Raymond BELTRAN
Le 10 novembre 2009
Nouvelles colonisations
Les journalistes ont fait leur travail d’information. Les organes idéologiques sont restés muets. Serait-il politiquement correct de ne pas s’en émouvoir ?... Je le ferai quand même…
Le 15 avril dernier Le Monde évoquait une colonisation en cours… l’IIED (Institut international de l’environnement et du développement), en collaboration avec la FAO (Agence de l’Onu pour l’alimentation et l’agriculture) et le FIDA (Fonds international de développement agricole), a publié le 25 mai un rapport sur la question… Depuis nous avons entendu le silence : serait-il approbateur ?... Selon ce journal :
• La Corée du Sud aurait-acquis 2,3 millions d’hectares : 1 300 000 à Madagascar, 690 000 au Soudan, 270 000 en Mongolie, 25 000 en Indonésie et 21 000 en Argentine.
• La Chine aurait acquis 2,1 millions d’hectares : 1 240 000 aux Philippines, 43 000 en Australie, 81 410 en Russie, 700 000 au Laos, 10 000 au Cameroun, 7 000 au Kazakhstan, 5 000 à Cuba, 4 046 en Ouganda, 1 050 au Mexique et 300 en Tanzanie. • L’Arabie Saoudite 1,6 millions d’hectares dont 1 600 000 en Indonésie et 10 117 au Soudan.
• Les E. A. U. (Emirats arabes unis) 1,3 millions d’hectares dont 900 000 au Pakistan, 378 000 au Soudan, 3 000 aux Philippines et 1 500 en Algérie.
• La Lybie a proposé en 2008 à l’Ukraine du pétrole et du gaz contre des terres fertiles en location. La Qatar en possède en Indonésie, le Koweït en Birmanie, etc.
Ces Etats ont investi dans des terres agricoles pour assurer leur approvisionnement. Il ne s’agit pas d’évènements négligeables et cela ne va pas sans conséquences sur les paysans vivant dans les lieux d’implantation de ces colonies...
Les organismes internationaux se sont inquiétés car les terres en question sont propriété des Etats, que les paysans qui les travaillent n’en ont qu’un droit d’usage et que la répartition des récoltes entre l’exportation et la consommation locale n’est pas souvent précisée dans les accords conclus.
De 15 à 20 millions d’hectares ont été attribuées, principalement en Afrique. Cela représente, toujours d’après Le Monde, l’équivalent de toutes les terres arables de France.
Il s’agit bien d’un nouveau système de colonisation par la création d’annexes extraterritoriales pour les pays qui n’en ont pas en suffisance chez eux pour leur population.
Le Monde cite un économiste, J.Y. Carfantan, qui estime « qu’un million de paysans chinois pourraient être installés sur ces terres » où la Chine a implanté des fermes : en Zambie, au Zimbabwe, en Ouganda et en Tanzanie. Selon lui « il est clair qu’une bonne partie des récoltes sera exportée en Chine ».
L’information dans Le Monde à partir du rapport publié est très détaillée. Je l’ai résumée ici. Rien n’est secret et ceux qui veulent savoir savent.
Nous avons l’habitude de voir accuser « les occidentaux » de néo-colonialisme pour leurs interventions dans les anciennes colonies, devenues indépendantes depuis 50 ans. C’est pourquoi je relève ici, face à cette nouvelle situation, le peu d’empressement des dénonciateurs habituels à réagir.
Peut-être que c’est une manière de rendre plus productives les agricultures des pays où s’implantent ces nouvelles fermes… Mais n’était-ce pas cela une des raisons avancées pour justifier l’implantation des colonies déjà au 19è siècle ?...
Peut-être que le silence, devenu approbateur par défaut, tient au fait qu’il serait politiquement incorrect d’accuser de colonialisme les pays cités qui installent hors de chez eux une agriculture complémentaire…
Selon les époques, les justifications pour étendre son « espace vital », pour coloniser des pays retardés économiquement, pour délocaliser ses productions, reposent sur des considérations morales affichées pour l’extérieur, mêlées à des considérations économiques cyniques. Cela n’a pas changé !...
Les "extensions territoriales" en cours se justifient par la nécessité de trouver de quoi nourrir ses habitants, parce qu’ils sont trop nombreux, alors qu’on manque de terres agricoles sur place. Le problème du devenir des habitants des pays recolonisés à cette occasion se pose cependant.
Si les associations qui sont vigilantes contre le néo-colonialisme « occidental » n’ont pas bougé, il est heureux que les organismes internationaux, accusés souvent de tous les maux, l’aient fait. Ils ont su montrer l’inquiétude que suscitent ces occupations de sols pour le développement des pays récepteurs.
Le colonialisme est très souvent perçu à travers des filtres idéologiques en pour ou en contre. On ne craint pas l’anachronisme dans les jugements, en adoptant les points de vue actuels pour estimer les raisons du passé… Il est certain que la création d’empires coloniaux n’était pas motivée par des raisons altruistes en faveur des populations locales. Il est sûr qu’il y a eu exploitation des ressources en faveur de la métropole et de certains colons… Il n’en demeure pas moins qu’à côté du négatif il y a eu aussi du positif dans les évolutions enclenchées alors. Même dans le noir il y a du blanc.
Le néo-colonialisme n’est pas étranger au maintien de relations commerciales entre les anciennes colonies et la métropole antérieure. La rupture totale après l’indépendance n’était pas souhaitée et n’aurait pas été dans l’intérêt des anciens colonisés. Mais les relations 50 ans après devraient maintenant prendre une autre tournure et leur développement devrait retenir pour priorité l’intérêt réciproque des deux partenaires : Une vraie coopération !
La plaie de ces relations tient à la corruption endémique des élites dirigeantes de ces ex-colonies, à l’accaparement des richesses de ces pays par une oligarchie qui oublie le bien des habitants, exploités toujours, toujours colonisés par leurs propres dirigeants, lesquels tirent bénéfice de ce néo-colonialisme et favorisent son maintien dans leur propre intérêt.
Il est à craindre que ce nouveau colonialisme des fermes délocalisées, de ces « haciendas », nouveaux latifundia coloniaux, ne deviennent une nouvelle forme d’exploitation des terres mais aussi des paysans locaux.
Ces implantations pourraient avoir un côté positif dans la transformation de l’agriculture locale par l’exemple donné, avec les méthodes non traditionnelles introduites, et par les investissements qui seront affectés à ces fermes. Mais elles peuvent également ruiner l’agriculture vivrière traditionnelle et rendre les populations locales encore plus dépendantes de l’aide internationale et les mettre ainsi encore plus sous tutelle.
Cela s’est déjà vu pour les aides alimentaires comme pour les incitations à produire des légumes pour l’exportation. Tant que les dirigeants locaux ne seront pas plus soucieux du bien être de leurs « citoyens » que de leurs biens personnels on peut craindre que les nouveaux « compradores » ne deviennent de nouveaux colons.
Raymond BELTRAN
Le 10 novembre 2009