Retour au menu
Retour à la rubrique poesies
UNE SOIRéE à STRASBOURG
Écoute ou téléchargement
Commentaires
Biographie ou informations
illustration: Domaine public, https://commons.wikimedia.org/w/index.php?curid=583702
Musique : Suite Gothique, Op. 25 - 3. Prière à Notre-Dame (For Accordion Orchestra - De Bra)
Accordion orchestra Avanti
https://musopen.org/fr/music/30024-suite-gothique-op-25/
Texte ou Biographie de l'auteur
Une soirée à Strasbourg conte en vers écrit par Théodore Botrel Au lieutenant Ch. Cabon. C'est encore un récit de la dernière guerre Que ma mère souvent me racontait naguère: Bien entendu la scène est toujours à Strasbourg Près la place Kléber, en un calme faubourg Où le bruit cadencé d'une prudente ronde Trouble seul le silence -- au loin le canon gronde Si bas, que l'on dirait un long bourdonnement. C'est quinze jours après l'affreux bombardement. Dans la ville en vainqueur l'Allemagne se vautre; Son noir drapeau partout a remplacé le nôtre; Le sol, malgré la pluie, est à peine lavé De tout le sang français qui rougit le pavé. Ne voulant pas survivre à tant de flétrissures Des blessés refuaient de soigner leurs blessures!... Les maison qui fumaient depuis quinze longs jours, La rue où des éclats d'obus traînaient toujours, Jusqu'au ciel assombri qui pleurait sur l'Alsace Tout nous soufflait au coeur une haine vivace... Mais ceux qui nous avaient vaincus, mais non soumis, Finissaient par se croire un peu de nos amis. Ils allaient par la ville en frisant leur moustache, Laissant traîner leur sabre avec un air bravache, Faisaient des mots d'esprit, riaient d'un rire épais En bénissant la guerre et maudissant la paix; Caressaient les enfants, et, repus, le teint rose, Trouvaient que l'existence est une exquse chose... Mais patience, allez, car votre tour viendra Où comme notre coeur, votre coeur saignera! Donc ma mère, à Strasbourg, connaissait une dame Qui, bien que détestant la Prusse au fond de l'âme Logeait chez elle deux officiers allemands D'un blond fade tous deux, sanglés dans leurs dolmans Se croyant les phénix de l'humaine nature Ils se miraient longtemps dans chaque devanture. Trsè bon garçons d'ailleurs quand leur digestion Etait bonne et lorsque l'énorme ration De saucisson, de lard, de bière et de choucroute Avait pu se caser chez eux coùte que coùte, Ou quand leur pipe blanche au tuyau de bois noir Brûlait sans accident du matin jusqu'au soir. S'entendant assez bien avec leur vieille hôtesse, Li reprochant un seul défaut: l'impolitesse... Ils trouvaient fort étrange en leur naïveté De n'être pas priés à prendre un peu de thé Quand la dame le soir recevait ses amies... --Hé! cela leur eût fait quelques économies!-- Voyons, songez un peu! Il ne suffisait pas D'assurer à ces deux messieurs de bons repas, Un lit blanc, moelleux, une chambre bien claire, Il eu fallu songer encore à les distraire... La dame évidemment manquait à son devoir! Ils s'en plaignirent fort amèrement un soir La pipe entre les dents et les mains dans leurs poches La dame se senti pâlir sous leurs reproches D'autant que connaissant ces rustres à galons Leur demande disait clairement: "nous voulons". Elle se recueillit un instant sans rien dire Puis auant sur la lèvre un bizarre sourire Elle leur dit avec un salut gracieux: "Je reçois des amis, demain; venez, Messieurs!" Sanglés, frisés, le jour suivant dans la soirée Dans le petit salon ils firent leur entrée. Leur hôtese accourut les recevoir au seuil Sombre comme toujours en sa robe de deuil. Sous la lampe, épandant ses clartés indécises, Plusieus dames, en noir comme elle, étaient assises Ressemblant avec leur visage triste et beau A des anges veillant aux portes d'un tombeau. Nos Prussiens frissonnaient sans rien laisser paraître Et la dame leur dit: "Vous désirez connaître Les amis qui parfois me viennent visiter? Permettez-moi, messieurs, de vous les présenter: D'abord mademoiselle Annette, ma cousine Dont le père est, dit-on, mort à Sarreguemine; Puis Madame Weber qui vient de voir les siens Massacrés à Beaumont par les Hulans prussiens; Madame Hans dont la mère aveugle, pauvre vieille! Par quelques Bavarois fut brûlée à Bazeille; Puis Madame Müller dont l'aïeul, vieux aussi, Eut les poignets coupés, par vous, à Buzancy; Mademaoiselle Klein qui vit à Rezonville Ses frères fusillés au milieu de la ville; Voici Madame Schwartz dont le frère, un tambour, Mourut battant encore la charge à Wissembourg; Madame Heid qui dut voir un jour, spectacle atroce, Sa grand'mère, à Forbach, tuée à coups de crosse; Puis Madame Schneider: son oncle un vieux curé Pris comme otage fut lâchement massacré; Et dans ce coin Madame Hafner qi devint folle En voyant ses enfants brûler dans leur école; Auprès d'elle ma nièce, a souffert presqu'autant: Son jeune fiancé, prisonner de Sedan, Sous les yeux d'un farouche et sauvage adversaire, Est mort de faim, là-bas au "Camp de la misère"; Enfin Madame Hertz, dont les fils, deux officiers, Périrent à Morsbronn avec leurs cuirassiers. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Et tandis que l'hôtesse évoquait tant de drames, Remuait ce passé sanglant, les autres dames Revoyant leurs enfants, leurs frères, leurs maris Trouvaient encor des pleurs dans leurs yeux non taris... Songeant que leur gaîté ne serait plus de mise, Que leur digestion en serait compromise, Croyant voir autour d'eux des fantômes rôder, Comprenant la leçon que vient de leur donner L'hôtesse qui pourtant à s'asseoir les invite, Les officiers prussiens filèrent au plus vite!... Et les dames en deuil, sans témoins depuis lors, Purent prier en paix pour la France et leurs morts!
Source: https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k3174814.image
Retour à la rubrique poesies
Retour au menu