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ANDROMAQUE EXTRAITS

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Acte IV - Scène V
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Acte quatrième - Scène V

Hermione

Je ne t'ai point aimé, cruel ? Qu'ai-je donc fait ?

J'ai dédaigné pour toi les vœux de tous nos princes ;

Je t'ai cherché moi-même au fond de tes provinces ;

J'y suis encor, malgré tes infidélités,

Et malgré tous mes Grecs honteux de mes bontés.

Je leur ai commandé de cacher mon injure ;

J'attendais en secret le retour d'un parjure ;

J'ai cru que tôt ou tard, à ton devoir rendu,

Tu me rapporterais un cœur qui m'était dû.

Je t'aimais inconstant, qu'aurais-je fait fidèle ?

Et même en ce moment où ta bouche cruelle

Vient si tranquillement m'annoncer le trépas,

Ingrat, je doute encor si je ne t'aime pas.

Mais, Seigneur, s'il le faut, si le ciel en colère

Réserve à d'autres yeux la gloire de vous plaire,

Achevez votre hymen, j'y consens ; mais du moins

Ne forcez pas mes yeux d'en être les témoins.

Pour la dernière fois je vous parle peut-être.

Différez-le d'un jour, demain, vous serez maître...

Vous ne répondez point ? Perfide, je le voi :

Tu comptes les moments que tu perds avec moi !

Ton cœur, impatient de revoir ta Troyenne,

Ne souffre qu'à regret qu'un autre t'entretienne.

Tu lui parles du cœur, tu la cherches des yeux.

Je ne te retiens plus, sauve-toi de ces lieux,

Va lui jurer la foi que tu m'avais jurée,

Va profaner des dieux la majesté sacrée.

Ces dieux, ces justes dieux n'auront pas oublié

Que les mêmes serments avec moi t'ont lié.

Porte au pied des autels ce cœur qui m'abandonne,

Va, cours ; mais crains encor d'y trouver Hermione.

Acte cinquième - Scène I

Hermione

Où suis-je ? Qu'ai-je fait ? Que dois-je faire encore ?

Quel transport me saisit ? Quel chagrin me dévore ?

Errante et sans dessein je cours dans ce palais.

Ah ! ne puis-je savoir si j'aime ou si je hais ?

Le cruel ! de quel oeil il m'a congédiée !

Sans pitié, sans douleur au moins étudiée !

L'ai-je vu se troubler et me plaindre un moment ?

En ai-je pu tirer un seul gémissement ?

Muet à mes soupirs, tranquille à mes alarmes,

Semblait-il seulement qu'il eût part à mes larmes ?

Et je le plains encore ! Et pour comble d'ennui,

Mon cœur, mon lâche cœur s'intéresse pour lui !

Je tremble au seul penser du coup qui le menace !

Et prête à me venger, je lui fais déjà grâce !

Non, ne révoquons point l'arrêt de mon courroux :

Qu'il périsse ! aussi bien il ne vit plus pour nous.

Le perfide triomphe et se rit de ma rage :

Il pense voir en pleurs dissiper cet orage ;

Il croit que toujours faible et d'un cœur incertain,

Je parerai d'un bras les coups de l'autre main.

Il juge encor de moi par mes bontés passées.

Mais plutôt le perfide a bien d'autres pensées :

Triomphant dans le temple, il ne s'informe pas

Si l'on souhaite ailleurs sa vie ou son trépas.

Il me laisse, l'ingrat, cet embarras funeste.

Non, non, encore un coup, laissons agir Oreste.

Qu'il meure, puisque enfin il a dû le prévoir,

Et puisqu'il m'a forcée enfin à le vouloir...

A le vouloir ? Hé quoi ? c'est donc moi qui l'ordonne ?

Sa mort sera l'effet de l'amour d'Hermione ?

Ce prince, dont mon cœur se faisait autrefois

Avec tant de plaisir redire les exploits,

A qui même en secret je m'étais destinée

Avant qu'on eût conclu ce fatal hyménée,

Je n'ai donc traversé tant de mers, tant d'Etats,

Que pour venir si loin préparer son trépas ?

L'assassiner ? le perdre ? Ah ! devant qu'il expire...

Acte cinquième - Scène III

Oreste, Hermione, Cléone


Oreste


Madame, c'en est fait, et vous êtes servie :

Pyrrhus rend à l'autel son infidèle vie.

Hermione

Il est mort ?

Oreste

Il expire ; et nos Grecs irrités

Ont lavé dans son sang ses infidélités.

Je vous l'avais promis ; et quoique mon courage

Se fît de ce complot une funeste image,

J'ai couru vers le temple, où nos Grecs dispersés

Se sont jusqu'à l'autel dans la foule glissés.

Pyrrhus m'a reconnu, mais sans changer de face :

Il semblait que ma vue excitât son audace,

Que tous les Grecs, bravés en leur ambassadeur,

Dussent de son hymen relever la splendeur.

Enfin, avec transport prenant son diadème,

Sur le front d'Andromaque il l'a posé lui-même :

" Je vous donne, a-t-il dit, ma couronne et ma foi !

Andromaque, régnez sur l'Epire et sur moi,

Je voue à votre fils une amitié de père ;

J'en atteste les dieux, je le jure à sa mère :

Pour tous mes ennemis je déclare les siens,

Et je le reconnais pour le roi des Troyens."

A ces mots, qui du peuple attiraient le suffrage,

Nos Grecs n'ont répondu que par un cri de rage ;

L'infidèle s'est vu partout envelopper,

Et je n'ai pu trouver de place pour frapper.

Chacun se disputait la gloire de l'abattre,

Je l'ai vu dans leurs mains quelque temps se débattre,

Tout sanglant à leurs coups vouloir se dérober,

Mais enfin à l'autel il est allé tomber.

Du peuple épouvanté j'ai traversé la presse

Pour venir de ces lieux enlever ma princesse,

Et regagner le port, où bientôt nos amis

Viendront couverts du sang que je vous ai promis.

Hermione

Qu'ont-ils fait !

Oreste

Pardonnez à leur impatience :

Ils ont, je le vois bien, trahi votre vengeance.

Vous vouliez que ma main portât les premiers coups,

Qu'il sentît en mourant qu'il expirait pour vous ;

Mais c'est moi dont l'ardeur leur a servi d'exemple :

Je les ai pour vous seule entraînés dans le temple,

Madame, et vous pouvez justement vous flatter

D'une mort que leurs bras n'ont fait qu'exécuter.

Vous seule avez poussé les coups...

Hermione

Tais-toi, perfide,

Et n'impute qu'à toi ton lâche parricide.

Va faire chez tes Grecs admirer ta fureur,

Va ; je la désavoue, et tu me fais horreur.

Barbare, qu'as-tu fait ? Avec quelle furie

As-tu tranché le cours d'une si belle vie ?

Avez-vous pu, cruels, l'immoler aujourd'hui,

Sans que tout votre sang se soulevât pour lui ?

Mais parle : de son sort qui t'a rendu l'arbitre ?

Pourquoi l'assassiner ? Qu'a-t-il fait ? A quel titre ?

Qui te l'a dit ?

Oreste

O dieux ! Quoi ? ne m'avez-vous pas

Vous-même, ici, tantôt, ordonné son trépas ?

Hermione

Ah ! fallait-il en croire une amante insensée ?

Ne devais-tu pas lire au fond de ma pensée ?

Et ne voyais-tu pas, dans mes emportements,

Que mon cœur démentait ma bouche à tous moments ?

Quand je l'aurais voulu, fallait-il y souscrire ?

N'as-tu pas dû cent fois te le faire redire ?

Toi-même avant le coup me venir consulter,

Y revenir encore, ou plutôt m'éviter ?

Que ne me laissais-tu le soin de ma vengeance ?

Qui t'amène en des lieux où l'on fuit ta présence ?

Voilà de ton amour le détestable fruit :

Tu l'apportais, cruel, le malheur qui te suit.

C'est toi dont l'ambassade, à tous les deux fatale,

L'a fait pour son malheur pencher vers ma rivale.

Nous le verrions encor nous partager ses soins ;

Il 'aimerait peut-être, il le feindrait du moins.

Adieu. Tu peux partir. Je demeure en Epire :

Je renonce à la Grèce, à Sparte, à son empire,

A toute ma famille ; et c'est assez pour moi,

Traître, qu'elle ait produit un monstre comme toi.

Scène IV

Oreste, seul.


Que vois-je ? Est-ce Hermione ? Et que viens-je d'entendre ?

Pour qui coule le sang que je viens de répandre ?

Je suis, si je l'en crois, un traître, un assassin.

Est-ce Pyrrhus qui meurt ? et suis-je Oreste enfin ?

Quoi ? j'étouffe en mon cœur la raison qui m'éclaire,

J'assassine à regret un roi que je révère,

Je viole en un jour les droits des souverains,

Ceux des ambassadeurs, et tous ceux des humains,

Ceux même des autels où ma fureur l'assiège :

Je deviens parricide, assassin, sacrilège.

Pour qui ? pour une ingrate à qui je le promets,

Qui même, s'il ne meurt, ne me verra jamais,

Dont j'épouse la rage ! Et quand je l'ai servie,

Elle me redemande et son sang et sa vie !

Elle l'aime ! et je suis un monstre furieux !

Je la vois pour jamais s'éloigner de mes yeux !

Et l'ingrate en fuyant me laisse pour salaire

Tous les noms odieux que j'ai pris pour lui plaire !

Scène V
Oreste, Pylade, soldats d'Oreste


Pylade


Il faut partir, Seigneur. Sortons de ce palais,

Ou bien résolvons-nous de n'en sortir jamais.

Nos Grecs pour un moment en défendent la porte ;

Tout le peuple assemblé nous poursuit à main-forte ;

Aux ordres d'Andromaque ici tout est soumis,

Ils la traitent en reine, et nous comme ennemis.

Andromaque elle-même, à Pyrrhus si rebelle,

Lui rend tous les devoirs d'une veuve fidèle,

Commande qu'on le venge, et peut-être sur nous

Veut venger Troie encore et son premier époux.

Allons, n'attendons pas que l'on nous environne :

Nos Grecs nous rejoindront ; et tandis qu'Hermione

Tient encore le peuple autour d'elle arrêté,

Voilà notre chemin, sortons en sûreté.

Oreste

Non, non, c'est Hermione, amis, que je veux suivre.

A son dernier arrêt je ne puis plus survivre.

Partez : j'ai fait le crime, et je vais l'expier.

Pylade

Hermione, Seigneur ? Il la faut oublier.

Quoi ! toujours l'instrument et l'objet de sa rage,

Cherchez-vous chez les morts quelque nouvel outrage ?

Et parce qu'elle meurt faut-il que vous mouriez ?

Oreste

Elle meurt ? Dieux ! qu'entends-je ?

Pylade

Eh quoi ? vous l'ignoriez ?

En rentrant dans ces lieux nous l'avons rencontrée

Qui courait vers le temple, inquiète, égarée.

Elle a trouvé Pyrrhus porté sur des soldats

Que son sang excitait à venger son trépas.

Sans doute à cet objet sa rage s'est émue.

Mais du haut de la porte enfin nous l'avons vue

Un poignard à la main sur Pyrrhus se courber,

Lever les yeux au ciel, se frapper et tomber.

Oreste

Grâce aux dieux ! Mon malheur passe mon espérance !

Oui, je te loue, ô ciel, de ta persévérance !

Appliqué sans relâche au soin de me punir,

Au comble des douleurs tu m'as fait parvenir.

Ta haine a pris plaisir à former ma misère ;

J'étais né pour servir d'exemple à ta colère,

Pour être du malheur un modèle accompli.

Hé bien ! je meurs content, et mon sort est rempli.

Où sont ces deux amants ? Pour couronner ma joie,

Dans leur sang, dans le mien, il faut que je me noie ;

L'un et l'autre en mourant je les veux regarder :

Réunissons trois cœurs qui n'ont pu s'accorder...

Mais quelle épaisse nuit tout à coup m'environne ?

De quel côté sortir ? D'où vient que je frissonne ?

Quelle horreur me saisit ! Grâce au ciel j'entrevoi...

Dieux ! quels ruisseaux de sang coulent autour de moi !

Pylade

Ah ! Seigneur !

Oreste

Quoi ? Pyrrhus, je te rencontre encore ?

Trouverai-je partout un rival que j'abhorre ?

Percé de tant de coups, comment t'es-tu sauvé ?

Tiens, tiens, voilà le coup que je t'ai réservé.

Mais que vois-je ? A mes yeux Hermione l'embrasse !

Elle vient l'arracher au coup qui le menace ?

Dieux ! quels affreux regards elle jette sur moi !

Quels démons, quels serpents traîne-t-elle après soi ?

Eh bien ! filles d'enfer, vos mains sont-elles prêtes ?

Pour qui sont ces serpents qui sifflent sur vos têtes ?

A qui destinez-vous l'appareil qui vous suit ?

Venez-vous m'enlever dans l'éternelle nuit ?

Venez, à vos fureurs Oreste s'abandonne.

Mais non, retirez-vous, laissez faire Hermione :

L'ingrate mieux que vous saura me déchirer ;

Et je lui porte enfin mon cœur à dévorer.

Pylade

Il perd le sentiment. Amis, le temps nous presse.

Ménageons les moments que ce transport nous laisse.

Sauvons-le. Nos efforts deviendraient impuissants

S'il reprenait ici sa rage avec ses sens.


Source: Wikisource

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