general data protection regulation Ce site Web utilise des cookies
Pour assurer une meilleure expérience à ses utilisateurs, réaliser des statistiques de visites, offrir des fonctionnalités relatives aux médias sociaux, proposer des publicités ciblées.


Version pour personnes mal-voyantes ou non-voyantes
application sur Googleplay
Menu

cards
Optimisé par paypal



Vous pouvez également nous soutenir sur Tipeee ❤❤❤
👉 https://fr.tipeee.com/audiocite -

Illustration: Eugénie Grandet (5) - honoré de balzac

Eugénie Grandet (5)


Enregistrement : Audiocite.net
Publication : 2008-03-25
Genre: Étude de moeurs

Lu par Christophe
Livre audio de 1h03min
Fichier Mp3 de 58,5 Mo

Télécharger
(clic droit "enregistrer sous")
Signaler
une erreur
Commentaires
 





Eugénie Grandet
Partie 5

Cette réponse causa des éblouissements à Eugénie.
Les lointaines espérances qui pour elle commençaient à poindre dans son coeur fleurirent soudain, se réalisèrent et formèrent un faisceau de fleurs qu'elle vit coupées et gisant à terre. Depuis la veille, elle s'attachait à Charles par tous les liens de bonheur qui unissent les âmes ; désormais la souffrance allait donc les corroborer.
N'est-il pas dans la noble destinée de la femme d'être plus touchée des pompes de la misère que des splendeurs de la fortune ? Comment le sentiment paternel avait-il pu s'éteindre au fond du coeur de son père ? de quel crime Charles était-il donc coupable ? Questions mystérieuses ! Déjà son amour naissant, mystère si profond, s'enveloppait de mystères. Elle revint tremblant sur ses jambes, et en arrivant à la vieille rue sombre, si joyeuse pour elle, elle la trouva d'un aspect triste, elle y respira la mélancolie que les temps et les choses y avaient imprimée. Aucun des enseignements de l'amour ne lui manquait. A quelques pas du logis, elle devança son père et l'attendit à la porte après y avoir frappé.
Mais Grandet, qui voyait dans la main du notaire un journal encore sous bande, lui avait dit : - Où en sont les fonds ? - Vous ne voulez pas m'écouter, Grandet, lui répondit Cruchot. Achetez-en vite, il y a encore vingt pour cent à gagner en deux ans, outre les intérêts à un excellent taux, cinq mille livres de rente pour quatre-vingt mille francs. Les fonds sont à quatre-vingt francs cinquante centimes.
- Nous verrons cela, répondit Grandet en se frottant le menton.
- Mon Dieu ! dit le notaire.
- Hé bien, quoi ? s'écria Grandet au moment où Cruchot lui mettait le journal sous les yeux en lui disant :
- Lisez cet article.
Monsieur Grandet, l'un des négociants les plus estimés de Paris, s'est brûlé la cervelle hier après avoir fait son apparition accoutumée à la Bourse. Il avait envoyé au président de la Chambre des Députés sa démission, et s'était également démis de ses fonctions de juge au tribunal de commerce. La faillite de messieurs Roguin et Souchet, son agent de change et son notaire, l'ont ruiné. La considération dont jouissait monsieur Grandet et son crédit étaient néanmoins tels qu'il eût sans doute trouvé des secours sur la place de Paris. Il est à regretter que cet homme honorable ait cédé à un premier moment de désespoir, etc.
- Je le savais, dit le vieux vigneron au notaire.
Ce mot glaça maître Cruchot, qui, malgré son impassibilité de notaire, se sentit froid dans le dos en pensant que le Grandet de Paris avait peut-être imploré vainement les millions du Grandet de Saumur.
- Et son fils, si joyeux hier...

- Il ne sait rien encore, répondit Grandet avec le même calme.
- Adieu, monsieur Grandet, dit Cruchot qui comprit tout et alla rassurer le président de Bonfons.
En entrant, Grandet trouva le déjeuner prêt. Madame Grandet, au cou de laquelle Eugénie sauta pour l'embrasser avec cette vive effusion de coeur que nous cause un chagrin secret, était déjà sur son siège à patins, et se tricotait des manches pour l'hiver.
- Vous pouvez manger, dit Nanon qui descendit les escaliers quatre à quatre, l'enfant dort comme un chérubin. Qu'il est gentil les yeux fermés ! Je suis entrée, je l'ai appelé. Ah bien oui ! personne.
- Laisse-le dormir, dit Grandet, il s'éveillera toujours assez tôt aujourd'hui pour apprendre de mauvaises nouvelles.
- Qu'y a-t-il donc ? demanda Eugénie en mettant dans son café les deux petits morceaux de sucre pesant on ne sait combien de grammes que le bonhomme s'amusait à couper lui-même à ses heures perdues.
Madame Grandet, qui n'avait pas osé faire cette question, regarda son mari.
- Son père s'est brûlé la cervelle.
- Mon oncle ?... dit Eugénie.
- Le pauvre jeune homme ! s'écria madame Grandet.
- Oui, pauvre, reprit Grandet, il ne possède pas un sou.
- Hé ben, il dort comme s'il était le roi de la terre, dit Nanon d'un accent doux.
Eugénie cessa de manger. Son coeur se serra, comme il se serre quand, pour la première fois, la compassion, excitée par le malheur de celui qu'elle aime, s'épanche dans le corps entier d'une femme. La pauvre fille pleura.
- Tu ne connaissais pas ton oncle, pourquoi pleures-tu ? lui dit son père en lui lançant un de ces regards de tigre affamé qu'il jetait sans doute à ses tas d'or.
- Mais, monsieur, dit la servante, qui ne se sentirait pas de pitié pour ce pauvre jeune homme qui dort comme un sabot sans savoir son sort ?
- Je ne te parle pas, Nanon ! tiens ta langue.
Eugénie apprit en ce moment que la femme qui aime doit toujours dissimuler ses sentiments. Elle ne répondit pas.
- Jusqu'à mon retour, vous ne lui parlerez de rien, j'espère m'ame Grandet, dit le vieillard en continuant.
Je suis obligé d'aller faire aligner le fossé de mes près sur la route. Je serai revenu à midi pour le second déjeuner, et je causerai avec mon neveu de ses affaires. Quant à toi, mademoiselle Eugénie, si c'est pour ce mirliflor que tu pleures, assez comme cela, mon enfant. Il partira, dare-dare, pour les Grandes Indes. Tu ne le verras plus...
Le père prit ses gants au bord de son chapeau, les mit avec son calme habituel, les assujettit en s'emmortaisant les doigts les uns dans les autres, et sortit.
- Ah ! maman, j'étouffe, s'écria Eugénie quand elle fut seule avec sa mère. Je n'ai jamais souffert ainsi.
Madame Grandet, voyant sa fille pâlir, ouvrit la croisée et lui fit respirer le grand air. - Je suis mieux, dit Eugénie après un moment.
Cette émotion nerveuse chez une nature jusqu'alors en apparence calme et froide réagit sur madame Grandet, qui regarda sa fille avec cette intuition sympathique dont sont douées les mères pour l'objet de leur tendresse, et devina tout. Mais, à la vérité, la vie des célèbres soeurs hongroises, attachées l'une à l'autre par une erreur de la nature, n'avait pas été plus intime que ne l'était celle d'Eugénie et de sa mère, toujours ensemble dans cette embrasure de croisée, ensemble à l'église, et dormant ensemble dans le même air.
- Ma pauvre enfant ! dit madame Grandet en prenant la tête d'Eugénie pour l'appuyer contre son sein.
A ces mots, la jeune fille releva la tête, interrogea sa mère par un regard, en scruta les secrètes pensées, et lui dit : - Pourquoi l'envoyer aux Indes ? S'il est malheureux, ne doit-il pas rester ici, n'est-il pas notre plus proche parent ?
- Oui, mon enfant, ce serait bien naturel ; mais ton père a ses raisons, nous devons les respecter.
La mère et la fille s'assirent en silence, l'une sur sa chaise à patins, l'autre sur son petit fauteuil ; et, toutes deux, elles reprirent leur ouvrage. Oppressée de reconnaissance pour l'admirable entente de coeur que lui avait témoignée sa mère, Eugénie lui baisa la main en disant :
- Combien tu es bonne, ma chère maman ! Ces paroles firent rayonner le vieux visage maternel, flétri par de longues douleurs. - Le trouves-tu bien ? demanda Eugénie.
Madame Grandet ne répondit que par un sourire ; puis, après un moment de silence, elle dit à voix basse :
- L'aimerais-tu donc déjà ? ce serait mal.
- Mal, reprit Eugénie, pourquoi ? Il te plaît, il plaît à Nanon, pourquoi ne me plairait-il pas ? Tiens, maman, mettons la table pour son déjeuner. Elle jeta son ouvrage, la mère en fit autant en lui disant : - Tu es folle ! Mais elle se plut à justifier la folie de sa fille en la partageant.
Eugénie appela Nanon.

- Quoi que vous voulez encore, mademoiselle ?
- Nanon, tu auras bien de la crème pour midi.
- Ah ! pour midi, oui, répondit la vieille servante.
- Hé bien, donne-lui du café bien fort, j'ai entendu dire à monsieur des Grassins que le café se faisait bien fort à Paris. Mets-en beaucoup.
- Et où voulez-vous que j'en prenne ?
- Achètes-en.
- Et si monsieur me rencontre ?
- Il est à ses près.
- Je cours. Mais monsieur Fessard m'a déjà demandé si les trois Mages étaient chez nous, en me donnant de la bougie. Toute la ville va savoir nos déportements.
- Si ton père s'aperçoit de quelque chose, dit madame Grandet, il est capable de nous battre.
- Eh bien, il nous battra, nous recevrons ses coups à genoux.
Madame Grandet leva les yeux au ciel, pour toute réponse. Nanon prit sa coiffe et sortit. Eugénie donna du linge blanc, elle alla chercher quelques-unes des grappes de raisin qu'elle s'était amusée à étendre sur des cordes dans le grenier ; elle marcha légèrement le long du corridor pour ne point éveiller son cousin, et ne put s'empêcher d'écouter à sa porte la respiration qui s'échappait en temps égaux de ses lèvres. - Le malheur veille pendant qu'il dort, se dit-elle. Elle prit les plus vertes feuilles de la vigne, arrangea son raisin aussi coquettement que l'aurait pu dresser un vieux chef d'office, et l'apporta triomphalement sur la table. Elle fit main basse, dans la cuisine, sur les poires comptées par son père, et les disposa en pyramide parmi des feuilles. Elle allait, venait, trottait, sautait. Elle aurait bien voulu mettre à sac toute la maison de son père ; mais il avait les clefs de tout. Nanon revint avec deux oeufs frais. En voyant les oeufs, Eugénie eut l'envie de lui sauter au cou.
- Le fermier de la Lande en avait dans son panier, je les lui ai demandés, et il me les a donnés pour m'être agréable, le mignon.
Après deux heures de soins, pendant lesquelles Eugénie quitta vingt fois son ouvrage pour aller voir bouillir le café, pour aller écouter le bruit que faisait son cousin en se levant, elle réussit à préparer un déjeuner très simple, peu coûteux, mais qui dérogeait terriblement aux habitudes invétérées de la maison. Le déjeuner de midi s'y faisait debout. Chacun prenait un peu de pain, un fruit ou du beurre, et un verre de vin. En voyant la table placée auprès du feu, l'un des fauteuils mis devant le couvert de son cousin, en voyant les deux assiettées de fruits, le coquetier, la bouteille de vin blanc, le pain, et le sucre amoncelé dans une soucoupe, Eugénie trembla de tous ses membres en songeant seulement alors aux regards que lui lancerait son père, s'il venait à entrer en ce moment. Aussi regardait-elle souvent la pendule, afin de calculer si son cousin pourrait déjeuner avant le retour du bonhomme.
- Sois tranquille, Eugénie, si ton père vient, je prendrai tout sur moi, dit madame Grandet.
Eugénie ne put retenir une larme.
- Oh ! ma bonne mère, s'écria-t-elle, je ne t'ai pas assez aimée !
Charles, après avoir fait mille tours dans sa chambre en chanteronnant, descendit enfin. Heureusement, il n'était encore que onze heures. Le Parisien ! il avait mis autant de coquetterie à sa toilette que s'il se fit trouvé au château de la noble dame qui voyageait en Ecosse. Il entra de cet air affable et riant qui sied si bien à la jeunesse, et qui causa une joie triste à Eugénie. Il avait pris en plaisanterie le désastre de ses châteaux en Anjou, et aborda sa tante fort gaiement.
- Avez-vous bien passé la nuit, ma chère tante ? Et vous, ma cousine ?
- Bien, monsieur, mais vous ? dit madame Grandet.
- Moi, parfaitement.
- Vous devez avoir faim, mon cousin, dit Eugénie, mettez-vous à table.
- Mais je ne déjeune jamais avant midi, le moment où je me lève. Cependant, j'ai si mal vécu en route, que je me laisserai faire. D'ailleurs... Il tira la plus délicieuse montre plate que Bregue' ait faite. Tiens, mais il est onze heures, j'ai été matinal.
- Matinal ?... dit madame Grandet.
- Oui, mais je voulais ranger mes affaires. Eh bien, je mangerais volontiers quelque chose, un rien, une volaille, un perdreau.
- Sainte Vierge ! cria Nanon en entendant ces paroles.
- Un perdreau, se disait Eugénie qui aurait voulu payer un perdreau de tout son pécule.
- Venez vous asseoir, lui dit sa tante.
Le dandy se laissa aller sur le fauteuil comme une jolie femme qui se pose sur son divan. Eugénie et sa mère prirent des chaises et se mirent près de lui devant le feu.

- Vous vivez toujours ici ? leur dit Charles en trouvant la salle encore plus laide au jour qu'elle ne l'était aux lumières.
-Toujours, répondit Eugénie en le regardant, excepté pendant les vendanges. Nous allons alors aider Nanon, et logeons tous à l'abbaye de Noyers.
- Vous ne vous promenez jamais ?
- Quelquefois le dimanche après vêpres, quand il fait beau, dit madame Grandet, nous allons sur le pont, ou voir les foins quand on les fauche.
- Avez-vous un théâtre ?
- Aller au spectacle, s'écria madame Grandet, voir des comédiens ! Mais, monsieur, ne savez-vous pas que c'est un péché mortel ?
- Tenez, mon cher monsieur, dit Nanon en apportant les oeufs, nous vous donnerons les poulets à la coque.
- Oh ! des oeufs frais, dit Charles qui semblable aux gens habitués au luxe ne pensait déjà plus à son perdreau. Mais c'est délicieux, si vous aviez du beurre ?
Hein, ma chère enfant.
- Ah ! du beurre ! Vous n'aurez donc pas de galette, dit la servante.
- Mais donne du beurre, Nanon ! s'écria Eugénie.
La jeune fille examinait son cousin coupant ses mouillettes et y prenait plaisir, autant que la plus sensible grisette de Paris en prend à voir jouer un mélodrame où triomphe l'innocence. Il est vrai que Charles, élevé par une mère gracieuse, perfectionné par une femme à la mode, avait des mouvements coquets, élégants, menus, comme le sont ceux d'une petite maîtresse. La compatissance et la tendresse d'une jeune fille possèdent une influence vraiment magnétique. Aussi Charles, en se voyant l'objet des attentions de sa cousine et de sa tante, ne put-il se soustraire à l'influence des sentiments qui se dirigeaient vers lui en l'inondant pour ainsi dire. Il jeta sur Eugénie un de ces regards brillants de bonté, de caresses, un regard qui semblait sourire. Il s'aperçut, en contemplant Eugénie, de l'exquise harmonie des traits de ce pur visage, de son innocente attitude, de la clarté magique de ses yeux où scintillaient de jeunes pensées d'amour, et où le désir ignorait la volupté.
- Ma foi, ma chère cousine, si vous étiez en grande loge et en grande toilette à l'Opéra, je vous garantis que ma tante aurait bien raison, vous y feriez faire bien des péchés d'envie aux hommes et de jalousie aux femmes.
Ce compliment étreignit le coeur d'Eugénie, et le fit palpiter de joie, quoiqu'elle n'y comprît rien.
- Oh ! mon cousin, vous voulez vous moquer d'une pauvre petite provinciale.
- Si vous me connaissiez, ma cousine, vous sauriez que j'abhorre la raillerie, elle flétrit le coeur, froisse tous les sentiments... Et il goba fort agréablement sa mouillette beurrée. Non, je n'ai probablement pas assez d'esprit pour me moquer des autres, et ce défaut me fait beaucoup de tort. A Paris, on trouve moyen de vous assassiner un homme en disant : Il a bon coeur. Cette phrase veut dire : Le pauvre garçon est bête comme un rhinocéros. Mais comme je suis riche et connu pour abattre une poupée du premier coup à trente pas avec toute espèce de pistolet et en plein champ, la raillerie me respecte.
- Ce que vous dites, mon neveu, annonce un bon coeur.

- Vous avez une bien jolie bague, dit Eugénie, est-ce mal de vous demander à la voir ?
Charles tendit la main en défaisant son anneau, et Eugénie rougit en effleurant du bout de ses doigts les ongles roses de son cousin.
- Voyez, ma mère, le beau travail.
- Oh ! il y a gros d'or, dit Nanon en apportant le café.
- Qu'est-ce que c'est que cela ? demanda Charles en riant.
Et il montrait un pot oblong, en terre brune, verni, faïencé à l'intérieur, bordé d'une frange de cendre, et au fond duquel tombait le café en revenant à la surface du liquide bouillonnant.
- C'est du café boullu, dit Nanon.
- Ah ! ma chère tante, je laisserai du moins quelque trace bienfaisante de mon passage ici. Vous êtes bien arriérés ! Je vous apprendrai à faire du bon café dans une cafetière à la Chaptal.
Il tenta d'expliquer le système de la cafetière à la Chaptal.
- Ah bien, s'il y a tant d'affaires que ça, dit Nanon, il faudrait bien y passer sa vie. Jamais je ne ferai de café comme ça. Ah bien, oui. Et qui est-ce qui ferait de l'herbe pour notre vache pendant que je ferais le café ?
- C'est moi qui le ferai, dit Eugénie.
Enfant, dit madame Grandet en regardant sa fille.
A ce mot, qui rappelait le chagrin près de fondre sur ce malheureux jeune homme, les trois femmes se turent et le contemplèrent d'un air de commisération qui le frappa.
- Qu'avez-vous donc, ma cousine ?
- Chut ! dit madame Grandet à Eugénie qui allait parler. Tu sais, ma fille, que ton père s'est chargé de parler à monsieur...

- Dites Charles, dit le jeune Grandet.
- Ah ! vous vous nommez Charles ? C'est un beau nom, s'écria Eugénie.
Les malheurs pressentis arrivent presque toujours. Là, Nanon, madame Grandet et Eugénie, qui ne pensaient pas sans frisson au retour du vieux tonnelier, entendirent un coup de marteau dont le retentissement leur était bien connu.
- Voilà papa, dit Eugénie.
Elle ôta la soucoupe au sucre, en en laissant quelques morceaux sur la nappe. Nanon emporta l'assiette aux oeufs. Madame Grandet se dressa comme une biche effrayée. Ce fut une peur panique de laquelle Charles s'étonna, sans pouvoir se l'expliquer.
- Eh bien, qu'avez-vous donc ? leur demanda-t-il.
- Mais voilà mon père, dit Eugénie.
- Eh bien ?...
Monsieur Grandet entra, jeta son regard clair sur la table, sur Charles, il vit tout.
- Ah ! ah ! vous avez fait fête à votre neveu, c'est bien, très bien, c'est fort bien ! dit-il sans bégayer.
Quand le chat court sur les toits, les souris dansent sur les planchers.
- Fête ?... se dit Charles incapable de soupçonner le régime et les moeurs de cette maison.
- Donne-moi mon verre, Nanon ? dit le bonhomme.
Eugénie apporta le verre. Grandet tira de son gousset un couteau de corne à grosse lame, coupa une tartine, prit un peu de beurre, l'étendit soigneusement et se mit à manger debout. En ce moment, Charles sucrait son café. Le père Grandet aperçut les morceaux de sucre, examina sa femme qui pâlit, et fit trois pas ; il se pencha vers l'oreille de la pauvre vieille, et lui dit : - Où donc avez-vous pris tout ce sucre ?
- Nanon est allée en chercher chez Fessard, il n'y en avait pas.
Il est impossible de se figurer l'intérêt profond que cette scène muette offrait à ces trois femmes : Nanon avait quitté sa cuisine et regardait dans la salle pour voir comment les choses s'y passaient. Charles ayant goûté son café, le trouva trop amer et chercha le sucre que Grandet avait déjà serré.
- Que voulez-vous, mon neveu ? lui dit le bonhomme.
- Le sucre.
- Mettez du lait, répondit le maître de la maison, votre café s'adoucira.
Eugénie reprit la soucoupe au sucre que Grandet avait déjà serrée, et la mit sur la table en contemplant son père d'un air calme. Certes, la Parisienne qui, pour faciliter la fuite de son amant, soutient de ses faibles bras une échelle de soie, ne montre pas plus de courage que n'en déployait Eugénie en remettant le sucre sur la table.
L'amant récompensera sa Parisienne qui lui fera voir orgueilleusement un beau bras meurtri dont chaque veine flétrie sera baignée de larmes, de baisers, et guérie par le plaisir ; tandis que Charles ne devait jamais être dans le secret des profondes agitations qui brisaient le coeur de sa cousine, alors foudroyée par le regard du vieux tonnelier.
- Tu ne manges pas, ma femme ?
La pauvre ilote s'avança, coupa piteusement un morceau de pain, et prit une poire. Eugénie offrit audacieusement à son père du raisin, en lui disant : - Goûte donc à ma conserve, papa ! Mon cousin, vous en mangerez, n'est-ce pas ? Je suis allée chercher ces jolies grappes-là pour vous.
- Oh ! si on ne les arrête, elles mettront Saumur au pillage pour vous, mon neveu. Quand vous aurez fini, nous irons ensemble dans le jardin, j'ai à vous dire des choses qui ne sont pas sucrées.
Eugénie et sa mère lancèrent un regard sur Charles, à l'expression duquel le jeune homme ne put se tromper.
- Qu'est-ce que ces mots signifient, mon oncle ?
Depuis la mort de ma pauvre mère... (à ces deux mots, sa voix mollit) il n'y a pas de malheur possible pour moi...
- Mon neveu, qui peut connaître les afflictions par lesquelles Dieu veut nous éprouver ? lui dit sa tante.
- Ta ! ta ! ta ! ta ! dit Grandet, voilà les bêtises qui commencent. Je vois avec peine, mon neveu, vos jolies mains blanches. Il lui montra les espèces d'épaules de mouton que la nature lui avait mises au bout des bras.
Voilà des mains faites pour ramasser des écus ! Vous avez été élevé à mettre vos pieds dans la peau avec laquelle se fabriquent les portefeuilles où nous serrons les billets de commerce. Mauvais ! mauvais !
- Que voulez-vous dire, mon oncle, je veux être pendu si je comprends un seul mot.
- Venez, dit Grandet.
L'avare fit claquer la lame de son couteau, but le reste de son vin blanc et ouvrit la porte.
- Mon cousin, ayez du courage. L'accent de la jeune fille avait glacé Charles, qui suivait son terrible parent en proie à de mortelles inquiétudes. Eugénie, sa mère et Nanon vinrent dans la cuisine, excitées par une invincible curiosité à épier les deux acteurs de la scène qui allait se passer dans le petit jardin humide où l'oncle marcha d'abord silencieusement avec le neveu. Grandet n'était pas embarrassé pour apprendre à Charles la mort de son père, mais il éprouvait une sorte de compassion en le sachant sans un sou, et il cherchait des formules pour adoucir l'expression de cette cruelle vérité. Vous avez perdu votre père ! ce n'était rien à dire.
Les pères meurent avant les enfants. Mais : Vous êtes sans aucune espèce de fortune ! tous les malheurs de la terre étaient réunis dans ces paroles. Et le bonhomme de faire, pour la troisième fois, le tour de l'allée du milieu dont le sable craquait sous les pieds. Dans les grandes circonstances de la vie, notre âme s'attache fortement aux lieux où les plaisirs et les chagrins fondent sur nous.
Aussi Charles examinait-il avec une attention particulière les buis de ce petit jardin, les feuilles pâles qui tombaient, les dégradations des murs, les bizarreries des arbres fruitiers, détails pittoresques qui devaient rester gravés dans son souvenir, éternellement mêlés à cette heure suprême, par une mnémotechnie particulière aux passions.
- Il fait bien chaud, bien beau, dit Grandet en aspirant une forte partie d'air.
- Oui, mon oncle, mais pourquoi...
- Eh bien, mon garçon, reprit l'oncle, j'ai de mauvaises nouvelles à t'apprendre. Ton père est bien mal...
- Pourquoi suis-je ici ? dit Charles. Nanon ! cria-t-il, des chevaux de poste. Je trouverai bien une voiture dans le pays, ajouta-t-il en se tournant vers son oncle qui demeurait immobile.
- Les chevaux et la voiture sont inutiles, répondit Grandet en regardant Charles qui resta muet, et dont les yeux devinrent fixes. - Oui, mon pauvre garçon, tu devines. Il est mort. Mais ce n'est rien, il y a quelque chose de plus grave. Il s'est brûlé la cervelle...
- Mon père ?...
- Oui. Mais ce n'est rien. Les journaux glosent de cela comme s'ils en avaient le droit. Tiens, lis.
Grandet, qui avait emprunté le journal de Cruchot, mit le fatal article sous les yeux de Charles. En ce moment le pauvre jeune homme, encore enfant, encore dans l'âge où les sentiments se produisent avec naïveté, fondit en larmes.
- Allons, bien, se dit Grandet. Ses yeux m'effrayaient. Il pleure, le voilà sauvé. Ce n'est encore rien, mon pauvre neveu, reprit Grandet à haute voix sans savoir si Charles l'écoutait, ce n'est rien, tu te consoleras ; mais...
- Jamais ! jamais ! mon père ! mon père !
- Il t'a ruiné, tu es sans argent.
- Qu'est-ce que cela me fait ! Où est mon père, mon père ?
Les pleurs et les sanglots retentissaient entre ces murailles d'une horrible façon et se répercutaient dans les échos. Les trois femmes, saisies de pitié, pleuraient :
les larmes sont aussi contagieuses que peut l'être le rire.
Charles, sans écouter son oncle, se sauva dans la cour, trouva l'escalier, monta dans sa chambre, et se jeta en travers sur son lit en se mettant la face dans les draps pour pleurer à son aise loin de ses parents.

- Il faut laisser passer la première averse, dit Grandet en rentrant dans la salle où Eugénie et sa mère avaient brusquement repris leurs places et travaillaient d'une main tremblante après s'être essuyé les yeux. Mais ce jeune homme n'est bon à rien, il s'occupe plus des morts que de l'argent.
Eugénie frissonna en entendant son père s'exprimant ainsi sur la plus sainte des douleurs. Dès ce moment, elle commença à juger son père. Quoique assourdis, les sanglots de Charles retentissaient dans cette sonore maison ; et sa plainte profonde, qui semblait sortir de dessous terre, ne cessa que vers le soir, après s'être graduellement affaiblie.
- Pauvre jeune homme ! dit madame Grandet.
Fatale exclamation ! Le père Grandet regarda sa femme, Eugénie et le sucrier ; il se souvint du déjeuner extraordinaire apprêté pour le parent malheureux, et se posa au milieu de la salle.
- Ah ! çà, j'espère, dit-il avec son calme habituel, que vous n'allez pas continuer vos prodigalités, madame Grandet. Je ne vous donne pas mon argent pour embucquer de sucre ce jeune drôle.
- Ma mère n'y est pour rien, dit Eugénie. C'est moi qui...
- Est-ce parce que tu es majeure, reprit Grandet en interrompant sa fille, que tu voudrais me contrarier ?
Songe, Eugénie...
- Mon père, le fils de votre frère ne devait pas manquer chez vous de...
- Ta, ta, ta, ta, dit le tonnelier sur quatre tons chromatiques, le fils de mon frère par-ci, mon neveu par-là.
Charles ne nous est de rien, il n'a ni sou ni maille ; son père a fait faillite ; et, quand ce mirliflors aura pleuré son soûl, il décampera d'ici ; je ne veux pas qu'il révolutionne ma maison.
- Qu'est-ce que c'est, mon père, que de faire faillite ? demanda Eugénie.
- Faire faillite, reprit le père, c'est commettre l'action la plus déshonorante entre toutes celles qui peuvent déshonorer l'homme.
- Ce doit être un bien grand péché, dit madame Grandet, et notre frère serait damné.
- Allons, voilà tes litanies, dit-il à sa femme en haussant les épaules. Faire faillite, Eugénie, reprit-il, est un vol que la loi prend malheureusement sous sa protection. Des gens ont donné leurs denrées à Guillaume Grandet sur sa réputation d'honneur et de probité, puis il a tout pris, et ne leur laisse que les yeux pour pleurer.
Le voleur de grand chemin est préférable au banqueroutier : celui-là vous attaque, vous pouvez vous défendre, il risque sa tête ; mais l'autre... Enfin Charles est déshonoré.
Ces mots retentirent dans le coeur de la pauvre fille et y pesèrent de tout leur poids. Probe autant qu'une fleur née au fond d'une forêt est délicate, elle ne connaissait ni les maximes du monde, ni ses raisonnements captieux, ni ses sophismes, elle accepta donc l'atroce explication que son père lui donnait à dessein de la faillite, sans lui faire connaître la distinction qui existe entre une faillite involontaire et une faillite calculée.
- Eh bien, mon père, vous n'avez donc pu empêcher ce malheur ?

- Mon frère ne m'a pas consulté ; d'ailleurs, il doit quatre millions.
- Qu'est-ce que c'est donc qu'un million, mon père ? demanda-t-elle avec la naïveté d'un enfant qui croit pouvoir trouver promptement ce qu'il désire.
- Deux millions ? dit Grandet, mais c'est deux millions de pièces de vingt sous, et il faut cinq pièces de vingt sous pour faire cinq francs.
- Mon Dieu ! mon Dieu ! s'écria Eugénie, comment mon oncle avait-il eu à lui quatre millions ? Y a-t-il quelque autre personne en France qui puisse avoir autant de millions ? (Le père Grandet se caressait le menton, souriait, et sa loupe semblait se dilater.) - Mais que va devenir mon cousin Charles ?
- Il va partir pour les Grandes Indes où, selon le voeu de son père, il tâchera de faire fortune.
- Mais a-t-il de l'argent pour aller là ?
- Je lui payerai son voyage... jusqu'à... oui, jusqu'à Nantes.
Eugénie sauta d'un bond au cou de son père.
- Ah ! mon père, vous êtes bon, vous !
Elle l'embrassait de manière à rendre presque honteux Grandet, que sa conscience harcelait un peu.
- Faut-il beaucoup de temps pour amasser un million ? lui demanda-t-elle.
- Dame ! dit le tonnelier, tu sais ce que c'est qu'un napoléon. Eh bien, il en faut cinquante mille pour faire un million.
- Maman, nous dirons des neuvaines pour lui.
- J'y pensais, répondit la mère.
- C'est cela ?... toujours dépenser de l'argent, s'écria le père. Ah çà, croyez-vous donc qu'il y ait des mille et des cent ici ?
En ce moment une plainte sourde, plus lugubre que toutes les autres, retentit dans les greniers et glaça de terreur Eugénie et sa mère.
- Nanon, va voir là-haut s'il ne se tue pas, dit Grandet. - Ha çà, reprit-il en se tournant vers sa femme et sa fille que son mot avait rendues pâles, pas de bêtises, vous deux. Je vous laisse. Je vais tourner autour de nos Hollandais, qui s'en vont aujourd'hui. Puis j'irai voir Cruchot et causer avec lui de tout ça.
Il partit. Quand Grandet eut tiré la porte, Eugénie et sa mère respirèrent à leur aise. Avant cette matinée, jamais la fille n'avait senti de contrainte en présence de son père ; mais, depuis quelques heures, elle changeait à tous moments et de sentiments et d'idées.
- Maman, combien de louis a-t-on d'une pièce de vin ?
- Ton père vend les siennes entre cent et cent cinquante francs, quelquefois deux cents, à ce que j'ai entendu dire.
- Quand il récolte quatorze cents pièces de vin...
- Ma foi, mon enfant, je ne sais pas ce que cela fait ; ton père ne me dit jamais ses affaires.
- Mais alors papa doit être riche.
- Peut-être. Mais monsieur Cruchot m'a dit qu'il avait acheté Froidfond il y a deux ans. Ça l'aura gêné.
Eugénie, ne comprenant plus rien à la fortune de son père, en resta là de ses calculs.
- Il ne m'a tant seulement point vue, le mignon ! dit Nanon en revenant. Il est étendu comme un veau sur son lit et pleure comme une Madeleine, que c'est une vraie bénédiction ! Quel chagrin a donc ce pauvre gentil jeune homme ?
- Allons donc le consoler bien vite, maman ; et, si l'on frappe, nous descendrons.
Madame Grandet fut sans défense contre les harmonies de la voix de sa fille. Eugénie était sublime, elle était femme. Toutes deux, le coeur palpitant, montèrent à la chambre de Charles. La porte était ouverte. Le jeune homme ne voyait ni n'entendait rien. Plongé dans les larmes, il poussait des plaintes inarticulées.
- Comme il aime son père ! dit Eugénie à voix basse.
Il était impossible de méconnaître dans l'accent de ces paroles les espérances d'un coeur à son insu passionné.
Aussi madame Grandet jeta-t-elle à sa fille un regard empreint de maternité, puis tout bas à l'oreille :
- Prends garde, tu l'aimerais, dit-elle.
- L'aimer ! reprit Eugénie. Ah ! si tu savais ce que mon père a dit !
Charles se retourna, aperçut sa tante et sa cousine.
- J'ai perdu mon père, mon pauvre père ! S'il m'avait confié le secret de son malheur, nous aurions travaillé tous deux à le réparer. Mon Dieu, mon bon père ! je comptais si bien le revoir que je l'ai, je crois, froidement embrassé.
Les sanglots lui coupèrent la parole.
- Nous prierons bien pour lui, dit madame Grandet.
Résignez-vous à la volonté de Dieu.
- Mon cousin, dit Eugénie, prenez courage ! Votre perte est irréparable : ainsi songez maintenant à sauver votre honneur...
Avec cet instinct, cette finesse de la femme qui a de l'esprit en toute chose, même quand elle console, Eugénie voulait tromper la douleur de son cousin en l'occupant de lui-même.

- Mon honneur ?... cria le jeune homme en chassant ses cheveux par un mouvement brusque, et il s'assit sur son lit en se croisant les bras.
- Ah ! c'est vrai. Mon père, disait mon oncle, a fait faillite. Il poussa un cri déchirant et se cacha le visage dans ses mains.
- Laissez-moi, ma cousine, laissez-moi ! Mon Dieu ! mon Dieu ! pardonnez à mon père, il a dû bien souffrir.
Il y avait quelque chose d'horriblement attachant à voir l'expression de cette douleur jeune, vraie, sans calcul, sans arrière-pensée. C'était une pudique douleur que les coeurs simples d'Eugénie et de sa mère comprirent quand Charles fit un geste pour leur demander de l'abandonner à lui-même. Elles descendirent, reprirent en silence leurs places près de la croisée, et travaillèrent pendant une heure environ sans se dire un mot. Eugénie avait aperçu par le regard furtif qu'elle jeta sur le ménage du jeune homme, ce regard des jeunes filles qui voient tout en un clin d'oeil, les jolies bagatelles de sa toilette, ses ciseaux, ses rasoirs enrichis d'or. Cette échappée d'un luxe vu à travers la douleur lui rendit Charles encore plus intéressant, par contraste peut-être.
Jamais un événement si grave, jamais un spectacle si dramatique n'avait frappé l'imagination de ces deux créatures incessamment plongées dans le calme et la solitude.
- Maman, dit Eugénie, nous porterons le deuil de mon oncle.
- Ton père décidera de cela, répondit madame Grandet.
Elles restèrent de nouveau silencieuses. Eugénie tirait ses points avec une régularité de mouvement qui eût dévoilé à un observateur les fécondes pensées de sa méditation. Le premier désir de cette adorable fille était de partager le deuil de son cousin. Vers quatre heures, un coup de marteau brusque retentit au coeur de madame Grandet.
- Qu'a donc ton père ? dit-elle à sa fille.
Le vigneron entra joyeux. Après avoir ôté ses gants, il se frotta les mains à s'en emporter la peau, si l'épiderme n'en eût pas été tanné comme du cuir de Russie, sauf l'odeur des mélèzes et de l'encens. Il se promenait, il regardait le temps. Enfin son secret lui échappa.
- Ma femme, dit-il sans bégayer, je les ai tous attrapés. Notre vin est vendu. Les Hollandais et les Belges partaient ce matin, je me suis promené sur la place, devant leur auberge, en ayant l'air de bêtiser. Chose, que tu connais, est venu à moi. Les propriétaires de tous les bons vignobles gardent leur récolte et veulent attendre, je ne les en ai pas empêchés. Notre Belge était désespéré. J'ai vu cela. Affaire faite, il prend notre récolte à deux cents francs la pièce, moitié comptant. Je suis payé en or. Les billets sont faits, voilà six louis pour toi. Dans trois mois, les vins baisseront.
Ces derniers mots furent prononcés d'un ton calme, mais si profondément ironique, que les gens de Saumur, groupés en ce moment sur la place et ameutés par la nouvelle de la vente que venait de faire Grandet, en auraient frémi s'ils les eussent entendus. Une peur panique eût fait tomber les vins de cinquante pour cent.
- Vous avez mille pièces cette année, mon père ? dit Eugénie.
- Oui, titille.
Ce mot était l'expression superlative de la joie du vieux tonnelier.
- Cela fait deux cent mille pièces de vingt sous.
- Oui, mademoiselle Grandet.

- Eh bien, mon père, vous pouvez facilement secourir Charles.
L'étonnement, la colère, la stupéfaction de Balthazar en apercevant le Mane-Tekel-Pharès ne sauraient se comparer au froid courroux de Grandet qui, ne pensant plus à son neveu, le retrouvait logé au coeur et dans les calculs de sa fille.
- Ah çà, depuis que ce mirliflor a mis le pied dans ma maison, tout y va de travers. Vous vous donnez des airs d'acheter des dragées, de faire des noces et des festins. Je ne veux pas de ces choses-là. Je sais, à mon âge, comment je dois me conduire, peut-être ! D'ailleurs je n'ai de leçons à prendre ni de ma fille ni de personne.
Je ferai pour mon neveu ce qu'il sera convenable de faire, vous n'avez pas à y fourrer le nez. Quant à toi, Eugénie, ajouta-t-il en se tournant vers elle, ne m'en parle plus, sinon je t'envoie à l'abbaye de Noyers avec Nanon voir si j'y suis ; et pas plus tard que demain, si tu bronches. Où est-il donc, ce garçon, est-il descendu ?
- Non, mon ami, répondit madame Grandet.
- Eh bien, que fait-il donc ?
- Il pleure son père, répondit Eugénie.
Grandet regarda sa fille sans trouver un mot à dire. Il était un peu père, lui. Après avoir fait un ou deux tours dans la salle, il monta promptement à son cabinet pour y méditer un placement dans les fonds publics. Ses deux mille arpents de forêt coupés à blanc lui avaient donné six cent mille francs ; en joignant à cette somme l'argent de ses peupliers, ses revenus de l'année dernière et de l'année courante, outre les deux cent mille francs du marché qu'il venait de conclure, il pouvait faire une masse de neuf cent mille francs. Les vingt pour cent à gagner en peu de temps sur les rentes, qui étaient à 0 francs, le tentaient. Il chiffra sa spéculation sur le journal où la mort de son frère était annoncée, en entendant, sans les écouter, les gémissements de son neveu.
Nanon vint cogner au mur pour inviter son maître à descendre, le dîner était servi. Sous la voûte et à la dernière marche de l'escalier, Grandet disait en lui-même :
- Puisque je toucherai mes intérêts à huit, je ferai cette affaire. En deux ans, j'aurai quinze cent mille francs que je retirerai de Paris en bon or.
- Eh bien, où donc est mon neveu ?
- Il dit qu'il ne veut pas manger, répondit Nanon.
Ça n'est pas sain.
- Autant d'économisé, lui répliqua son maître.
- Dame, voui, dit-elle.
- Bah ! il ne pleurera pas toujours. La faim chasse le loup hors du bois.
Le dîner fut étrangement silencieux.
- Mon bon ami, dit madame Grandet lorsque la nappe fut ôtée, il faut que nous prenions le deuil.
- En vérité, madame Grandet, vous ne savez quoi vous inventer pour dépenser de l'argent. Le deuil est dans le coeur et non dans les habits.
- Mais le deuil d'un frère est indispensable, et l'Eglise nous ordonne de...
- Achetez votre deuil sur vos six louis. Vous me donnerez un crêpe, cela me suffira.
Eugénie leva les yeux au ciel sans mot dire. Pour la première fois dans sa vie, ses généreux penchants endormis, comprimés, mais subitement éveillés, étaient à tout moment froissés. Cette soirée fut semblable en apparence à mille soirées de leur existence monotone, mais ce fut certes la plus horrible. Eugénie travailla sans lever la tête, et ne se servit point du nécessaire que Charles avait dédaigné la veille. Madame Grandet tricota ses manches. Grandet tourna ses pouces pendant quatre heures, abîmé dans des calculs dont les résultats devaient, le lendemain, étonner Saumur. Personne ne vint, ce jour-là, visiter la famille. En ce moment, la ville entière retentissait du tour de force de Grandet, de la faillite de son frère et de l'arrivée de son neveu. Pour obéir au besoin de bavarder sur leurs intérêts communs, tous les propriétaires de vignobles des hautes et moyennes sociétés de Saumur étaient chez monsieur des Grassins, où se fulminèrent de terribles imprécations contre l'ancien maire.
Nanon filait, et le bruit de son rouet fut la seule voix qui se fît entendre sous les planchers grisâtres de la salle.
- Nous n'usons point nos langues, dit-elle en montrant ses dents blanches et grosses comme des amandes pelées.
- Ne faut rien user, répondit Grandet en se réveillant de ses méditations. Il se voyait en perspective huit millions dans trois ans, et voguait sur cette longue nappe d'or. - Couchons-nous. J'irai dire bonsoir à mon neveu pour tout le monde, et voir s'il veut prendre quelque chose.
Madame Grandet resta sur le palier du premier étage pour entendre la conversation qui allait avoir lieu entre Charles et le bonhomme. Eugénie, plus hardie que sa mère, monta deux marches.
- Hé bien, mon neveu, vous avez du chagrin. Oui, pleurez, c'est naturel. Un père est un père. Mais faut prendre notre mal en patience. Je m'occupe de vous pendant que vous pleurez. Je suis un bon parent, voyez-vous. Allons, du courage. Voulez-vous boire un petit verre de vin ? Le vin ne coûte rien à Saumur, on y offre du vin comme dans les Indes une tasse de thé.
- Mais, dit Grandet en continuant, vous êtes sans lumière. Mauvais, mauvais ! faut voir clair à ce que l'on fait. Grandet marcha vers la cheminée. - Tiens ! s'écria-t-il, voilà de la bougie. Où diable a-t-on pêché de la bougie ? Les garces démoliraient le plancher de ma maison pour cuire des oeufs à ce garçon-là.
En entendant ces mots, la mère et la fille rentrèrent dans leurs chambres et se fourrèrent dans leurs lits avec la célérité de souris effrayées qui rentrent dans leurs trous.
- Madame Grandet, vous avez donc un trésor ? dit l'homme en entrant dans la chambre de sa femme.
- Mon ami, je fais mes prières, attendez, répondit d'une voix altérée la pauvre mère.
- Que le diable emporte ton bon Dieu ! répliqua Grandet en grommelant.
Les avares ne croient pas à une vie à venir, le présent est tout pour eux. Cette réflexion jette une horrible clarté sur l'époque actuelle, où, plus qu'en aucun autre temps, l'argent domine les lois, la politique et les moeurs. Institutions, livres, hommes et doctrines, tout conspire à miner la croyance d'une vie future sur laquelle l'édifice social est appuyé depuis dix-huit cents ans. Maintenant le cercueil est une transition peu redoutée. L'avenir, qui nous attendait par delà le requiem, a été transposé dans le présent. Arriver per fas et nefas au paradis terrestre du luxe et des jouissances vaniteuses, pétrifier son coeur et se macérer le corps en vue de possessions passagères, comme on souffrait jadis le martyre de la vie en vue de biens éternels, est la pensée générale ! pensée d'ailleurs écrite partout, jusque dans les lois, qui demandent au législateurs : Que payes-tu ? au lieu de lui dire : Que penses-tu ? Quand cette doctrine aura passé de la bourgeoisie au peuple, que deviendra le pays ?
- Madame Grandet, as-tu fini ? dit le vieux tonnelier.
- Mon ami, je prie pour toi.
- Très bien ! bonsoir. Demain matin, nous causerons.
La pauvre femme s'endormit comme l'écolier qui, n'ayant pas appris ses leçons, craint de trouver à son réveil le visage irrité du maître. Au moment où, par frayeur, elle se roulait dans ses draps pour ne rien entendre, Eugénie se coula près d'elle, en chemise, pieds nus, et vint la baiser au front.
- Oh ! bonne mère, dit-elle, demain, je lui dirai que c'est moi.
- Non, il t'enverrait à Noyers. Laisse-moi faire, il ne me mangera pas.
- Entends-tu, maman ?
- Quoi ?
- Hé bien, il pleure toujours.
- Va donc te coucher, ma fille. Tu gagneras froid aux pieds. Le carreau est humide.
Ainsi se passa la journée solennelle qui devait peser sur toute la vie de la riche et pauvre héritière dont le sommeil ne lut plus aussi complet ni aussi pur qu'il l'avait été jusqu'alors. Assez souvent certaines actions de la vie humaine paraissent, littérairement parlant, invraisemblables, quoique vraies. Mais ne serait-ce pas qu'on omet presque toujours de répandre sur nos déterminations spontanées une sorte de lumière psychologique, en n'expliquant pas les raisons mystérieusement conçues qui les ont nécessitées ? Peut-être la profonde passion d'Eugénie devrait-elle être analysée dans ses fibrilles les plus délicates ; car elle devint, diraient quelques railleurs, une maladie, et influença toute son existence. Beaucoup de gens aiment mieux nier les dénouements, que de mesurer la force des liens, des noeuds, des attaches qui soudent secrètement un fait à un autre dans l'ordre moral. Ici donc le passé d'Eugénie servira, pour les observateurs de la nature humaine, de garantie à la naïveté de son irréflexion et à la soudaineté des effusions de son âme. Plus sa vie avait été tranquille, plus vivement la pitié féminine, le plus ingénieux des sentiments, se déploya dans son âme. Aussi, troublée par les événements de la journée, s'éveilla-t-elle, à plusieurs reprises, pour écouter son cousin, croyant en avoir entendu les soupirs qui depuis la veille lui retentissaient au coeur : tantôt elle le voyait expirant de chagrin, tantôt elle le rêvait mourant de faim. Vers le matin, elle entendit certainement une terrible exclamation. Aussitôt elle se vêtit, et accourut au petit jour, d'un pied léger, auprès de son cousin qui avait laissé sa porte ouverte. La bougie avait brûlé dans la bobèche du flambeau. Charles, vaincu par la nature, dormait habillé, assis dans un fauteuil, la tête renversée sur le lit ; il rêvait comme rêvent les gens qui ont l'estomac vide. Eugénie put pleurer à son aise ; elle put admirer ce jeune et beau visage, marbré par la douleur, ces yeux gonflés par les larmes, et qui tout endormis semblaient encore verser des pleurs. Charles devina sympathiquement la présence d'Eugénie, il ouvrit les yeux, et la vit attendrie.
- Pardon, ma cousine, dit-il, ne sachant évidemment ni l'heure qu'il était ni le lieu où il se trouvait.
- Il y a des coeurs qui vous entendent ici, mon cousin, et nous avons cru que vous aviez besoin de quelque chose. Vous devriez vous coucher, vous vous fatiguez en restant ainsi.
- Cela est vrai.
- Hé bien, adieu.
Elle se sauva, honteuse et heureuse d'être venue. L'innocence ose seule de telles hardiesses. Instruite, la Vertu calcule aussi bien que le Vice. Eugénie, qui, près de son cousin, n'avait pas tremblé, put à peine se tenir sur ses jambes quand elle fut dans sa chambre. Son ignorante vie avait cessé tout à coup, elle raisonna, se fit mille reproches. Quelle idée va-t-il prendre de moi ? Il croira que je l'aime. C'était précisément ce qu'elle désirait le plus de lui voir croire. L'amour franc a sa prescience et sait que l'amour excite l'amour. Quel événement pour cette jeune fille solitaire, d'être ainsi entrée furtivement chez un jeune homme ! N'y a-t-il pas des pensées, des actions qui, en amour, équivalent, pour certaines âmes, à de saintes fiançailles ! Une heure après, elle entra chez sa mère, et l'habilla suivant son habitude. Puis elles vinrent s'asseoir à leurs places devant la fenêtre et attendirent Grandet avec cette anxiété qui glace le coeur ou l'échauffe, le serre ou le dilate suivant les caractères, alors que l'on redoute une scène, une punition ; sentiment d'ailleurs si naturel, que les animaux domestiques l'éprouvent au point de crier pour le faible mal d'une correction, eux qui se taisent quand ils se blessent par inadvertance. Le bonhomme descendit, mais il parla d'un air distrait à sa femme, embrassa Eugénie, et se mit à table sans paraître penser à ses menaces de la veille.
- Que devient mon neveu ? l'enfant n'est pas gênant.
- Monsieur, il dort, répondit Nanon.
- Tant mieux, il n'a pas besoin de bougie, dit Grandet d'un ton goguenard.
Cette clémence insolite, cette amère gaieté frappèrent madame Grandet qui regarda son mari fort attentivement. Le bonhomme... Ici peut-être est-il convenable de faire observer qu'en Touraine, en Anjou, en Poitou, dans la Bretagne, le mot bonhomme, déjà souvent employé pour désigner Grandet, est décerné aux hommes les plus cruels comme aux plus bonasses, aussitôt qu'ils sont arrivés à un certain âge. Ce titre ne préjuge rien sur la mansuétude individuelle. Le bonhomme, donc, prit son chapeau, ses gants, et dit : - Je vais muser sur la place pour rencontrer nos Cruchot.
- Eugénie, ton père a décidément quelque chose.
En effet, peu dormeur, Grandet employait la moitié de ses nuits aux calculs préliminaires qui donnaient à ses vues, à ses observations, à ses plans, leur étonnante justesse et leur assuraient cette constante réussite de laquelle s'émerveillaient les Saumurois. Tout pouvoir humain est un composé de patience et de temps. Les gens puissants veulent et veillent. La vie de l'avare est un constant exercice de la puissance humaine mise au service de la personnalité. Il ne s'appuie que sur deux sentiments : l'amour-propre et l'intérêt ; mais l'intérêt étant en quelque sorte l'amour-propre solide et bien entendu, l'attestation continue d'une supériorité réelle, l'amour-propre et l'intérêt sont deux parties d'un même tout, l'égoïsme. De là vient peut-être la prodigieuse curiosité qu'excitent les avares habilement mis en scène.
Chacun tient par un fil à ces personnages qui s'attaquent à tous les sentiments humains, en les résumant tous. Où est l'homme sans désir, et quel désir social se résoudra sans argent ? Grandet avait bien réellement quelque chose, suivant l'expression de sa femme. Il se rencontrait en lui, comme chez tous les avares, un persistant besoin de jouer une partie avec les autres hommes, de leur gagner légalement leurs écus. Imposer autrui, n'est-ce pas faire acte de pouvoir, se donner perpétuellement le droit de mépriser ceux qui, trop faibles, se laissent ici-bas dévorer ? Oh ! qui a bien compris l'agneau paisiblement couché aux pieds de Dieu, le plus touchant emblème de toutes les victimes terrestres, celui de leur avenir, enfin la Souffrance et la Faiblesse glorifiées ?
Cet agneau, l'avare le laisse s'engraisser, il le parque, le tue, le cuit, le mange et le méprise. La pâture des avares se compose d'argent et de dédain. Pendant la nuit, les idées du bonhomme avaient pris un autre cours : de là, sa clémence. Il avait ourdi une trame pour se moquer des Parisiens, pour les tordre, les rouler, les pétrir, les faire aller, venir, suer, espérer, pâlir ; pour s'amuser d'eux, lui, ancien tonnelier au fond de sa salle grise, en montant l'escalier vermoulu de sa maison de Saumur.
Son neveu l'avait occupé. Il voulait sauver l'honneur de son frère mort sans qu'il en coûtât un sou ni à son neveu ni à lui. Ses fonds allaient être placés pour trois ans, il n'avait plus qu'à gérer ses biens, il fallait donc un aliment à son activité malicieuse et il l'avait trouvé dans la faillite de son frère. Ne se sentant rien entre les pattes à pressurer, il voulait concasser les Parisiens au profit de Charles, et se montrer excellent frère à bon marché.
L'honneur de la famille entrait pour si peu de chose dans son projet, que sa bonne volonté doit être comparée au besoin qu'éprouvent les joueurs de voir bien jouer une partie dans laquelle ils n'ont pas d'enjeu. Et les Cruchot lui étaient nécessaires, et il ne voulait pas les aller chercher, et il avait décidé de les faire arriver chez lui, et d'y commencer ce soir même la comédie dont le plan venait d'être conçu, afin d'être le lendemain, sans qu'il lui en coûtat un denier, l'objet de l'admiration de sa ville.

Source: InLibroVeritas

Cet enregistrement est mis à disposition sous un contrat Art Libre.
Cet enregistrement est mis à disposition sous un contrat Creative Commons.

Ajouter un commentaire



Tous les commentaires sont bienvenus, bienveillants ou critiques (mais constructifs), sauf ceux qui mettraient en concurrence les donneurs de voix entre eux. Le cas échéant, ceux-là ne seraient pas publiés.

Pseudo :




Disponible sur Google Play

Nouveautés



> Toutes les nouveautés

SOUTENEZ-NOUS


cards
Optimisé par paypal

Soutenez nous sur typeee

Les Auteurs les plus lus


Abrantès - Achard - Ackermann - Ahikar- Aicard - Aimard - ALAIN- Alberny - Alixe- Allais - Andersen - Andrews - Anonyme- Apollinaire - Arène - Assollant - Aubry - Audebrand - Audoux - Aulnoy - Austen - Aycard - Balzac - Banville - Barbey d aurevilly - Barbusse - Baudelaire - Bazin - Beauvoir - Beecher stowe - Bégonia ´´lili´´ - Bellême - Beltran - Bentzon - Bergerat - Bernard - Bernède - Bernhardt - Berthoud - Bible- Binet- Bizet - Blasco ibanez - Bleue- Boccace- Borie - Bourget - Boussenard - Boutet - Bove - Boylesve - Brada- Braddon - Bringer - Brontë - Bruant - Brussolo - Burney - Cabanès - Cabot - Casanova- Cervantes - Césanne - Cézembre - Chancel - Charasse - Chateaubriand - Chevalier à la Rose- Claretie - Claryssandre- Colet - Comtesse de ségur- Conan Doyle - Coppee - Coppée - Corday - Corneille - Corthis - Courteline - Darrig - Daudet - Daumal - De nerval - De renneville - De staël - De vesly - Decarreau - Del - Delarue mardrus - Delattre - Delly- Delorme - Demercastel - Desbordes Valmore - Dickens - Diderot - Dionne - Dostoïevski - Dourliac - Du boisgobey - Du gouezou vraz - Dumas - Dumas fils - Duruy - Duvernois - Eberhardt - Esquiros - Essarts - Faguet - Fée - Fénice- Féré - Feuillet - Féval - Feydeau - Filiatreault - Flat - Flaubert- Fontaine - Forbin - Alain-Fournier- France - Frapié - Funck Brentano - G@rp- Gaboriau- Gaboriau - Galopin - Gaskell - Gautier - Geffroy - Géode am- Géod´am- Girardin - Gorki - Gragnon - Gréville - Grimm - Guimet - Gyp- Halévy - Hardy - Hawthorne - Hoffmann - Homère- Houssaye - Huc - Huchon - Hugo - Irving - Jaloux - James - Janin - Kipling - La bruyère - La Fontaine - Lacroix - Lamartine - Larguier - Lavisse et rambaud- Le Braz - Le Rouge - Leblanc - Leconte de Lisle - Lemaître - Leopardi - Leprince de Beaumont - Lermina - Leroux - Les 1001 nuits- Lesclide - Level - Lichtenberger - London - Lorrain - Loti - Louÿs - Lycaon- Lys - Machiavel - Madeleine - Magog - Maizeroy - Malcor - Mallarmé - Malot - Mangeot - Margueritte - Marmier - Martin (qc) - Mason - Maturin - Maupassant - Mérimée - Mervez- Meyronein - Michelet - Miguel de Cervantes- Milosz - Mirbeau - Moinaux - Molière- Montesquieu- Mortier - Moselli - Musset - Naïmi - Nerval - Orain - Orczy - Ourgant - Pacherie - Pavie - Pergaud - Perrault - Poe - Ponson du terrail - Pouchkine - Proust - Pucciano - Pujol - Racine - Radcliffe - Rameau - Ramuz - Reclus - Renard - Richard - Richard - Gaston- Rilke - Rimbaud - Robert - Rochefort - Roger - Ronsard - Rosny aîné - Rosny_aîné - Rostand - Rousseau - Sacher masoch - Sade - Saint victor - Sainte beuve - Sand - Sazie - Scholl - Schwab - Schwob - Scott - Shakespeare - Silion - Silvestre - Snakebzh- Steel - Stendhal- Stevenson - Sue - Suétone- T. combe- Tchekhov - Theuriet - Thoreau - Tolstoï (L) - Tourgueniev - Trollope - Twain - Valéry - Vallès - Van offel - Vannereux - Verlaine - Verne - Vidocq - Villiers de l´isle adam- Voltaire- Voragine - Weil - Wells - Wharton - Wilde - Wilkie Collins- Zaccone - Zola Zweig -

--- Liste complète