Hier et demain
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Publication : 2015-12-07
Lu par Sabine
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Musique : We Wish You a merry christmas
Illustration Carte postale ancienne
Illustration Carte postale ancienne
Joséphine Marchand, connue aussi sous le nom de Madame Dandurand ou le nom de plume Josette (1861 – 1925) journaliste, écrivaine, conférencière et militante féministe canadienne française.
HIER ET DEMAIN
Un conte du jour de l’an pour le
grand monde.
J’avais comme de coutume suspendu un bas de ma plus longue et plus belle paire à mon clou particulier…
Sur un pan du mur de notre grande « nursery, » depuis bien des jours de l’an, six clous réservés à l’usage antique et solennel restaient alignés.
Ils y sont même encore, quoique la « nursery » ait perdu son nom et son utilité. Ils y sont encore — persistants comme les bons souvenirs — accrochant parfois au passage le bout flottant d’un ceinturon, la dentelle d’une manche qui les effleure, comme pour remendier un peu de l’intérêt de jadis.
Comme on devient maussade et moralisateur en vieillissant !
Ces clous innocents, qui faisaient autrefois battre mon cœur impatient d’une joie sans bornes comme sans mélange, me font m’arrêter maintenant toute rêveuse et philosophante.
Je les recompte sur le mur, pensant que tout cela c’est fini, songeant aussi que l’un de leurs propriétaires n’y est plus, ne reviendra jamais, etc. Bien d’autres idées se mettent à me passer dans l’esprit et je reste immobile, là, au milieu de la pièce, regardant fixement… nulle part.
C’est que ces six clous en content, des choses !
Cela chante la poésie, la candeur de l’enfance, au milieu d’un entourage qui accuse l’expérience, la maturité des sentiments, qui trahit jusqu’à la transformation graduelle des aspirations chez les bébés grandis.
On voit çà et là des livres, des portraits, divers articles parlant tous le langage d’un autre âge.
Et, devant le contraste de ces deux époques, l’on se demande laquelle vaut le mieux ?
Au temps que je suspendais mon bas, je n’aurais voulu pour rien au monde perdre mes chères superstitions. Je croyais à Santa Claus[1] avec fanatisme.
Que ses desseins impénétrables, que ses dons mystérieux m’inspiraient donc de rêves fantastiques, de conjectures délicieuses !
Et mon ingénieuse ignorance me laissait supposer des trésors enfouis en des sphères féeriques, que des notions plus positives m’ont depuis fait oublier !
Aussi l’on ne saurait se figurer quelle mélancolie, quel vide se produisit dans mon âme, quand ces adorables chimères commencèrent à me paraître moins vraisemblables !
Je résistai quelque temps à la désillusion ; je retins, comme malgré eux, les bien-aimés fantômes qui voulaient s’enfuir.
Lutte inutile ! Il m’eût fallu, pour garder ma foi naïve, mes rêves chéris, fermer mes oreilles et mes yeux, arrêter les recherches de ma raison curieuse, oublier les leçons journalières de l’expérience, toutes choses qui voulaient voir, entendre, déduire avec une ardeur désespérante.
Je vis, j’entendis, je raisonnai tant qu’un bon jour je sentis avec douleur qu’il me fallait faire mes adieux à mon pauvre Santa Claus.
C’était ingrat et ridicule ; la dette de reconnaissance que j’avais accumulée, toutes les effusions, les joies du passé, tout cela était donc absurde et faux ?… J’en voulais aux autres de m’avoir trompée… En somme, je me sentais fort malheureuse ; le monde me semblait bien morose, bien insignifiant !
Le coup décisif arriva ainsi :
Ce soir-là, malgré mes doutes, j’avais fait comme les autres, car il y avait derrière moi tout un petit peuple encore crédule que je regardais avec un mélange d’ironie et d’envie.
— Après tout… qui sait ? argumentai-je en moi-même, c’est peut-être toujours vrai… Le bon Dieu est bien bon, et si puissant ! Qu’est-ce qui empêche qu’il envoie lui-même, directement, son expert et fidèle Santa Claus, distribuer les récompenses à ses petits enfants ? Du reste, je vais bien voir. Mes yeux veilleront plutôt toute la nuit. Il faudra enfin que cela s’éclaircisse ! S’il en vient un autre que l’envoyé du ciel, il ne m’échappera pas celui-là !
Ma surveillance d’ailleurs ne faisait pas que de commencer à s’exercer.
Toute la journée, moi-même, j’avais voulu être portière. Les allants et venants, les paquets petits et gros, les colloques suspects, tout fut noté avec soin, sans trahir pourtant d’indices révélateurs.
Mon scepticisme pâlissait ; mes illusions reprenaient vigueur.
— Je vais bien voir ! me répétais-je tandis qu’on emportait la lumière, que les innocents qui m’environnaient se mettaient à ronronner et à marmotter des choses inintelligibles en leurs rêves d’or, je vais bien voir !
Mon Dieu qu’il en coûte de voir quand il fait nuit, que la pendule vous berce obstinément de son monotone tic-tac, que le sommeil caresse doucement le bord de vos paupières, engourdit sans bruit vos pensées !
Mon Dieu, que c’est difficile de ne pas oublier son inébranlable détermination, de ne pas céder à la persuasive et commode logique du consolant Morphée ! J’y mis pourtant toute mon énergie ; ma vigilance ne s’était pas ralentie pour la peine d’en parler, au moment où, vers minuit, l’on vint mettre dans le corridor la veilleuse dont une lueur se projetait justement sur la rangée de nos bas encore vides.
— Je vais bien voir ! fis-je avec un redoublement d’anxieuse émotion…
Rien d’inusité ne se passe. Quelqu’un qui rentre dans sa chambre, un silence profond, prolongé…
Tout plaide en faveur de Santa Claus.
J’écoute encore… rien… Je me rassure, ma tête inquiète et tendue retombe souriante sur l’oreiller ; tous les chers fantômes rentrent en se bousculant joyeusement dans mon cerveau rasséréné.
Santa Claus triomphe. Il s’avance déjà dans mon rêve, radieux, courbé sous un fardeau monstrueux, riant malicieusement dans sa longue barbe blanche de givre et d’antiquité.
Oh, le beau moment !
Je savais bien que ces gens-là mentaient qui disaient avec de mauvais sourires :
— Il n’y a pas de Santa Claus ! Est-ce que le bon Dieu se mêle de cela ?…
On a beau dire, personne ne devine si bien nos souhaits et nos désirs intimes pour cacher adroitement dans nos bas juste les choses que nous voulons.
Cher vieil ami ! J’aurais voulu lui sauter au cou tant je le trouvais bon d’être revenu !
Oh ! il devait bien avoir dans ce grand sac, de beaux patins pour moi ! Je les lui avais demandés avec tant d’instances !
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Avais-je dormi longtemps quand un bruit soudain me fit ouvrir les yeux ? Je l’ignore.
C’était un son métallique qui m’avait réveillée. Avant d’avoir pu recueillir mes esprits et de m’être rendu compte de ce qui arrivait, j’avais vu l’ombre du nez paternel effleurer rapidement la muraille ; j’entendis en même temps le battement d’une pantoufle qui retraitait en hâte…
C’en était fait à jamais de mes rêves merveilleux. Ils s’étaient effacés avec l’ombre susdite !…
Il n’y eut, pour me consoler de la décevante réalité, que les patins que je trouvai dès l’aube, gisant sous mon clou particulier, et dont la chute intempestive m’avait si douloureusement éclairée sur le prosaïsme des choses d’ici-bas.
Que de cruelles leçons m’a depuis données la vie, sans avoir pu épuiser pourtant mon fonds de poétiques illusions, tant on en amasse en ces folles années de l’enfance.
En l’honneur de ce premier de l’an, à ceux qui m’ont lue, je souhaite, comme récompense, de n’avoir pas trop d’oreilles pour les sinistres avertissements de cette vieille blasée qu’on nomme l’Expérience. Libre à eux de ne pas croire à Santa Claus ; mais au moins qu’ils lui trouvent des adeptes en leurs petits enfants, en reconnaissance des grandes joies dont nous lui avons tous été redevables.
Cet enregistrement est mis à disposition sous un contrat Art Libre.
Cet enregistrement est mis à disposition sous un contrat Creative Commons BY (attribution) SA (Partage dans les mêmes conditions).
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