L'Homme à la Lèvre retroussée
Enregistrement : Audiocite.net
Publication : 2012-04-05
Lu par Stanley
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L’HOMME À LA LÈVRE RETROUSSÉE
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Isa Whitney, frère du défunt Elias Whitney, docteur en théologie, principal de l’école de Théologie de Saint-Georges, s’adonnait à l’opium. Il paraît qu’il contracta ce vice au collège, à la suite d’une ridicule espièglerie. Il avait lu la description des rêves et sensations de Quincey, et, pour produire les mêmes résultats à son profit, il avait inondé son tabac de laudanum. Il découvrit, comme beaucoup d’autres, qu’il est plus facile de prendre une habitude que de s’en débarrasser, et, pendant plusieurs années, lui, qui avait été un homme respectable, devint, sous l’empire de cette passion, un objet d’horreur et de pitié pour ses parents et amis. Je le vois encore, assis, tout ramassé sur lui-même ; je vois son teint jaune et empâté, ses paupières lourdes, ses pupilles réduites à la dimension de pointes d’épingles ; en un mot, l’image de la dégradation.
Une nuit, c’était en juin 1889, on sonna à ma porte à peu près à l’heure où un homme aux habitudes rangées commence à bâiller et regarde la pendule. Je me redressai sur ma chaise et ma femme laissa tomber son ouvrage sur ses genoux avec une petite moue de désappointement.
— Un client, me dit-elle, vous allez être obligé de sortir.
Je laissai échapper un gros soupir, car j’avais eu une journée fatigante et j’aspirais au repos.
La porte s’ouvrit ; nous entendîmes quelques mots prononcés à la hâte, des pas rapides dans le corridor et on introduisit dans le salon une dame vêtue d’une robe sombre, le visage caché sous un voile noir.
— Excusez-moi de venir si tard, balbutia-t-elle ; puis perdant toute contenance elle se jeta au cou de ma femme et sanglota sur son épaule.
— Oh ! que je suis malheureuse ! s’écria-t-elle. J’ai bien besoin d’un peu de secours.
— Comment, dit ma femme en relevant son voile, mais c’est Kate Whitney ! Comme vous m’avez fait peur, Kate. Je ne vous avais absolument pas reconnue lorsque vous êtes entrée.
— Je suis dans une terrible situation ; je ne sais plus que faire ; alors je suis venue vous trouver.
Cette phrase n’était pas nouvelle pour moi ; ma femme s’était faite depuis longtemps le refuge et le conseil des affligés.
— Vous avez bien fait de venir, lui dit-elle. Prenez un peu d’eau et de vin pour vous remonter ; asseyez-vous sur un siège confortable et contez-moi votre peine. Préférez-vous que Jacques se retire ?
— Oh non ! non ! j’ai besoin de l’avis du docteur et aussi de son secours. C’est à propos d’Isa. Il n’est pas rentré depuis deux jours. J’ai bien peur qu’il ne lui soit arrivé quelque chose de fâcheux.
Ce n’était pas la première fois qu’elle nous parlait de l’infirmité de son mari, à moi comme docteur, à ma femme comme à une vieille amie de pension. Nous fîmes tous nos efforts pour la calmer et la réconforter, tout en la questionnant sur l’endroit où pouvait se trouver son mari et la possibilité de le ramener au logis.
Elle nous dit savoir de source certaine que, lors de sa dernière crise, il était devenu l’habitué d’une taverne d’opium dans la partie est de la Cité. Jusqu’alors ses orgies s’étaient bornées à un seul jour d’absence ; il rentrait le soir crispé et étourdi. Mais, cette fois, il était depuis quarante-huit heures sous l’empire de sa malheureuse passion ; et c’est dans cette taverne qu’on devait le trouver, respirant du poison, ou dormant jusqu’à ce que les effets de l’opium fussent passés, cela au milieu d’un public vil et dégradé, la lie des docks. C’était vers le « Bar d’or » dans Upper-Swandam-Lane qu’il fallait diriger les recherches. Mais que faire ? Comment une timide jeune femme pouvait-elle entrer dans un pareil lieu et forcer son mari à quitter cet antre de gredins ?
Tel était le but de sa visite avec l’espoir que je pourrais l’accompagner dans ce lieu maudit. Puis changeant d’avis, elle jugea qu’après tout sa présence n’était d’aucune utilité et que moi, le conseil médical d’Isa Whitney, je serais plus apte à avoir de l’influence sur lui ; il valait donc mieux me laisser aller seul. Je m’engageai à lui renvoyer son mari dans un fiacre si vraiment je le trouvais dans l’endroit qu’elle m’avait indiqué ; et dix minutes plus tard j’avais quitté mon fauteuil et mon confortable salon pour rouler vers l’est de la ville, chargé d’une étrange mission, moins étrange encore en apparence qu’elle ne le devint en réalité.
La première partie de mon entreprise fut des plus simples. Upper-Swandam-Lane est une vilaine rue, cachée derrière les hauts entrepôts qui bordent le côté nord de la rivière à l’est de London-Bridge. Entre un magasin de liqueurs et un marchand de gin, chez lequel on accède par un raide escalier en pierre, aboutissant à un trou noir comme l’entrée d’une cave, je découvris l’antre que je cherchais. Ayant donné l’ordre à mon fiacre de m’attendre, je descendis l’escalier, usé dans la partie du milieu par le passage constant des ivrognes, et, à la lueur d’une lampe à huile vacillante, suspendue au-dessus de la porte, je soulevai le loquet et j’entrai en tâtonnant dans une longue pièce basse dont l’atmosphère était épaissie par la fumée brune de l’opium. Des couchettes en bois, formant terrasse, s’étageaient tout autour comme sur le gaillard d’avant d’un navire d’émigrants.
À travers cette vapeur on apercevait vaguement des silhouettes qui affectaient les formes les plus fantastiques ; des épaules voûtées, des genoux repliés, des têtes rejetées en arrière dans une attitude hébétée, avec ci et là un œil sombre et terne braqué vers la porte d’entrée. Du cercle d’ombre émergeaient de petits points plus ou moins lumineux selon que le poison se consumait ou s’éteignait dans les fourneaux des pipes de métal. La plupart des fumeurs étaient étendus et ne parlaient pas ; mais quelques-uns murmuraient leurs propres rêves et d’autres échangeaient leurs pensées d’une voix étrange, caverneuse, saccadée, et s’arrêtant tout à coup, demeuraient absorbés sans s’occuper de ce que racontait le voisin. À l’extrémité opposée de la pièce, j’aperçus un petit brasier de charbon allumé, et, tout près, sur un trépied en bois, un grand vieillard décharné, dont la mâchoire reposait sur ses mains ; il appuyait ses coudes sur ses genoux, et ses yeux semblaient être attirés par le feu.
À mon arrivée un serviteur malais, pâle et blafard, s’était empressé de m’offrir une pipe et une provision d’opium, m’invitant à m’étendre sur une couchette vide.
— Merci, je ne suis pas venu pour rester ici, mais pour y rencontrer un de mes amis, M. Isa Whitney, à qui j’ai à parler.
Quelqu’un à ma droite fit un brusque mouvement et poussa une exclamation ; alors, ma vue perçant l’obscurité, je découvris devant moi, me regardant avec fixité, Whitney en personne, mais un Whitney, pâle, hagard, abruti.
— Grand Dieu ! c’est Watson, dit-il.
Le pauvre homme était dans un état navrant et ses nerfs étaient surexcités au plus haut point ?
— Dites donc, Watson, quelle heure est-il ?
— Bientôt onze heures.
— De quel jour ?
— De vendredi 19 juin.
— C’est affreux ! Je me croyais à mercredi. Non, vous vous trompez, c’est bien mercredi, n’est-ce pas ? Pourquoi voulez-vous jouer un vilain tour à un camarade ?
Il pencha sa tête sur son épaule et commença à pleurer sur une note aiguë.
— Je vous dis que c’est bien vendredi, mon cher. Votre femme vous attend depuis deux jours. Vous devriez être honteux de votre conduite.
— J’ai honte, en effet. Seulement vous vous trompez, Watson, car je n’ai passé ici que quelques heures ; j’ai fumé trois pipes, quatre peut-être, je ne me rappelle pas combien, mais je vais rentrer avec vous. Je ne veux pas effrayer Kate, pauvre petite Kate. Donnez-moi la main. Avez-vous une voiture ?
— Oui, j’en ai une à la porte.
— Alors, je vais en profiter. Il faut cependant que je paye ma note ici, Watson ; je vous en prie, voyez ce que je peux devoir, je n’ai plus la force de rien faire par moi-même.
Pour arriver jusqu’au patron de l’établissement, je m’engageai dans l’étroit passage laissé libre entre les doubles rangs de dormeurs, retenant mon souffle afin de ne pas aspirer les vapeurs délétères et engourdissantes de l’opium.
En passant devant l’homme décharné qui était assis à côté du brasier je sentis une main qui tirait ma veste et j’entendis une voix sourde qui murmurait : « Lorsque vous m’aurez dépassé, retournez-vous et regardez-moi. »
Je jetai un coup d’œil autour de moi. Ces paroles avaient été prononcées très distinctement et ne pouvaient l’avoir été que par le vieillard à côté duquel je me trouvais ; j’hésitais cependant à le croire, tant cet individu paraissait absorbé ! Il était d’une maigreur extrême, très ridé, voûté par l’âge ; il tenait entre ses genoux sa longue pipe d’opium qu’il semblait avoir laissé échapper de sa main par lassitude. Je fis deux pas en avant, puis je me retournai ; mais il me fallut toute ma présence d’esprit pour retenir une exclamation ! Le vieillard s’était placé de telle manière que moi seul pouvais le voir. Son corps était moins maigre, ses rides avaient disparu, les yeux ternes étaient redevenus brillants et l’être que j’avais là devant moi, assis près du fourneau, n’était autre que Sherlock Holmes, oui, Sherlock Holmes en personne, s’amusant de ma surprise. Je compris à un signe imperceptible que je devais m’approcher de lui, mais déjà il avait repris, avec sa lèvre pendante, son attitude de vieillard tombé en enfance.
— Holmes, murmurai-je, que diable faites-vous ici, dans cet antre ?
— Parlez aussi bas que possible. J’ai d’excellentes oreilles. Si vous aviez l’extrême bonté de vous débarrasser de l’abruti d’ami que vous avez là, je serais très heureux de causer un instant avec vous.
— J’ai un fiacre à la porte.
— Alors, je vous en prie, mettez-le dedans et renvoyez-le chez lui. Vous pouvez être tranquille à son sujet, il m’a l’air trop abattu pour faire des sottises. Je vous conseille aussi de donner un mot au cocher pour votre femme afin de lui dire que vous êtes retenu par moi. Attendez-moi dehors, je suis à vous dans cinq minutes.
Je ne savais rien refuser à Sherlock Holmes, dont toutes les demandes étaient précises, nettes, et formulées d’un ton calme et autoritaire. Je savais aussi que, lorsque j’aurais mis Whitney dans le fiacre, ma mission serait accomplie, et je me réjouissais d’autre part de me lancer avec mon ami dans une de ces singulières aventures qui étaient sa seule raison d’être. En quelques secondes j’eus écrit un petit billet à ma femme et payé la note de Whitney. J’installai celui-ci dans mon fiacre et, lorsque je l’eus vu s’éloigner, j’attendis patiemment Sherlock Holmes. Quelques minutes après je vis sortir de l’antre à opium un homme à l’aspect décrépit qui vint me rejoindre et côte à côte nous descendîmes la rue. Un bon moment il marcha d’un pied incertain le dos courbé. Puis, se retournant tout à coup, il se redressa et partit d’un joyeux éclat de rire.
— Vous devez penser, Watson, dit-il, que j’ai ajouté le vice de l’opium aux injections sous-cutanées de cocaïne et à toutes les autres faiblesses sur lesquelles vous avez bien voulu m’ouvrir des horizons médicaux ?
— J’ai assurément été très surpris de vous trouver ici.
— Pas plus que moi de vous y voir.
— Je suis venu y chercher un ami.
— Et moi un ennemi.
— Un ennemi ?
— Oui, un de mes ennemis naturels, ou, si vous le préférez, une proie. En un mot, Watson, je suis en train de faire une enquête très intéressante et j’espère avoir trouvé, comme déjà d’autres fois, une piste sérieuse au milieu des divagations incohérentes de ces imbéciles. Si j’avais été reconnu dans cet antre, ma vie ne valait pas quatre sous ; je cours une course et ce gredin de Lascar qui me poursuit a juré qu’il se vengerait. Si la trappe qui est derrière ce bâtiment, près de l’embarcadère de Saint-Paul, pouvait raconter tout ce qu’elle a vu passer par les sombres nuits sans lune…
— Quoi, vous voulez parler de cadavres ?
— Oui, de cadavres, Watson. Nous serions riches si on nous donnait mille livres pour chaque malheureux que cet antre a tué. C’est le plus horrible piège à crime qui existe sur cette rive du fleuve, et je crains que Neville Saint-Clair y soit entré pour n’en jamais plus sortir. Mais la voiture devrait être ici.
Il plaça deux de ses doigts entre ses dents et donna un vigoureux coup de sifflet, signal auquel répondit au loin un autre coup de sifflet suivi d’un bruit de sabots de cheval et de roulement de voiture.
— Maintenant, Watson, dit Holmes, au moment où émergeait de l’obscurité un grand dog-car éclairé par la clarté de ses lanternes, vous allez venir avec moi, c’est entendu.
— Si je puis vous être utile…
— Oh ! un ami sûr est toujours utile, et un chroniqueur plus encore. J’ai, aux Cèdres, une chambre à deux lits.
— Aux Cèdres ?
— Oui, aux Cèdres, c’est la maison de M. Saint-Clair. J’y habite depuis que je dirige l’enquête.
— Et où est-ce ?
— Près de Lee, comté de Kent. Nous avons sept lieues de pays devant nous.
— Mais je ne sais pas le premier mot de l’histoire.
— Naturellement. Je vous raconterai cela dans un moment. Montez ici. Bien. Jean, nous n’avons pas besoin de vous. Voici une demi-couronne. Attendez-moi demain vers onze heures. Mettez la jument en marche. Parfait.
Il donna un léger coup de fouet et nous nous engageâmes dans un dédale de rues sombres et désertes pour aboutir au large pont, jeté sur la rivière fangeuse. Plus loin, un autre grand espace couvert de briques et de mortier, espace silencieux dans lequel résonnaient seuls le pas lourd et régulier du sergent de ville, ou les chants et les cris de quelque joyeux viveur attardé. De gros nuages sombres s’amoncelaient dans le ciel, laissant à peine entrevoir quelques étoiles. Holmes ne parlait pas ; la tête penchée sur la poitrine, il semblait absorbé par ses réflexions, tandis que moi, assis à côté de lui, je grillais d’apprendre quel était le nouveau problème sur lequel se concentraient toutes ses facultés. Je n’osais pourtant l’interroger. Nous avions déjà parcouru plusieurs milles et atteint les faubourgs, peuplés de nombreuses villas, lorsque mon compagnon, se secouant tout à coup, haussa les épaules et alluma sa pipe d’un air satisfait.
— Vous savez vous taire, Watson, me dit-il. C’est une qualité inappréciable chez un compagnon de voyage. Mais, ma parole, j’ai besoin de causer avec quelqu’un, car mes pensées en ce moment ne sont rien moins que gaies. Je me demandais à l’instant ce que je dirai à cette pauvre petite femme ce soir, lorsqu’elle viendra me recevoir à la porte.
— Vous oubliez que je ne suis pas au courant.
— J’ai juste le temps de vous exposer les faits avant que nous n’arrivions à Lee. Cela paraît très simple et cependant je ne trouve pas la bonne piste. Il y a beaucoup d’indices, assurément, mais ces indices ne forment pas un ensemble. Maintenant, Watson, je vais vous raconter l’affaire aussi clairement que possible et il se peut qu’il jaillisse dans votre cerveau une étincelle qui me mette sur la voie.
— Je vous écoute.
— Il y a quelques années, pour être précis, en mai 1884, il vint à Lee un individu qui s’appelait Neville Saint-Clair et qui passait pour être très riche. Il prit une grande villa et en arrangea les abords avec goût et vécut sur un assez grand pied. Peu à peu il se fit des amis dans les environs et, en 1887, il épousa la fille d’un brasseur du cru de laquelle il a eu deux enfants. Il n’avait pas d’occupation, mais faisait partie de plusieurs compagnies et allait généralement à la ville le matin, revenant chaque soir par le train qui part de Canon-street à 5 h. 14. M. Saint-Clair a maintenant trente-sept ans ; c’est un homme d’habitudes sobres, un bon mari, un père très tendre et un homme populaire parmi tous ceux qui le connaissent. J’ajouterai que, d’après nos renseignements, ses dettes, à l’heure actuelle, se montent à quatre-vingt huit livres dix shillings tandis qu’il a un crédit de deux cent vingt livres dans les banques de la capitale et du comté. Il n’y a donc aucune raison de supposer que ses ennemis, s’il en a, soient des créanciers intransigeants.
Lundi dernier, M. Neville Saint-Clair est allé en ville plus tôt que de coutume disant, avant de partir, qu’il avait deux importantes commissions à faire et qu’il rapporterait à son petit garçon un jeu de construction. Par hasard, sa femme reçut un télégramme ce même lundi, très peu de temps après son départ, lui annonçant qu’un petit paquet d’une valeur considérable, paquet qu’elle attendait du reste, était à sa disposition dans les bureaux de la Compagnie maritime d’Aberdeen. Si vous connaissez bien votre Londres vous savez que le bureau de la Compagnie est dans la rue de Fresno qui aboutit à Upper Swandam-Lane où vous m’avez trouvé ce soir. Mme Saint-Clair déjeuna donc, partit pour la Cité, fit quelques courses, se rendit au bureau de la Compagnie, prit son paquet et se trouva exactement à 4 h. 35 dans Swandam-Lane, en route pour la gare. M’avez-vous bien suivi jusqu’ici ?
— Parfaitement.
— Si vous vous en souvenez, la température était très élevée lundi dernier. Mme Saint-Clair marchait lentement et regardait à droite et à gauche dans l’espoir de voir un hansom, n’aimant pas à se trouver seule à pied dans ce quartier mal famé. En descendant ainsi Swandam-Lane elle entendit tout à coup une exclamation ou un cri et demeura stupéfaite en voyant son mari la regarder, et même lui faire signe (du moins à ce qu’il lui sembla), du haut d’une fenêtre d’un deuxième étage. La fenêtre était ouverte et Mme Saint-Clair affirme que son mari paraissait bouleversé. Il fit avec la main un mouvement désespéré, puis disparut de la fenêtre soudainement comme s’il eût été entraîné par une force irrésistible. Un détail étrange la frappa : quoique vêtu du vêtement foncé qu’il portait en partant pour la ville, il n’avait ni col ni cravate.
Convaincue qu’il était arrivé un malheur à son mari, elle descendit rapidement les marches (la maison n’était autre que l’antre d’opium dans lequel vous m’avez trouvé ce soir), et traversant en courant la pièce d’entrée, elle essaya de monter l’escalier qui conduit au premier étage ; mais au pied de cet escalier, elle rencontra l’homme dont je vous ai parlé, ce gredin de Lascar, qui l’empêcha de passer et qui, aidé du Danois qui sert là de factotum, la repoussa dans la rue. Assaillie d’affreux pressentiments, elle descendit la rue et rencontra, par bonheur, dans la rue Fresno, un certain nombre de sergents de ville avec un inspecteur, regagnant tous leur section.
L’inspecteur et deux hommes la suivirent et malgré la résistance opiniâtre du propriétaire, ils pénétrèrent dans la pièce dans laquelle M. Saint-Clair venait d’être aperçu, mais ne l’y trouvèrent pas. En réalité il n’y avait personne à cet étage, excepté un malheureux infirme d’aspect repoussant qui habitait là. Lui et Lascar jurèrent solennellement que personne, en dehors d’eux, n’était entré dans cette chambre cette après-midi là. Leur dénégation était si énergique que l’inspecteur en fut ébranlé et crut que Mme Saint-Clair avait fait erreur. Mais elle, poussant un cri, bondit à ce moment sur une petite boîte de bois blanc qui se trouvait sur la table et en arracha le couvercle ; un jeu de construction en tomba, précisément celui que M. Saint-Clair devait rapporter à son enfant.
Cette découverte et le trouble évident que laissa voir le boiteux, prouvèrent à l’inspecteur que l’affaire était grave. L’appartement fut soigneusement perquisitionné et on conclut à un crime abominable. La pièce de devant était meublée en salon modeste et ouvrait sur une petite salle à manger qui avait vue sur l’un des entrepôts. Entre l’entrepôt et la fenêtre de la chambre à coucher se trouve un étroit passage qui est à sec à marée basse, mais qui est recouvert à marée haute d’au moins quatre pieds et demi d’eau. La fenêtre de la chambre est large et s’ouvre sur toute la hauteur. À l’examen on découvrit des traces de sang sur le rebord de la fenêtre et quelques gouttes encore visibles, sur le parquet de la chambre. Dans la première pièce, derrière un rideau, on trouva tous les vêtements de M. Neville Saint-Clair à l’exception de son pardessus. Bottines, chaussettes, chapeau, montre, tout était là. Ces objets ne révélaient aucune trace de violence, mais M. Saint-Clair avait disparu. Il avait dû sortir par la fenêtre puisqu’il n’y avait pas d’autre issue et les sinistres taches de sang sur le rebord ne laissaient pas même l’espoir qu’il ait pu se sauver à la nage, la marée devant être au plus haut au moment de la tragédie.
Et maintenant, un mot sur les gredins qui semblent directement impliqués dans cette affaire.
Le Lascar est un homme de détestable réputation, mais comme Mme Saint-Clair raconte l’avoir vu au pied de l’escalier quelques instants après l’apparition de son mari à la fenêtre, il n’a guère pu être qu’un complice dans le crime. Son système de défense est l’ignorance absolue ; il proteste n’avoir aucune connaissance des faits et gestes de Hugues Boone, son locataire, et ne pouvoir être, sous aucun prétexte, responsable de la découverte des vêtement de la victime.
Voilà pour le gérant.
Quant au boiteux de mauvaise mine qui habite le second étage de l’antre à opium et qui a certainement été le dernier à voir M. Neville Saint-Clair, son nom est Hugues Boone et sa figure hideuse est familière à tous ceux qui fréquentent la Cité. C’est un mendiant de profession quoique, pour échapper aux règlements de police, il feigne de vendre des boîtes d’allumettes de cire. À une petite distance, en descendant la rue Thread-Needle, sur la gauche, vous avez dû remarquer un petit angle dans le mur. C’est là que cet individu se tient chaque jour, les jambes croisées, son petit éventaire sur les genoux. Il offre un spectacle si digne de pitié qu’une pluie de sous tombe dans la casquette graisseuse qu’il pose par terre devant lui. J’ai observé cet individu plus d’une fois avant aujourd’hui où j’ai pu faire connaissance avec lui par nécessité professionnelle, et j’ai toujours été étonné de la récolte qu’il glane en quelques minutes. C’est que, voyez-vous, son aspect est si étrange que personne ne peut passer près de lui sans le remarquer. Une touffe de cheveux roux ; une figure pâle, traversée d’une horrible cicatrice qui, par contraction, a retroussé le bord de sa lèvre supérieure ; un menton de bouledogue et une paire d’yeux noirs très vifs qui contrastent singulièrement avec la couleur de ses cheveux, tout cela le distingue de la foule des mendiants ainsi que son esprit de repartie, car il a toujours réponse aux plaisanteries que les passants ne manquent pas de lui faire. C’est cet homme, locataire de l’antre à opium, qui, le dernier, a vu le personnage que nous cherchons.
— Mais qu’a pu faire un boiteux seul contre un homme dans la force de l’âge ?
— Il est boiteux en ce sens qu’il marche clopin-clopant, mais il semble, malgré cela, être vigoureux et bien portant. Votre expérience professionnelle a dû vous apprendre, Watson, que la faiblesse d’un membre est souvent compensée par une force plus grande des autres membres.
— Je vous en prie, continuez votre récit.
— Mme Saint-Clair s’était évanouie à la vue du sang sur la fenêtre et la police la ramena chez elle dans un fiacre, sa présence ne pouvant être d’aucun secours dans l’enquête. L’inspecteur Barton, chargé de l’affaire, examina très sérieusement l’appartement mais sans rien trouver qui pût le mettre sur la voie. On a commis une faute en n’arrêtant pas Boone sur l’heure et on lui a laissé quelques minutes pendant lesquelles il a pu communiquer avec son ami le Lascar : lorsqu’enfin on l’a arrêté et fouillé, on n’a rien découvert qui pût l’incriminer. On constata, il est vrai, des taches de sang sur la manche droite de sa chemise, mais il montra une coupure qu’il avait à l’annulaire droit, près de l’ongle, et déclara que le sang provenait de cette coupure, ajoutant qu’il s’était approché de la fenêtre peu de temps avant et que les taches observées là avaient sans aucun doute la même provenance. Il nia énergiquement avoir jamais vu M. Neville Saint-Clair et jura que la présence de ses vêtements dans sa chambre était aussi mystérieuse pour lui que pour la police. Quant à l’assertion de Mme Saint-Clair d’avoir vu son mari à la fenêtre, Boone déclara que cette femme était folle ou qu’elle avait rêvé. Il fut emmené au poste malgré ses protestations. L’inspecteur de police resta dans l’appartement dans l’espoir que la marée descendante lui apporterait un nouvel indice ; il ne se trompait pas ; car on retrouva dans la vase non pas ce qu’on cherchait mais la veste de Neville Saint-Clair, à défaut de Saint-Clair lui-même. Et, devinez ce que cette veste renfermait dans ses poches ?
— Je n’en sais rien.
— Cela ne m’étonne pas, c’est impossible à deviner. Eh bien ! toutes les poches étaient pleines de gros et de petits sous. Il y avait quatre cent vingt et une pièces de deux sous et deux cent soixante-dix d’un sou. Il n’est pas étonnant que la marée ait respecté cette épave. Mais un cadavre est plus facilement enlevé. Il y a un violent remous entre l’embarcadère et la maison ; il sembla donc tout naturel que la veste, très lourde, fût restée, tandis que le corps, dépouillé de tout vêtement, avait été entraîné dans le lit du fleuve.
— Je croyais avoir compris que tous les autres vêtements avaient été trouvés dans la chambre. Le corps aurait-il été revêtu de cette seule veste ?
— Non, monsieur, et cependant cette thèse pourrait se soutenir. Supposez que Boone ait jeté Neville Saint-Clair par la fenêtre ; personne n’a pu le voir ; que fait-il alors ? Il cherche à se débarrasser des vêtements révélateurs. Il prend la veste pour la jeter, mais réfléchit tout à coup qu’elle flottera au lieu de s’enfoncer. Il n’a pas de temps à perdre, car il a entendu la lutte qui se livre au bas de l’escalier lorsque la femme essaye de monter, et peut-être a-t-il déjà appris par son complice Lascar que les sergents de ville arrivent au grand trot. Il n’y a plus d’hésitation possible. Il se précipite sur la cachette où il a accumulé le fruit de sa mendicité et il fourre tous les sous qu’il peut prendre à poignée dans les poches de la veste afin qu’elle ne flotte pas ; puis il la jette par la fenêtre. Les autres vêtements auraient eu le même sort s’il n’avait entendu du bruit et il n’a eu que le temps de fermer la fenêtre avant que la police ne fit irruption dans la pièce.
— Cela paraît, en effet, admissible.
— Dans tous les cas, nous partirons de cette hypothèse, faute d’une meilleure. Comme je vous l’ai dit, Boone a été arrêté et emmené au poste ; mais on n’a pu trouver aucune preuve contre lui. Il est connu depuis des années comme un mendiant de profession, et on ne trouve dans sa vie rien de répréhensible. Voilà à quel point en est l’enquête. Reste à résoudre ce que faisait Neville Saint-Clair dans l’antre à opium, ce qui lui arriva pendant qu’il y était, où il se trouve maintenant, et la part qu’a eue Hugues Boone dans sa disparition. Autant de problèmes dont la solution n’a pas fait un pas. Je ne me rappelle pas avoir jamais eu à étudier une affaire aussi simple en apparence, et aussi compliquée à l’examen.
Tandis que Sherlock Holmes racontait cette singulière histoire, nous avions parcouru les faubourgs de la grande ville et dépassé les dernières maisons isolées ; nous roulions maintenant sur une route bordée d’une haie de chaque côté. Au moment où Sherlock Holmes terminait son récit, nous venions de traverser deux villages écartés dans lesquels des lumières brillaient encore aux fenêtres.
— Nous voici dans les environs de Lee, me dit mon compagnon. Nous avons touché trois comtés dans ce court trajet ; notre point de départ a été le Middlesex, nous avons franchi un angle du Surrey et nous arrivons dans le Kent. Voyez-vous cette lumière à travers les arbres ? C’est là que se trouvent les « Cèdres ». À côté de cette lumière, une lampe, il y a une femme dont les oreilles anxieuses ont déjà perçu le son des sabots du cheval.
— Mais pourquoi ne travaillez-vous pas à cette affaire chez vous dans Baker-street ? demandai-je.
— Parce qu’il y a beaucoup d’informations à prendre sur place. Mme Saint-Clair a très aimablement mis deux chambres à ma disposition et il est certain que vous, mon collègue, serez le bienvenu chez elle. Je suis tout ému, mon cher Watson, de la revoir sans lui rapporter une nouvelle quelconque. Mais nous voici arrivés. Holà !
Nous nous étions arrêtés devant une grande villa entourée d’un parc. Un garçon d’écurie était accouru pour tenir le cheval. Je sautai à terre et je suivis Holmes dans l’allée sablée qui menait à la maison. Une petite femme blonde s’avança sur la porte au-devant de nous. Elle était vêtue d’une robe de mousseline de soie garnie d’un peu de rose au col et aux manches. Sa silhouette se dessinait dans l’encadrement de la porte d’entrée. L’une de ses mains reposait sur le loquet, l’autre était tendue vers nous en signe d’anxiété. Son corps et sa tête étaient légèrement penchés en avant, dans ses yeux se lisait l’émotion la plus vive, et ses lèvres entr’ouvertes retenaient à peine la question prête à s’en échapper.
— Eh bien ! cria-t-elle, eh bien !
Puis, m’apercevant, elle poussa un cri d’espoir qui se transforma en un gémissement lorsqu’elle remarqua que mon compagnon secouait la tête et haussait les épaules.
— Pas de bonne nouvelle ?
— Aucune.
— Pas de mauvaise non plus ?
— Non !
— Dieu merci ! Mais entrez dans la maison. Vous avez eu une longue journée et vous devez être fatigué.
— Je vous présente mon ami, le docteur Watson. Il m’a beaucoup aidé dans plusieurs des affaires que j’ai débrouillées, et une heureuse circonstance m’a permis de l’emmener ici afin qu’il prenne part à cette enquête.
— Je suis ravie de vous voir, dit-elle en me serrant la main. S’il vous manque quoi que ce soit, ne m’en veuillez pas. Vous savez le terrible coup qui vient de me frapper.
— Chère madame, lui dis-je, je suis un vieux troupier, et du reste ne le serais-je pas, vous n’auriez pas à vous excuser davantage. Si je puis rendre service, soit à vous, soit à mon ami, j’en serai trop heureux.
— Maintenant, monsieur Sherlock Holmes, dit Mme Saint-Clair en nous faisant entrer dans une salle à manger bien éclairée, dans laquelle un souper froid avait été servi, je voudrais beaucoup vous poser une ou deux questions auxquelles j’espère que vous répondrez franchement.
— Certainement, madame.
— Faites abstraction du sentiment. Je n’ai pas les nerfs sensibles et je veux avant tout connaître votre opinion.
— Sur quel point ?
— Croyez-vous bien sincèrement que Neville soit vivant ?
Sherlock Holmes sembla interloqué par cette question.
— Parlez sincèrement, répéta-t-elle en se plaçant debout devant la chaise sur laquelle il était assis et en le regardant fixement.
— À vrai dire, madame, je ne le crois pas.
— Vous croyez qu’il est mort ?
— Je le crois.
— Assassiné ?
— Je ne saurais le dire. Peut-être.
— Et quel jour est-il mort ?
— Lundi.
— Alors, monsieur Holmes, vous seriez bien aimable de m’expliquer comment il se fait que j’aie reçu cette lettre de lui aujourd’hui.
Sherlock Holmes bondit de sa chaise comme mû par un ressort.
— Quoi ? s’écria-t-il.
— Oui, aujourd’hui.
Et elle souriait en montrant une feuille de papier.
— Puis-je lire ?
— Certainement.
Il lui arracha fiévreusement la lettre des mains, et la posa sur la table en pleine lumière pour l’examiner attentivement. J’avais moi-même quitté ma chaise et je regardais aussi la lettre par-dessus son épaule. L’enveloppe, très grossière, était timbrée du bureau de Gravesend et portait la date du jour même ou plutôt de la veille car il était minuit passé.
— C’est une écriture vulgaire, murmura Holmes. Assurément, madame, ce n’est pas l’écriture de votre mari.
— Non, mais la lettre est de lui.
— Je vois aussi que la personne qui a écrit l’enveloppe a dû demander l’adresse.
— Comment le savez-vous ?
— Voyez vous-même. Le nom est écrit avec une encre parfaitement noire qui a séché seule. Le reste a cette couleur grisâtre que prend l’encre qui a été séchée avec du papier buvard. Si cela avait été écrit sans interruption et puis séché ensuite, comment expliquer qu’une partie de l’adresse soit d’un beau noir ? Cet homme a écrit le nom d’abord puis s’est arrêté avant d’écrire l’adresse, ce qui prouve bien qu’elle ne lui était pas familière. Cet indice semble peu de chose, au premier abord, mais peut toutefois avoir son importance. Voyons maintenant la lettre. Tiens ! elle contenait un objet.
— Oui, une bague, le cachet de mon mari.
— Et êtes-vous bien sûre que c’est l’écriture de votre mari ?
— L’une de ses écritures.
— L’une d’elles ?
— Son écriture lorsqu’il est pressé. Cela ne ressemble guère à son écriture ordinaire, et cependant je la reconnais parfaitement.
« Chère amie ! Ne soyez pas effrayée. Tout s’arrangera. Il y a un grave malentendu, il faudra peut-être un certain temps pour l’éclaircir. Ayez patience. Neville. »
Ceci a été écrit au crayon sur le feuillet blanc d’un livre in-octavo, pas de filigrane. Hum ! mis à la poste aujourd’hui à Gravesend, par un homme qui avait le pouce sale. Ah ! et la partie de l’enveloppe qui se replie a été collée, si je ne me trompe, par quelqu’un qui avait mâché du tabac. Et vous êtes bien sûre, madame, que c’est l’écriture de votre mari ?
— Parfaitement. C’est Neville lui-même qui a écrit ces lignes.
Cette missive a été jetée à la poste aujourd’hui à Gravesend. Eh bien ! madame Saint-Clair, le ciel me paraît un peu moins sombre ; je n’ose toutefois espérer que tout danger soit écarté.
— Mais il est vivant, monsieur Holmes.
— À moins que cette lettre ne soit un piège pour nous mettre sur une fausse piste. Après tout, la bague n’est pas une preuve. Elle a pu lui être volée.
— Non, non ; c’est, j’en suis certaine, sa propre écriture.
— Très bien ! Cette lettre peut cependant avoir été écrite lundi et mise à la poste aujourd’hui seulement.
— C’est possible !…
— S’il en est ainsi il peut s’être passé bien des choses dans l’intervalle.
— Oh ! il ne faut pas me décourager, monsieur Holmes. Je sais qu’il ne lui est arrivé aucun mal. Il y a une si tendre sympathie entre nous que je le sentirais s’il lui était arrivé un accident. Le dernier jour que nous nous sommes vus il s’est fait dans sa chambre une coupure au doigt ; j’étais à ce moment dans la salle à manger et j’ai eu si bien l’intuition qu’il lui était arrivé un accident que je me suis précipitée chez lui. Croyez-vous que je puisse vibrer pour une simple bagatelle et ignorer sa mort ?
— J’ai trop d’expérience de la vie pour ne pas savoir que l’impression d’une femme est souvent plus vraie que les conclusions d’un philosophe ; et cette lettre est certainement une preuve que vous étiez dans le vrai. Mais si votre mari est en vie et en état d’écrire des lettres, pourquoi reste-t-il éloigné de vous ?
— Je n’en sais rien. C’est extraordinaire.
— Et lundi, en vous quittant, il n’a fait aucune allusion qui puisse nous guider ?
— Non.
— Et vous avez été étonnée de le voir dans la maison de Swandam-Lane ?
— Stupéfaite.
— La fenêtre était-elle ouverte ?
— Oui.
— Alors, il aurait pu vous appeler ?
— Assurément.
— Il n’a pourtant, je crois, poussé qu’un cri inarticulé ?
— Oui.
— Un appel au secours, vous semble-t-il ?
— Oui. Il a fait un signe de la main.
— C’était peut-être un cri de surprise : l’étonnement de vous voir alors qu’il ne s’y attendait pas.
— C’est possible.
— Et il vous a paru que quelqu’un le tirait en arrière ?
— Il a disparu subitement.
— N’aurait-il pas pu faire de lui-même un bond ? Vous n’avez vu personne avec lui dans la chambre ?
— Non, mais cet affreux homme a avoué avoir été là et Lascar était au pied de l’escalier.
— Parfaitement. Et vous croyez que votre mari avait ses vêtements ordinaires ?
— Oui, mais sans col ni cravate. J’ai distinctement vu son cou nu.
— Avait-il jamais parlé de Swandam-Lane ?
— Jamais.
— Vous étiez-vous aperçue qu’il fumât de l’opium ?
— Non.
— Merci, madame Saint-Clair. Je désirais être complètement éclairé sur ces points importants. Nous allons maintenant souper, si vous le permettez, puis nous nous retirerons en prévision de la dure journée que nous aurons peut-être devant nous demain.
Une chambre à deux lits, très spacieuse et confortable, avait été mise à notre disposition et je me hâtai de me coucher tant j’étais éreinté de ma nuit mouvementée. Mais Sherlock Holmes, lorsqu’il avait un problème à résoudre, se fût passé de repos pendant des jours et même une semaine entière. Il examinait la question sous toutes ses faces jusqu’à ce qu’il s’en fût bien rendu maître ou qu’il se fût convaincu que ses données étaient insuffisantes. Je compris qu’il se préparait à veiller en le voyant enlever sa veste et son gilet, revêtir une vaste robe de chambre bleue, puis se mettre à arpenter la chambre. Il prit les oreillers de son lit et les coussins du sofa et des fauteuils, il s’en fit une espèce de divan oriental et s’étendit dessus, les jambes croisées, après avoir placé à portée de sa main une once de caporal et une boîte d’allumettes. À la lueur blafarde de la lampe qui éclairait ses traits accentués et son nez aquilin, je le voyais assis, une vieille pipe de bruyère entre les dents, les yeux vaguement fixés sur un coin du plafond ; il demeurait là, immobile, tandis que la fumée de la pipe s’élevait autour de lui en spirales bleutées. C’est en le regardant que je m’endormis. Il n’avait pas changé de position lorsque, réveillé en sursaut par une exclamation, je m’aperçus que le soleil d’été luisait déjà dans la pièce. Sherlock Holmes avait toujours sa pipe dans la bouche ; les spirales de fumée continuaient à s’élever vers le plafond et l’atmosphère de la chambre était alourdie par les vapeurs du tabac consumé pendant la nuit, car rien ne restait du paquet de caporal que j’avais vu à côté de mon ami, au moment où je m’étais endormi.
— Réveillé, Watson ? me demanda-t-il.
— Oui.
— Prêt à une promenade matinale en voiture ?
— Certainement.
— Alors, habillez-vous. Personne ne bouge encore, mais je sais où habite le garçon d’écurie et nous aurons bientôt attelé la charrette.
Tout riait dans sa figure ; ses yeux étaient brillants, le sombre penseur de la nuit s’était totalement transformé.
Tout en m’habillant je regardai ma montre. Rien d’étonnant au silence qui nous environnait ; il n’était que quatre heures vingt-cinq à peine. Je finissais de me vêtir lorsque Holmes revint m’annoncer que le groom attelait.
— Je veux essayer un de mes systèmes particuliers, dit-il en se chaussant. Watson, vous voyez devant vous le plus grand imbécile d’Europe. Je mérite de recevoir un formidable coup de pied. Mais je crois que je tiens la clef de l’affaire.
— Et où se trouve-t-elle ? demandai-je en souriant.
— Dans la salle de bain, répondit-il. Oh ! oui, je ne plaisante pas, continua-t-il en voyant mon air incrédule. J’en sors, je l’ai prise et je l’ai placée dans ce petit sac. Venez, mon garçon, et nous allons bien voir si elle s’adapte à la serrure.
Nous descendîmes à pas de loup et nous sortîmes. Le soleil brillait déjà dans tout son éclat. À quelques pas de la maison, sur la route, nous trouvâmes notre voiture sous la garde du garçon d’écurie à demi vêtu. Nous montâmes lestement dans le véhicule et nous partîmes à fond de train dans la direction de Londres.
Nous rencontrâmes bien quelques charrettes de maraîchers portant des légumes à la métropole, mais les villas qui bordaient la route étaient plongées dans le silence le plus profond.
— Curieuse histoire, dit Holmes tout à coup en mettant le cheval au galop. J’ai été aveugle comme une taupe, il faut l’avouer, mais mieux vaut toutefois acquérir la sagesse sur le tard que de ne pas l’acquérir du tout.
Dans la ville, du côté du Surrey, les gens matineux commençaient à se mettre à leurs fenêtres, les yeux encore gonflés de sommeil. Nous traversâmes la Tamise sur le pont de Waterloo, puis, enfilant la rue Wellington et tournant à droite, nous nous trouvâmes dans Bow street. Sherlock Holmes était bien connu à la Force et les deux sergents de ville qui se tenaient devant la porte le saluèrent aussitôt. L’un d’eux tint le cheval tandis que l’autre nous introduisait.
— Qui est de service ? demanda Holmes.
— L’inspecteur Bradstreet, monsieur.
— Ah ! Bradstreet, comment cela va-t-il ?
L’employé auquel il s’adressait était un homme fortement charpenté, qui venait au-devant de nous par un corridor carrelé. Il était coiffé d’une casquette à visière et portait un veston.
— Je désire vous parler, Bradstreet.
— Je suis à vous, monsieur Holmes, veuillez entrer dans mon bureau, ici.
C’était une petite pièce avec une table sur laquelle se trouvait un énorme registre ; un téléphone faisait saillie sur le mur. L’inspecteur s’assit à son bureau.
— Qu’y a-t-il pour votre service ? monsieur Holmes.
— Je suis venu vous parler du mendiant Boone, celui qui est impliqué dans l’affaire de la disparition de M. Neville Saint-Clair, de Lee.
— Oui, il a comparu, puis l’enquête a été remise à plus tard.
— C’est ce qu’on m’a dit. Est-il ici ?
— Oui, il est en prison.
— Est-il tranquille ?
— Oh ! il ne donne aucun ennui ; mais il est d’une malpropreté repoussante.
— Il est malpropre ?
— Oui. Tout ce que nous avons pu obtenir jusqu’ici c’est qu’il se lave les mains ; quant à sa figure, elle est noire comme celle d’un charbonnier. Dans tous les cas, lorsque son affaire sera jugée on lui donnera un bain obligatoire, et ce ne sera pas du luxe, croyez-moi.
— Je voudrais bien le voir.
— Vraiment ? C’est chose facile. Suivez-moi. Vous pouvez laisser votre sac ici.
— Non, je préfère l’emporter.
— À votre aise. Venez par ici, je vous prie.
Il nous fit suivre un couloir, ouvrit une porte qui était fermée au moyen d’une barre de fer, descendit un escalier tournant et nous conduisit dans un corridor blanchi à la chaux, sur lequel s’ouvrait de chaque côté, une rangée de portes.
— La cellule est la troisième à droite, dit l’inspecteur. La voici.
Il ouvrit un panneau ménagé dans la partie supérieure de la porte et regarda par cette ouverture.
— Il dort, dit-il, vous pouvez le voir à merveille.
Nous nous approchâmes tous deux de la grille et nous vîmes le prisonnier couché, la tête tournée vers nous ; il dormait d’un sommeil lourd ; sa respiration était lente et profonde. Cet homme était de taille moyenne, et grossièrement vêtu comme il convenait à sa condition ; il portait une chemise de couleur qui passait par la déchirure de sa veste en haillons. Comme l’inspecteur nous l’avait dit, il était extrêmement sale, mais le noir qui couvrait sa figure ne cachait qu’imparfaitement sa laideur repoussante. Une large balafre traversait son visage de l’œil au menton et la blessure qui l’avait produite avait, en se cicatrisant, relevé un côté de la lèvre supérieure, et découvert ainsi trois dents qui lui donnaient l’air d’un boule hargneux. Une profusion de cheveux d’un roux ardent descendait jusque sur les yeux et le front.
— Il est joli, n’est-ce pas ? dit l’inspecteur.
— Il a, ma foi, besoin de se laver, répondit Holmes. Je m’en doutais et j’ai eu la précaution d’apporter avec moi tout ce qu’il faut pour cela.
Il ouvrit son petit sac et en tira, à ma grande stupéfaction, une énorme éponge de bain.
— Eh bien ! vous avez de bien drôles d’idées, ricana l’inspecteur.
— Maintenant, ayez la bonté de m’ouvrir la porte tout doucement, et vous verrez qu’il aura bientôt un air beaucoup plus respectable.
— Après tout ce ne sera pas dommage, car il ne fait pas honneur à la prison de Bow street.
Il introduisit la clef dans la serrure et nous pénétrâmes tous trois dans la cellule, en étouffant nos pas.
Le prisonnier se tourna à demi, puis retomba dans un profond sommeil. Holmes s’approcha du pot à eau, humecta son éponge et en frotta vigoureusement, à deux reprises, la figure de l’inculpé.
— Permettez-moi de vous présenter, s’écria-t-il, à M. Neville Saint-Clair, de Lee, comté de Kent.
Jamais de ma vie je n’ai vu pareil spectacle. La figure de cet homme s’était transformée sous l’éponge ; on eût dit une écorce qu’on enlevait. La teinte brune avait disparu ainsi que l’horrible cicatrice qui couturait le visage en travers. La lèvre était redevenue droite et le sourire narquois s’était évanoui. Une secousse enleva la broussaille de cheveux roux : il ne restait plus rien du mendiant hideux dans l’homme pâle et triste, distingué d’aspect avec sa peau fine et ses cheveux noirs, qui, assis sur son lit, se frottait les yeux en regardant autour de lui avec l’ahurissement de quelqu’un qu’on vient de réveiller.
Il se rendit compte de la situation, et, poussant un cri, il se cacha le visage dans son oreiller.
— Grand Dieu ! s’écria l’inspecteur, voilà, en effet, l’homme que nous cherchons ! Je le reconnais à sa photographie.
Le prisonnier nous regarda avec l’insouciance d’un homme qui s’abandonne à son sort.
— Tant pis ! dit-il. Puis-je savoir de quoi je suis accusé ?
— D’avoir fait disparaître M. Neville Saint…
— Mais cela ne tient pas debout, à moins qu’on n’en fasse un cas de suicide, dit l’inspecteur, avec un sourire. Vrai, je suis de la police depuis vingt-sept ans, mais ceci a le pompon.
— Si je suis bien M. Neville Saint-Clair, il est alors évident qu’il n’y a pas crime et que je suis illégalement détenu.
— Il n’y a pas crime, mais une erreur grave. Vous auriez mieux fait de vous confier à votre femme.
— Ce n’était pas ma femme, c’étaient les enfants, grommela le prisonnier. Que Dieu me vienne en aide, je ne voudrais pas qu’ils eussent à rougir de leur père. Mon Dieu ! Quel scandale ! Que faire ?
Sherlock Holmes s’assit à côté de lui, sur le lit et, lui passa doucement la main sur l’épaule.
— Il est bien certain que si vous vous en rapportez à un tribunal pour juger cette affaire, vous éviterez difficilement la publicité. D’un autre côté si vous arrivez à convaincre les gros bonnets de la police qu’on ne peut porter aucune accusation contre vous, les journaux se tairont. L’inspecteur Bradstreet prendra, j’en suis sûr, note de ce que vous lui direz et soumettra l’affaire à qui de droit, sans qu’il soit question de tribunaux.
— Dieu vous bénisse ! s’écria le prisonnier avec vivacité. J’aurais supporté la prison et même le bourreau, plutôt que d’avoir divulgué cet odieux secret qui fût devenu une tare pour mes enfants. Personne autre que vous n’aura connu mon histoire. Mon père était maître d’école à Chesterfield où je reçus une excellente éducation. J’ai voyagé dans ma jeunesse ; puis je me fis acteur et finalement je devins reporter d’un journal du soir à Londres. Un jour, mon éditeur exprima le désir d’avoir une série d’articles sur la mendicité dans la métropole et je lui proposai de les lui fournir. Ce fut le commencement de toutes mes aventures. Il me fallut devenir mendiant amateur pour recueillir les faits qui devaient servir de base à mes articles. Au théâtre, j’avais naturellement appris à me grimer et j’en avais fait un art véritable. J’ai mis ce talent à profit ; j’ai peint ma figure et, pour apitoyer le public, j’ai simulé une énorme balafre ; j’ai pris l’habitude de relever ma lèvre à l’aide d’un petit morceau de taffetas couleur de chair. Puis, coiffé d’une perruque rousse et vêtu d’un costume approprié à la situation, j’ai établi mon quartier dans la partie la plus animée de la Cité, me faisant passer pour un marchand d’allumettes, mais n’étant par le fait, qu’un simple mendiant. Pendant sept heures j’exerçai ce métier et lorsque je rentrai le soir, je me trouvai, à ma grande surprise, avoir gagné vingt-six shillings et quatre pence.
J’écrivis mes articles et je ne pensais guère plus à cette histoire jusqu’à ce que, ayant un jour donné ma signature à vue, pour obliger un ami, je fusse assigné pour une somme de vingt-cinq livres. Je ne savais où trouver cet argent, lorsque soudain il me vint une idée. Je demandai à mon créancier un délai de quinze jours, à mes chefs un congé, et je passai, déguisé en mendiant, mes journées à demander l’aumône dans la Cité. En dix jours j’avais recueilli de quoi payer ma dette. Vous pensez bien qu’il était dur de se mettre à un travail sérieux, aux appointements de deux livres par mois, lorsque je savais pouvoir en gagner tout autant dans un jour, sans bouger, en me barbouillant le visage d’un peu de peinture et en mettant ma casquette par terre à côté de moi. Il se livra un long combat entre ma vanité et l’amour de l’argent, mais les dollars eurent le dessus. Je renonçai au reportage et chaque jour je vins m’asseoir dans le coin que j’avais d’abord choisi et où j’inspirai pitié grâce à ma figure blafarde. Pendant ce temps ma poche se remplissait de sous. Un seul homme connaissait mon secret. C’était le propriétaire d’un antre de Swandam-Lane, dans lequel je logeais. Chaque matin, j’en sortais déguisé en mendiant sordide et chaque soir, transformé en homme comme il faut. Je payais largement mon loyer à cet homme, un certain Lascar, de sorte que je savais mon secret bien gardé. Je m’aperçus vite que je gagnais beaucoup. Ce n’est pas qu’un mendiant de Londres puisse se faire toujours sept cent livres par an, moins que ma moyenne ; mais j’avais en mon pouvoir un don exceptionnel d’imitation et aussi une facilité de repartie qui s’accrut encore par la pratique et fit de moi un personnage marquant dans la Cité. Toute la journée un flot de sous mêlés de pièces blanches tombait sur moi et il était bien rare que je ne recueillisse pas au moins deux livres.
À mesure que je m’enrichissais je devenais plus ambitieux ; je louai une maison à la campagne et même je me mariai sans que personne se doutât de ma profession. Ma chère petite femme savait que j’avais un emploi dans la Cité, et c’est tout.
Lundi dernier j’avais fini ma journée et je m’habillais dans ma chambre, au-dessus de l’antre à opium, lorsque, regardant par la fenêtre, j’aperçus, à ma stupéfaction, ma femme qui était là dans la rue les yeux fixés sur moi. Je jetai un cri de surprise, je couvris ma figure de mes mains et me précipitant chez mon confident, je l’adjurai d’empêcher qui que ce fût de monter chez moi. J’entendis bien, en bas, la voix de ma femme, mais je savais qu’elle ne pourrait monter. Vite j’enlevai mes vêtements d’homme du monde pour revêtir ceux du mendiant, je peignis mon visage et je me coiffai de ma perruque. Ma femme elle-même ne perça pas un déguisement aussi complet. Il me vint alors à l’esprit qu’on pourrait bien faire une perquisition dans cette pièce et que les vêtements me trahiraient. Je me précipitai sur la fenêtre pour l’ouvrir et dans ce mouvement brusque je fis saigner une coupure que je m’étais faite le matin même. Puis, saisissant mon vêtement lesté par les sous que je venais d’y mettre, je le jetai par la fenêtre et il disparut dans la Tamise. Les autres vêtements auraient eu le même sort si, à ce moment, un flot de sergents de ville n’avait envahi l’escalier. Quelques minutes plus tard j’étais, et ce fut, je le confesse, un soulagement pour moi, non pas identifié à M. Neville Saint-Clair, mais arrêté comme son meurtrier.
Je ne vois pas autre chose à vous expliquer. J’étais décidé à conserver mon déguisement aussi longtemps que possible, d’où ma figure sale. Sachant que ma femme serait terriblement anxieuse, je confiai ma bague à Lascar à un moment où aucun sergent de ville ne me regardait, et j’y joignis un petit billet lui disant qu’elle n’avait rien à craindre.
— Cette note ne lui est parvenue qu’hier, dit Holmes.
— Grand Dieu ! quelle semaine elle a dû passer !
— La police a l’œil sur Lascar, dit l’inspecteur Bradstreet, et je comprends parfaitement qu’il lui ait été difficile de mettre à la poste une lettre sans être observé. Il l’a probablement remise à quelque marin de ses clients qui l’a oubliée plusieurs jours au fond de sa poche.
— C’est cela, dit Holmes approuvant par un signe de tête, sans aucun doute. N’avez-vous jamais été mis à l’amende pour mendicité ?
— Plus d’une fois, mais qu’était une amende pour moi ?
— Maintenant, il faut en finir, dit Bradstreet. Si la police doit faire le silence sur cette affaire, Hugues Boone doit disparaître.
— J’en ai pris l’engagement par le serment le plus solennel qu’un homme puisse faire.
— Dans ce cas, notre rôle est fini. Si toutefois on vous repince, nous dirons tout. Monsieur Holmes, nous vous sommes bien reconnaissants d’avoir tiré les choses au clair. Je voudrais bien connaître votre méthode.
— Elle a consisté, cette fois-ci, à m’asseoir sur cinq coussins et à consumer une once de tabac. Je crois, Watson, qu’en prenant une voiture, nous rentrerons à Baker street juste à temps pour déjeuner.
Source: Wikisource
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Isa Whitney, frère du défunt Elias Whitney, docteur en théologie, principal de l’école de Théologie de Saint-Georges, s’adonnait à l’opium. Il paraît qu’il contracta ce vice au collège, à la suite d’une ridicule espièglerie. Il avait lu la description des rêves et sensations de Quincey, et, pour produire les mêmes résultats à son profit, il avait inondé son tabac de laudanum. Il découvrit, comme beaucoup d’autres, qu’il est plus facile de prendre une habitude que de s’en débarrasser, et, pendant plusieurs années, lui, qui avait été un homme respectable, devint, sous l’empire de cette passion, un objet d’horreur et de pitié pour ses parents et amis. Je le vois encore, assis, tout ramassé sur lui-même ; je vois son teint jaune et empâté, ses paupières lourdes, ses pupilles réduites à la dimension de pointes d’épingles ; en un mot, l’image de la dégradation.
Une nuit, c’était en juin 1889, on sonna à ma porte à peu près à l’heure où un homme aux habitudes rangées commence à bâiller et regarde la pendule. Je me redressai sur ma chaise et ma femme laissa tomber son ouvrage sur ses genoux avec une petite moue de désappointement.
— Un client, me dit-elle, vous allez être obligé de sortir.
Je laissai échapper un gros soupir, car j’avais eu une journée fatigante et j’aspirais au repos.
La porte s’ouvrit ; nous entendîmes quelques mots prononcés à la hâte, des pas rapides dans le corridor et on introduisit dans le salon une dame vêtue d’une robe sombre, le visage caché sous un voile noir.
— Excusez-moi de venir si tard, balbutia-t-elle ; puis perdant toute contenance elle se jeta au cou de ma femme et sanglota sur son épaule.
— Oh ! que je suis malheureuse ! s’écria-t-elle. J’ai bien besoin d’un peu de secours.
— Comment, dit ma femme en relevant son voile, mais c’est Kate Whitney ! Comme vous m’avez fait peur, Kate. Je ne vous avais absolument pas reconnue lorsque vous êtes entrée.
— Je suis dans une terrible situation ; je ne sais plus que faire ; alors je suis venue vous trouver.
Cette phrase n’était pas nouvelle pour moi ; ma femme s’était faite depuis longtemps le refuge et le conseil des affligés.
— Vous avez bien fait de venir, lui dit-elle. Prenez un peu d’eau et de vin pour vous remonter ; asseyez-vous sur un siège confortable et contez-moi votre peine. Préférez-vous que Jacques se retire ?
— Oh non ! non ! j’ai besoin de l’avis du docteur et aussi de son secours. C’est à propos d’Isa. Il n’est pas rentré depuis deux jours. J’ai bien peur qu’il ne lui soit arrivé quelque chose de fâcheux.
Ce n’était pas la première fois qu’elle nous parlait de l’infirmité de son mari, à moi comme docteur, à ma femme comme à une vieille amie de pension. Nous fîmes tous nos efforts pour la calmer et la réconforter, tout en la questionnant sur l’endroit où pouvait se trouver son mari et la possibilité de le ramener au logis.
Elle nous dit savoir de source certaine que, lors de sa dernière crise, il était devenu l’habitué d’une taverne d’opium dans la partie est de la Cité. Jusqu’alors ses orgies s’étaient bornées à un seul jour d’absence ; il rentrait le soir crispé et étourdi. Mais, cette fois, il était depuis quarante-huit heures sous l’empire de sa malheureuse passion ; et c’est dans cette taverne qu’on devait le trouver, respirant du poison, ou dormant jusqu’à ce que les effets de l’opium fussent passés, cela au milieu d’un public vil et dégradé, la lie des docks. C’était vers le « Bar d’or » dans Upper-Swandam-Lane qu’il fallait diriger les recherches. Mais que faire ? Comment une timide jeune femme pouvait-elle entrer dans un pareil lieu et forcer son mari à quitter cet antre de gredins ?
Tel était le but de sa visite avec l’espoir que je pourrais l’accompagner dans ce lieu maudit. Puis changeant d’avis, elle jugea qu’après tout sa présence n’était d’aucune utilité et que moi, le conseil médical d’Isa Whitney, je serais plus apte à avoir de l’influence sur lui ; il valait donc mieux me laisser aller seul. Je m’engageai à lui renvoyer son mari dans un fiacre si vraiment je le trouvais dans l’endroit qu’elle m’avait indiqué ; et dix minutes plus tard j’avais quitté mon fauteuil et mon confortable salon pour rouler vers l’est de la ville, chargé d’une étrange mission, moins étrange encore en apparence qu’elle ne le devint en réalité.
La première partie de mon entreprise fut des plus simples. Upper-Swandam-Lane est une vilaine rue, cachée derrière les hauts entrepôts qui bordent le côté nord de la rivière à l’est de London-Bridge. Entre un magasin de liqueurs et un marchand de gin, chez lequel on accède par un raide escalier en pierre, aboutissant à un trou noir comme l’entrée d’une cave, je découvris l’antre que je cherchais. Ayant donné l’ordre à mon fiacre de m’attendre, je descendis l’escalier, usé dans la partie du milieu par le passage constant des ivrognes, et, à la lueur d’une lampe à huile vacillante, suspendue au-dessus de la porte, je soulevai le loquet et j’entrai en tâtonnant dans une longue pièce basse dont l’atmosphère était épaissie par la fumée brune de l’opium. Des couchettes en bois, formant terrasse, s’étageaient tout autour comme sur le gaillard d’avant d’un navire d’émigrants.
À travers cette vapeur on apercevait vaguement des silhouettes qui affectaient les formes les plus fantastiques ; des épaules voûtées, des genoux repliés, des têtes rejetées en arrière dans une attitude hébétée, avec ci et là un œil sombre et terne braqué vers la porte d’entrée. Du cercle d’ombre émergeaient de petits points plus ou moins lumineux selon que le poison se consumait ou s’éteignait dans les fourneaux des pipes de métal. La plupart des fumeurs étaient étendus et ne parlaient pas ; mais quelques-uns murmuraient leurs propres rêves et d’autres échangeaient leurs pensées d’une voix étrange, caverneuse, saccadée, et s’arrêtant tout à coup, demeuraient absorbés sans s’occuper de ce que racontait le voisin. À l’extrémité opposée de la pièce, j’aperçus un petit brasier de charbon allumé, et, tout près, sur un trépied en bois, un grand vieillard décharné, dont la mâchoire reposait sur ses mains ; il appuyait ses coudes sur ses genoux, et ses yeux semblaient être attirés par le feu.
À mon arrivée un serviteur malais, pâle et blafard, s’était empressé de m’offrir une pipe et une provision d’opium, m’invitant à m’étendre sur une couchette vide.
— Merci, je ne suis pas venu pour rester ici, mais pour y rencontrer un de mes amis, M. Isa Whitney, à qui j’ai à parler.
Quelqu’un à ma droite fit un brusque mouvement et poussa une exclamation ; alors, ma vue perçant l’obscurité, je découvris devant moi, me regardant avec fixité, Whitney en personne, mais un Whitney, pâle, hagard, abruti.
— Grand Dieu ! c’est Watson, dit-il.
Le pauvre homme était dans un état navrant et ses nerfs étaient surexcités au plus haut point ?
— Dites donc, Watson, quelle heure est-il ?
— Bientôt onze heures.
— De quel jour ?
— De vendredi 19 juin.
— C’est affreux ! Je me croyais à mercredi. Non, vous vous trompez, c’est bien mercredi, n’est-ce pas ? Pourquoi voulez-vous jouer un vilain tour à un camarade ?
Il pencha sa tête sur son épaule et commença à pleurer sur une note aiguë.
— Je vous dis que c’est bien vendredi, mon cher. Votre femme vous attend depuis deux jours. Vous devriez être honteux de votre conduite.
— J’ai honte, en effet. Seulement vous vous trompez, Watson, car je n’ai passé ici que quelques heures ; j’ai fumé trois pipes, quatre peut-être, je ne me rappelle pas combien, mais je vais rentrer avec vous. Je ne veux pas effrayer Kate, pauvre petite Kate. Donnez-moi la main. Avez-vous une voiture ?
— Oui, j’en ai une à la porte.
— Alors, je vais en profiter. Il faut cependant que je paye ma note ici, Watson ; je vous en prie, voyez ce que je peux devoir, je n’ai plus la force de rien faire par moi-même.
Pour arriver jusqu’au patron de l’établissement, je m’engageai dans l’étroit passage laissé libre entre les doubles rangs de dormeurs, retenant mon souffle afin de ne pas aspirer les vapeurs délétères et engourdissantes de l’opium.
En passant devant l’homme décharné qui était assis à côté du brasier je sentis une main qui tirait ma veste et j’entendis une voix sourde qui murmurait : « Lorsque vous m’aurez dépassé, retournez-vous et regardez-moi. »
Je jetai un coup d’œil autour de moi. Ces paroles avaient été prononcées très distinctement et ne pouvaient l’avoir été que par le vieillard à côté duquel je me trouvais ; j’hésitais cependant à le croire, tant cet individu paraissait absorbé ! Il était d’une maigreur extrême, très ridé, voûté par l’âge ; il tenait entre ses genoux sa longue pipe d’opium qu’il semblait avoir laissé échapper de sa main par lassitude. Je fis deux pas en avant, puis je me retournai ; mais il me fallut toute ma présence d’esprit pour retenir une exclamation ! Le vieillard s’était placé de telle manière que moi seul pouvais le voir. Son corps était moins maigre, ses rides avaient disparu, les yeux ternes étaient redevenus brillants et l’être que j’avais là devant moi, assis près du fourneau, n’était autre que Sherlock Holmes, oui, Sherlock Holmes en personne, s’amusant de ma surprise. Je compris à un signe imperceptible que je devais m’approcher de lui, mais déjà il avait repris, avec sa lèvre pendante, son attitude de vieillard tombé en enfance.
— Holmes, murmurai-je, que diable faites-vous ici, dans cet antre ?
— Parlez aussi bas que possible. J’ai d’excellentes oreilles. Si vous aviez l’extrême bonté de vous débarrasser de l’abruti d’ami que vous avez là, je serais très heureux de causer un instant avec vous.
— J’ai un fiacre à la porte.
— Alors, je vous en prie, mettez-le dedans et renvoyez-le chez lui. Vous pouvez être tranquille à son sujet, il m’a l’air trop abattu pour faire des sottises. Je vous conseille aussi de donner un mot au cocher pour votre femme afin de lui dire que vous êtes retenu par moi. Attendez-moi dehors, je suis à vous dans cinq minutes.
Je ne savais rien refuser à Sherlock Holmes, dont toutes les demandes étaient précises, nettes, et formulées d’un ton calme et autoritaire. Je savais aussi que, lorsque j’aurais mis Whitney dans le fiacre, ma mission serait accomplie, et je me réjouissais d’autre part de me lancer avec mon ami dans une de ces singulières aventures qui étaient sa seule raison d’être. En quelques secondes j’eus écrit un petit billet à ma femme et payé la note de Whitney. J’installai celui-ci dans mon fiacre et, lorsque je l’eus vu s’éloigner, j’attendis patiemment Sherlock Holmes. Quelques minutes après je vis sortir de l’antre à opium un homme à l’aspect décrépit qui vint me rejoindre et côte à côte nous descendîmes la rue. Un bon moment il marcha d’un pied incertain le dos courbé. Puis, se retournant tout à coup, il se redressa et partit d’un joyeux éclat de rire.
— Vous devez penser, Watson, dit-il, que j’ai ajouté le vice de l’opium aux injections sous-cutanées de cocaïne et à toutes les autres faiblesses sur lesquelles vous avez bien voulu m’ouvrir des horizons médicaux ?
— J’ai assurément été très surpris de vous trouver ici.
— Pas plus que moi de vous y voir.
— Je suis venu y chercher un ami.
— Et moi un ennemi.
— Un ennemi ?
— Oui, un de mes ennemis naturels, ou, si vous le préférez, une proie. En un mot, Watson, je suis en train de faire une enquête très intéressante et j’espère avoir trouvé, comme déjà d’autres fois, une piste sérieuse au milieu des divagations incohérentes de ces imbéciles. Si j’avais été reconnu dans cet antre, ma vie ne valait pas quatre sous ; je cours une course et ce gredin de Lascar qui me poursuit a juré qu’il se vengerait. Si la trappe qui est derrière ce bâtiment, près de l’embarcadère de Saint-Paul, pouvait raconter tout ce qu’elle a vu passer par les sombres nuits sans lune…
— Quoi, vous voulez parler de cadavres ?
— Oui, de cadavres, Watson. Nous serions riches si on nous donnait mille livres pour chaque malheureux que cet antre a tué. C’est le plus horrible piège à crime qui existe sur cette rive du fleuve, et je crains que Neville Saint-Clair y soit entré pour n’en jamais plus sortir. Mais la voiture devrait être ici.
Il plaça deux de ses doigts entre ses dents et donna un vigoureux coup de sifflet, signal auquel répondit au loin un autre coup de sifflet suivi d’un bruit de sabots de cheval et de roulement de voiture.
— Maintenant, Watson, dit Holmes, au moment où émergeait de l’obscurité un grand dog-car éclairé par la clarté de ses lanternes, vous allez venir avec moi, c’est entendu.
— Si je puis vous être utile…
— Oh ! un ami sûr est toujours utile, et un chroniqueur plus encore. J’ai, aux Cèdres, une chambre à deux lits.
— Aux Cèdres ?
— Oui, aux Cèdres, c’est la maison de M. Saint-Clair. J’y habite depuis que je dirige l’enquête.
— Et où est-ce ?
— Près de Lee, comté de Kent. Nous avons sept lieues de pays devant nous.
— Mais je ne sais pas le premier mot de l’histoire.
— Naturellement. Je vous raconterai cela dans un moment. Montez ici. Bien. Jean, nous n’avons pas besoin de vous. Voici une demi-couronne. Attendez-moi demain vers onze heures. Mettez la jument en marche. Parfait.
Il donna un léger coup de fouet et nous nous engageâmes dans un dédale de rues sombres et désertes pour aboutir au large pont, jeté sur la rivière fangeuse. Plus loin, un autre grand espace couvert de briques et de mortier, espace silencieux dans lequel résonnaient seuls le pas lourd et régulier du sergent de ville, ou les chants et les cris de quelque joyeux viveur attardé. De gros nuages sombres s’amoncelaient dans le ciel, laissant à peine entrevoir quelques étoiles. Holmes ne parlait pas ; la tête penchée sur la poitrine, il semblait absorbé par ses réflexions, tandis que moi, assis à côté de lui, je grillais d’apprendre quel était le nouveau problème sur lequel se concentraient toutes ses facultés. Je n’osais pourtant l’interroger. Nous avions déjà parcouru plusieurs milles et atteint les faubourgs, peuplés de nombreuses villas, lorsque mon compagnon, se secouant tout à coup, haussa les épaules et alluma sa pipe d’un air satisfait.
— Vous savez vous taire, Watson, me dit-il. C’est une qualité inappréciable chez un compagnon de voyage. Mais, ma parole, j’ai besoin de causer avec quelqu’un, car mes pensées en ce moment ne sont rien moins que gaies. Je me demandais à l’instant ce que je dirai à cette pauvre petite femme ce soir, lorsqu’elle viendra me recevoir à la porte.
— Vous oubliez que je ne suis pas au courant.
— J’ai juste le temps de vous exposer les faits avant que nous n’arrivions à Lee. Cela paraît très simple et cependant je ne trouve pas la bonne piste. Il y a beaucoup d’indices, assurément, mais ces indices ne forment pas un ensemble. Maintenant, Watson, je vais vous raconter l’affaire aussi clairement que possible et il se peut qu’il jaillisse dans votre cerveau une étincelle qui me mette sur la voie.
— Je vous écoute.
— Il y a quelques années, pour être précis, en mai 1884, il vint à Lee un individu qui s’appelait Neville Saint-Clair et qui passait pour être très riche. Il prit une grande villa et en arrangea les abords avec goût et vécut sur un assez grand pied. Peu à peu il se fit des amis dans les environs et, en 1887, il épousa la fille d’un brasseur du cru de laquelle il a eu deux enfants. Il n’avait pas d’occupation, mais faisait partie de plusieurs compagnies et allait généralement à la ville le matin, revenant chaque soir par le train qui part de Canon-street à 5 h. 14. M. Saint-Clair a maintenant trente-sept ans ; c’est un homme d’habitudes sobres, un bon mari, un père très tendre et un homme populaire parmi tous ceux qui le connaissent. J’ajouterai que, d’après nos renseignements, ses dettes, à l’heure actuelle, se montent à quatre-vingt huit livres dix shillings tandis qu’il a un crédit de deux cent vingt livres dans les banques de la capitale et du comté. Il n’y a donc aucune raison de supposer que ses ennemis, s’il en a, soient des créanciers intransigeants.
Lundi dernier, M. Neville Saint-Clair est allé en ville plus tôt que de coutume disant, avant de partir, qu’il avait deux importantes commissions à faire et qu’il rapporterait à son petit garçon un jeu de construction. Par hasard, sa femme reçut un télégramme ce même lundi, très peu de temps après son départ, lui annonçant qu’un petit paquet d’une valeur considérable, paquet qu’elle attendait du reste, était à sa disposition dans les bureaux de la Compagnie maritime d’Aberdeen. Si vous connaissez bien votre Londres vous savez que le bureau de la Compagnie est dans la rue de Fresno qui aboutit à Upper Swandam-Lane où vous m’avez trouvé ce soir. Mme Saint-Clair déjeuna donc, partit pour la Cité, fit quelques courses, se rendit au bureau de la Compagnie, prit son paquet et se trouva exactement à 4 h. 35 dans Swandam-Lane, en route pour la gare. M’avez-vous bien suivi jusqu’ici ?
— Parfaitement.
— Si vous vous en souvenez, la température était très élevée lundi dernier. Mme Saint-Clair marchait lentement et regardait à droite et à gauche dans l’espoir de voir un hansom, n’aimant pas à se trouver seule à pied dans ce quartier mal famé. En descendant ainsi Swandam-Lane elle entendit tout à coup une exclamation ou un cri et demeura stupéfaite en voyant son mari la regarder, et même lui faire signe (du moins à ce qu’il lui sembla), du haut d’une fenêtre d’un deuxième étage. La fenêtre était ouverte et Mme Saint-Clair affirme que son mari paraissait bouleversé. Il fit avec la main un mouvement désespéré, puis disparut de la fenêtre soudainement comme s’il eût été entraîné par une force irrésistible. Un détail étrange la frappa : quoique vêtu du vêtement foncé qu’il portait en partant pour la ville, il n’avait ni col ni cravate.
Convaincue qu’il était arrivé un malheur à son mari, elle descendit rapidement les marches (la maison n’était autre que l’antre d’opium dans lequel vous m’avez trouvé ce soir), et traversant en courant la pièce d’entrée, elle essaya de monter l’escalier qui conduit au premier étage ; mais au pied de cet escalier, elle rencontra l’homme dont je vous ai parlé, ce gredin de Lascar, qui l’empêcha de passer et qui, aidé du Danois qui sert là de factotum, la repoussa dans la rue. Assaillie d’affreux pressentiments, elle descendit la rue et rencontra, par bonheur, dans la rue Fresno, un certain nombre de sergents de ville avec un inspecteur, regagnant tous leur section.
L’inspecteur et deux hommes la suivirent et malgré la résistance opiniâtre du propriétaire, ils pénétrèrent dans la pièce dans laquelle M. Saint-Clair venait d’être aperçu, mais ne l’y trouvèrent pas. En réalité il n’y avait personne à cet étage, excepté un malheureux infirme d’aspect repoussant qui habitait là. Lui et Lascar jurèrent solennellement que personne, en dehors d’eux, n’était entré dans cette chambre cette après-midi là. Leur dénégation était si énergique que l’inspecteur en fut ébranlé et crut que Mme Saint-Clair avait fait erreur. Mais elle, poussant un cri, bondit à ce moment sur une petite boîte de bois blanc qui se trouvait sur la table et en arracha le couvercle ; un jeu de construction en tomba, précisément celui que M. Saint-Clair devait rapporter à son enfant.
Cette découverte et le trouble évident que laissa voir le boiteux, prouvèrent à l’inspecteur que l’affaire était grave. L’appartement fut soigneusement perquisitionné et on conclut à un crime abominable. La pièce de devant était meublée en salon modeste et ouvrait sur une petite salle à manger qui avait vue sur l’un des entrepôts. Entre l’entrepôt et la fenêtre de la chambre à coucher se trouve un étroit passage qui est à sec à marée basse, mais qui est recouvert à marée haute d’au moins quatre pieds et demi d’eau. La fenêtre de la chambre est large et s’ouvre sur toute la hauteur. À l’examen on découvrit des traces de sang sur le rebord de la fenêtre et quelques gouttes encore visibles, sur le parquet de la chambre. Dans la première pièce, derrière un rideau, on trouva tous les vêtements de M. Neville Saint-Clair à l’exception de son pardessus. Bottines, chaussettes, chapeau, montre, tout était là. Ces objets ne révélaient aucune trace de violence, mais M. Saint-Clair avait disparu. Il avait dû sortir par la fenêtre puisqu’il n’y avait pas d’autre issue et les sinistres taches de sang sur le rebord ne laissaient pas même l’espoir qu’il ait pu se sauver à la nage, la marée devant être au plus haut au moment de la tragédie.
Et maintenant, un mot sur les gredins qui semblent directement impliqués dans cette affaire.
Le Lascar est un homme de détestable réputation, mais comme Mme Saint-Clair raconte l’avoir vu au pied de l’escalier quelques instants après l’apparition de son mari à la fenêtre, il n’a guère pu être qu’un complice dans le crime. Son système de défense est l’ignorance absolue ; il proteste n’avoir aucune connaissance des faits et gestes de Hugues Boone, son locataire, et ne pouvoir être, sous aucun prétexte, responsable de la découverte des vêtement de la victime.
Voilà pour le gérant.
Quant au boiteux de mauvaise mine qui habite le second étage de l’antre à opium et qui a certainement été le dernier à voir M. Neville Saint-Clair, son nom est Hugues Boone et sa figure hideuse est familière à tous ceux qui fréquentent la Cité. C’est un mendiant de profession quoique, pour échapper aux règlements de police, il feigne de vendre des boîtes d’allumettes de cire. À une petite distance, en descendant la rue Thread-Needle, sur la gauche, vous avez dû remarquer un petit angle dans le mur. C’est là que cet individu se tient chaque jour, les jambes croisées, son petit éventaire sur les genoux. Il offre un spectacle si digne de pitié qu’une pluie de sous tombe dans la casquette graisseuse qu’il pose par terre devant lui. J’ai observé cet individu plus d’une fois avant aujourd’hui où j’ai pu faire connaissance avec lui par nécessité professionnelle, et j’ai toujours été étonné de la récolte qu’il glane en quelques minutes. C’est que, voyez-vous, son aspect est si étrange que personne ne peut passer près de lui sans le remarquer. Une touffe de cheveux roux ; une figure pâle, traversée d’une horrible cicatrice qui, par contraction, a retroussé le bord de sa lèvre supérieure ; un menton de bouledogue et une paire d’yeux noirs très vifs qui contrastent singulièrement avec la couleur de ses cheveux, tout cela le distingue de la foule des mendiants ainsi que son esprit de repartie, car il a toujours réponse aux plaisanteries que les passants ne manquent pas de lui faire. C’est cet homme, locataire de l’antre à opium, qui, le dernier, a vu le personnage que nous cherchons.
— Mais qu’a pu faire un boiteux seul contre un homme dans la force de l’âge ?
— Il est boiteux en ce sens qu’il marche clopin-clopant, mais il semble, malgré cela, être vigoureux et bien portant. Votre expérience professionnelle a dû vous apprendre, Watson, que la faiblesse d’un membre est souvent compensée par une force plus grande des autres membres.
— Je vous en prie, continuez votre récit.
— Mme Saint-Clair s’était évanouie à la vue du sang sur la fenêtre et la police la ramena chez elle dans un fiacre, sa présence ne pouvant être d’aucun secours dans l’enquête. L’inspecteur Barton, chargé de l’affaire, examina très sérieusement l’appartement mais sans rien trouver qui pût le mettre sur la voie. On a commis une faute en n’arrêtant pas Boone sur l’heure et on lui a laissé quelques minutes pendant lesquelles il a pu communiquer avec son ami le Lascar : lorsqu’enfin on l’a arrêté et fouillé, on n’a rien découvert qui pût l’incriminer. On constata, il est vrai, des taches de sang sur la manche droite de sa chemise, mais il montra une coupure qu’il avait à l’annulaire droit, près de l’ongle, et déclara que le sang provenait de cette coupure, ajoutant qu’il s’était approché de la fenêtre peu de temps avant et que les taches observées là avaient sans aucun doute la même provenance. Il nia énergiquement avoir jamais vu M. Neville Saint-Clair et jura que la présence de ses vêtements dans sa chambre était aussi mystérieuse pour lui que pour la police. Quant à l’assertion de Mme Saint-Clair d’avoir vu son mari à la fenêtre, Boone déclara que cette femme était folle ou qu’elle avait rêvé. Il fut emmené au poste malgré ses protestations. L’inspecteur de police resta dans l’appartement dans l’espoir que la marée descendante lui apporterait un nouvel indice ; il ne se trompait pas ; car on retrouva dans la vase non pas ce qu’on cherchait mais la veste de Neville Saint-Clair, à défaut de Saint-Clair lui-même. Et, devinez ce que cette veste renfermait dans ses poches ?
— Je n’en sais rien.
— Cela ne m’étonne pas, c’est impossible à deviner. Eh bien ! toutes les poches étaient pleines de gros et de petits sous. Il y avait quatre cent vingt et une pièces de deux sous et deux cent soixante-dix d’un sou. Il n’est pas étonnant que la marée ait respecté cette épave. Mais un cadavre est plus facilement enlevé. Il y a un violent remous entre l’embarcadère et la maison ; il sembla donc tout naturel que la veste, très lourde, fût restée, tandis que le corps, dépouillé de tout vêtement, avait été entraîné dans le lit du fleuve.
— Je croyais avoir compris que tous les autres vêtements avaient été trouvés dans la chambre. Le corps aurait-il été revêtu de cette seule veste ?
— Non, monsieur, et cependant cette thèse pourrait se soutenir. Supposez que Boone ait jeté Neville Saint-Clair par la fenêtre ; personne n’a pu le voir ; que fait-il alors ? Il cherche à se débarrasser des vêtements révélateurs. Il prend la veste pour la jeter, mais réfléchit tout à coup qu’elle flottera au lieu de s’enfoncer. Il n’a pas de temps à perdre, car il a entendu la lutte qui se livre au bas de l’escalier lorsque la femme essaye de monter, et peut-être a-t-il déjà appris par son complice Lascar que les sergents de ville arrivent au grand trot. Il n’y a plus d’hésitation possible. Il se précipite sur la cachette où il a accumulé le fruit de sa mendicité et il fourre tous les sous qu’il peut prendre à poignée dans les poches de la veste afin qu’elle ne flotte pas ; puis il la jette par la fenêtre. Les autres vêtements auraient eu le même sort s’il n’avait entendu du bruit et il n’a eu que le temps de fermer la fenêtre avant que la police ne fit irruption dans la pièce.
— Cela paraît, en effet, admissible.
— Dans tous les cas, nous partirons de cette hypothèse, faute d’une meilleure. Comme je vous l’ai dit, Boone a été arrêté et emmené au poste ; mais on n’a pu trouver aucune preuve contre lui. Il est connu depuis des années comme un mendiant de profession, et on ne trouve dans sa vie rien de répréhensible. Voilà à quel point en est l’enquête. Reste à résoudre ce que faisait Neville Saint-Clair dans l’antre à opium, ce qui lui arriva pendant qu’il y était, où il se trouve maintenant, et la part qu’a eue Hugues Boone dans sa disparition. Autant de problèmes dont la solution n’a pas fait un pas. Je ne me rappelle pas avoir jamais eu à étudier une affaire aussi simple en apparence, et aussi compliquée à l’examen.
Tandis que Sherlock Holmes racontait cette singulière histoire, nous avions parcouru les faubourgs de la grande ville et dépassé les dernières maisons isolées ; nous roulions maintenant sur une route bordée d’une haie de chaque côté. Au moment où Sherlock Holmes terminait son récit, nous venions de traverser deux villages écartés dans lesquels des lumières brillaient encore aux fenêtres.
— Nous voici dans les environs de Lee, me dit mon compagnon. Nous avons touché trois comtés dans ce court trajet ; notre point de départ a été le Middlesex, nous avons franchi un angle du Surrey et nous arrivons dans le Kent. Voyez-vous cette lumière à travers les arbres ? C’est là que se trouvent les « Cèdres ». À côté de cette lumière, une lampe, il y a une femme dont les oreilles anxieuses ont déjà perçu le son des sabots du cheval.
— Mais pourquoi ne travaillez-vous pas à cette affaire chez vous dans Baker-street ? demandai-je.
— Parce qu’il y a beaucoup d’informations à prendre sur place. Mme Saint-Clair a très aimablement mis deux chambres à ma disposition et il est certain que vous, mon collègue, serez le bienvenu chez elle. Je suis tout ému, mon cher Watson, de la revoir sans lui rapporter une nouvelle quelconque. Mais nous voici arrivés. Holà !
Nous nous étions arrêtés devant une grande villa entourée d’un parc. Un garçon d’écurie était accouru pour tenir le cheval. Je sautai à terre et je suivis Holmes dans l’allée sablée qui menait à la maison. Une petite femme blonde s’avança sur la porte au-devant de nous. Elle était vêtue d’une robe de mousseline de soie garnie d’un peu de rose au col et aux manches. Sa silhouette se dessinait dans l’encadrement de la porte d’entrée. L’une de ses mains reposait sur le loquet, l’autre était tendue vers nous en signe d’anxiété. Son corps et sa tête étaient légèrement penchés en avant, dans ses yeux se lisait l’émotion la plus vive, et ses lèvres entr’ouvertes retenaient à peine la question prête à s’en échapper.
— Eh bien ! cria-t-elle, eh bien !
Puis, m’apercevant, elle poussa un cri d’espoir qui se transforma en un gémissement lorsqu’elle remarqua que mon compagnon secouait la tête et haussait les épaules.
— Pas de bonne nouvelle ?
— Aucune.
— Pas de mauvaise non plus ?
— Non !
— Dieu merci ! Mais entrez dans la maison. Vous avez eu une longue journée et vous devez être fatigué.
— Je vous présente mon ami, le docteur Watson. Il m’a beaucoup aidé dans plusieurs des affaires que j’ai débrouillées, et une heureuse circonstance m’a permis de l’emmener ici afin qu’il prenne part à cette enquête.
— Je suis ravie de vous voir, dit-elle en me serrant la main. S’il vous manque quoi que ce soit, ne m’en veuillez pas. Vous savez le terrible coup qui vient de me frapper.
— Chère madame, lui dis-je, je suis un vieux troupier, et du reste ne le serais-je pas, vous n’auriez pas à vous excuser davantage. Si je puis rendre service, soit à vous, soit à mon ami, j’en serai trop heureux.
— Maintenant, monsieur Sherlock Holmes, dit Mme Saint-Clair en nous faisant entrer dans une salle à manger bien éclairée, dans laquelle un souper froid avait été servi, je voudrais beaucoup vous poser une ou deux questions auxquelles j’espère que vous répondrez franchement.
— Certainement, madame.
— Faites abstraction du sentiment. Je n’ai pas les nerfs sensibles et je veux avant tout connaître votre opinion.
— Sur quel point ?
— Croyez-vous bien sincèrement que Neville soit vivant ?
Sherlock Holmes sembla interloqué par cette question.
— Parlez sincèrement, répéta-t-elle en se plaçant debout devant la chaise sur laquelle il était assis et en le regardant fixement.
— À vrai dire, madame, je ne le crois pas.
— Vous croyez qu’il est mort ?
— Je le crois.
— Assassiné ?
— Je ne saurais le dire. Peut-être.
— Et quel jour est-il mort ?
— Lundi.
— Alors, monsieur Holmes, vous seriez bien aimable de m’expliquer comment il se fait que j’aie reçu cette lettre de lui aujourd’hui.
Sherlock Holmes bondit de sa chaise comme mû par un ressort.
— Quoi ? s’écria-t-il.
— Oui, aujourd’hui.
Et elle souriait en montrant une feuille de papier.
— Puis-je lire ?
— Certainement.
Il lui arracha fiévreusement la lettre des mains, et la posa sur la table en pleine lumière pour l’examiner attentivement. J’avais moi-même quitté ma chaise et je regardais aussi la lettre par-dessus son épaule. L’enveloppe, très grossière, était timbrée du bureau de Gravesend et portait la date du jour même ou plutôt de la veille car il était minuit passé.
— C’est une écriture vulgaire, murmura Holmes. Assurément, madame, ce n’est pas l’écriture de votre mari.
— Non, mais la lettre est de lui.
— Je vois aussi que la personne qui a écrit l’enveloppe a dû demander l’adresse.
— Comment le savez-vous ?
— Voyez vous-même. Le nom est écrit avec une encre parfaitement noire qui a séché seule. Le reste a cette couleur grisâtre que prend l’encre qui a été séchée avec du papier buvard. Si cela avait été écrit sans interruption et puis séché ensuite, comment expliquer qu’une partie de l’adresse soit d’un beau noir ? Cet homme a écrit le nom d’abord puis s’est arrêté avant d’écrire l’adresse, ce qui prouve bien qu’elle ne lui était pas familière. Cet indice semble peu de chose, au premier abord, mais peut toutefois avoir son importance. Voyons maintenant la lettre. Tiens ! elle contenait un objet.
— Oui, une bague, le cachet de mon mari.
— Et êtes-vous bien sûre que c’est l’écriture de votre mari ?
— L’une de ses écritures.
— L’une d’elles ?
— Son écriture lorsqu’il est pressé. Cela ne ressemble guère à son écriture ordinaire, et cependant je la reconnais parfaitement.
« Chère amie ! Ne soyez pas effrayée. Tout s’arrangera. Il y a un grave malentendu, il faudra peut-être un certain temps pour l’éclaircir. Ayez patience. Neville. »
Ceci a été écrit au crayon sur le feuillet blanc d’un livre in-octavo, pas de filigrane. Hum ! mis à la poste aujourd’hui à Gravesend, par un homme qui avait le pouce sale. Ah ! et la partie de l’enveloppe qui se replie a été collée, si je ne me trompe, par quelqu’un qui avait mâché du tabac. Et vous êtes bien sûre, madame, que c’est l’écriture de votre mari ?
— Parfaitement. C’est Neville lui-même qui a écrit ces lignes.
Cette missive a été jetée à la poste aujourd’hui à Gravesend. Eh bien ! madame Saint-Clair, le ciel me paraît un peu moins sombre ; je n’ose toutefois espérer que tout danger soit écarté.
— Mais il est vivant, monsieur Holmes.
— À moins que cette lettre ne soit un piège pour nous mettre sur une fausse piste. Après tout, la bague n’est pas une preuve. Elle a pu lui être volée.
— Non, non ; c’est, j’en suis certaine, sa propre écriture.
— Très bien ! Cette lettre peut cependant avoir été écrite lundi et mise à la poste aujourd’hui seulement.
— C’est possible !…
— S’il en est ainsi il peut s’être passé bien des choses dans l’intervalle.
— Oh ! il ne faut pas me décourager, monsieur Holmes. Je sais qu’il ne lui est arrivé aucun mal. Il y a une si tendre sympathie entre nous que je le sentirais s’il lui était arrivé un accident. Le dernier jour que nous nous sommes vus il s’est fait dans sa chambre une coupure au doigt ; j’étais à ce moment dans la salle à manger et j’ai eu si bien l’intuition qu’il lui était arrivé un accident que je me suis précipitée chez lui. Croyez-vous que je puisse vibrer pour une simple bagatelle et ignorer sa mort ?
— J’ai trop d’expérience de la vie pour ne pas savoir que l’impression d’une femme est souvent plus vraie que les conclusions d’un philosophe ; et cette lettre est certainement une preuve que vous étiez dans le vrai. Mais si votre mari est en vie et en état d’écrire des lettres, pourquoi reste-t-il éloigné de vous ?
— Je n’en sais rien. C’est extraordinaire.
— Et lundi, en vous quittant, il n’a fait aucune allusion qui puisse nous guider ?
— Non.
— Et vous avez été étonnée de le voir dans la maison de Swandam-Lane ?
— Stupéfaite.
— La fenêtre était-elle ouverte ?
— Oui.
— Alors, il aurait pu vous appeler ?
— Assurément.
— Il n’a pourtant, je crois, poussé qu’un cri inarticulé ?
— Oui.
— Un appel au secours, vous semble-t-il ?
— Oui. Il a fait un signe de la main.
— C’était peut-être un cri de surprise : l’étonnement de vous voir alors qu’il ne s’y attendait pas.
— C’est possible.
— Et il vous a paru que quelqu’un le tirait en arrière ?
— Il a disparu subitement.
— N’aurait-il pas pu faire de lui-même un bond ? Vous n’avez vu personne avec lui dans la chambre ?
— Non, mais cet affreux homme a avoué avoir été là et Lascar était au pied de l’escalier.
— Parfaitement. Et vous croyez que votre mari avait ses vêtements ordinaires ?
— Oui, mais sans col ni cravate. J’ai distinctement vu son cou nu.
— Avait-il jamais parlé de Swandam-Lane ?
— Jamais.
— Vous étiez-vous aperçue qu’il fumât de l’opium ?
— Non.
— Merci, madame Saint-Clair. Je désirais être complètement éclairé sur ces points importants. Nous allons maintenant souper, si vous le permettez, puis nous nous retirerons en prévision de la dure journée que nous aurons peut-être devant nous demain.
Une chambre à deux lits, très spacieuse et confortable, avait été mise à notre disposition et je me hâtai de me coucher tant j’étais éreinté de ma nuit mouvementée. Mais Sherlock Holmes, lorsqu’il avait un problème à résoudre, se fût passé de repos pendant des jours et même une semaine entière. Il examinait la question sous toutes ses faces jusqu’à ce qu’il s’en fût bien rendu maître ou qu’il se fût convaincu que ses données étaient insuffisantes. Je compris qu’il se préparait à veiller en le voyant enlever sa veste et son gilet, revêtir une vaste robe de chambre bleue, puis se mettre à arpenter la chambre. Il prit les oreillers de son lit et les coussins du sofa et des fauteuils, il s’en fit une espèce de divan oriental et s’étendit dessus, les jambes croisées, après avoir placé à portée de sa main une once de caporal et une boîte d’allumettes. À la lueur blafarde de la lampe qui éclairait ses traits accentués et son nez aquilin, je le voyais assis, une vieille pipe de bruyère entre les dents, les yeux vaguement fixés sur un coin du plafond ; il demeurait là, immobile, tandis que la fumée de la pipe s’élevait autour de lui en spirales bleutées. C’est en le regardant que je m’endormis. Il n’avait pas changé de position lorsque, réveillé en sursaut par une exclamation, je m’aperçus que le soleil d’été luisait déjà dans la pièce. Sherlock Holmes avait toujours sa pipe dans la bouche ; les spirales de fumée continuaient à s’élever vers le plafond et l’atmosphère de la chambre était alourdie par les vapeurs du tabac consumé pendant la nuit, car rien ne restait du paquet de caporal que j’avais vu à côté de mon ami, au moment où je m’étais endormi.
— Réveillé, Watson ? me demanda-t-il.
— Oui.
— Prêt à une promenade matinale en voiture ?
— Certainement.
— Alors, habillez-vous. Personne ne bouge encore, mais je sais où habite le garçon d’écurie et nous aurons bientôt attelé la charrette.
Tout riait dans sa figure ; ses yeux étaient brillants, le sombre penseur de la nuit s’était totalement transformé.
Tout en m’habillant je regardai ma montre. Rien d’étonnant au silence qui nous environnait ; il n’était que quatre heures vingt-cinq à peine. Je finissais de me vêtir lorsque Holmes revint m’annoncer que le groom attelait.
— Je veux essayer un de mes systèmes particuliers, dit-il en se chaussant. Watson, vous voyez devant vous le plus grand imbécile d’Europe. Je mérite de recevoir un formidable coup de pied. Mais je crois que je tiens la clef de l’affaire.
— Et où se trouve-t-elle ? demandai-je en souriant.
— Dans la salle de bain, répondit-il. Oh ! oui, je ne plaisante pas, continua-t-il en voyant mon air incrédule. J’en sors, je l’ai prise et je l’ai placée dans ce petit sac. Venez, mon garçon, et nous allons bien voir si elle s’adapte à la serrure.
Nous descendîmes à pas de loup et nous sortîmes. Le soleil brillait déjà dans tout son éclat. À quelques pas de la maison, sur la route, nous trouvâmes notre voiture sous la garde du garçon d’écurie à demi vêtu. Nous montâmes lestement dans le véhicule et nous partîmes à fond de train dans la direction de Londres.
Nous rencontrâmes bien quelques charrettes de maraîchers portant des légumes à la métropole, mais les villas qui bordaient la route étaient plongées dans le silence le plus profond.
— Curieuse histoire, dit Holmes tout à coup en mettant le cheval au galop. J’ai été aveugle comme une taupe, il faut l’avouer, mais mieux vaut toutefois acquérir la sagesse sur le tard que de ne pas l’acquérir du tout.
Dans la ville, du côté du Surrey, les gens matineux commençaient à se mettre à leurs fenêtres, les yeux encore gonflés de sommeil. Nous traversâmes la Tamise sur le pont de Waterloo, puis, enfilant la rue Wellington et tournant à droite, nous nous trouvâmes dans Bow street. Sherlock Holmes était bien connu à la Force et les deux sergents de ville qui se tenaient devant la porte le saluèrent aussitôt. L’un d’eux tint le cheval tandis que l’autre nous introduisait.
— Qui est de service ? demanda Holmes.
— L’inspecteur Bradstreet, monsieur.
— Ah ! Bradstreet, comment cela va-t-il ?
L’employé auquel il s’adressait était un homme fortement charpenté, qui venait au-devant de nous par un corridor carrelé. Il était coiffé d’une casquette à visière et portait un veston.
— Je désire vous parler, Bradstreet.
— Je suis à vous, monsieur Holmes, veuillez entrer dans mon bureau, ici.
C’était une petite pièce avec une table sur laquelle se trouvait un énorme registre ; un téléphone faisait saillie sur le mur. L’inspecteur s’assit à son bureau.
— Qu’y a-t-il pour votre service ? monsieur Holmes.
— Je suis venu vous parler du mendiant Boone, celui qui est impliqué dans l’affaire de la disparition de M. Neville Saint-Clair, de Lee.
— Oui, il a comparu, puis l’enquête a été remise à plus tard.
— C’est ce qu’on m’a dit. Est-il ici ?
— Oui, il est en prison.
— Est-il tranquille ?
— Oh ! il ne donne aucun ennui ; mais il est d’une malpropreté repoussante.
— Il est malpropre ?
— Oui. Tout ce que nous avons pu obtenir jusqu’ici c’est qu’il se lave les mains ; quant à sa figure, elle est noire comme celle d’un charbonnier. Dans tous les cas, lorsque son affaire sera jugée on lui donnera un bain obligatoire, et ce ne sera pas du luxe, croyez-moi.
— Je voudrais bien le voir.
— Vraiment ? C’est chose facile. Suivez-moi. Vous pouvez laisser votre sac ici.
— Non, je préfère l’emporter.
— À votre aise. Venez par ici, je vous prie.
Il nous fit suivre un couloir, ouvrit une porte qui était fermée au moyen d’une barre de fer, descendit un escalier tournant et nous conduisit dans un corridor blanchi à la chaux, sur lequel s’ouvrait de chaque côté, une rangée de portes.
— La cellule est la troisième à droite, dit l’inspecteur. La voici.
Il ouvrit un panneau ménagé dans la partie supérieure de la porte et regarda par cette ouverture.
— Il dort, dit-il, vous pouvez le voir à merveille.
Nous nous approchâmes tous deux de la grille et nous vîmes le prisonnier couché, la tête tournée vers nous ; il dormait d’un sommeil lourd ; sa respiration était lente et profonde. Cet homme était de taille moyenne, et grossièrement vêtu comme il convenait à sa condition ; il portait une chemise de couleur qui passait par la déchirure de sa veste en haillons. Comme l’inspecteur nous l’avait dit, il était extrêmement sale, mais le noir qui couvrait sa figure ne cachait qu’imparfaitement sa laideur repoussante. Une large balafre traversait son visage de l’œil au menton et la blessure qui l’avait produite avait, en se cicatrisant, relevé un côté de la lèvre supérieure, et découvert ainsi trois dents qui lui donnaient l’air d’un boule hargneux. Une profusion de cheveux d’un roux ardent descendait jusque sur les yeux et le front.
— Il est joli, n’est-ce pas ? dit l’inspecteur.
— Il a, ma foi, besoin de se laver, répondit Holmes. Je m’en doutais et j’ai eu la précaution d’apporter avec moi tout ce qu’il faut pour cela.
Il ouvrit son petit sac et en tira, à ma grande stupéfaction, une énorme éponge de bain.
— Eh bien ! vous avez de bien drôles d’idées, ricana l’inspecteur.
— Maintenant, ayez la bonté de m’ouvrir la porte tout doucement, et vous verrez qu’il aura bientôt un air beaucoup plus respectable.
— Après tout ce ne sera pas dommage, car il ne fait pas honneur à la prison de Bow street.
Il introduisit la clef dans la serrure et nous pénétrâmes tous trois dans la cellule, en étouffant nos pas.
Le prisonnier se tourna à demi, puis retomba dans un profond sommeil. Holmes s’approcha du pot à eau, humecta son éponge et en frotta vigoureusement, à deux reprises, la figure de l’inculpé.
— Permettez-moi de vous présenter, s’écria-t-il, à M. Neville Saint-Clair, de Lee, comté de Kent.
Jamais de ma vie je n’ai vu pareil spectacle. La figure de cet homme s’était transformée sous l’éponge ; on eût dit une écorce qu’on enlevait. La teinte brune avait disparu ainsi que l’horrible cicatrice qui couturait le visage en travers. La lèvre était redevenue droite et le sourire narquois s’était évanoui. Une secousse enleva la broussaille de cheveux roux : il ne restait plus rien du mendiant hideux dans l’homme pâle et triste, distingué d’aspect avec sa peau fine et ses cheveux noirs, qui, assis sur son lit, se frottait les yeux en regardant autour de lui avec l’ahurissement de quelqu’un qu’on vient de réveiller.
Il se rendit compte de la situation, et, poussant un cri, il se cacha le visage dans son oreiller.
— Grand Dieu ! s’écria l’inspecteur, voilà, en effet, l’homme que nous cherchons ! Je le reconnais à sa photographie.
Le prisonnier nous regarda avec l’insouciance d’un homme qui s’abandonne à son sort.
— Tant pis ! dit-il. Puis-je savoir de quoi je suis accusé ?
— D’avoir fait disparaître M. Neville Saint…
— Mais cela ne tient pas debout, à moins qu’on n’en fasse un cas de suicide, dit l’inspecteur, avec un sourire. Vrai, je suis de la police depuis vingt-sept ans, mais ceci a le pompon.
— Si je suis bien M. Neville Saint-Clair, il est alors évident qu’il n’y a pas crime et que je suis illégalement détenu.
— Il n’y a pas crime, mais une erreur grave. Vous auriez mieux fait de vous confier à votre femme.
— Ce n’était pas ma femme, c’étaient les enfants, grommela le prisonnier. Que Dieu me vienne en aide, je ne voudrais pas qu’ils eussent à rougir de leur père. Mon Dieu ! Quel scandale ! Que faire ?
Sherlock Holmes s’assit à côté de lui, sur le lit et, lui passa doucement la main sur l’épaule.
— Il est bien certain que si vous vous en rapportez à un tribunal pour juger cette affaire, vous éviterez difficilement la publicité. D’un autre côté si vous arrivez à convaincre les gros bonnets de la police qu’on ne peut porter aucune accusation contre vous, les journaux se tairont. L’inspecteur Bradstreet prendra, j’en suis sûr, note de ce que vous lui direz et soumettra l’affaire à qui de droit, sans qu’il soit question de tribunaux.
— Dieu vous bénisse ! s’écria le prisonnier avec vivacité. J’aurais supporté la prison et même le bourreau, plutôt que d’avoir divulgué cet odieux secret qui fût devenu une tare pour mes enfants. Personne autre que vous n’aura connu mon histoire. Mon père était maître d’école à Chesterfield où je reçus une excellente éducation. J’ai voyagé dans ma jeunesse ; puis je me fis acteur et finalement je devins reporter d’un journal du soir à Londres. Un jour, mon éditeur exprima le désir d’avoir une série d’articles sur la mendicité dans la métropole et je lui proposai de les lui fournir. Ce fut le commencement de toutes mes aventures. Il me fallut devenir mendiant amateur pour recueillir les faits qui devaient servir de base à mes articles. Au théâtre, j’avais naturellement appris à me grimer et j’en avais fait un art véritable. J’ai mis ce talent à profit ; j’ai peint ma figure et, pour apitoyer le public, j’ai simulé une énorme balafre ; j’ai pris l’habitude de relever ma lèvre à l’aide d’un petit morceau de taffetas couleur de chair. Puis, coiffé d’une perruque rousse et vêtu d’un costume approprié à la situation, j’ai établi mon quartier dans la partie la plus animée de la Cité, me faisant passer pour un marchand d’allumettes, mais n’étant par le fait, qu’un simple mendiant. Pendant sept heures j’exerçai ce métier et lorsque je rentrai le soir, je me trouvai, à ma grande surprise, avoir gagné vingt-six shillings et quatre pence.
J’écrivis mes articles et je ne pensais guère plus à cette histoire jusqu’à ce que, ayant un jour donné ma signature à vue, pour obliger un ami, je fusse assigné pour une somme de vingt-cinq livres. Je ne savais où trouver cet argent, lorsque soudain il me vint une idée. Je demandai à mon créancier un délai de quinze jours, à mes chefs un congé, et je passai, déguisé en mendiant, mes journées à demander l’aumône dans la Cité. En dix jours j’avais recueilli de quoi payer ma dette. Vous pensez bien qu’il était dur de se mettre à un travail sérieux, aux appointements de deux livres par mois, lorsque je savais pouvoir en gagner tout autant dans un jour, sans bouger, en me barbouillant le visage d’un peu de peinture et en mettant ma casquette par terre à côté de moi. Il se livra un long combat entre ma vanité et l’amour de l’argent, mais les dollars eurent le dessus. Je renonçai au reportage et chaque jour je vins m’asseoir dans le coin que j’avais d’abord choisi et où j’inspirai pitié grâce à ma figure blafarde. Pendant ce temps ma poche se remplissait de sous. Un seul homme connaissait mon secret. C’était le propriétaire d’un antre de Swandam-Lane, dans lequel je logeais. Chaque matin, j’en sortais déguisé en mendiant sordide et chaque soir, transformé en homme comme il faut. Je payais largement mon loyer à cet homme, un certain Lascar, de sorte que je savais mon secret bien gardé. Je m’aperçus vite que je gagnais beaucoup. Ce n’est pas qu’un mendiant de Londres puisse se faire toujours sept cent livres par an, moins que ma moyenne ; mais j’avais en mon pouvoir un don exceptionnel d’imitation et aussi une facilité de repartie qui s’accrut encore par la pratique et fit de moi un personnage marquant dans la Cité. Toute la journée un flot de sous mêlés de pièces blanches tombait sur moi et il était bien rare que je ne recueillisse pas au moins deux livres.
À mesure que je m’enrichissais je devenais plus ambitieux ; je louai une maison à la campagne et même je me mariai sans que personne se doutât de ma profession. Ma chère petite femme savait que j’avais un emploi dans la Cité, et c’est tout.
Lundi dernier j’avais fini ma journée et je m’habillais dans ma chambre, au-dessus de l’antre à opium, lorsque, regardant par la fenêtre, j’aperçus, à ma stupéfaction, ma femme qui était là dans la rue les yeux fixés sur moi. Je jetai un cri de surprise, je couvris ma figure de mes mains et me précipitant chez mon confident, je l’adjurai d’empêcher qui que ce fût de monter chez moi. J’entendis bien, en bas, la voix de ma femme, mais je savais qu’elle ne pourrait monter. Vite j’enlevai mes vêtements d’homme du monde pour revêtir ceux du mendiant, je peignis mon visage et je me coiffai de ma perruque. Ma femme elle-même ne perça pas un déguisement aussi complet. Il me vint alors à l’esprit qu’on pourrait bien faire une perquisition dans cette pièce et que les vêtements me trahiraient. Je me précipitai sur la fenêtre pour l’ouvrir et dans ce mouvement brusque je fis saigner une coupure que je m’étais faite le matin même. Puis, saisissant mon vêtement lesté par les sous que je venais d’y mettre, je le jetai par la fenêtre et il disparut dans la Tamise. Les autres vêtements auraient eu le même sort si, à ce moment, un flot de sergents de ville n’avait envahi l’escalier. Quelques minutes plus tard j’étais, et ce fut, je le confesse, un soulagement pour moi, non pas identifié à M. Neville Saint-Clair, mais arrêté comme son meurtrier.
Je ne vois pas autre chose à vous expliquer. J’étais décidé à conserver mon déguisement aussi longtemps que possible, d’où ma figure sale. Sachant que ma femme serait terriblement anxieuse, je confiai ma bague à Lascar à un moment où aucun sergent de ville ne me regardait, et j’y joignis un petit billet lui disant qu’elle n’avait rien à craindre.
— Cette note ne lui est parvenue qu’hier, dit Holmes.
— Grand Dieu ! quelle semaine elle a dû passer !
— La police a l’œil sur Lascar, dit l’inspecteur Bradstreet, et je comprends parfaitement qu’il lui ait été difficile de mettre à la poste une lettre sans être observé. Il l’a probablement remise à quelque marin de ses clients qui l’a oubliée plusieurs jours au fond de sa poche.
— C’est cela, dit Holmes approuvant par un signe de tête, sans aucun doute. N’avez-vous jamais été mis à l’amende pour mendicité ?
— Plus d’une fois, mais qu’était une amende pour moi ?
— Maintenant, il faut en finir, dit Bradstreet. Si la police doit faire le silence sur cette affaire, Hugues Boone doit disparaître.
— J’en ai pris l’engagement par le serment le plus solennel qu’un homme puisse faire.
— Dans ce cas, notre rôle est fini. Si toutefois on vous repince, nous dirons tout. Monsieur Holmes, nous vous sommes bien reconnaissants d’avoir tiré les choses au clair. Je voudrais bien connaître votre méthode.
— Elle a consisté, cette fois-ci, à m’asseoir sur cinq coussins et à consumer une once de tabac. Je crois, Watson, qu’en prenant une voiture, nous rentrerons à Baker street juste à temps pour déjeuner.
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Commentaires :
Message de paigollain
très bonne lecture stanley belle histoire c est cool
très bonne lecture stanley belle histoire c est cool
Message de mc
Stanley : SHerlock Holmes n'est pas Russe ou TCHèque ! Mais c'est vrai que d'autres avalent la lettre H
comme on avalerait une bouffée d'opium !
Comme on en arrive à appauvrir l'alphabet d'une langue au lieu de l'enrichir par l'apport de lettres d'autres langues ( R,J... espagnols, ch, h ... gutturaux... ), tout ça à cause d'un mauvais enseignement !....
Stanley : SHerlock Holmes n'est pas Russe ou TCHèque ! Mais c'est vrai que d'autres avalent la lettre H
comme on avalerait une bouffée d'opium !
Comme on en arrive à appauvrir l'alphabet d'une langue au lieu de l'enrichir par l'apport de lettres d'autres langues ( R,J... espagnols, ch, h ... gutturaux... ), tout ça à cause d'un mauvais enseignement !....
Message de Flor
La diction est parfaite ,la ponctuation correctement respectée et le son du choix musical,vraiment plaisant,n'empiète pas sur la lecture.
Merci de ces partages!
La diction est parfaite ,la ponctuation correctement respectée et le son du choix musical,vraiment plaisant,n'empiète pas sur la lecture.
Merci de ces partages!
Message de emy
Apres les commentaires négatifs de louvana jai ecouté une partie du texte et contrairement a elle je nai pas de probleme a conprendre et bien entendre stanley Un gros merci a stanley de me permettre d'écouter cet audio.
Apres les commentaires négatifs de louvana jai ecouté une partie du texte et contrairement a elle je nai pas de probleme a conprendre et bien entendre stanley Un gros merci a stanley de me permettre d'écouter cet audio.
Message de Ophélie
Je trouve lamentable les critiques concernant la voix de Stanley.
Tout le monde a le droit d'aimer ou de ne pas aimer un livre, une voix, mais n'oubliez pas que les lecteurs et lectrices enregistrent gratuitement et consacrent beaucoup de temps pour notre plaisir.
Alors un peu de respect pour ces personnes serait le bienvenu.
Je trouve lamentable les critiques concernant la voix de Stanley.
Tout le monde a le droit d'aimer ou de ne pas aimer un livre, une voix, mais n'oubliez pas que les lecteurs et lectrices enregistrent gratuitement et consacrent beaucoup de temps pour notre plaisir.
Alors un peu de respect pour ces personnes serait le bienvenu.
Message de Fred
Ah ! C'est vrais que la voix de Stanley ne laisse pas indifférent.
Personnellement je trouve ses lectures excellentes.
Ah ! C'est vrais que la voix de Stanley ne laisse pas indifférent.
Personnellement je trouve ses lectures excellentes.
Message de louvana
elle est horrible ta voix Stanley trop grave on comprend rien pas d ponctuation horrible
elle est horrible ta voix Stanley trop grave on comprend rien pas d ponctuation horrible
Message de lunelouvana
elle est horrible ta voix Stanley
elle est horrible ta voix Stanley
hello he bien je ne trouve pas que la voix soit trop grave
j ai franchement apprecier cette ecoute
merci a vous