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MONSTRO-GéNèSE
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Illustration: Jérôme Bosch - Les 7 Péchés Capitaux - Domaine public
Vous prenez les sept dans l'ordre, vous les mettez dans le désordre, ajoutez à cela mon désordre et ça nous donne ça : Un face à face entre le monstre et le juge, un huis clos entre le péché et toi, lecteur. J'attends votre verdict...
Texte ou Biographie de l'auteur
Jost Vincent
Monstro-génèse,
1) Envie
Avant de me juger, il faut que je vous dise l'enfance malheureuse qui m'a fait être moi.
Aussi loin que je puise au fond de ma mémoire, depuis déjà petit j'ai toujours eu très faim.
Non pas que mes parents ne me nourrissaient pas, j'avais faim d'autre chose ! Oui, j'avais faim de ces choses que tous à la télé semblaient se procurer avec facilité :
– Un beau blouson rayé
– Un maillot de champion
– Une paire de baskets
– Un lecteur MP3
– Le dernier Phone à pomme
– … Tout c' que je n'avais pas.
Pourtant, tous ces objets souvent me regardaient lorsque je les croisais au hasard d'un rayon quand nous allions aux courses.
Mais là, pauvres parents, faisaient ce qu'ils pouvaient pour contenter les manques qui m'opprimaient tant.
Mais las, pauvres parents, ne pouvaient dépenser pour moi plus d'argent qu'ils ne devaient gagner.
J'ai vite compris alors, qu'ils ne gagneraient jamais assez d'euros pour pouvoir combler l'ensemble de mes besoins cruciaux, il a donc bien fallu que je me débrouille.
2) Colère
Ainsi, dès que l'objet me le demandait et que mes parents m'expliquaient que je ne pouvais pas tout avoir, je m'arrangeais pour que ce dernier trouve une place auprès de moi.
Petit à petit, ce ne sont plus seulement les produits des magasins qui chantaient dans ma tête, mais ce furent aussi ceux des autres.
La première fois qu'une telle chose s'est présentée à moi, je me souviens, c'était une montre assez spéciale : on devait additionner les couleurs rouges pour lire les heures et les bleues pour les minutes. Ce genre de gadget qui ne servait surtout pas lorsque nous désirions connaître l'heure rapidement, mais qui voulait absolument être à moi.
Dans un premier élan amical, j'expliquais au futur ex–propriétaire que sa montre voulait être à moi et qu'il fallait qu'il me la donne. Ce dernier crut, dans un premier temps, que je lui faisais une blague. Constatant mon insistance, il se mit à me repousser en me surnommant: « l'idiot ».
C'était trop pour moi, trop dur et trop injuste. Je le collai contre le mur, le rouai de coups et récupérai mon bien sans qu'il ne dise plus rien.
À l'école, chacun connaissait ma force, chacun savait ce que je pouvais faire quand je voulais quelque chose. Je n'eus plus jamais de gros problèmes à récupérer ce qui m'appartenait.
3) Avarice
Jusqu'à la fin de ma scolarité, je n'ai plus jamais ennuyé mes parents avec mes idées de possession.
Je ne sais si ça les arrangeait de croire que je m'étais assagi, mais il me semble qu'ils étaient plutôt fiers de moi et fiers d'avoir engendré un garçon si raisonnable avec eux.
Bien que possédant réellement beaucoup plus que ce que j'aurais cru être capable d'avoir, je ne me lassais jamais de posséder. Ma technique avait énormément progressé. Je ne perdais plus de temps à expliquer ce que je voulais, je prenais. Je n'attendais plus non plus que les biens me demandent d'être à moi, je me servais.
J'entassais ainsi des portefeuilles, plusieurs sacs, toutes sortes de téléviseurs, des téléphones dont je ne connaissais pas le mode d'emploi... tout ce que je pouvais emporter avec moi dans l'instant était récupéré et entassé dans mon musée.
Je gardais, tout. Il n'était pas question pour moi de faire du commerce avec ce qui m'appartenait, ni même d'offrir le moindre de mes biens.
À cette époque, tout ce que je voulais, c'était entasser tout ce que je pouvais et de le garder comme faisant partie intégrante de mon univers illusoire.
J'ai grandi, quitté l'école sans quitter mes biens, mais cela ne me suffisait plus; j'avais d'autres besoins.
4) Luxure
Ce fut plus qu'un tournant, une révélation dans ma vie. Rien n'était devenu plus simple pour moi que d'obtenir les choses que je désirais. Le plaisir d'avoir avait maintenant une durée de plus en plus restreinte et je commençais même à redistribuer une partie de ce que j'avais entassé en échange de divers services à quelques personnes de mon entourage.
Oui, à ceux qui font ou ont fait partie de mon gang comme vous l'appelez !
C'est à cette époque que j'ai connu ma première fille et que j'ai découvert les plaisirs de la chair, le plaisir de posséder quelqu'un.
Pour quelques sous, je lâchais sur ces filles un peu de mon empreinte. L'alcool, la drogue et le plaisir étaient devenus mon quotidien. Et plutôt que de louer mon plaisir, petit à petit je m'arrangeais pour posséder mon plaisir afin d'en disposer quand je le désirais.
J'ai ainsi acheté nombre de filles, nombre de boîtes à alcool, nombre de plantations à écouler. Sur le trottoir, dans mes bars ou mes hôtels, mes filles devaient gagner de quoi assouvir leurs besoins.
Du monde entier, je connaissais les plaisirs et les faisais partager aux braves gens comme vous qui pouviez me payer ou me rendre un service en retour. Je vendais, louais du plaisir pour mon plaisir, et pourtant, j'avais toujours faim.
5) Gourmandise
Depuis longtemps, je n'avais plus besoins d'user de ma force pour obtenir ce que je voulais. D'autres que moi s'occupaient alors très bien de réaliser mes volontés ou d'assouvir ma colère.
Mon corps n'ayant plus trop d'utilité, il devint réceptacle de tout ce que je pouvais lui donner. Tout dans ma vie tournait autour du plaisir. Je refusais catégoriquement de connaître deux fois la même chose. Je voulais une fille différente chaque jour, un petit déjeuner différent tous les jours, un déjeuner et un dîner différent, des boissons différentes.
Je voulais tout connaître, tout goûter.
Je devais tout connaître et tout goûter.
Mon appétit vorace des choses me fit alors découvrir les plus subtils des mets jusqu'aux plus répugnants aussi. Mais quelle qu'en soit l'appétence, il fallait chaque jour que j'aille au bout de mon envie.
Savez–vous le plaisir que procure le cœur frais d'un enfant qui vous déverse en bouche délicatement un peu de sang lors d'un dernier battement ? Non, vous ne le connaissez pas, bien sûr !
Durant des années, j'ai tout connu des plaisirs que l'on pouvait trouver sur cette planète. Ma réputation d'insatiable personne me fit rencontrer tout le beau monde du globe. Et, fortune malfaisante faisant, je devins un incontournable des groupuscules influant sur ce monde.
6) Orgueil
Regardez donc mon chemin. Et avant de me juger, demandez–vous si vraiment vous pouvez le faire.
D'un rien, par la force et ma volonté, je suis arrivé au plus haut niveau de la société.
Je suis respecté de tous et l'on craint de devoir me déplaire. Je connais tout de tout, les travers de vos pairs, les fantasmes de vos collègues, les vôtres aussi d'ailleurs ! Je n'ai toujours pas compris comment j'ai pu me retrouver aujourd'hui face à vous, face à votre regard inquisiteur qui voudrait, je le vois, me juger et me condamner pour m'être laissé aller à devenir ce que je suis.
Je suis à la tête d'une fortune si grande que je me substitue souvent aux banques pour prêter aux États. Je suis sans doute la moins populaire des personnes les plus influentes sur Terre, mais ce que je suis fait de moi le maître de cette Terre.
Et si j'en suis arrivé là, seul, c'est parce que je n'ai jamais eu besoin de personne pour monter les marches de notre pyramide. Ma seule gloire, mon seul mérite sont d'être devenu Moi par ma seule force et ma seule volonté.
Ni Dieu, ni Chance, ni aucun autre Homme ne pourront jamais m'enlever ce que j'ai fait de Moi.
7) Acédie
Toi, petit juge qui voudrais me voir condamné au nom de la justice ou même au nom de Dieu, sache que je ne réponds que de mon nom.
Tes rêves pieux de justice divine ou humaine me sont une belle farce.
L'Homme est un être de plaisir et tu veux me condamner d'en avoir eu et d'en avoir donné.
Ma fortune n'est que le reflet des plaisirs interdits par vos belles doctrines, mais que ceux qui peuvent payer veulent pouvoir atteindre.
Tu me vois comme une incarnation du mal, moi qui ne procure que du bien.
Ta Bible est une énumération de cadavres, tes lois sont des lobotomies sans incision. En vérité, je te le dis, que peux–tu me reprocher ?
Quand ma vie ne sera plus, l'Homme cherchera toujours à combler tous ces manques que je lui propose. Alors, un autre que moi les leur procurera.
Je suis donc nécessaire à ces personnes et pour cette raison, tu ne pourras jamais rien contre moi.
Pour la dernière fois, je te le demande, accepte ma proposition.
Jugement final
Toi, petit juge qui veux que l'on me juge, me voici assis en face de toi, sur cette chaise aux liens qui ne s'usent même pas après trois jours passés dans ma cave.
Je t'ai exposé toute ma vie et je ne connais rien de la tienne bien qu'elle repose entre mes mains.
Toi, petit juge qui veux que l'on me juge, veux–tu mourir demain ?
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