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LES PRéSENTS DES GNOMES

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Le bossu à la canne. Estampe Jacques Callot

Musique :

Sonatina in C Minor  http://incompetech.com/music/royalty-free/index.html?genre=Classical




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LES PRÉSENTS DES GNOMES.


Les frères Grimm


Traduction de Frédéric Baudry

Un tailleur et un forgeron voyageaient ensem-
ble. Un soir, ccmme le soleil venait de se coucher
derrière les montagnes, ils entendirent de loin le
bruit d'une musique qui devenait plus claire à
mesure qu'ils approchaient. C'était un son ex-
traordinaire, mais si charmant qu'ils oublièrent
toute leur fatigue pour se diriger à grande pas de


ce côté. La lune était déjà levée, quand ils arrivè-
rent à une colline sur laquelle ils virent une foule
de petits hommes et de petites femmes qui dan-
saient en rond d'un air joyeux, en se tenant par
la maïn ils chantaient en même temps d'une fa-
çon ravissante, et c'était cette musique que les
voyageurs avaient entendue. Au milieu se tenait
un vieillard un peu plus grand que les autres,
vêtu d'une robe de couleurs bariolées, et portant
une barbe blanche qui lui descendait sur la poi-
trine. Les deux compagnons restaient immobiles
d'étonnement en regardant la danse. Le vieillard
leur fit signe d'entrer, et les petits danseurs ou-
vrirent leur cercle. Le forgeron entra sans hési-
ter il avait le dos un peu rond, et il était hardi
comme tous les bossus. Le tailleur eut d'abord
un peu de peur et se tint en arrière; mais, quand
il vit que tout se passait si gaiement, il prit cou-
rage et entra aussi. Aussitôt le cercle se referma,
et les petits êtres se remirent à chanter et à dan-
ser en faisant des bonds prodigieux; mais le vieil-
lard saisit un grand couteau qui était pendu à sa
ceinture, se mit à le repasser, et quand il l'eut
assez affilé, se tourna du côté des étrangers. Ils
étaient glacés d'effroi; mais leur anxiété ne fut
pas longue le vieillard s'empara du forgeron, et
en un tour de main il lui eut rasé entièrement les
cheveux et la barbe; puis il en fit autant au tail-


leur. Quand il eut fini, il leur frappa amicale-
ment sur l'épaule, comme pour leur dire qu'ils
avaient bien fait de se laisser raser sans résis-
tance, et leur peur se dissipa. Alors il leur montra
du doigt un tas de charbons qui étaient tout près
de là, et leur fit signe d'en remplir leurs poches.
Tous deux obéirent sans savoir à quoi ces char-
bons leur serviraient, et ils continuèrent leur
route afin de chercher un gite pour la nuit.
Comme ils arrivaient dans la vallée, la cloche
d'un monastère voisin sonna minuit à l'instant
même le chant s'éteignit tout disparut, et ils ne
virent plus que la colline déserte éclairée par la
lune.

Les deux voyageurs trouvèrent une auberge et
se couchèrent sur la paille tout habillés, mais la
fatigue leur fit oublier de se débarrasser de leurs
charbons. Un fardeau inaccoutumé qui pesait sur
eux les réveilla plus tôt qu'à l'ordinaire. Ils por-
tèrent la main à leurs poches, et ils n'en vou-
laient pas croire leurs yeux quand ils virent qu'elles
étaient pleines, non pas de charbons, mais de lin-
gots d'or pur. Leur barbe et leurs cheveux avaient
aussi repoussé merveilleusement. Désormais ils
étaient riches; seulement le forgeron, qui, par
suite de sa nature avide, avait mieux rempli ses
poches, possédait le double de ce qu'avait le tail-
leur.


Mais un homme cupide veut toujours avoir plus
que ce qu'il a. Le forgeron proposa au tailleur
d'attendre encore un jour et de retourner le soir
près du vieillard pour gagner de nouveaux tré-
sors. Le tailleur refusa, disant « J'en ai assez,
et je suis content; je veux seulement devenir
maître en mon métier et épouser mon charmant
objet (il appelait ainsi sa promise); et je serai un
homme heureux.» Cependant pour faire plaisir à
l'autre, il consentit à rester un jour encore.
Le soir, le forgeron prit deux sacs sur ses
épaules pour emporter bonne charge, et il se mit
en route vers la colline. Comme la nuit précé-
dente il trouva les petites gens chantant et dan-
sant le vieillard le rasa et lui fit signe de pren-
dre des charbons. Il n'hésita pas à emplir ses po-
ches et ses sacs, tant qu'il y en put entrer, s'en
retourna joyeux à l'auberge et se coucha tout ha-
billé. « Quand mon or commencera à peser, se
dit-il, je le sentirai bien » et il s'endormit enfin
dans la douce espérance de s'éveiller le lende-
main matin riche comme un Crésus.

Dès qu'il eut les yeux ouverts, son premier
soin fut de visiter ses poches; mais il eut beau
fouiller dedans, il n'y trouva que des charbons
tout noirs. « Au moins, pensait-il, il me reste
l'or que j'ai gagné l'autre nuit. » Il y alla voir;
hélas 1 cet or aussi était redevenu charbon. Il


porta à son front sa main noircie, et il sentit que
sa téte était chauve et rase ainsi que son menton.
Pourtant il ne connaissait pas encore tout son
malheur il vit bientôt qu'à la bosse qu'il
portait par derrière s'en était jointe une autre par
devant.

Il sentit alors qu'il recevait le châtiment de sa
cupidité et se mit à pousser des gémissements.
Le bon tailleur, éveillé par ses lamentations, le
consola de son mieux et lui dit « Nous sommes
compagnons, nous avons fait notre tournée en-
semble reste avec moi mon trésor nous nour-
rira tous deux. »

Il tint parole mais le forgeron fut obligé de
porter toute sa vie ses deux bosses et de cacher
sous un bonnet sa tête dépouillée de cheveux.





 





 





 
Source: http://gallica.bnf.fr/Search?ArianeWireIndex=index&p=1&lang=FR&q=Grimm+Fr%C3%A8res

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