Il y avait une fois un bonheur du jour, une causeuse, une bergère et une ottomane, et tous étaient réunis dans un salon.
– Par ma foi, dit le bonheur du jour, jamais je n’ai été en si fine compagnie.
Et il commença à dire des choses aimables à la causeuse.
– Que j’aime ce tissu, ma chère. Cela vous va à ravir.
Mais la causeuse n’était pas bavarde et elle ne répondit rien. Ce que voyant, le bonheur du jour insista :
– Je vois qu’il y a de la place, là où vous êtes. Si vous souffrez que je m’y installe, vous pourrez me raconter tout ce qui vous passe par la tête, car vous avez de l’esprit et vous êtes charmante.
Mais la causeuse ne trouva à répondre que : « fi ! » et elle s’écarta un peu.
Le bonheur du jour, vexé, s’adressa à la bergère.
– J’ai à vous voir un plaisir extrême. Vous respirez l’aise et certainement, votre conversation doit être fort profonde et reposante.
Mais la bergère était collet-monté et, comme ils n’avaient pas été présentés, elle refusa de répondre.
Le bonheur du jour insista.
– Certainement, vous avez l’esprit philosophique et vous devez être curieuse, comme toutes les personnes de votre sexe. J’ai sur moi plusieurs papiers fort intéressants que m’a confié une dame de condition. Je me ferai un plaisir de vous les communiquer si vous consentez à ce que je me mette à côté de vous.
La bergère trouva tout à fait inconvenant qu’on lût des papiers qui ne vous appartiennent pas et elle accueillit le bonheur du jour par un silence glacial. Le bonheur du jour était désolé. Sur sa demande, l’ottomane s’offrit alors à servir d’entremetteuse.
– Il y a là, dit l’ottomane à la bergère, un bonheur du jour qui brûle de vous connaître. Ne lui direz-vous pas quelques mots ?
– Je lui trouve mauvais genre, répondit la bergère. De plus, je n’aime pas du tout cette idée de lire des papiers qui lui ont été confiés. Quel manque de discrétion !
L’ottomane fit part au bonheur du jour du refus de la bergère.
– Mais ne désespérez point, dit l’ottomane. Je vous trouve bel air et je consens volontiers que vous vous mettiez à côté de moi.
Le bonheur du jour trouvait l’ottomane un peu avachie et manquant de tenue, mais comme il était toujours seul, il fut heureux de lui tenir compagnie.
Mais l’ottomane voulut danser et comme elle était un peu lourdaude, elle tomba par dessus le bonheur du jour qui se cassa un pied.
On emporta le malheureux, au grand soulagement de la causeuse et de la bergère qui trouvaient décidément qu’il avait mauvais genre.
– Adieu, belles dames, soupira le bonheur du jour tandis qu’on l’emportait, je ne vous reverrai jamais.
Toutes trois restèrent silencieuses, et l’ottomane était un peu embarrassée d’avoir cassé le pied du bonheur du jour.
– C’est grand dommage, soupira l’ottomane. Je ne l’aurai connu que quelques instants.
– L’important, dit la causeuse, c’est que nous soyons entre nous.
Source: http://fr.wikisource.org/wiki/Le_Bonheur_du_jour