Mémoires d'Outre-tombe, Partie 04, Livres 01 à 05, édition Biré - François rené (de) Chateaubriand | Livre audio gratuit | Mp3 (audiocite.net)
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Madame la Duchesse de Berry, Arrestation, Genève et Coppet, Prague, Henri V, de Carlsbad à Paris, Journal de Paris à Venise, Milan, Vérone, Venise, Murano, Padoue, les Arts. Le Danube... Prague en 1833, Vie politique. Politique générale du moment. — Louis-Philippe. — M. Thiers. — M. de la Fayette. — Armand Carrel. — De quelques femmes : La Louisianaise. — Madame Tastu. — Madame Sand. — M. de Talleyrand.
« Je ne pouvais m'arracher aux dessins originaux de Léonard de Vinci, de Michel-Ange et de Raphaël. Rien n'est plus attachant que ces ébauches du génie livré seul à ses études et à ses caprices ; il vous admet à son intimité ; il vous initie à ses secrets ; il vous apprend par quels degrés et par quels efforts il est parvenu à la perfection : on est ravi de voir comment il s'était trompé, comment il s'est aperçu de son erreur et l'a redressée. Ces coups de crayon tracés au coin d'une table, sur un méchant morceau de papier, gardent une abondance et une naïveté de nature merveilleuses. Quand on songe que la main de Raphaël s'est promenée sur ces chiffons immortels, on en veut au vitrage qui vous empêche de baiser ces saintes reliques.
Je me suis délassé de mon admiration à l'Académie des Beaux-Arts par une admiration d'une autre sorte à Saints-Jean-et-Paul ; ainsi l'on se rafraîchit l'esprit en changeant de lecture. Cette église, dont l'architecte inconnu a suivi les traces de Nicolo Pisano, est riche et vaste. Le chevet où se retire le maître-autel représente une espèce de conque debout ; deux autres sanctuaires accompagnent latéralement cette conque : ils sont hauts, étroits, à voûtes multicentres, et séparés du chevet par des refends à rainures. »
« Durant cette tempête au dehors, Charles X me disait au dedans : « Je me suis occupé de corriger l'acte de mon gouvernement à Paris. Vous aurez pour collègue M. de Villèle, comme vous l'avez demandé, le marquis de La Tour-Maubourg et le chancelier. »
Je remerciai le roi de ses bontés, en admirant les illusions de ce monde. Quand la société croule, quand les monarchies finissent, quand la face de la terre se renouvelle, Charles établit à Prague un gouvernement en France, de l'avis de son conseil entendu. Ne nous raillons pas trop : qui de nous n'a sa chimère ? qui de nous ne donne la becquée à de naissantes espérances ? qui de nous n'a son gouvernement in petto, de l'avis de ses passions entendues ? La moquerie m'irait mal à moi l'homme aux songes. Ces Mémoires, que je barbouille en courant, ne sont-ils pas mon gouvernement, de l'avis de ma vanité entendue ? Ne crois-je pas très sérieusement parler à l'avenir, aussi peu à ma disposition que la France aux ordres de Charles X ? »
« M. de La Fayette s'est élevé parce qu'il a vécu : il y a une renommée échappée spontanément des talents, et dont la mort augmente l'éclat en arrêtant les talents dans la jeunesse ; il y a une autre renommée, produit de l'âge, fille tardive du temps ; non grande par elle-même, elle l'est par les révolutions au milieu desquelles le hasard l'a placée. Le porteur de cette renommée, à force d'être, se mêle à tout ; son nom devient l'enseigne ou le drapeau de tout : M. de La Fayette sera éternellement la garde nationale. Par un effet extraordinaire, le résultat de ses actions était souvent en contradiction avec ses pensées ; royaliste, il renversa en 1789 une royauté de huit siècles ; républicain, il créa en 1830 la royauté des barricades : il s'en est allé donnant à Philippe la couronne qu'il avait enlevée à Louis XVI. Pétri avec les événements, quand les alluvions de nos malheurs se seront consolidées, on retrouvera son image incrustée dans la pâte révolutionnaire. »
« La vanité de M. de Talleyrand le pipa ; il prit son rôle pour son génie ; il se crut prophète en se trompant sur tout ; son autorité n'avait aucune valeur en matière d'avenir ; il ne voyait point en avant, il ne voyait qu'en arrière. Dépourvu de la force du coup d'oeil et de la lumière de la conscience, il ne découvrait rien comme l'intelligence supérieure, il n'appréciait rien comme la probité. Il tirait bon parti des accidents de la fortune, quand ces accidents, qu'il n'avait jamais prévus, étaient arrivés, mais uniquement pour sa personne. Il ignorait cette ampleur d'ambition, laquelle enveloppe les intérêts de la gloire publique comme le trésor le plus profitable aux intérêts privés. M. de Talleyrand n'appartient donc pas à la classe des êtres propres à devenir une de ces créatures fantastiques auxquelles les opinions ou faussées ou déçues ajoutent incessamment des fantaisies. Néanmoins il est certain que plusieurs sentiments, d'accord par diverses raisons, concourent à former un Talleyrand imaginaire. »
Livre X : Inégalité des fortunes. Société et Individu. Récapitulation de sa vie, des changements du monde. Conclusion. Suppléments. Julie de Chateaubriand. Lettre de monsieur de La Ferronnays. Généalogie.
« Des orages nouveaux se formeront ; on croit pressentir des calamités qui l'emporteront sur les afflictions dont nous avons été accablés ; déjà, pour retourner au champ de bataille, on songe à rebander ses vieilles blessures. Cependant je ne pense pas que des malheurs prochains éclatent : peuples et rois sont également recrus ; des catastrophes imprévues ne fondront pas sur la France : ce qui me suivra ne sera que l'effet de la transformation générale. On touchera sans doute à des stations pénibles ; le monde ne saurait changer de face sans qu'il y ait douleur. Mais, encore un coup, ce ne seront point des révolutions à part ; ce sera la grande révolution allant à son terme. Les scènes de demain ne me regardent plus ; elles appellent d'autres peintres : à vous, messieurs. »
« L'Avenir du monde » et « Amour et vieillesse » termineront prochainement ces Mémoires.
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Source: https://fr.wikisource.org/wiki/M%C3%A9moires_d%E2%80%99outre-tombe/Quatri%C3%A8me_partie/Livre_VI
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