« — Décidément, tout lasse, même le succès ! Tant qu’on ne le tient pas on le désire ; dès qu’on le tient, on regrette de n’avoir plus à désirer... Et, dirait Salomon, cela est encore une fatigue.
Ainsi soupirait ce soir-là, en regagnant son logis, le poète dramatique Conrad Harmel ; certes, il avait grand tort de soupirer, mais il était, en vérité très fatigué. Ayant brillamment remporté une décisive victoire qui consacrait son talent, il ployait à cette heure sous les souffrances du combat ; la lassitude succédait à la fièvre. Poursuivi encore par les bravos retentissants qui avaient accueilli son œuvre, le cœur palpitant des émotions aiguës qui l’assaillirent, durant cette mémorable « première », la tête lourde de migraine, la gorge brûlée, les oreilles bourdonnantes, il s’était échappé de la cohue et, tout seul, à pied dans les rues désertes, savourant égoïstement son triomphe, il fuyait les ovations de ses admirateurs ainsi que les grimaces louangeuses de ses « chers confrères ».

Source: https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k1411221k/f295.item