La ruelle des lutins
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Publication : 2016-10-25
Lu par Sabine
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Illustration: Le sommelier, Arcimboldo (1527-1593)
"C’est qu’il y avait autrefois dans le pays du Limbourg [...] d’immenses souterrains dont personne n’avait jamais trouvé l’extrémité : ces souterrains, déserts en apparence le jour, devenaient la nuit la demeure de ces bons lutins..."
Illustration: Le sommelier, Arcimboldo (1527-1593)
"C’est qu’il y avait autrefois dans le pays du Limbourg [...] d’immenses souterrains dont personne n’avait jamais trouvé l’extrémité : ces souterrains, déserts en apparence le jour, devenaient la nuit la demeure de ces bons lutins..."
La ruelle des lutins
Nous rentrâmes à Aix-la-Chapelle par la porte de Cologne, et comme je le lui avais recommandé, mon cocher m’arrêta devant la ruelle des Lutins ; c’est encore une vieille tradition qui a donné à cette petite rue le nom de Hinzen Geeschen.
C’est qu’il y avait autrefois dans le pays du Limbourg, à l’endroit même où s’élèvent aujourd’hui les ruines de ce château d’Emmaburch, que, grâce à la tyrannie de Frédéric-Guillaume, je n’avais pu voir qu’en me démanchant le cou, d’immenses souterrains dont personne n’avait jamais trouvé l’extrémité : ces souterrains, déserts en apparence le jour, devenaient la nuit la demeure de ces bons lutins de la famille des Trilby, dont Nodier nous a écrit l’histoire ; là, ces gracieux enfants de la Terre, aux malices innocentes et aux folles joies, se réunissaient dès que le soleil était couché, et restaient jusqu’à une heure du matin rangés autour de longues tables, chantant des chansons dans une langue inconnue, et trinquant dans de petites coupes d’or, dont le choc imitait si bien le tintement d’une clochette qu’un jour un berger, qui avait perdu sa génisse, croyant qu’elle s’était enfoncée dans les souterrains, y descendit guidé par le son, et vit tout ce monde joyeux et souterrain buvant ses vins exquis et chantant ses folles chansons. Alors il comprit que ce bruit, qu’il avait pris pour celui de la clochette de sa génisse, était celui des petites timbales d’or, et il se retira aussitôt, sans que les lutins, qui cependant l’avaient vu, lui eussent fait le moindre mal.
Mais le berger ne leur garda point le secret qu’ils espéraient de lui, et sa première démarche, en sortant du souterrain, fut pour aller dénoncer à son confesseur les petits démons qui faisaient si bonne chère : le confesseur était un moine sévère qui n’aimait point les fêtes clandestines, et qui voulait qu’on ne s’amusât que les jours autorisés par le calendrier. Il fit une quête, rassembla une somme considérable, bâtit une église à l’endroit même où le berger était entré dans le souterrain, plaça une croix sur sa coupole, et vint en toute pompe et suivi du clergé dans la chapelle y dire une messe, et y procéder aux exorcismes indiqués par le rituel.
Mais il n’y avait pas besoin de tant de cérémonies : au premier coup de cloche, les pauvres petits diables de lutins avaient été forcés de déguerpir.
Cependant les exilés, privés de leur antique logement, avaient choisi un autre domicile ; et tandis qu’en punition de son indiscrétion le berger s’en allait mourant d’une maladie de langueur, ils s’étaient installés dans les souterrains d’une tour située entre les portes de Cologne et de Sand-Kaul. Mais hélas ! les pauvres petits diables n’avaient point eu le temps, en quittant leur domicile, d’en emporter le mobilier qui le garnissait ; de sorte qu’ils n’avaient plus ni plats d’argent ni timbales d’or ; de sorte qu’il leur fallait, chaque fois qu’ils avaient à célébrer quelque fête, emprunter des chaudières, des casseroles et des verres aux habitants des rues voisines ; ce qu’ils faisaient en entrant dans les maisons par les cheminées, et en emportant avec grand bruit les ustensiles dont ils avaient besoin, et que les habitants retrouvaient le lendemain soigneusement rapportés à leurs portes. Ils comprirent donc qu’il valait mieux, lorsque certains signes, comme le pétillement du feu, comme le hennissement des chevaux, comme le frémissement de la batterie de cuisine, leur annonçaient que c’était jour de fête chez les lutins, mettre d’eux-mêmes à la porte de leur maison les ustensiles que les visiteurs nocturnes avaient l’habitude de leur emprunter, et ainsi en agirent-ils. Les lutins, reconnaissants, ne firent plus aucun bruit, et les habitants des rues avoisinant la tour purent enfin dormir.
Mais il arriva qu’un soir deux braves soldats qui étaient logés à l’hôtel du Sauvage, justement situé dans la rue qu’on appelle aujourd’hui la ruelle des Lutins, virent l’hôtelier qui récurait les casseroles avec un soin tout particulier, et qui, lorsqu’elles étaient brillantes comme de l’argent, les mettait sur le pas de sa porte. Ils lui demandèrent alors dans quel but il se donnait tant de peine, et ayant appris que c’était à l’intention des lutins, ils se mirent à rire, et comme c’étaient des hommes qui n’avaient peur de rien, et ne croyaient ni en Dieu ni en diables, ils lui dirent : « C’est bien, rentrez vos casseroles, et nous allons nous mettre sur la porte, de sorte que quand les lutins viendront, au lieu de toute votre batterie de cuisine, ils trouveront deux épées bien affilées. » L’hôtelier fit tout ce qu’il put pour les empêcher de commettre cette imprudence ; mais les deux soldats relevèrent leurs moustaches en jurant le nom du Seigneur ; de sorte que l’aubergiste leur tira sa révérence, et les laissa faire à leur volonté.
Lorsque la nuit fut venue, les deux soldats se mirent en effet sur le seuil de la porte, que l’aubergiste referma derrière eux ; pendant quelque temps il les entendit causer amicalement, puis lorsque vinrent les dix heures du soir, il les entendit hausser la voix, puis se disputer, puis croiser le fer ; pendant quelque temps il put suivre le cliquetis des épées ; il cessa tout à coup, et un profond silence lui succéda.
Le lendemain, au point du jour, l’aubergiste sortit et trouva les deux soldats ; ils s’étaient battus et enferrés l’un l’autre.
On ne douta point que ce ne fût une vengeance des lutins ; aussi, le bruit de cette aventure étant venu aux oreilles du moine, il résolut de les chasser de la ville comme il les avait déjà chassés de l’Emmaburch : en conséquence, armé d’un bénitier et d’un goupillon, il descendit dans les souterrains de la tour, et les aspergea entièrement d’eau bénite, en accompagnant chaque aspersion des paroles puissantes qui déjà une fois les avaient chassés.
Depuis ce temps les lutins ont quitté Aix-la-Chapelle, et nul ne sait ce qu’ils sont devenus ; mais en mémoire du séjour qu’ils ont fait dans les souterrains de la tour, la rue où l’on trouva les deux soldats morts s’appelle encore aujourd’hui Hinzen-Geeschen, ou la ruelle des Lutins.
Comme nous n’avions plus rien à voir à Aix-la-Chapelle, nous rentrâmes vertueusement dans l’hôtel du Grand-Monarque, avec l’intention bien arrêtée de partir le lendemain matin, et d’aller coucher à Cologne.
Or, comme aucun lutin ne vint contrecarrer ce projet, le lendemain, à six heures du matin, nous mîmes, en quittant Aix-la-Chapelle, sa première partie à exécution.
Source: http://www.ebooksgratuits.com/ebooks.php
Nous rentrâmes à Aix-la-Chapelle par la porte de Cologne, et comme je le lui avais recommandé, mon cocher m’arrêta devant la ruelle des Lutins ; c’est encore une vieille tradition qui a donné à cette petite rue le nom de Hinzen Geeschen.
C’est qu’il y avait autrefois dans le pays du Limbourg, à l’endroit même où s’élèvent aujourd’hui les ruines de ce château d’Emmaburch, que, grâce à la tyrannie de Frédéric-Guillaume, je n’avais pu voir qu’en me démanchant le cou, d’immenses souterrains dont personne n’avait jamais trouvé l’extrémité : ces souterrains, déserts en apparence le jour, devenaient la nuit la demeure de ces bons lutins de la famille des Trilby, dont Nodier nous a écrit l’histoire ; là, ces gracieux enfants de la Terre, aux malices innocentes et aux folles joies, se réunissaient dès que le soleil était couché, et restaient jusqu’à une heure du matin rangés autour de longues tables, chantant des chansons dans une langue inconnue, et trinquant dans de petites coupes d’or, dont le choc imitait si bien le tintement d’une clochette qu’un jour un berger, qui avait perdu sa génisse, croyant qu’elle s’était enfoncée dans les souterrains, y descendit guidé par le son, et vit tout ce monde joyeux et souterrain buvant ses vins exquis et chantant ses folles chansons. Alors il comprit que ce bruit, qu’il avait pris pour celui de la clochette de sa génisse, était celui des petites timbales d’or, et il se retira aussitôt, sans que les lutins, qui cependant l’avaient vu, lui eussent fait le moindre mal.
Mais le berger ne leur garda point le secret qu’ils espéraient de lui, et sa première démarche, en sortant du souterrain, fut pour aller dénoncer à son confesseur les petits démons qui faisaient si bonne chère : le confesseur était un moine sévère qui n’aimait point les fêtes clandestines, et qui voulait qu’on ne s’amusât que les jours autorisés par le calendrier. Il fit une quête, rassembla une somme considérable, bâtit une église à l’endroit même où le berger était entré dans le souterrain, plaça une croix sur sa coupole, et vint en toute pompe et suivi du clergé dans la chapelle y dire une messe, et y procéder aux exorcismes indiqués par le rituel.
Mais il n’y avait pas besoin de tant de cérémonies : au premier coup de cloche, les pauvres petits diables de lutins avaient été forcés de déguerpir.
Cependant les exilés, privés de leur antique logement, avaient choisi un autre domicile ; et tandis qu’en punition de son indiscrétion le berger s’en allait mourant d’une maladie de langueur, ils s’étaient installés dans les souterrains d’une tour située entre les portes de Cologne et de Sand-Kaul. Mais hélas ! les pauvres petits diables n’avaient point eu le temps, en quittant leur domicile, d’en emporter le mobilier qui le garnissait ; de sorte qu’ils n’avaient plus ni plats d’argent ni timbales d’or ; de sorte qu’il leur fallait, chaque fois qu’ils avaient à célébrer quelque fête, emprunter des chaudières, des casseroles et des verres aux habitants des rues voisines ; ce qu’ils faisaient en entrant dans les maisons par les cheminées, et en emportant avec grand bruit les ustensiles dont ils avaient besoin, et que les habitants retrouvaient le lendemain soigneusement rapportés à leurs portes. Ils comprirent donc qu’il valait mieux, lorsque certains signes, comme le pétillement du feu, comme le hennissement des chevaux, comme le frémissement de la batterie de cuisine, leur annonçaient que c’était jour de fête chez les lutins, mettre d’eux-mêmes à la porte de leur maison les ustensiles que les visiteurs nocturnes avaient l’habitude de leur emprunter, et ainsi en agirent-ils. Les lutins, reconnaissants, ne firent plus aucun bruit, et les habitants des rues avoisinant la tour purent enfin dormir.
Mais il arriva qu’un soir deux braves soldats qui étaient logés à l’hôtel du Sauvage, justement situé dans la rue qu’on appelle aujourd’hui la ruelle des Lutins, virent l’hôtelier qui récurait les casseroles avec un soin tout particulier, et qui, lorsqu’elles étaient brillantes comme de l’argent, les mettait sur le pas de sa porte. Ils lui demandèrent alors dans quel but il se donnait tant de peine, et ayant appris que c’était à l’intention des lutins, ils se mirent à rire, et comme c’étaient des hommes qui n’avaient peur de rien, et ne croyaient ni en Dieu ni en diables, ils lui dirent : « C’est bien, rentrez vos casseroles, et nous allons nous mettre sur la porte, de sorte que quand les lutins viendront, au lieu de toute votre batterie de cuisine, ils trouveront deux épées bien affilées. » L’hôtelier fit tout ce qu’il put pour les empêcher de commettre cette imprudence ; mais les deux soldats relevèrent leurs moustaches en jurant le nom du Seigneur ; de sorte que l’aubergiste leur tira sa révérence, et les laissa faire à leur volonté.
Lorsque la nuit fut venue, les deux soldats se mirent en effet sur le seuil de la porte, que l’aubergiste referma derrière eux ; pendant quelque temps il les entendit causer amicalement, puis lorsque vinrent les dix heures du soir, il les entendit hausser la voix, puis se disputer, puis croiser le fer ; pendant quelque temps il put suivre le cliquetis des épées ; il cessa tout à coup, et un profond silence lui succéda.
Le lendemain, au point du jour, l’aubergiste sortit et trouva les deux soldats ; ils s’étaient battus et enferrés l’un l’autre.
On ne douta point que ce ne fût une vengeance des lutins ; aussi, le bruit de cette aventure étant venu aux oreilles du moine, il résolut de les chasser de la ville comme il les avait déjà chassés de l’Emmaburch : en conséquence, armé d’un bénitier et d’un goupillon, il descendit dans les souterrains de la tour, et les aspergea entièrement d’eau bénite, en accompagnant chaque aspersion des paroles puissantes qui déjà une fois les avaient chassés.
Depuis ce temps les lutins ont quitté Aix-la-Chapelle, et nul ne sait ce qu’ils sont devenus ; mais en mémoire du séjour qu’ils ont fait dans les souterrains de la tour, la rue où l’on trouva les deux soldats morts s’appelle encore aujourd’hui Hinzen-Geeschen, ou la ruelle des Lutins.
Comme nous n’avions plus rien à voir à Aix-la-Chapelle, nous rentrâmes vertueusement dans l’hôtel du Grand-Monarque, avec l’intention bien arrêtée de partir le lendemain matin, et d’aller coucher à Cologne.
Or, comme aucun lutin ne vint contrecarrer ce projet, le lendemain, à six heures du matin, nous mîmes, en quittant Aix-la-Chapelle, sa première partie à exécution.
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< et comme je le lui avais recommandé > et non pas < et comme je le lui avais demandé > !?
Merci.