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LES VAUTOURS
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Note: Fredleborgne est né en 1999 comme adresse de messagerie. Parti au bout du monde en 2002, Fredleborgne revient sur c-alice.com comme pseudo en 2004 puis s'établit chez odebi.org. Il devient un site en août 2006 pour son premier opus de «La guerre des majors».
Parfois, il se change en poireau et décide de rassembler pour se recueillir ensemble.
Texte ou Biographie de l'auteur
Fredleborgne
Les vautours,
Chapitre premier
C'était en mars 1991, avant l'offensive terrestre des troupes de la coalition en Irak. Le monde était suspendu à CNN en 24/24. Je travaillais pour cette agence bancaire, comme jeune stagiaire. Je n'avais finalement pas été embauché.
A cette époque, je l'avais mal pris. Le secteur bancaire était plein d'avantages pour ses salariés, comme pour les dirigeants et les commerciaux, payés avec la misère des clients. Une banque prête de l'argent, mais en cas de non-remboursement de quelques mensualités, elle est autorisée à demander la totalité de la somme restant due au client. Mais avant, c'est déjà des frais bancaires élevés à régler en sus, et des procédures d'huissiers qui sont lancées pour l'affaiblir. Puis c'est souvent des saisies et des ventes aux enchères qui sont effectuées, ce qui ne permet pas au mauvais payeur de régler la totalité de sa dette, tout en l'ayant affaibli au maximum. Il n'a plus qu'a reprendre un crédit, aux mensualités moins élevées puisque la somme est plus petite, mais au taux bien supérieur. Pour un particulier, il pouvait y avoir une assurance, mais pour une entreprise, c'était la faillite qui parfois emportait avec elle la plupart des avoirs de son patron. Commerçants, paysans, artisans disparaissaient dans l'indifférence générale, tandis que la gauche caviar encaissait les dividendes à plus de dix pour cent annuels de la bourse de Paris.
Des entreprises de services, des chaines de supermarchés, des enseignes de magasins, et de grandes exploitations industrielles prenaient la place des indépendants et des petits. Certains smicards pouvaient voir leur vie gachée à cause de la conjonction d'un excés d'endettement pour la vie quotidienne, d'un besoin imprévu d'argent et d'un incident de paiement.
Et avant que la commission de surendettement ne mette la banque face à un arrangement raisonnable, tous les avoirs du client s'étaient évaporés en frais exorbitants d'huissiers, d'avocats ou de banque à cause d'une petite somme manquante au départ.
Depuis, rien n'avait changé. La seule façon d'être tranquille était d'être Rmiste en logement social. Enfin, d'autres vautours les guettaient : les télés payantes, les buralistes, les cafetiers, les opérateurs téléphoniques, les boulangers, les meccanos, les vendeurs de supermarché pour récupérer les quelques francs qui leur permettaient de survivre.
Au cours de ces vingt cinq dernières années, la situation s'était accélérée. Le pouvoir d'achat des ménages baissait chaque année en Europe et aux Etats-Unis tandis que les états démocratiques en faillite étaient noyautés par le grand capitalisme qui faisait élire les dirigeants de paille qui leur voteraient des lois encore plus favorables. Il avait pris le contrôle des médias, y compris celui d'internet. En France, l'état providence en faillite avait fini par vendre ses entreprises pour ne faire que rembourser les intérêts d'une dette que les dirigeants malgré les apparences s'évertuaient à aggraver pour assurer des revenus réguliers et de « bonnes affaires » aux financiers. Les autoroutes, le secteur énergétique, la poste, la distribution d'eau, le traitement des déchets, mais aussi d'anciens services publics comme les hôpitaux , la justice et la police étaient tombés entre leurs mains.
Pourtant, cette embellie capitaliste ne profitait plus aux banques, d'où ma venue aujourd'hui dans cette agence. Je venai récupérer les disques durs tampons de leurs serveurs qui transmettaient les données concernant leurs clients vers les centres informatiques des sièges sociaux.
Il y avait eu des signes avant-coureur : La mauvaise passe du Crédit Lyonnais, renfloué par l'état, la faillite de la Barings… en Angleterre …puis des faillites de grandes sociétés comme Enron. Les compagnies d'assurances se serrèrent les coudes, les américains continuèrent leur fuite en avant, le monde se focalisa sur l'après 11 septembre, oubliant le « bug de l'An 2000 » et la réussite insolente de quelques grosses sociétés aux dépens de toutes les autres, comme à ceux de toutes les populations, passait inaperçue du grand public. Dans le même temps, au niveau législatif comme sur Internet, sous couvert de sécurité, de défense du « code de la propriété intellectuelle » et d'une certaine moralisation, la chape de plomb chaque jour finit d'étouffer la concurrence comme la contestation. Puis l'argent réduit à une carte bleue et à des unités de comptes, et les conseillers financiers remplacés par des systèmes experts de simulation, les agences bancaires n'avaient plus aucun intérêt. Et tout le monde y avait droit, surtout que la dénatalité compensée par l'allongement du temps de travail d'employés de plus en vieux (mais payés une misère suite à la « reconduite négociée annuelle du contrat de travail », devenue la norme grâce à la disparition des syndicats et aux nouveaux textes de lois régissant le monde du travail) permettait un emploi pour tous. Un emploi mal payé pour beaucoup, sauf pour les informaticiens qui avaient permis la mise en place de la nouvelle société équitable et respectueuse de l'environnement.
Aujourd'hui, un chinois n'envie plus son homologue français et les usines ne sont donc plus délocalisées, il n'y a plus d'immigrés qui quittent leurs pays pour raisons économiques, même en Afrique.
Mais pour le directeur de l'agence, aujourd'hui en instance de recherche d'emploi, c'était fini les safaris. Il lui resterait la chasse au dahut en Corrèze. Je poussai la porte vitrée. Il était assis face à la machine à café, en bras de chemise, un gobelet à la main. Manifestement, il n'en avait plus rien à faire. Il avait vieillit et ne se remettrait jamais. Et pourtant, selon la norme, il lui restait encore quelques années de cotisation à la Caisse de Retraite Unifiée à assumer avant d'en bénéficier pour lui-même. Il leva les yeux vers moi et me reconnut immédiatement.
« Auguste ! Auguste Picrate. Si je m'attendais… »
Chapitre second
Son ton avait perdu toute sa condescendance de ce jour-là. Ce jour où il m'avait fait comprendre qu'il ne m'embaucherait pas, malgré ses promesses durant le stage. Il ne m'avait en plus pas rétribué, comme la loi l'y autorisait, puisque j'étais en formation. Tout un été, j'avais espéré. Et il m'avait même conseillé de faire de l'informatique car je semblai doué. Il faut dire que l'étude de cas de ses clients en matière de faillite personnelle passée ou en cours avait été bien mise en avant par la pertinence de mes requêtes sur les extraits de comptes.
-Comment allez-vous, mon cher Auguste.
En partant, je lui avais lancé un dernier nom d'oiseau, et l'avais assuré de ma non-clientèle à perpétuité. Et depuis dix ans, c'était lui qui payait à ma boite, sans savoir que j'y étais, de substantielles sommes pour bénéficier d'une sécurité informatique performante, et d'une réactivité maximale des sytèmes experts à la Bourse Mondiale. C'est d'ailleurs ces systèmes qui l'avaient ruiné la semaine dernière après huit secondes d'euphoriques ventes achats reventes qui n'avaient pu prévoir le crack brutal généralisé suite à la chute des Assurances Anglaises de Répartition des Risques Immobiliers en Europe de l'Ouest.
Il faut dire qu'en fait, la Bourse Mondiale a buggé deux secondes, ce qui a affolé tous les systèmes experts périphériques qui par sécurité ont vendu en masse, provocant une première chute des cours. La spirale infernale a fait le reste et seuls les systèmes experts de dernière génération ne se sont pas laissés prendre et eux ont su anticiper les bons plans. Il est normal que les sociétés éditrices de ces logiciels en aient le plus profité, au détriment des versions commercialisées qui ayant fait leurs preuves étaient par conséquent dépassées. Heureusement que depuis toujours, les logiciels informatiques ont une clause de non-responsabilité au dessus de leur prix de vente en cas de dommages dus à leur utilisation. Mais, même pour demander ce remboursement, il faudrait porter plainte, que l'enquête aboutisse et qu'il ait les moyens de payer les avocats et l'avance des frais de justice au tribunal. C'est ça, tout l'intérêt de la privatisation de la justice.
- Ca va bien, Monsieur, lui répondis-je obséquieusement, vous voyez, j'ai bien suivi vos conseils.
- Très bien. J'en suis ravi pour vous. Un café ?
- Merci, non. C'est déconseillé pour la santé vous savez ?
- Voyez-vous, moi, depuis la semaine dernière, je me suis remis à fumer alors que j'ai arrêté comme beaucoup en 2007.
- Moi, je bois un verre de vin rouge avec le fromage pasteurisé du repas du dimanche. C'est tout.
- La vie est moins drôle aujourd'hui, et il faut attendre d'être vraiment vieux pour pouvoir en profiter un peu…si on y arrive.
- J'ai encore deux bonnes décennies de travail devant moi, et l'informatique est florissante aujourd'hui.
- Comme l'a été la banque en son temps. La main passe.
- C'était dans l'ordre des choses. Et c'est vous-même qu'il l'avait établi.
- Comment ça ?
- Vous avez désolidarisé l'argent de la valeur travail en spéculant, et en estimant toujours le progrés immédiat, plutôt que le long terme, comme un client qui emprunte sans réfléchir au lendemain. Vous avez tenu entre vos mains tous les secteurs d'activités. Pour simplifier la gestion, vous avez dématérialisé l'argent. Pour contrôler les entreprises comme les particuliers, vous l'avez utilisé comme une arme, soit en finançant des concurrents, soit en asséchant la source au mauvais moment, mais toujours en vous servant abondamment au mépris du client. En plus, la société n'a plus fourni l'opportunité d'économiser ou d'emprunter à prix raisonnable. Il n'est resté que la spéculation. Les gens n'ayant en fin de compte que peu d'argent quotidien, dématérialisé de surcroit, dépensent vite mais ne permettent plus de bénéfices. A part vos avoirs et ceux de riches clients dont vous êtiez dépendant d'un petit nombre seulement, vous n'avez plus fait de bénéfices sur les petites rivières des intérêts ou des petits frais, à part les cartes bancaires.
- Oui, mais nous avions cependant les moyens de continuer encore un certain temps…
- Plus aucun intérêt pour vos clients de vous payer pour une gestion que nos logiciels sont capables de faire automatiquement. La loi nous y autorise depuis trois mois déjà.
- Oui, mais aucun n'avait confiance en vous.
- Pas tout à fait. Et résultat, ceux qui sont restés ont coulé avec vous alors que ceux qui nous ont fait confiance ont été préservés du tourbillon baissier.
- Ils sont donc encore moins nombreux à avoir besoin de vous.
- Détrompez-vous. Les utilisateurs de l'informatique seront toujours des milliards. L'argent virtuel a conservé le pouvoir de quelques uns, mais a changé la face du monde. En dehors du travail, les gens peuvent bénéficier, en plus des logiciels de jeux à bas prix, de produits issus du monde du libre. Cela a fait disparaître les artistes qui ont servi de cheval de troie pour établir « le code de la propriété intellectuelle » dans toutes les juridictions mondiales, y compris les armes à la main quand il a fallu, et les système de contrôle afférents dans les échanges informatisés via le net. Ce sont eux qui finalement en nous payant ont financé leur propre perte, puisque non seulement nous avons fourni aux internautes les moyens de réaliser eux aussi des œuvres numériques artistiques à moindre coût, mais la repression sur le téléchargement illégal a été tellement forte et efficace que seul le libre a pu s'échanger librement. Quand aux films, les amateurs avec une petite caméra et leur inventivité font bien rire leur correspondant, à la différence d' Hollywood , qui ne les fait plus rêver avec ses stars artificielles inspirées d'acteurs morts pour ne pas avoir à payer les cachets élevés qu'auraient exigé les vivantes si il y en avait encore. Et les effets spéciaux aujourd'hui ont fini par lasser.
Les nouvelles générations se moquent du pouvoir et de l'argent puisque des jeux comme « Deuxième chance » qui leur font vivre des destins de meneurs d'hommes riches et célèbres leur suffisent. L'informatique a aidé le monde à sauver l'environnement. Quelle idée d'acheter une voiture pour risquer l'embuscade d'un radar robot mobile alors qu'on peut piloter n'importe quelle voiture virtuelle et que la plupart des boulots sont liés à l'informatique et donc peuvent être exercés de n'importe quelle piaule miteuse…
- L'homme désirera toujours avoir de l'argent
- Pas celui que vous avez connu. On disait déjà de votre temps que l'argent ne faisait pas le bonheur. La consommation permettait à la fois de frustrer les gens afin de les inciter à consommer, et de dégager pour une certaine élite de substantiels bénéfices car le prix était fixé au maximum de ce que le consommateur était disposé à mettre. Mais consommer est devenu insupportable. Aujourd'hui, chacun à le droit au travail et à l'accés à un ordinateur. Le travail permet la subsistance. L'ordinateur permet des loisirs gratuits. Il n'y a plus d'argent et le partage du libre sur l'Internet permet la paix sociale au sein d'un système répressif omniprésent à cause de l'informatique. Mais comment voler un voisin qui n'a pas plus que soi ? Comment vendre quelque chose qu'on peut donner tout en le conservant pour soi ? Comment ne pas payer quand la paye est débitée automatiquement jusqu'au dernier cent et que le crédit n'existe pas parce que trop cher, il est interdit de fait ?
- Et vous, comment gagnerez vous de l'argent alors maintenant ?
- Moi, j'ai encore des clients riches qui paient …pour le rester.
Epilogue
Mai 2020
Nous avons fait la même erreur que les banquiers. Eux voulaient gérer tout l'argent, le plus vite possible et il leur a échappé, dématérialisé et rapide comme il était. Nous, nous avons voulu un contrôle par nos produits, de plus en plus poussés. Et les intelligences artificielles auxquelles nous avons donné juridiquement carte blanche ont relu la constitution, et en matière d'égalité, de partages des ressources naturelles, des lois sur l'écologie qui n'autorisent pas les croisières de quelques privilégiés sur de grands yachts..., elles ont donc pris des mesures. Les derniers riches ont vu leurs avoirs confisqués, ainsi que ceux qui profitaient encore de leurs miettes qui en faisaient eux aussi des privilégiés. C'était tellement simple. Remise à zéro du compte en banque, inscription d'office sur les rôles du BIT (Bureau International du Travail) et décision de transformer les riches propriétés non agricoles en zones d'urbanisation sociale prioritaires . Bref, je dois travailler au Service de Travail Manuel Obligatoire par solidarité comme pour ma santé physique et mentale que je dois entretenir jour après jour. Et seuls les malades trop atteints en sont dispensés. Mais pour les autres, pour des raisons de santé, comme d'égalité des droits et des devoirs, partout sur terre, il n'y a plus de retraite. Et personne ne se plaint. Certainement pas ceux à qui nous avons appris, à coup de répression financière et de loisirs audio-visuels douteux, à ne pas réfléchir, et ne pas contester les décisions de leurs dirigeants, à part que ceux-ci sont aujourd'hui virtuels, puisque seulement des programmes informatiques d'intelligence artificielle, et qu'ils mettent en application les volontés exprimées par le peuple : « De la sécurité, du travail et la santé pour tous. »
Voilà, ami internaute lecteur, la fin de ma petite histoire. Les IA ont trouvé malgré tout le niveau intellectuel des IN (intelligences naturelles) assez bas. Donc, les artistes et les créateurs peuvent avoir un peu de bonus au vulgus de base. Je vous en prie. Une centaine de lectures et une bonne moyenne me permettront, aprés ces trois heures de saisie , de pouvoir bénéficier de quelques crédits en plus du revenu minimum incompressible le mois prochain au nom de la Création Culturelle.
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