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ROSETTE EN PARADIS
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Illustration : J. Béraud, « Parisienne, place de la Concorde », 1890
Texte ou Biographie de l'auteur
Gabriel Vicaire
Belfort, 1848 - Paris, 1900
Écrivain. - A aussi écrit de la poésie en collaboration avec Henri Beauclair sous le pseudonyme collectif : Adoré Floupette
Rosette en paradis
À Tony Révillon.
I
Rosette de Paris,
Chausse tes souliers gris.
Passe la robe à traîne
Dont Gaspard eut l’étrenne,
Ta robe à falbalas
Mauve tendre ou lilas.
Emporte aussi, Rosette,
Ta fine chemisette,
Ton éventail poudré,
Ton corset mordoré,
Tes blondes et tes ruches,
Toutes tes fanfreluches ;
Rosette de Paris,
Allons en Paradis.
II
Hélas ! le bon saint Pierre,
Le concierge des cieux,
Hélas ! le bon saint Pierre
N’est pas trop gracieux.
Pour admettre Rosette,
Rosette et ses chansons,
Pour admettre Rosette,
Il a fait des façons.
« D’où venez-vous, la belle
Au collier de corail ?
D’où venez-vous, la belle,
En si fol attirail ?
— À Paris, la grand’ville,
Saint Pierre, mon cousin,
À Paris, la grand’ville,
J’étais en magasin.
À Paris, dans la rue
De l’ancien Doyenné,
À Paris, dans la rue,
J’ai pas mal gaminé.
— Ah ! cet endroit, ma fille,
Est bien mal fréquenté,
Ah ! cet endroit, ma fille,
Manque de sainteté.
— Oui, mais comme on s’amuse,
Saint Pierre, mon ami !
Oui, mais comme on s’amuse !
On n’est pas endormi.
On babille, on s’habille,
On est toujours courant ;
On babille, on s’habille,
Et le mal n’est pas grand.
— Mais comment, ma petite,
Serviez-vous Jésus-Christ ?
Mais comment, ma petite…
— J’avais beaucoup d’esprit.
J’étais la plus jolie,
Je savais bien danser ;
J’étais la plus jolie
Qui se fît embrasser. »
III
Saint Pierre a fait trois fois,
En secouant ses manches,
Saint Pierre a fait trois fois
Le signe de la croix.
« Vous avez l’œil trop doux,
Et vos mains sont trop blanches,
Vous avez l’œil trop doux
Pour habiter chez nous,
Avec de pauvres gens
Absolument rustiques,
Avec de pauvres gens,
Pas trop intelligents.
Comment feriez-vous donc
Pour chanter nos cantiques ?
Comment feriez-vous donc ?
— Eh ! tirez le cordon,
Je sais la mère Angot ;
Chanter, la belle affaire !
Je sais la mère Angot,
Écoutez-moi plutôt.
— Mais nos concerts pieux ?
— Il s’agit de s’y faire.
— Mais nos concerts pieux ?
— Tout ira pour le mieux.
— Non, non, assez causé,
Maudite pécheresse.
Non, non, assez causé,
Je suis scandalisé.
— J’eus le cœur inconstant,
Je n’étais que tendresse.
J’eus le cœur inconstant ;
N’en peux-tu dire autant ?
Naguère, au coin du feu,
Dans la cour du grand-prêtre,
Naguère, au coin du feu,
Tu renias ton Dieu.
Et le coq a chanté,
Comme avait dit le maître,
Et le coq a chanté.
Criant ta lâcheté !
Je n’aurais fait jamais,
Pauvre petite femme,
Je n’aurais fait jamais
Tort à ceux que j’aimais.
— Ah ! Dieu, mon chapelet !
Enlevez cette infâme !
Ah ! Dieu, mon chapelet !
— Silence, pipelet ! »
IV
À peine il entend ce mot malsonnant,
Tout le Paradis sort en bourdonnant
Comme, autour des treilles,
Un essaim d’abeilles.
Voici saint Maurice en soldat romain ;
Le grand saint Joseph, un lis à la main ;
Sainte Perpétue
Tout de blanc vêtue.
Voici saint Antoine, avec son cochon ;
Saint Roch et son chien, un parfait bichon ;
Saint Vincent, insigne
Patron de la vigne ;
Et puis saint Jérôme et saint Augustin
Qui savaient très bien écrire en latin ;
Le bon saint Grégoire
Qui préférait boire ;
Saint Éloi, ministre et grand forgeron ;
Saint Denis-des-Champs, bonhomme tout rond,
Qui comble de graisse
Les chapons de Bresse ;
Saint Loup, saint Maclou, saint Cloud, saint Crépin,
Bruno le Chartreux, l’évêque Turpin,
Qui tint la campagne
Avec Charlemagne ;
Enfin sainte Ursule et monsieur Renan.
Et derrière vont, trottant, trottinant,
Onze mille vierges
Qui portent des cierges.
V
« Ciel ! Qu’ai-je entendu ?
Dit sœur Cunégonde ;
C’est la fin du monde,
Et tout est perdu !
— Mon Dieu, quelle affaire !
Répond frère Jean.
Que c’est affligeant !
Que va-t-on nous faire ?
— Notre-Dame, à nous !
Soyez-nous propice ! »
Et voilà Sulpice
Qui tombe à genoux.
Mais, quand les apôtres
Clameraient en chœur,
Rosette a du cœur ;
Elle en a vu d’autres.
Elle fait trois pas,
Le poing sur les hanches.
Et ces barbes blanches
Ne la troublent pas.
« La bonne folie !
Habitants des cieux,
Voyez donc mes yeux ;
Je suis très jolie.
Pourquoi ces nez longs
Et ces faces mornes ?
Je n’ai pas de cornes
Sous mes cheveux blonds.
Je sens la framboise
Et non le roussi ;
Je n’ai pas souci
De vous chercher noise.
Chez vous c’est parfait,
Bien qu’un peu rocaille,
Et votre Versaille
Est d’un bel effet.
Le logis, la table,
Tout est fort plaisant,
Tout est reluisant,
Tout est confortable,
Je ne dis pas non,
Et c’est peint à fresque,
Et cela vaut presque
Le Grand-Trianon.
Surtout vos portiques
Sont du meilleur goût.
Hélas ! voilà tout.
Et puis quels cantiques !
Toujours du plain-chant,
Du soir à l’aurore…
En latin encore,
Ce n’est pas méchant.
Bast ! Laissez-moi dire,
Brebis du bon Dieu ;
Attendez un peu,
Vous allez bien rire.
Yvette a son prix,
Paulus est fort tendre.
Je veux vous apprendre
Les airs de Paris.
Mille fariboles
Que nous connaissons,
Un tas de chansons
Folles, folles, folles… »
VI
C’est ainsi, m’a-t-on dit, que la belle parla ;
Mais le ciel n’entend pas de cette oreille-là.
Scandale énorme ! Autour de Rosette impassible
Un cercle s’est formé. « Seigneur, est-ce possible !
Encor ce Lucifer qui nous veut abuser ;
Vite, vite l’eau sainte ! Il faut l’exorciser. »
Et pour la voir de près on se heurte, on se pousse.
Aux premiers rangs, pourtant, un vieux saint d’humeur douce
Murmure : « Laissez-la, soyons plus complaisants :
Voyez comme c’est jeune, elle n’a pas seize ans. »
Mais la troupe céleste : « Oh ! la dévergondée,
Qui ne connaît ni Dieu ni diable ! A-t-on idée
D’une chose pareille ! Est-ce que par hasard
On recrute à présent les saints à l’Alcazar !
L’avez-vous entendue avec notre concierge ?
Elle croit, j’imagine, être dans une auberge. »
Et Rosette, très digne en son petit complet,
Dit : « C’est beaucoup de bruit pour un pauvre couplet.
Que de propos en l’air, que de billevesées !
Vous n’avez donc jamais vu les Champs-Élysées ?
Ah ! vraiment, c’est trop fort. Vous ne connaissez donc
Ni Rueil, ni Chatou, ni le bois de Meudon ?
Vous n’avez jamais fait l’ombre d’une fredaine,
Vous ne savez pas l’air de la Briguedondaine,
Vous ne riez jamais ! Je vous plains, bonnes gens ;
Vous en seriez meilleurs et bien plus indulgents. »
Grand haro pour le coup ! On crie, on s’égosille :
— « Enlevez la sorcière. — À la porte, la fille ! »
Quand, tout à coup, chacun reste le bec dans l’eau.
C’est le Père Éternel, c’est le Bon Dieu. Tableau.
Comme un pâtre appuyé sur son bâton d’érable
Il entre, caressant sa barbe vénérable,
Et dans les plis royaux de son long manteau bleu
Frissonne un soleil d’or. Intimidée un peu,
Rosette gentiment a fait la révérence,
Et lui : « Mes chers amis, cette enfant vient de France.
Vous n’y comprenez rien, je n’en suis pas surpris.
Nous n’avons pas ici grand monde de Paris.
Mais quoi ! le cœur est bon si la tête est légère ;
Saint Pierre, en ton bercail reçois cette bergère ;
Elle a l’éclat de rire et le parler joyeux.
Ouvre : pour cette fois nous fermerons les yeux. »
VII
Et c’est ainsi que Rosette
Devint sainte en Paradis,
Et c’est ainsi que Rosette
A cessé d’être grisette.
Adieu les belles manières
Qu’on avait au temps jadis,
Adieu les belles manières
En usage au pont d’Asnières !
À côté de Madeleine
Elle est assise au lutrin,
À côté de Madeleine
Elle chante à perdre haleine,
Et dans ses mains paresseuses
Fleurit un beau romarin,
Et dans ses mains paresseuses
On voit des roses mousseuses.
C’est une âme toute pure,
Qui de nous aurait cru ça ?
C’est une âme toute pure…
Avec un brin de guipure,
La plus charmante âme blonde,
Ô vous tous qu’elle embrassa,
La plus charmante âme blonde
Que Dieu garde en l’autre monde.
Source: https://fr.wikisource.org/wiki/Rosette_en_Paradis
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