Retour au menu
Retour à la rubrique philosophies
DIALOGUES DES MORTS-CALIGULA ET NéRON
Écoute ou téléchargement
Commentaires
Biographie ou informations
Texte ou Biographie de l'auteur
Caligula Et Néron.
Caligula
Je suis ravi de te voir, tu es une rareté. On a voulu me donner de la jalousie contre toi en m'assurant que tu m'as surpassé en prodiges, mais je n'en crois rien.
Néron
Belle comparaison ! tu étais un fou. Pour moi, je me suis joué des hommes, et je leur ai fait voir des choses qu'ils n'avaient jamais vues. J'ai fait périr ma mère, ma femme, mon gouverneur, mon précepteur, j'ai brûlé ma patrie. Voilà des coups d'un grand courage qui s'élève au-dessus de la faiblesse humaine. Le vulgaire appelles cela cruauté. Moi je l'appelle mépris de la nature entière et grandeur d'âme.
Caligula
Tu fais le fanfaron. As-tu étouffé comme moi ton père mourant ? As-tu caressé comme moi ta femme en lui disant : «Jolie petite tête, que je ferai couper quand il me plaira ?»
Néron
Tout cela n'est que gentillesse pour moi. Je n'avance rien qui ne soit solide. Hé ! vraiment j'avais oublié un des beaux endroits de ma vie ; c'est d'avoir fait mourir mon frère Britannicus.
Caligula
C'est quelque chose, je l'avoue. Sans doute tu l'as fait pour imiter la vertu du grand fondateur de Rome, qui pour le bien public n'épargna pas même le sang de son frère. Mais tu n'étais qu'un musicien.
Néron
Pour toi, tu avais des prétentions plus hautes. Tu voulais être dieu, et massacrer tous ceux qui en auraient douté.
Caligula
Pourquoi non ? Pouvait-on mieux employer la vie des hommes que de la sacrifier à ma divinité ? C'étaient autant de victimes immolées sur mes autels.
Néron
Je ne donnais point dans de telles visions. Mais j'étais le plus grand musicien et le comédien le plus parfait de l'empire. J'étais même bon poète.
Caligula
Du moins tu le croyais. Mais les autres n'en croyaient rien ; on se moquait de ta voix, et de tes vers.
Néron
On ne s'en moquait pas impunément. Lucain se repentit d'avoir voulu me surpasser.
Caligula
Voilà un bel honneur pour un empereur romain que de monter sur le théâtre comme un bouffon, d'être jaloux des poètes et de s'attirer la dérision publique.
Néron
C'est le voyage que je fis dans la Grèce qui m'échauffa la cervelle sur le théâtre et sur toutes les représentations.
Caligula
Tu devais demeurer en Grèce pour y gagner ta vie en comédien et laisser faire un autre empereur à Rome qui en soutînt mieux la majesté.
Néron
N'avais-je pas ma maison dorée qui devait être plus grande que les plus grandes villes ? Oui-da, le m'entendais en magnificence.
Caligula
Si on l'eût achevée, cette maison, il aurait fallu que les Romains fussent allés loger hors de Rome. Cette maison était proportionnée au colosse qui te représentait, et non pas à toi, qui n'étais pas plus grand qu'un autre homme.
Néron
C'est que je visais au grand.
Caligula
Non, tu visais au gigantesque et au monstrueux. Mais tous ces beaux desseins furent renversés par Vindex.
Néron
Et les tiens par Chéréas, comme tu allais au théâtre.
Caligula
A n'en point mentir, nous fîmes tous deux une fin assez malheureuse et dans la fleur de notre jeunesse.
Néron
Il faut dire la vérité ; peu de gens étaient intéressés à faire des voeux pour nous et à nous souhaiter une longue vie. On passe mal son temps à se croire toujours entre des poignards.
Caligula
De la manière que tu en parles, tu ferais croire que si tu retournais au monde tu changerais de vie.
Néron
Point du tout. Je ne pourrais gagner sur moi de me modérer. Vois-tu bien, mon pauvre ami, et tu l'as senti aussi bien que moi, c'est une étrange chose que de pouvoir tout. Quand on a la tête un peu faible, elle tourne bien vite dans cette puissances sans bornes. Tel serait sage dans une condition médiocre qui devient fou, quand il est le maître du monde.
Caligula
Cette folie serait bien jolie si elle n'avait rien à craindre, mais les conjurations, les troubles, les remords, les embarras d'un grand empire gâtent le métier. D'ailleurs, la comédie est courte, ou plutôt c'est une horrible tragédie qui finit tout à coup. Il faut venir compter ici avec ces trois vieillards chagrins et sévères qui n'entendent point raillerie, et qui punissent comme des scélérats ceux qui se faisaient adorer sur la terre. Je vois venir Domitien, Commode, Caracalla et Héliogabale, chargés de chaînes, qui vont passer leur temps aussi mal que nous.
Source: Mediterranees.net
Retour à la rubrique philosophies
Retour au menu