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EGRISELLE ET TOI

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Musique : camille Saint Seans le carnaval des animaux:https://musopen.org/
Illustration d'après https://pixabay.com/ Domaine public






Texte ou Biographie de l'auteur

 


Sabine HUCHON


Egriselle et Toi

Egriselle est une sorcière comme toutes les sorcières: chapeau noir, nez crochu, verrue à la joue, menton pointu, robe en zaillons. Tout ce qu’il y a de plus affreulaid, bien entendu. Elle a 215 ans. Elle habite dans une vieille cabane en bois toute déglingandée et poussiéreuse, au pays des Quatre-vents. Du coup, elle a toujours froid.


Elle ne se lave pas souvent et ne sent pas très bon. Elle n’a pas changé ses vêtements depuis… Ça fait tellement d’années qu’elle ne s’en rappelle plus. On ne peut pas faire de shoppine au pays des sorcières.


Elle est grande, un peu trop à son goût. Elle voudrait dégrandir un peu. Elle est grosse aussi. Dans le pays des Quatre-Vents, on ne mange que des cornes flasques au jus de dragon au petit déjeuner, et de la choucrounouille (sorte de choucroute à la grenouille) tous les midis et tous les soirs. Notre sorcière a donc pris soixante kilos et ressemble à une boule de goulingue. Il faut dire que pour elle, tous les chemins mènent au garde-manger…


Comme toutes les sorcières, Egriselle est un peu bougonne et susceptible, elle adore faire des petites farces un peu vaches. Mais elle ne parvient pas à être vraiment méchante et ne terrorifie personne. Les gens se moquent plutôt d’elle. Surtout quand elle chante, elle qui aime tant chanter. D’ailleurs elle aurait aimé être Bianca Castafiotte ou Crala Burni, puisqu’elle a la compétence du chantage. Elle s’entraîne en faisant des buccalises, mais elle est encore un peu trop jeune pour devenir une diva.


Devant les moqueries des gens du pays des Quatre vents, Egriselle décida un jour de s’instruire. Nouvel échec: elle ne possède qu’un seul livre: Utilisage des balles de cristal et hynoptisme. C’est Einstein qui lui avait prêté en lui faisant promettre de lui rendre au plus vite, mais elle ne lui a jamais rendu. C’est une sorcière, sapribule, elle n’a donc pas de parole!


Cependant, à son grand désespoir, depuis quelques mois Egriselle ne vit plus toute seule. Elle a un compagnon qui vit sur son chapeau : TOI, une bestiole rampante, espèce de grand ver de terre aux cheveux rouges. Qui pourra dire un jour comment cette bête est arrivée là… C'est un mystère.


Pour résoudre cet irrésoudable problème, hier elle a téléphoné à sa cousine Tatale, la reine des sorcières du pays des Quatre-Vents, pour qui la magie n'a pas de secret. Et aujourd’hui, à l’heure de la choucrounouille du midi, Tatale entre sans frapper dans la cabane.


Les deux cousines se pincent la joue en guise de bonjour.


— Bonjour Egriselle. Je n’ai rien compris à ton coup de fil. Qu’est-ce que c’est que cette histoire de toiture ?


— Bonjour Reine Tatale. Une histoire de toiture ? Tu divagues, ma cousine. Je t’appelle pour me débarrasser du ver à touffe rouge qui vit dans mon chapeau. Il s’appelle Toi.


— Voyons cela de plus près, répondit Tatale en enfilant ses lunettes en peau de plastique.


Elle s’approche du chapeau:


— Qui es-tu, petit vermisseau à crête ?


— Ne te moque pas, répondit Toi gentiment, en baissant les yeux. J’ai été rejeté par les miens à cause de ma grosse touffe de cheveux rouges tout ébourritouffus. Mes parents m'ont abandonné à moitié acrabouilli au bord d’un chemin. Mais heureusement je suis résurectionné, et le chapeau d’Egriselle me sert désormais d’habritation. C’est chouette ici, je suis nourri, blanchi, logi. Je m’appelle Toi, car personne ne m’a jamais donné de prénom. Tout le monde s’adressait à moi en me disant « Hé, toi ».


Toute attendrie, déjà Tatale, pleure:


— Pauvre petit bouchon, petit orphelin abandonné, dit-elle en le caressant. Puis se tournant vers Egriselle:


— Comme il est mignon!


C'est la goutte d’eau qui dépasse les bornes. Egriselle se fâche :


— Chaque fois que je me regarde dans mon miroir, je vois cette horrible petite bestiole gigoter sur ma tête. Et je me mire souvent, je suis coquette, moi. Je mets même du rouge à zongles, regarde.


— Pouah! s'exclama Tatale. Tes ongles sont si sales qu'on ne voit même pas de quelle couleur tu les as peints.


Egriselle fait semblant de n'avoir rien entendu, et continue ses doléances:


— De toute façon je vais le briser en mille morceaux, ce miroir. Il ne me dit plus que des méchancetés.


On entend alors le miroir se moquer d’Egriselle :


— Si tu n’avais pas donné la pomme empoisonnée à Blanche-Neige, elle ne se serait pas endormie! Donc elle n’aurait pas rencontré le Prince Charmant et serait aujourd’hui encore la serviteuse de ces affreux petits nains incultes, elle serait toute bouffie, toute usée. Tu aurais peut-être été la plus belle, aujourd'hui…


Puis il chanta à tue-tête :


 


«Egriselle, ma grande beauté!


Ne veux-tu pas te présenter


à un concours de mocheté?


Il y a un miroir à gagner.


Dis-moi qui est la plus belle…


C’est pas la sorcière Egriseeeelle !!!»


 


— Tu vois Tatale, dit Egriselle en s’effondrant de désespoiritude sur sa chaise sans dossier. C’est comme ça tous les jours.


En entendant cela, Toi se met à vociférer lui aussi:


 


« Sorcière commère mémère cafetière théière.


Arrête de manger, Egriselle, tête inhospitalière,


tu vas devenir une sorcière au gros derrière!


Cuillère nucléaire annuaire… gros derrière…».


 


Sauf qu’il chante en charabia que seule Egriselle peut comprendre. Tatale, qui croit que le ver a chanté une jolie chanson, est encore plus émue :


— Comme il chante bien, ce mignon petit Toi.


— Assez! Assez! Tu te trompes, s'écrie Egriselle. Il ne dit que des horreurs. Tu dois l’ensorcevouter. J’ai déjà essayé mille douze fois, mais dans l’« Utilisage des balles de cristal et hynoptisme », il n’y a rien sur l’ensorcevoutement des touffus.


Toi veut encore prendre la parole pour se défendre, mais Egriselle l’interrompt:


— Eh, Cheveux d’or, tu veux que je te prête mon peigne ?


— T'en a même pas, de peigne, vieille tête crépue…


— Si tu continues à te moquer de moi, le ver de terre, je vais te…


— Ô Egriselle, tu es si belle que je me noie dans le bleu de tes yeux. AU SECOURS, AU SECOURS, elle essaye de me noyer avec ses yeux… 


 


Et pendant que ces deux-là se disputent à nouveau, Tatale fait lentement le tour d'Egriselle, les yeux fixés sur le chapeau, puis elle va tranquillement s'asseoir devant la cheminée. Elle réfléchit longtemps, en silence: pourquoi ma cousine veut-elle que j'ensorcevoute ce joli petit animal? Moi, il me fait rire avec sa grosse touffe rouge sur la tête. Et il chante si bien. Pauvre petite bête; il a été si malheureux, auparavant.


Elle se lève, s'approche d'Egriselle avec son air sérieux, et lui déclare :


— Réfléchissons bien avant de l'ensorcevouter, ma chère cousine. Il ne faut pas vendre la charrue avant d’avoir tué l’ours !


Alors le vers, qui vois tout, qui entend tout, reprend son charabia:


« Dis donc, jolie fleur des près,


Egriselle la ploubelle,


tu veux éliminer


l’ami de ton chapeau ?


Perduuuuuu !!!!!!


Egriselle, soleil de mes nuits,


Egriselle, belle de mes jours,


Ne désespère plus,


Ton prince est venu… c'est mooooi. »


 


— Que ton poème sonne bien à mes oreilles, dit Tatale en souriant au ver de terre. Mais en quelle langue parles-tu?


Toi n'a pas le temps de répondre. Egriselle est furieuse:


— Saprenule! Tais-toi, Toi. Tu n’es qu’un ersatz de serpent à touffe, une nouille tombée de l’assiette, un asticot anorestique. Méfie-toi: la vengeance est un plat qui se mange sans faim.


Elle soupire:


— Il n’a pas inventé la poudre à vapeur celui-là!


Tatale se fâche, elle fait la leçon à Egriselle:


— Ma chère cousine, tu exagères! Les sorcières aussi doivent faire preuve d’un peu d’amour et de générosité. Et Toi est un animal charmant. Je ne ferai rien pour le faire disparaître ou le transformer en pierre. Pendant cent ans tu continueras donc à t’occuper de ce pauvre petit orphelin qui ne te veut que du bien.


Et Pouf! D’un coup de baguette magique, elle disparaît.


 


Que voulez-vous, mes petits amis: on ne croit que ce que l'on voit. Et si Egriselle voit un méchant vers sur son chapeau, Tatale y voit une gentille petite bête toute mignonne qu'il faut protéger.


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