâmes à causer.
-Eh bien, Rose, vous savez pourquoi vous venez ici ?
-Je m'en doute, madame.
-Fort bien, ma fille..., et cela ne vous... ne vous ennuie pas trop ?
-Oh ! madame, c'est le huitième divorce que je fais ; j'y suis habituée.
-Alors parfait. Vous faut-il longtemps pour réussir ?
-Oh ! madame, cela dépend tout à fait du tempérament de monsieur. Quand
j'aurai vu monsieur cinq minutes en tête-à-tête, je pourrai répondre
exactement à madame.
-Vous le verrez tout à l'heure, mon enfant. Mais je vous préviens qu'il n'est
pas beau.
-Cela ne me fait rien, madame. J'en ai séparé déjà de très laids. Mais je
demanderai à madame si elle s'est informée du parfum.
-Oui, ma bonne Rose,-la verveine.
-Tant mieux, madame, j'aime beaucoup cette odeur-là !
Madame peut-elle me dire aussi si la maîtresse de monsieur porte du linge
de soie.
-Non, mon enfant : de la batiste avec dentelles.
-Oh ! alors, c'est une personne comme il faut. Le linge de soie commence à
devenir commun.
-C'est très vrai ce que vous dites-là !
-Eh bien, madame, je vais prendre mon service.
Elle prit son service, en effet, immédiatement, comme si elle n'eût fait que
cela toute sa vie.
II
Une heure plus tard mon mari rentrait, Rose ne leva même pas les yeux sur
lui, mais il leva les yeux sur elle, lui. Elle sentait déjà la verveine à plein
nez. Au bout de cinq minutes elle sortit.
Il me demanda aussitôt :
-Qu'est-ce que c'est que cette fille-là !
-Mais... ma nouvelle femme de chambre.
-Où l'avez-vous trouvée ?
-C'est la baronne de Grangerie qui me l'a donnée, avec les meilleurs
renseignements.
-Ah ! elle est assez jolie !
-Vous trouvez ?
-Mais oui... pour une femme de chambre.
J'étais ravie. Je sentais qu'il mordait déjà.
Le soir même, Rose me disait : «Je puis maintenant promettre à madame
que ça ne durera pas quinze jours. Monsieur est très facile !
-Ah ! vous avez déjà essayé ?
-Non, madame, mais ça se voit au premier coup d'oeil. Il a déjà envie de
m'embrasser en passant à côté de moi.
-Il ne vous a rien dit ?
-Non, madame, il m'a seulement demandé mon nom... pour entendre le son
de ma voix.
-Très bien, ma bonne Rose. Allez le plus vite que vous pourrez.
-Que madame ne craigne rien. Je ne résisterai que le temps nécessaire pour
ne pas me déprécier.
Au bout de huit jours mon mari ne sortait presque plus. Je le voyais rôder
toute l'après-midi par la maison ; et ce qu'il y avait de plus significatif dans
son affaire, c'est qu'il ne m'empêchait plus de sortir. Et moi j'étais dehors
toute la journée... pour... pour le laisser libre.
Le neuvième jour, comme Rose me déshabillait, elle me dit d'un air
timide :
-C'est fait, madame, de ce matin.
-Je fus un peu surprise, un rien émue même, non de la chose, mais plutôt
de la manière dont elle me l'avait dite. Je balbutiai :-Et... et... ça s'est bien
passé !...
-Oh ! très bien, madame. Depuis trois jours déjà il me pressait, mais je ne
voulais pas aller trop vite. Madame me préviendra du moment où elle
désire le flagrant délit.
-Oui, ma fille. Tenez !... prenons jeudi.
-Va pour jeudi, madame. Je n'accorderai plus rien jusque-là pour tenir
monsieur en éveil.
-Vous êtes sûre de ne pas manquer ?
-Oh, oui, madame, très sûre. Je vais allumer monsieur dans les grands prix
de façon à le faire donner juste à l'heure que madame voudra bien me
désigner.
-Prenons cinq heures, ma bonne Rose.
-Ça va pour cinq heures, madame ; et à quel endroit ?...
-Mais... dans ma chambre.
-Soit, dans la chambre de madame.
Alors, ma chérie, tu comprends ce que j'ai fait. J'ai été chercher papa et
maman d'abord, et puis mon oncle d'Orvelin, le président, et puis M.
Raplet, le juge, l'ami de mon mari. Je ne les ai pas prévenus de ce que
j'allais leur montrer. Je les ai fait entrer tous sur la pointe des pieds jusqu'à
la porte de ma chambre. J'ai attendu cinq heures, cinq heures juste... Oh !
comme mon coeur battait. J'avais fait monter aussi le concierge pour avoir
un témoin de plus ! Et puis... et puis, au moment où la pendule commence
à sonner, pan, j'ouvre la porte toute grande... Ah ! ah ! ah ! ça y était en
plein... en plein... ma chère... Oh ! quelle tête !... quelle tête !... si tu avais
vu sa tête !... Et il s'est retourné... l'imbécile ! Ah qu'il était drôle... Je riais,
je riais... Et papa qui s'est fâché, qui voulait battre mon mari... Et le
concierge, un bon serviteur, qui l'aidait à se rhabiller... devant nous...
devant nous... Il boutonnait ses bretelles... que c'était farce !... Quant à
Rose, parfaite ! absolument parfaite... Elle pleurait... elle pleurait très bien.
C'est une fille précieuse... Si tu en as jamais besoin, n'oublie pas !
Et me voici... Je suis venue tout de suite te raconter la chose... tout de suite.
Je suis libre. Vive le divorce !...
Et elle se mit à danser au milieu du salon, tandis que la petite baronne,
songeuse et contrariée, murmurait :
-Pourquoi ne m'as-tu pas invitée à voir ça ?
ROSALIE PRUDENT
Source: http://www.inlibroveritas
Cet enregistrement est mis à disposition sous un contrat Art Libre.
Cet enregistrement est mis à disposition sous un contrat Creative Commons BY (attribution) SA (Partage dans les mêmes conditions).
Cet enregistrement est mis à disposition sous un contrat Creative Commons BY (attribution) SA (Partage dans les mêmes conditions).