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LE JOLI MYSTèRE DU VIEUX LIT-CLOS VERROUILLé

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Photo: Armen

Musique : Mozart

II. Andante Cantabile: Quatuor à cordes en fa majeur

https://musopen.org/fr/music/?composer=wolfgang-amadeus-mozart





Texte ou Biographie de l'auteur

Le joli mystère du vieux lit-clos verrouillé Dans le grenier de Mayonne, il y a tout un bric à brac de bric et de broc, des meubles anciens et des bibelots qui s'empilent et s'empoussièrent sous le lourd toit d'ardoises de montagne. Ce n'est pourtant pas faute d'avoir fait circuler l'information : débarrassez-moi de ce fatras ! Mais parmi les amis, les voisins et la famille, personne n'était tenté. Côte à côte, s'ennuyaient donc depuis ce qui leur semblait être la nuit des temps, une vieille table de chêne ronde aux pieds de bois tourné, un lourd banc coffre, une vieille armoire de châtaignier, une lampe à pétrole de cuivre, un grand broc de faïence et un lit-clos patiné. Ils avaient tous eu leur heure de gloire au rez-de-chaussée de Mayonne mais avaient été remplacés par des alter ego plus fonctionnels et avaient gagné la pénombre du grenier petit à petit, les uns après les autres. — Si ça continue, disait le banc coffre, on finira tous dévorés par les mites et les vers de bois! — Moi je suis immangeable, pérorait la lampe à pétrole. — Immangeable peut-être, mais oxydable sûrement, rétorquait la table. — Moi, j'ai les portes qui grincent, répétait sans cesse l'armoire. Le vieux lit-clos, quant à lui, jamais ne se plaignait et prêtait peu d'attention aux lamentations de ses coreligionnaires. Autrefois, sa jolie couleur ambrée et l'élégance de ses clous et de ses ferrures de cuivre avaient attiré bien des regards. Mais pourtant, jamais il ne trouvât acquéreur, personne ne semblant intéressé par sa silhouette massive. Car le lit clos avait un gros défaut qui rebutait tous les acheteurs : aucune de ses portes ne voulaient s'ouvrir. Mayonne, aidée de ses voisins agriculteurs et bricoleurs Jean et François, avait tenté maintes réparations, mais en vain... les portes, toujours, demeuraient verrouillées. Le lit-clos avait compris bien vite que personne ne voudrait de lui car, enfin ! qui donc pourrait bien vouloir d'un lit-clos aux portes verrouillées ? Il savait qu'il lui faudrait passer le reste de son existence au fond de ce grenier -et encore heureux d'échapper aux flammes de l'âtre- parmi les vieux meubles oubliés, alors dignement, il acceptait son sort, résigné. Un beau jour, l'escalier menant au grenier résonna des pas légers d'une jeune cousine de Mayonne, venue de la grande ville et férue d'antiquités, passionnées de vieilleries à chiner. La petite compagnie vermoulue des vieux meubles retint son souffle, humant le sillage parfumé. — Sentez-moi cette fragrance divine de lavande ! chuchota la vieille armoire qui s'y connaissait en sachets de lavandin, ouvrant toutes grandes ses portes. La jeune femme s'approcha du groupe de meubles et les observa longuement ; puis s'adressant à Mayonne qui la suivait, elle demanda de sa petite voix flutée: — Dis-moi, Mayonne, de quelle époque est ce lit-clos ? — Hopala ! Oublie ce lit-clos ! Il n'y a rien à faire, aucun de ses tiroirs ne s'ouvre ! — Quel dommage ! Dans ce cas, je prendrai cette petite lampe de cuivre. Et la lampe disparut, emportée par la jolie dame vers un nouveau destin. — Bon débarras, lança sèchement la table lorsque tout le monde fut parti. — Qu'est-ce qu'elle avait de mieux que moi cette lampe ? pleurnicha le fauteuil. — T'inquiète vieux ! Un jour ce sera ton tour, rassura la vieille armoire. Et en effet, un jour froid et sombre d'hiver, le fauteuil à son tour quitta le grenier de Mayonne, emporté par les bras musclés d'un étudiant, fils de la maison voisine, qui l'installa dans son minuscule logement rennais, entre un radiateur de fonte et une fenêtre, sous un toit de zinc, et dès lors chaque jour, il offrit son assise au repos d'un gros chat gris. — Salut mon ami... avait chuchoté la vieille armoire avec regret. — Bonne chance ! avait lancé la table. Et toute deux avaient versé quelques larmes de meuble qui avaient roulé jusqu'au sol en petits moutons de poussière. Le lit-clos, comme à son habitude, était restée silencieux. Silencieux, il le resta lorsque, aux premiers jours du printemps, une vieille amie de Mayonne, un fichu de soie fleuri noué sous le menton pour protéger sa permanente de la poussière, s'aventura vers le fond du grenier pour mettre en lumière la vieille table de chêne aux pieds de bois tourné. Le soir même, la table trouvait une place dans la véranda lumineuse de l'amie de Mayonne qui y servit désormais le café et les crêpes beurrées aux hôtes de passage. La vieille armoire esseulée en perdit une porte de désespoir. Il y eut d'autres étés, des automnes pluvieux, et encore d'autres printemps, des visiteurs parfumés, étudiants ou fleuris, mais aucun d'eux jamais ne voulut d'une vieille armoire à une seule porte ni d'un lit-clos verrouillé. La vieille armoire ne se plaignait même plus, même si parfois, elle sentait quelques petits vers lui chatouiller le dos ou les pieds. Une nuit, elle souffla doucement au lit-clos silencieux: — Je suis une bien vieille armoire désormais, et mon bois de châtaignier est bien malade. Je sais que je ne connaîtrai plus jamais la chaleur d'un nouveau foyer et que ma vie s'arrêtera ici, au fond de ce grenier. Mais toi, lit-clos, toi si patiné, toi si ouvragé, ton avenir est ailleurs. Tu peux connaître encore le bonheur d'être utile à quelqu'un et ce bonheur ne se refuse pas. Alors fais un petit effort, et ouvre tes portes ! Touchée par les mots de la vieille armoire, pour la toute première fois, le lit-clos se décida à sortir de son silence et d'une petite voix un peu grinçante chuchota : — Jamais je n'ouvrirai mes portes. La vieille armoire fut si surprise d'entendre parler le lit clos qu'elle laissa tomber la dernière porte qui lui restait. — Mais... Tu... , bégaya-t-elle. — Peu m'importe la chaleur d'un foyer, coupa le lit-clos. Je suis bien ici. — Mais pourquoi t'obstiner ainsi ? s'exclama alors l'armoire. Que caches-tu derrière tes portes closes que tu ne veux pas que l'on découvre ? — Si je te dis ce que j'y cache, tu ne le répéteras pas ? demanda le lit-clos, inquiet. — Promis ! Parole d'armoire! Je ne dirai rien ! Jamais ! À personne ! Le lit-clos se serra contra la vieille armoire et chuchota : — Je suis rempli de secrets ! — Des secrets ! s'exclama l'armoire dans un souffle. — Je les entends qui s'amusent et qui rient, continua le lit-clos. Ils dansent en rond dans mon intérieur, font des galipettes et des courses folles, et toujours ont de belles histoires à raconter. Des histoires qui parlent d'amour, de naissance et de rêve. Des contes de soleil, de fleurs et de pays lointains. Des histoires qu'ils sont venus cacher derrière mes portes et que je suis seul à écouter. Ils sont tout mon trésor, et si j'ouvrai rien qu'une seule porte, ils pourraient s'envoler. Alors je ne serai plus qu'un banal lit-clos patiné, qu'on transforme en buffet dans un salon ou en armoire dans une chambre pour ranger bouteilles ou couverts de vermeils, draps de lin brodés ou vieux papiers mités. Je ne veux pas de ce destin-là. Moi, je veux être, pour toujours, le lit-clos des secrets. — Oh ! s'exclama l'armoire déglinguée. Comme je t'envie d'abriter ces secrets ! Moi qui n'ai plus rien à l'intérieur que quelques courants d'air, des toiles d'araignée et beaucoup de poussière... Elle laissa échapper un profond soupir et se mit à pleurer. — Ne pleure pas, armoire, supplia le lit-clos, ému par les larmes du vieux meuble. Puisque désormais tu sais tout de moi, je veux bien partager avec toi mes secrets. Sèche tes larmes et serre-toi fort contre moi. Taisons-nous et laissons les secrets venir nous chuchoter leurs belles histoires. Et Mayonne, après avoir écouté ce dialogue feutré les yeux plissés, a doucement refermé la porte du grenier. Depuis lors, tout au fond de ce grenier, sur le plancher gris de poussière, une vieille armoire sans portes et un lit-clos aux portes verrouillées savourent le temps qui passe en écoutant des histoires de secrets. Sans jamais plus être dérangés. Sauf par Mayonne qui, depuis, très respectueusement, range dans la vieille armoire et sous le vieux lit-clos ses confitures de fraises aux fleurs de sureau. Tout en leur confiant à mi-voix quelques secrets.
Source: http://www.gouezou.canalblog.com/

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