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MANNEKEN PIS

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Illustration Manneken-Pis domaine public Pixabay

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Texte ou Biographie de l'auteur



Charles DEULIN (1827-1877)

Charlemagne Deulin, dit Charles Deulin, né à Condé-sur-l'Escaut (Nord) le 5 janvier 1827 et mort le 29 septembre 1877, est un romancier, journaliste et critique dramatique français.
Fils d’un culottier, il fait ses études à Valenciennes. Il s'installe ensuite à Paris, où il se lie avec Francisque Sarcey dont il épouse une des sœurs. Il collabore à plusieurs journaux, dont Le Figaro, Le Pays, Le Monde illustré, la Gazette du Nord et le Journal littéraire. Il tient successivement la chronique théâtrale dans L’Esprit public, la Nouvelle Revue de Paris, La Revue française et Le Journal pour tous. Ses recueils de contes, dont le premier, paru pour la première fois en 1868, s'intitule Contes d'un buveur de bière, furent bien accueillis et ont souvent été réédités.
 
 
MANNEKEN-PIS

I

Au temps jadis, il y avait au hameau de Boschfort, dans le bois de la Cambre, à deux lieues de Bruxelles, en Brabant, un sabotier qui vivait pauvrement, avec ses trois fils, de la vente de ses sabots. Or, un matin, ce sabotier vit s’arrêter devant sa cabane un vieil homme qui s’appuyait péniblement sur un bâton.


 
Cet homme, à longs cheveux blancs, à grande barbe et portant un tablier de cuir, était rendu de fatigue, et, de plus, si mal chaussé que ses souliers semblaient près de le laisser en route.


 
« Est-ce que vous ne pourriez mie, demanda-t-il au maître de la hutte, m’indiquer l’échoppe d’un savetier ?


 


— Il n’y a par ici ni savetiers ni cordonniers, répondit l’autre. Nous sommes tous sabotiers de père en fils et, de notre vie vivante, nous n’avons porté de souliers. »


 
 


Le voyageur parut désappointé.


 


 


 


« Mais vous-même, reprit le sabotier en regardant son tablier de cuir, n’êtes-vous point cordonnier de votre état ?


 


— Je l’ai été, repartit l’inconnu, et, bien que les cordonniers soient d’ordinaire fort mal chaussés, j’ai vraiment honte à traverser ainsi la capitale du royaume des Pays-Bas. Vendez-moi donc, je vous prie, une paire de sabots. »


 


 


 


Il entra dans la hutte et, après avoir trouvé chaussure à son pied, il ouvrit son escarcelle. Le sabotier s’aperçut qu’elle ne contenait que cinq sous, et, prenant en pitié la misère du vagabond, il lui dit :


 


 


 


« Gardez votre argent, fieu de Dieu. Ce n’est point moi qui priverai de ses derniers patards un pauvre vieux las d’aller tel que vous.


 


— Puisque vous avez l’âme si bonne, répondit l’étranger, je ne veux point vous le céder en honnêteté. Laissez-moi vous conter une histoire. Pour n’être point d’aujourd’hui, elle n’en est pas moins véritable.


 


 


 


Après l’arbre de vie et le fatal pommier qui damna le genre humain, le plus bel arbre du paradis terrestre était un superbe pêcher. Ce fut aussi le seul qui resta sur la terre quand, par la faute d’Adam, le jardin des délices disparut de ce monde.


 


 


 


Or, il y a dix-huit cents ans, j’ai été condamné pour avoir manqué de charité, à un voyage qui n’est point près de finir.


 


 


 


Un jour que je passais par l’endroit où verdoyait jadis le paradis, je vis le merveilleux pêcher, et j’y cueillis trois pêches.


 


 


 


Je les mangeai dans le dessein de me fortifier le cœur contre les fatigues d’un si long pèlerinage, et je gardai les noyaux, afin d’en faire don à ceux qui pratiquent sincèrement l’amour du prochain, que j’avais si mal pratiqué.


 


 


 


Depuis dix-huit cents ans que je parcours le monde, je n’en ai encore placé que deux. J’ai offert le premier à saint Martin, patron des francs buveurs, quand, à la porte d’Amiens, il partagea son habit avec un faux invalide qui n’était autre que Belzébuth ; j’ai offert le second au roi Robert de France, lorsque, surprenant un pauvre diable de voleur qui coupait la frange de son manteau, il le pria débonnairement d’en laisser pour un autre.


 


 


 


Voici le troisième ; acceptez-le, vous qui, manquant de tout, m’avez donné le seul bien qui vous appartienne, le produit de votre travail.


 


 


 


— Merci, l’homme de Dieu, fit le sabotier ; et il prit le noyau, tandis que ses fils ouvraient des yeux grands comme des portes de grange.


 


— Mais, notre maître, dit alors Petit-Pierre, le culot de la famille, si vous voyagez depuis dix-huit cents ans, c’est donc vous qui…


 


Oui, c’est moi, mes enfants,


 


Qui suis le Juif errant, »


 


répondit sur un air bien connu Isaac Laquedem, car c’était lui, et, après avoir repris son bâton, il se remit en route pour Bruxelles où, comme chacun sait, il fut accosté par des bourgeois fort dociles qui le régalèrent d’un pot de fraîche bière, en le priant de raconter son histoire.


 


 


 


II


 


 


 


Le sabotier et ses fils ne revirent plus jamais le Juif errant, mais ils plantèrent le noyau dans leur courtil. Le noyau germa et devint un arbre extraordinaire.


 


 


 


Il portait quatre fois l’an, aussi bien le printemps que l’été, l’hiver que l’automne, et les pêches les moins bonnes n’étaient point celles qui mûrissaient au vent de bise.


 


 


 


Il faut savoir que le trône des Pays-Bas avait alors pour maître un monarque fort gourmand, digne petit-fils d’Adam, de qui nous descendons tous, monarques et sabotiers.


 


 


 


Ce roi aimait passionnément les pêches, et comme on n’avait point encore inventé les serres pour remplacer le soleil, il était désolé de n’en pouvoir manger à Noël ou à la Chandeleur.


 


 


 


Il lui arriva même une fois, en faisant réveillon, de dire qu’il donnerait de bon cœur sa fille en mariage au beau premier qui lui apporterait une corbeille de pêches pour son dessert. Le propos en vint aux oreilles du sabotier.


 


 


 


Le merveilleux pêcher se couronnait justement de ses fruits, et c’était un rare et curieux spectacle de le voir balancer son front vermeil sous le ciel gris de nuages, sur la terre blanche de neige.


 


 


 


« Voilà, se dit le sabotier, une riche occasion d’établir l’aîné de mes fils. Il épousera la princesse et, après la mort du beau-père, il régnera sur les Pays-Bas, ce qui est un métier moins fatigant que de faire des sabots. »


 


 


 


Il cueillit les plus belles pêches, les déposa soigneusement dans un petit panier et envoya son fils au palais du roi. Le jeune sabotier partit à travers la futaie.


 


 


 


En passant près de l’abbaye de la Cambre, à l’endroit qu’on appelle le Trou du Diable, il rencontra une vieille pauvresse toute ratatinée qui ramassait du bois mort.


 


 


 


« Qu’est-ce que vous portez donc dans ce panier, mon petit fieu ? lui cria-t-elle.


 


— Des glands à votre service, la vieille ! répondit le gars, qui n’était pas très bien élevé pour un prince en herbe.


 


— Eh bien ! fieu, répliqua la grand’mère, je souhaite que ce soient les plus beaux glands qu’on ait jamais vus. »


 


 


 


Le messager se présenta à la porte du palais et, quand il eut dit qu’il apportait des pêches pour le dessert royal, on le conduisit devant le monarque, qui justement était à table.


 


 


 


Il ouvrit son panier, et jugez de sa surprise lorsque, au lieu de pêches, il y trouva des glands gros comme des pétotes, ou, si vous le préférez, des pommes de terre.


 


 


 


« Godverdom ! pour quelle bête me prend-on ? » s’écria le roi en jetant sa serviette.


 


 


 


Le messager n’eut que le temps de détaler et retourna tout courant chez son père.


 


 


 


« Eh bien ? dit le sabotier.


 


— On ne m’a mie laissé entrer, » répondit le jeune drôle.


 


 


 


Le père, qui le connaissait menteur et gourmand, pensa qu’il avait mangé les pêches, au lieu de les porter au palais. Le lendemain, il en cueillit d’autres et les envoya par son fils cadet.


 


 


 


Arrivé au Trou du Diable, le gars rencontra la pauvresse qui lui dit :


 


 


 


« Qu’est-ce que vous portez donc là, mon petit fieu ?


 


— Des crapauds qui t’ont vue au sabbat, vieille sorcière, répondit celui-ci, qui était encore plus mal embouché que son aîné.


 


— Eh bien ! fieu, je souhaite que ce soient les plus beaux crapauds qu’on ait jamais vus. »


 


 


 


En effet, quand le panier fut ouvert devant le roi, il en sortit d’énormes crapauds qui se mirent à marcher, noirs, gluants, hideux, sur la belle nappe blanche.


 


 


 


Le roi, la reine et la princesse se levèrent en poussant un cri d’horreur. Le monarque allongea à l’insolent commissionnaire un grand coup de pied qui l’envoya cogner de la tête un domestique, lequel le repoussa sur un autre, qui le rejeta sur un troisième, et c’est ainsi que, de bourrade en bourrade, le garnement gagna la porte, trop heureux d’en être quitte à si bon marché.


 


 


 


III


 


 


 


Le souverain déclara alors par un édit que le premier qui, sous couleur de pêches, lui apporterait encore des glands ou des crapauds, il le ferait pendre à la flèche du beffroi.


 


 


 


Le sabotier voulut savoir de ses fils ce que cela signifiait, mais ils se gardèrent bien de lui avouer comment, par leur malhonnêteté, les pêches s’étaient changées en route.


 


 


 


Le pauvre homme ne pouvait se consoler de ce qu’ils eussent manqué une si belle occasion d’épouser une princesse.


 


 


 


« J’irais bien, moi, si on m’y envoyait, » dit Petit-Pierre.


 


 


 


Petit-Pierre paraissait plus avisé que ses frères ; mais autant ceux-ci étaient gros, joufflus et vermeils, autant il avait l’air maigre, chétif et pâlot. C’est à ce point qu’on ne l’appelait jamais que le criquet ou le sautériau d’août.


 


 


 


« Quelle apparence que le sautériau réussisse mieux que ses frères ? pensait le sabotier. Jamais d’ailleurs la princesse ne voudra épouser un pareil criquion. »


 


 


 


La récompense était pourtant si tentante qu’après avoir balancé toute une semaine, il se décida à dépêcher Petit-Pierre.


 


 


 


Celui-ci, comme les autres, rencontra la vieille au Trou du Diable, et, quand elle lui demanda ce qu’il portait dans son panier, il répondit poliment :


 


 


 


« Des pêches, ma brave femme, pour le dessert du roi.


 


— Eh bien ! fieu, je souhaite que ce soient les plus belles pêches qu’on ait jamais vues.


 


— Que Dieu vous entende, bonne grand’mère ! »


 


 


 


Et Petit-Pierre continua son chemin.


 


 


 


Lorsqu’il arriva à la porte du palais, la sentinelle eut pitié de lui et voulut l’empêcher de courir à sa perte, mais il insista tellement qu’on finit par l’introduire.


 


 


 


Il laissa ses sabots derrière l’huis et entra bravement dans la salle à manger. Aussitôt qu’il eut ouvert son panier :


 


 


 


« Godverdom ! les belles pêches ! » s’écria le roi, dont les yeux brillèrent comme des lumerotes.


 


 


 


Et de fait, elles étaient superbes, blanches et roses, couvertes d’un mignon duvet et presque aussi grosses que les balles d’argent qu’on donne chez nous pour prix du jeu de paume.


 


 


 


Le monarque, avec son petit couteau d’or, commença d’en peler une, en passant sa langue sur ses lèvres. La chair lui en parut si parfumée qu’il les expédia toutes sur-le-champ. Il s’aperçut seulement, au dernier quartier de la dernière pêche, qu’il oubliait d’en offrir à la reine et à la princesse.


 


 


 


Quand son assiette fut pleine de noyaux, il s’avisa de la présence de Petit-Pierre. Il le toisa de la tête aux pieds et, fronçant le sourcil:


 


 


 


« Qu’est-ce que tu fais là, manneken ? »


 


 


 


Vous saurez qu’en flamand manneken, qu’on prononce menneke, veut dire petit homme.


 


 


 


« J’attends, sire, répondit le sautériau.


 


— Quoi ?


 


— La récompense que Votre Majesté a promise.


 


— Ah !… comment t’appelles-tu ?


 


— Petit-Pierre.


 


— Et que fais-tu de ton métier ?


 


— Des sabots, sire.


 


— Mais je me veux mie devenir sabotière ! s’écria la princesse.


 


— Oh ! je changerai d’état, mademoiselle, si le mien vous déplaît.


 


— Et tu apprendras celui de roi ? demanda le monarque.


 


— Oui, sire, pourvu que Votre Majesté veuille bien me l’enseigner.


 


— Eh bien ! fieu, tu vas commencer tout de suite ton apprentissage. »


 


 


 


Le roi des Pays-Bas avait le bec plus fin que la conscience délicate. Morceau avalé, comme on dit, n’a plus de goût, et c’est pourquoi il cherchait un prétexte honnête de manquer à sa parole.


 


 


 


Il parla à l’oreille d’un valet qui sortit et rentra bientôt avec une manne où se trouvaient douze petits lapins blancs.


 


 


 


« Ecoute, manneken, dit-il alors au sautériau, les rois ne sont pas autre chose que des bergers ; mais les hommes, sais-tu, sont plus malaisés à conduire que les moutons. Tu vois ces douze petits lapins. Tu vas les aller paître au bois et si, durant trois jours, tu nous ramènes ton troupeau au complet, c’est que tu as des dispositions pour le métier de roi, et que, plus tard, tu pourras tenir notre houlette. »


 


 


 


Un éclat de rire général accueillit ce beau discours. Petit-Pierre vit bien que le monarque se moquait de lui, mais, comme il n’avait point d’autre parti à prendre :


 


 


 


« J’essayerai, » fit-il sans se déconcerter, et, tirant sa révérence, il se dirigea vers le bois, suivi du domestique qui portait les lapins.


 


 


 


IV


 


 


 


Lorsqu’on fut au Trou du Diable, le valet ouvrit le panier, d’où les lapins s’enfuirent dare-dare dans tous les sens.


 


 


 


« Au revoir à vous treize ! » dit-il d’un ton goguenard au berger, qui n’eut pas l’air de l’entendre.


 


 


 


Petit-Pierre ne s’amusa point à courir après ses bêtes. Il les regarda fuir tout en busiant et, quand la dernière eut disparu, il reprit lentement le chemin de Boschfort.


 


 


 


Il pensait à part lui que la princesse était bien jolie et qu’il eût été bien agréable de réussir à garder les lapins, ne fût-ce que pour se revancher des éclats de rire et rendre au monarque la monnaie de sa pièce. Il n’eut point fait vingt pas que la vieille grand’mère se trouva tout à coup devant lui.


 


 


 


« Eh bien ! mon petit fieu, lui dit-elle, avez-vous eu bonne dringuelle ?


 


— Pas trop bonne, grand’mère. Le roi avait à peine fini de manger mes pêches qu’il m’a envoyé paître… ses lapins.


 


— Et tu n’y es pas allé ?


 


— Si fait.


 


— Eh bien ?


 


— Eh bien ! on ne les a point plus tôt lâchés dans le bois qu’ils ont pris leurs jambes à leur cou.


 


— Il faut les rappeler.


 


— Mais comment ?


 


— Avec ceci. »


 


 


 


Et elle lui tendit un petit sifflet d’argent.


 


 


 


« Merci, grand mère, » dit le sautériau, et il donna, sans hésiter un grand coup de sifflet.


 


 


 


Aussitôt les douze lapins blancs d’accourir, par sauts et par bonds, de toute la vitesse de leurs pattes. Il renouvela deux ou trois fois l’expérience, et toujours elle réussit à souhait.


 


 


 


Pierre, enchanté, laissa alors son troupeau brouter le thym et le serpolet, et s’en alla près de là, au cabaret du Noir-Mouton boire une pinte en fumant sa boraine.


 


 


 


Le soir, qui fut penaud ? Ce fut le roi quand il vit revenir Petit-Pierre poussant devant lui ses douze lapins et faisant : Prrrou ! prrrou ! du haut de sa tête.


 


 


 


« Est-ce que le drôle serait sorcier ? dit le monarque à ses courtisans. C’est égal, il n’est point possible, savez-vous, qu’un pareil manneken épouse l’héritière présomptive du trône des Pays-Bas.


 


— Si Votre Majesté le permet, hasarda le sire de Nivelle, je me fais fort que le manneken ne ramènera pas demain son troupeau au complet.


 


— Va, mon ami, répondit le souverain, et, si tu réussis, je te donne ma fille, bien que tu ne sois point fils de roi, sais-tu, et que tu me paraisses bien gros pour la rendre heureuse. »


 


 


 


Le sire de Nivelle était gros, en effet, comme un tonneau, et il ne fallait pas moins qu’une pareille rencontre pour qu’il osât prétendre à la main de la princesse.


 


 


 


Le lendemain, il s’en alla au bois avec son chien, et se mit en quête de Petit-Pierre.


 


 


 


V


 


 


 


Le sautériau, pour passer le temps, avait coupé une branche de sureau et il était en train de fabriquer une canonnière ou plutôt, comme on dit chez nous, une arbute, quand il avisa de loin le gros seigneur. Vite, d’un coup de sifflet, il rassembla son troupeau.


 


 


 


« Hardi ! Miraud, hardi ! » cria le sire à son chien.


 


 


 


Miraud était un fameux lévrier. Son maître comptait qu’il ferait une telle peur aux lapins qu’ils s’enfuiraient à tous les diables ; mais, chose singulière ! ils l’attendirent de pied ferme et, loin de courir au gibier, Miraud se tint sur les talons du sire, la queue et l’oreille basses.


 


 


 


Voyant sa ruse échouer, celui-ci suivit l’exemple des chasseurs, quand ils reviennent le carnier vide. Il s’approcha du sautériau.


 


 


 


« Berger, lui dit-il en soufflant comme un bœuf, tu as là de bien jolis lapins. Veux-tu m’en vendre un ?


 


— Mes lapins ne sont ni à vendre ni à donner, répondit le sautériau. Ils sont à gagner.


 


— Ah !… et que faut-il faire pour les gagner ?


 


— Me prêter votre figure afin que je m’exerce à la cible.


 


— Je ne comprends pas.


 


— C’est pourtant bien simple. Je viserai votre pleine lune et son gros nez me servira de petit noir, encore qu’il soit rouge.


 


— Quoi! marmouset, tu oses…


 


— Voilà, fieu. C’est mon idée.


 


— Voyons ! trêve de plaisanterie ! Combien veux-tu de ton lapin ?… Mille escalins ? »


 


 


 


Pierre, sans répondre, se mit à bourrer son arbute avec de petites balles d’écorce de peuplier.


 


 


 


« Dix mille ? »


 


 


 


Il haussa les épaules.


 


 


 


« Vingt mille ? »


 


 


 


Il envoya un projectile sur le nez de Miraud.


 


 


 


Le seigneur comprit qu’il n’en démordrait point. Il se dit qu’un moment de honte est bientôt passé, et qu’après tout, lorsqu’on a le malheur de ressembler à un muid, on ne saurait acheter trop cher l’agrément d’épouser une princesse belle comme le jour.


 


 


 


« Ainsi, tu me donneras un de tes lapins ?


 


— Oui, seigneur, sitôt que je l’aurai mis dans le petit noir.


 


 


 


« Soit ! dit-il, mais dépêchons. »


 


 


 


Il s’essuya le front et se plaça à la distance voulue.


 


 


 


Pendant que les lapins broutaient l’herbe, trottaient, jouaient à cache-cache, Pierre s’amusa gravement à chasser dans la belle face ronde du gros seigneur une grêle de petits bouchons qui rebondissaient sur la peau comme des balles sur un tamis.


 


 


 


Miraud regardait la scène à l’écart, assis philosophiquement sur son derrière.


 


 


 


Le malin sautériau visait tantôt l’œil droit, tantôt l’œil gauche, tantôt la bouche. Jamais il n’atteignait le nez.


 


 


 


« Touché ! s’écriait le sire de Nivelle.


 


— Non, fieu.


 


— Si.


 


— Je ne joue plus, fieu de Dieu, si vous trichez. »


 


 


 


Au bout d’un quart d’heure, ses munitions commençant à s’épuiser, Pierre le mit dans le petit noir, et donna un de ses lapins au seigneur qui partit sans demander son reste.


 


 


 


Il n’était point à une portée d’arbalète qu’un coup de sifflet retentit. Prouf ! le lapin sauta à terre.


 


 


 


« Ici, Miraud, ici ! » cria le sire de Nivelle à son chien qui avait pris les devants.


 


 


 


Mais, au lieu d’obéir, Miraud se sauva à toutes jambes, et de là vint qu’on dit en commun proverbe :


 


C’est le chien de Jean de Nivelle,Il s’enfuit quand on l’appelle.


 


Le seigneur retourna au palais avec sa courte honte, et ne souffla mot du tir à la cible.


 


 


 


C’est pourtant en mémoire de ce haut fait que les gens de Nivelle ont mis plus tard sa statue en fer sur la tour de Sainte-Gertrude, et qu’on l’y voit encore aujourd’hui sonner l’heure à coups de marteau.


 


 


 


VI


 


 


 


« Si on m’y laissait aller, proposa timidement la princesse, il me semble que je ne reviendrais point les mains vides.


 


— Va, ma fille, dit le monarque, sauve l’honneur de la couronne, et prouve au monde que tu n’es pas faite pour devenir sabotière, godverdom ! »


 


 


 


Quelques heures plus tard, Petit-Pierre vit venir de son côté une jeune et fraîche laitière en sabots, cotillon rouge, casaquin noir et tablier blanc. Elle portait sur la tête une cruche ou, pour mieux dire, une cane de cuivre jaune qui brillait au soleil comme de l’or.


 


 


 


« Voici du nouveau, » pensa-t-il.


 


 


 


Et il siffla ses lapins.


 


 


 


La princesse passa, en criant d’une voix claire et traînante :


 


 


 


« Il ne faut point de lait ?


 


— Hé ! la belle laitière, vendez-m’en pour un sou, fit Petit-Pierre, qui, prenant goût au jeu, ne voyait aucun inconvénient à engager la partie.


 


— Volontiers, gentil bergeolin. »


 


 


 


Et, versant du lait dans le couvercle de la cane, la fausse laitière le présenta au sautériau.


 


 


 


« Oh ! les jolis lapins blancs ! dit-elle en feignant la surprise. Donnez-m’en un.


 


— Les lapins de mon troupeau ne sont ni à donner ni à vendre, fille. Ils sont à gagner.


 


— Et comment les gagne-t-on ?


 


— En embrassant le berger. »


 


 


 


La princesse, choquée d’une telle hardiesse, faillit se trahir, mais elle réfléchit que, le petit sabotier croyant avoir affaire à sa pareille, sa prétention n’avait rien d’offensant, que cette galanterie à la paysanne ne tirait nullement à conséquence, qu’enfin, si jamais baiser avait été innocent, c’était bien celui-là, puisqu’on ne le laissait prendre que pour se débarrasser du pauvre bergeolin.


 


 


 


Elle tendit donc en rougissant sa joue et son tablier, puis elle partit comme une flèche, emportant sa cruche et son lapin.


 


 


 


Elle n’avait point fait cent pas que, prouf ! voilà le lapin qui saute hors du tablier. La princesse le rattrapa au vol, mais il l’égratigna si bien que force lui fut de le lâcher.


 


 


 


Une heure après, le sautériau ramenait son troupeau au complet.


 


 


 


« Il n’est chasse que de vieux chiens, dit le roi. C’est demain le dernier jour. J’irai moi-même, et nous verrons si je reviendrai bredouille. »


 


 


 


VII


 


 


 


Le lendemain, Petit-Pierre aperçut dans la drève un abbé monté sur sa mule. La présence du saint homme, à deux pas de l’abbaye de la Cambre, lui parut chose assez naturelle ; pourtant il se tint sur ses gardes et rappela ses lapins.


 


 


 


Quand l’abbé fut tout près, le sautériau ôta son bonnet et se signa dévotement. Le bon père lui donna sa bénédiction. Petit-Pierre remarqua qu’il avait le capuchon rabattu comme pour se garantir du soleil.


 


 


 


« Qu’est-ce que tu fais donc là, mon petit fieu ? demanda l’abbé qui semblait déguiser sa voix, de même qu’il cachait sa figure.


 


— Vous le voyez, mon père, je garde mon troupeau.


 


— Ah ! tu es berger.


 


— Oui, berger, comme votre Révérence, comme le roi, notre maître, ou comme notre saint-père le pape, sauf que mes ouailles sont des lapins.


 


— De jolis petits lapins, godv… Veux-tu m’en vendre un ?


 


— Je te connais, beau masque, » dit tout bas Petit-Pierre.


 


 


 


Puis tout haut :


 


 


 


« Monsieur l’abbé, mes lapins ne sont ni à vendre ni à donner. Ils sont à gagner.


 


— Et comment les gagne-t-on ?


 


— Comme le ciel, monsieur l’abbé, par l’humilité. Si vous aviez une grâce à demander à notre saint-père le pape, que feriez-vous ?


 


— J’irais me jeter à ses pieds.


 


— Ensuite ?


 


— Ensuite, je baiserais dévotement sa mule.


 


— Eh bien ! fieu, voici la nôtre, baisez-la. »


 


 


 


« Godverdom » s’écria celui-ci.


 


 


 


Puis il s’arrêta court. Comme le sire de Nivelle, il offrit de l’or, pria, supplia, conjura au nom de tous les saints du paradis. Petit-Pierre ne voulut entendre à rien.


 


 


 


Il fallut que le roi mît pied à terre, s’agenouillât et baisât le sabot du malicieux manneken. Après l’humiliante cérémonie, il remonta sur sa bête, emportant un lapin dans la poche de sa soutane.


 


 


 


A peine était-il à une portée de crosse que, prouf ! le lapin sauta de la poche. Le monarque, pour courir après lui, sauta, de son côté, à bas de sa mule, mais si lourdement qu’il s’épata au beau milieu d’une large flaque de bouse, et rentra au palais dans une tenue qui manquait complètement de majesté, godverdom !


 


 


 


VIII


 


 


 


Petit-Pierre ramena ses lapins pour la dernière fois. Il se rendit avec son troupeau à la salle où le roi tenait conseil, assis sur son trône.


 


 


 


« Sire… » dit le sautériau.


 


 


 


Mais il fut soudain interrompu par un grand bruit. La porte s’ouvrit et la princesse se précipita dans la chambre en criant :


 


 


 


« Ma bague ! on m’a volé ma bague !


 


— Tais-toi donc, fit le roi. Tu nous assourdis. »


 


 


 


Puis, saisissant la balle au bond, il se tourna vers Petit-Pierre, dont il ne voulait point davantage pour son gendre :


 


 


 


« C’est fort bien, lui dit-il, tu es venu à bout de la première épreuve, mais le métier de roi ne consiste mie seulement à garder ses sujets ; il faut aussi, savez-vous, faire la police de son royaume. Voyons si tu en seras capable. On a volé la bague de ma fille. Je te donne trois jours pour m’amener le voleur.


 


— Comment est-elle, votre bague ? demanda le sautériau.


 


— En or, avec un diamant gros comme un pois, répondit la princesse en le regardant d’un air qui n’avait plus rien de dédaigneux.


 


— En chasse, manneken, ajouta le monarque en se frottant les mains, et, pour que tu aies le gibier à portée, j’ordonne que tu sois logé au palais et servi comme moi-même. On ne dira point que je fais mal les choses. »


 


 


 


On mena sur-le-champ le sautériau dans un bel appartement et on lui donna à souper. Il n’était pas servi tout à fait comme le souverain, n’ayant derrière lui qu’un seul domestique, mais le souper était exquis et tel que, je le parierais, vous n’en avez jamais fait un pareil, même le dimanche de la ducasse.


 


 


 


Petit-Pierre, qui était homme de goût, s’en lécha les doigts, pensant à part lui que le métier de roi ne manquait point d’agrément, et que, s’il soupait ainsi tous les soirs, il ne tarderait guère à avoir de belles grosses joues, comme ses frères.


 


 


 


Le lendemain, il alla se promener, à la piquette du jour, vers le Trou du Diable, mais il n’y rencontra point la vieille grand’mère.


 


 


 


« Bah! se dit-il, je m’en tirerai peut-être bien tout seul. A force de chercher on trouve. »


 


 


 


Sur le coup de midi, il revint au palais avec un appétit de chasseur, songeant au souper de la veille et calculant, en vrai Flamand, que, s’il n’avait point la chance d’épouser la princesse, il aurait du moins le plaisir de faire trois excellents dîners. Le dîner fut, comme de juste, encore meilleur que le souper.


 


 


 


Quand Petit-Pierre eut avalé la dernière bouchée :


 


 


 


« En voilà déjà un ! » dit-il tout haut en s’essuyant la bouche avec sa serviette.


 


 


 


A ces mots, le domestique qui le servait fit un mouvement.


 


 


 


C’était ce maraud qui avait volé la bague, de concert avec un de ses camarades.


 


 


 


Le jour suivant, le sautériau se promena par le palais, examinant toutes les figures, mais sans découvrir son voleur. Il ne se découragea point, se mit à table à midi sonnant, fit largement honneur au dîner, et, quand il eut fini :


 


 


 


« Voilà le deuxième ! » dit-il en claquant de la langue.


 


 


 


Le domestique, qui n’était autre que le second coquin, devint tout pâle et laissa tomber une pile d’assiettes.


 


 


 


« Si j’allais fumer une pipe avec mes lapins, pensa le sautériau. Ils me donneront peut-être une idée, godverdom ! comme dit notre souverain. »


 


 


 


IX


 


 


 


Pendant que Petit-Pierre caressait ses lapins, les deux voleurs se consultaient, fort inquiets de la conduite à tenir.


 


 


 


Puisque la mèche semblait éventée, ne valait-il pas mieux tout avouer que d’attendre qu’on les forçât à rendre gorge ? D’un autre côté, était-il bien sûr que le manneken fût sorcier ?


 


 


 


Pour s’en éclaircir, ils imaginèrent une épreuve qui leur parut décisive. Ce fut de fourrer la bague dans une boulette de mie de pain et de la faire gober à un superbe dindon qui se pavanait au milieu des canards, des poules et des dindes, comme notre nouvel adjoint à la procession de la Fête-Dieu.


 


 


 


« S’il fait mine de la chercher là, se dirent-ils, c’est que véritablement il est sorcier, car il n’y a point de meilleure cachette. »


 


 


 


En quittant son troupeau, Petit-Pierre avisa le gros dindon. Jamais il n’en avait vu de pareil.


 


 


 


« Hé ! Baptiste, lui cria-t-il, la belle gave que tu as ! Il faut que demain je dîne avec toi, qu’en dis-tu ?


 


— Glou ! glou ! glou ! » répondit naïvement maître Baptiste.


 


— Ça te va. Eh bien ! Je vais demander qu’on te torde le cou tout de suite. »


 


 


 


Les voleurs, interprétant à leur manière les paroles du sautériau, ne doutèrent plus qu’il ne fût sorcier.


 


 


 


Ils tombèrent à ses pieds et lui dirent en tremblant de tous leurs membres :


 


 


 


« Nous voyons bien que vous savez tout, mynheer manneken, mais pour l’amour de Dieu ! ne nous perdez pas. »


 


 


 


Pierre bondit comme un vrai sautériau.


 


 


 


« Qu’est-ce que je sais ? demanda-t-il.


 


 


 


— Parbleu ! vous savez que c’est nous qui avons fait gober à Baptiste l’anneau de la princesse. »


 


 


 


Cette révélation inattendue étourdit Petit-Pierre, mais il reprit sur-le-champ sa présence d’esprit.


 


 


 


« Ah ! coquins ! dit-il d’un air sévère et majestueux, vous avez cru me tromper ! Sachez qu’on ne peut rien me cacher, à moi… mais je suis bon prince et, puisque vous avouez tout, je veux bien vous pardonner. Allez vous faire pendre ailleurs. »


 


 


 


Il prit le dindon et courut chez le roi.


 


 


 


« Sire, fit-il, voici le voleur.


 


— Qui ça ? Baptiste ?


 


— Lui-même.


 


— Ah bah ! J’avais toujours laissé dire que les pies… Mais je n’aurais mie cru que les dindons… Après ça, à la cour…


 


— On se décrotte, et vous voyez, sire, que maître Baptiste et moi en somme la preuve. »


 


 


 


Le pauvre Baptiste fut exécuté séance tenante et sans autre forme de procès. On trouva la bague dans son jabot.


 


 


 


Il n’en était pas moins innocent, et son exemple prouve une fois de plus qu’il ne faut point condamner les gens sur l’apparence.


 


 


 


« Le scélérat ! s’écria le roi. Nous le mangerons à dîner. Je t’invite, manneken, et, cette fois, nous causerons sérieusement. »


 


 


 


X


 


 


 


Le dîner fut splendide, un véritable dîner de fiançailles. Le roi y avait prié les seigneurs et toutes les dames de la cour. On y but un brassin et demi de bière de Louvain et vingt-sept tonnes de faro de Bruxelles. Le dindon, amplement bourré de marrons, fut déclaré exquis, et Petit-Pierre lui fit bonne mine.


 


 


 


Celle que la princesse faisait à Petit-Pierre n’avait rien de désagréable, et le monarque, de son côté, ne le voyait plus de trop mauvais œil.


 


 


 


« Il faut, décidément, que le drôle soit sorcier, se disait-il. S’il l’est, il n’y a point de sabots qui tiennent, je lui donne ma fille ! Ce sera la première fois qu’on aura vu un sorcier sur le trône. Au reste, nous allons le savoir. »


 


 


 


Il parla tout bas à son écuyer, qui sortit.


 


 


 


Au dessert, on apporta deux plats couverts. Dans l’un était la bague de la princesse, que Petit-Pierre lui présenta le genou en terre. On allait découvrir l’autre, quand le roi s’écria :


 


 


 


« Arrêtez ! »


 


 


 


Puis, s’adressant au sautériau :


 


 


 


« Si tu es sorcier, devine ce qu’il y a là-dessous. »


 


— Cette fois, je suis pris, pensa Petit-Pierre, et, regardant le plat d’un œil de pitié, il ajouta tout haut :


 


— Pauvre sautériau, où est-ce que je te vois ?


 


— Brigand de manneken ! Il ne l’a point manqué ! » s’écria le monarque en lui appliquant sur l’épaule une tape assez forte pour assommer un bœuf.


 


 


 


On découvrit le plat et, au grand étonnement de Petit-Pierre, ce fut, en effet, un criquet, ou, si vous l’aimez mieux, un sautériau qu’on y trouva.


 


 


 


XI


 


 


 


« Eh bien ! puisque tu es sorcier, s’écria le monarque gris d’admiration et de faro, il faut que, par-dessus le marché, tu nous remplisses trois sacs de malices !


 


— Ah ça ! Il m’ennuie, le monarque, et je vas lui clore le bec, dit à part lui Petit-Pierre, à qui l’esprit venait avec le succès.


 


— Trois sacs de malices, soit ! s’écria-t-il. Je suis en fonds. Apportez-les aussi grands que vous le pourrez. »


 


 


 


Les sacs apportés, il commença :


 


 


 


« Premier sac ! Il y avait une fois un petit sabotier qui gardait des lapins ; un gros seigneur vint, en soufflant, lui en demander un. Le berger le donna à la condition que le seigneur prêterait son beau nez rouge pour tirer au blanc. Le sire y consentit et…


 


 


 


En parlant ainsi, le sautériau saisit son arbute et, paf ! il le mit dans le petit noir.


 


 


 


« Bravo ! cria toute la cour. Dans le sac, le sire de Nivelle, dans le sac ! »


 


 


 


Le pauvre homme y entra en enrageant. Le sautériau reprit :


 


 


 


« Deuxième sac ! Après le gros seigneur vint une jolie laitière.


 


« — Combien vos lapins, gentil bergeolin ?


 


« — Un baiser, la belle laitière. »


 


 


 


« La jolie laitière tendit la joue et…


 


— Quoi ! tu oses dire ?… s’écria le roi. Ce n’est point vrai.


 


— Si, papa, répondit la princesse en rougissant.


 


— Dans le sac ! dans le sac ! cria toute la cour en délire, et la princesse s’y blottit de la meilleure grâce du monde.


 


 


 


« Troisième et dernier sac ! continua le sautériau.


 


 


 


« A la jolie laitière succéda un vénérable abbé.


 


« — Manneken, que faut-il faire pour avoir un de tes lapins ?


 


« — Il faut baiser…


 


— Chut ! je te la donne ! » cria le roi en fermant la bouche du manneken.


 


 


 


XII


 


 


 


Le sautériau invita son père et ses frères à la noce. Pour qu’ils y fissent meilleure figure, il avait eu soin de leur mettre, comme on dit, du foin dans leurs sabots.


 


 


 


La noce fut magnifique. Le monarque mangea au dessert une pleine quertinée, ou, si vous le préférez, une pleine hottée de pêches et mourut d’indigestion.


 


 


 


Le petit berger changea tout de suite sa houlette contre le sceptre du roi défunt. Bien qu’il n’eût guère qu’une semaine d’apprentissage, il n’en gouverna pas moins avec une rare sagesse.


 


 


 


On fit honneur de son habileté au merveilleux sifflet, mais je crois bien que son secret consistait tout bonnement, comme dans le bois de Boschfort, à fumer sa pipe à la coyette… je veux dire ses sujets se divertir tout à leur aise.


 


 


 


Et c’est pourquoi les Belges, dans leur reconnaissance, lui élevèrent, au coin même de la rue du Chêne, — où, quittant la noce qui se rendait à Saint-Nicolas, il s’était arrêté un instant, — une petite statue de bronze qu’ils baptisèrent du nom de Manneken-Pis.


 


 


 


En gens pratiques, qui savent joindre l’utile à l’agréable, ils l’employèrent en qualité de fontaine publique, et lui firent verser de l’eau après sa mort, comme, de son vivant, il versait l’abondance sur toute la contrée.


 


 


 


Manneken-Pis est le plus ancien et le plus libre bourgeois de la bonne et franche ville de Bruxelles, s’il n’en est point le plus décent.


 


 


 


Tous les ans, à la kermesse, on l’habille de pied en cap, comme un suisse de cathédrale, avec un petit bicorne, un petit habit brodé, de petites culottes, une petite épée, et on ne regarde mie à la dépense, savez-vous, car c’est à Manneken-Pis que la Belgique doit d’être le premier pays du monde ! godverdom !


 


 


 


 


 


- FIN -





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