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ET JE BAISE TES LèVRES
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Photo: Auntie P - Lipstick - Certains droits réservés (licence Creative Commons)
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Catherine H.
Et je baise tes lèvres
Penchée sur ta bouche, je pose la mienne doucement. C'est un contact subtil, une émotion m'envahit. Est–ce la douceur de nos chairs ? Le contact de nos souffles ? Sans aller plus loin, je profite de ton abandon pour y joindre le mien. Ne former qu'un au travers de ce toucher éphémère.
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Putain, quel après–midi de merde. Enfermé dans ce bureau qui pue, seul parce que ce gros con de gardien a, soi–disant, dû partir en vitesse pour une course urgente. Course urgente, mon cul ! PMU et blanc limé ! Allez, redore le blason de la police ! Allez, favorise les relations d'urbanité entre les forces de l'ordre et les citoyens ! Mon cul oui !
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J'ai glissé mes doigts le long de ta poitrine, sans chercher à faire monter ton désir. Je le connais trop bien. Je sais comment amener doucement ton souffle à se faire plus pressant, plus présent. Mais cette étreinte si souvent appelée et à laquelle nous avons tant de fois répondu, je ne la désire pas. Cette fusion des corps sans une fusion des âmes me parait vaine, vide, illusoire. Attirée par ces lèvres entrouvertes, dont le contour s'estompe marqué de petits plis, je ne peux m'empêcher de sentir monter en moi un désir, plus encore une pulsion, un besoin irréfléchi de baiser et baiser encore tes lèvres.
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Une clope, c'est ça, une clope. Foutue réforme, foutue loi, être obligé de sortir pour s'en griller une par ce temps de merde. Coincé entre l'escalier et le trottoir comme un paria, pire, un junky. A la merci des regards entendus, des biens pensants ou des compatissants, de ceux qui ont arrêté, de ceux qui n'ont jamais osé, mais qui jugent parce que la loi leur en donne le pouvoir. Comme si les messages déposés en lettres capitales sur chaque paquet consommé n'avaient pas suffit, l'opprobre du fumeur se lit dans le regard des autres. Désapprobation des avinés notoires, abonnés au 12° encore licite à ce jour, des plaignants outragés qu'un représentant de la loi n'en soit pas véritablement l'exemple. Pauvres cons.
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Le jour est levé et tes lèvres entr'ouvertes comme des aimants m'attirent. Un baiser, fougueux, passionné. Un baiser comme celui que les amants se donnent alors même qu'ils pourraient se quitter ou rester à jamais ensemble. Tes yeux sont clos, je n'y vois pas mon reflet mais je me perds sur tes lèvres, puits sans fin où je me noie.
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Et merde, le téléphone maintenant, encore une embrouille, encore une galère. Une chieuse en mal d'action, un connard sans sa bagnole, un commerçant attaqué, un chien perdu, liste sans fin de malheurs, de bobos, de mal de vivre. Des gens qui s'imaginent que nous sommes là pour résoudre tous les problèmes qu'ils refusent d'affronter, qu'ils se sont créés, qui délèguent leur merde parce que c'est plus facile. Plus facile, tu parles. Affronter la femme battue, la fille violée, l'enfant maltraité, le vieillard dépouillé, les couples qui ne se supportent plus et se tapent dessus parce qu'ils ne savent pas comment se parler. Thérapeute, assistante sociale, pompier, infirmier, vie de con, vie de flic. Des cris, ils appellent pour des cris. Encore des irascibles qui ne tolèrent pas un certain volume mais qui n'auront pas les couilles pour aller réclamer eux–mêmes. Avec nous c'est tellement plus simple, on a la loi pour nous. Faut y aller, deux heures de perdues, allée–venue, palabres, réconciliation ou séparation. La routine quoi !
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La porte a craqué, bruit violent dans le silence de notre intimité. Je ne les ai jamais vus mais ils entrent sûrs d'eux et s'approchent. Des inconnus violant notre sanctuaire. Le plus gros des deux vomit. Un homme jeune se tient devant moi, l'air hagard, le visage livide, je ne le connais pas il ne dit pas un mot, il n'a pas de voix. Il te regarde puis se tourne vers moi. Sa bouche s'ouvre doucement, ses lèvres exsangues forment un son qui ne sort pas. Soudain un cri : NON !
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Comme d'habitude, on sonne à la porte, sans réponse, on cogne plus fort, hurlant « Police », mais ça ne donne rien. Les voisins, prudents voyeurs se tiennent à l'autre bout du couloir, espérant du sanglant sans éclaboussures, juste de quoi alimenter les conversations de quartiers pour la semaine, jouer au héros à moindre coût. On est bons pour enfoncer la porte. Toujours les mêmes poires qui se démontent l'épaule, le boulot en somme. L'appartement est sombre, un couple l'occupe. La femme est au sol, à genoux, les mains jointes. Son visage est serein, on dirait qu'elle prie, sans bruit. Sans prévenir, mon collègue les deux mains sur le bide dégueule sur le tapis. Je ne comprends pas, je ne comprends pas……Mon sang se retire, je ne comprends pas l'horreur. L'homme est assis contre un mur, nu, le visage penché, il semble dormir. Mais son sommeil est éternel. La douleur du supplice s'est en allée, il repose. Son corps est rouge et sa bouche n'est qu'un trou béant. Et je hurle dans le silence.
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La bouche n'est pas faite pour crier, elle se compose de deux lèvres, organes sensuels qui permettent aux amants de se connaitre et de se reconnaitre, capteurs et récepteurs de leurs désirs. Les tiennes à jamais ont tenu leur promesse, car à jamais dans mes mains, je baise tes lèvres.
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