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COPIER COLLER
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Biographie ou informations
Réalisateur: Jay
Musique: A.N.K.H. et Die Shatten
Illustration: Jay
Texte ou Biographie de l'auteur
Copier-Coller
Je devais rendre visite à ma mère. Elle habitait à cinq cents kilomètres, à peu près. Par l'autoroute, c'était rapide, par le train, très rapide, et par les routes de campagne... Bah. Au moins c'était joli. J'étais pressé. A cause d'un imprévu, je n'avais plus qu'une demi-journée, mais une promesse est une promesse, surtout à sa mère. Déjà que je n'y allais pas souvent, vous comprenez... La pauvre femme n'aurait pas compris que son fiston ne tienne pas sa promesse.
Je la connaissais comme si elle m'avait fait. Elle devait se réjouir depuis des jours. Je l'imaginais en train d'en parler à ses copines, entre deux tricots. Je la voyais se gargariser de sa propre chance, devant les « Ah comme tu dois être heureuse! Moi, ma fille ne vient guère plus me voir depuis qu'elle m'a mise dans cette pension. Tout ce qui l'intéresse, c'est de savoir si on m'enterre demain, pour l'héritage. », et les « Ah ben moi, mon fils est mort il y a longtemps, alors... » ou les « de toutes façons, les miens, avec leurs enfants, ils n'ont plus le temps de rien faire. »
Je ne pouvais pas la laisser dans l'expectative, et puis me désister à la dernière minute. C'était cruel.
Il me restait bien une solution. Un moyen de transport plus rapide que tout. C'était encore un sujet qui avait déplacé les foules : les pour, qui s'étaient effectivement déplacés bien plus vite que les autres, et les contre, qui se mouvaient en masse dans les rues, avec panneaux et slogans.
Ça m'avait rappelé les bons temps des débuts des OGM, du nucléaire, etc. Tout le monde était abreuvé de données contradictoires et devait louvoyer entre information et désinformation. Une chatte y aurait perdu ses petits. Entre les spécialistes accusés de corruption et les ignorants à grande gueule, il restait à chacun son intuition, qui n'est pas forcément de bon conseil.
Bref, je devais aller voir ma mère. Je n'avais pas le temps pour la route, pas le temps pour le train, il ne me restait plus qu'une solution : opter pour le téléporteur le plus proche. Le principe en était simple : il désorganisait toutes les molécules du corps, et gardait en mémoire toute l'information concernant l'individu. Absolument tout, jusqu'à la place du moindre atome. Les atomes et l'information étaient véhiculé le long de câbles, un peu comme pour le téléphone, et puis tout était réassemblé à l'arrivée. Un vieux rêve de l'humanité, en somme.
Une fois à destination, on se retrouvait tel qu'au départ, avec ses souvenirs, ses boutons sur la figure, et son costume froissé. Même les plis de costume étaient respectés. Il n'y avait aucun effet secondaire, aucun inconvénient. Il suffisait de sortir de la machine pour laisser la place au suivant, et le tour était joué. Comme un email copié-collé. La seule restriction était la distance : au delà de quelques centaines de kilomètres, il fallait procéder par étapes.
Je devais aller voir ma mère. Je me suis donc déplacé - a pied - jusqu'au téléporteur le plus proche, celui du coin de ma rue. C'était un peu comme un bureau de poste. On faisait la queue, on payait par carte, on composait le code d'arrivée, et puis on rentrait dans la cabine. Pour les jours où il y avait un peu de monde, on pouvait même s'asseoir sur les chaises prévues à cet effet.
Parfois, les personnes âgées avaient du mal à faire fonctionner la cabine, elles n'étaient pas sûres du code, ou tapaient par mégarde celui de leur carte bleue, et il fallait faire venir un employé pour réinitialiser la machine, sans annuler le paiement.
Ce jour là, comme on était vendredi, il y avait un peu de monde. Je n'avais jamais utilisé la machine, j'avais toujours trouvé une bonne excuse pour y échapper. Mon intuition me disait que c'était une mauvaise idée. Je n'aurais pas su expliquer pourquoi, car le principe en était tellement merveilleux que cela tenait du conte de fée. Le déplacement instantané, adieux les bouchons, les attentes... c'est quand même quelque chose, non?
Ce jour là, pour ma mère, j'avais décidé de faire confiance à la technique. Je m'assis sur un fauteuil bleu, la couleur de la compagnie de téléportation, en attendant que les autres voyageurs passent, chacun à leur tour. Il y avait un cadre pressé, qui pianotait sur son attaché-case, en discutant avec une grand mère qui tenait son petit-fils dans les bras. Il y avait aussi une femme d'une trentaine d'années, avec un énorme chien, un genre de dogue à poils longs, baveux et exubérant.
Je repensais au film « la Mouche », et m'imaginai, en riant nerveusement, ce que pourrait donner un mélange de cette femme et de son chien. Je passai une main moite sur mon pantalon. Tous comptes faits, à quelques minutes de passer à mon tour dans la machine, ce genre de pensées ne m'amusait pas du tout. Je les chassai de mon esprit.
Deux enfants accompagnaient leurs parents. Des jumeaux, en tous points identiques, habillés de la même manière, affichant les mêmes expressions. Deux petites têtes blondes, avec un nez en trompette et des taches de rousseur. Ils entrèrent dans la machine.
Il restait une dizaine de personnes avant moi, dont la dame au chien.
Au dessus de la cabine, un écran de télévision diffusait une série de clips musicaux, et, de temps en temps, les titres du journal télévisé.
Je le contemplai d'un oeil distrait. Une nouvelle attira cependant mon attention. Un nouveau modèle de téléporteur avait été mis au point. Il permettait de passer outre la distance intercontinentale avec efficacité.
Son emploi serait un peu plus onéreux que celui du « classique », mais on pourrait faire le tour du monde en un clin d'oeil. Le principe était simple : cette fois, seule l'information était véhiculée, pas la matière. Chaque cabine réassemblait son utilisateur à base d'une matière première locale.
Cela me laissa rêveur.
Si, à partir d'une simple information, on pouvait assembler un humain entier, avec son vécu, ses souvenirs, ses rides et son arthrose, pouvait-on en fabriquer deux?
Si on pouvait en fabriquer deux, qui serait l'original? Existerait-il seulement encore?
Encore pire : quelle était la différence entre les atomes de l'original, et des atomes lambda, issus d'une réserve de matière première?
A priori aucune.
Celui qui sortirait de la machine serait-il vraiment moi, ou bien un autre en tous points semblables à moi? Ma mère ne serait sans doute pas capable de faire la différence, mais dans le doute il me semblait malhonnête de risquer de la tromper sur la marchandise pour avoir voulu gagner du temps.
Je pris mes affaires et sortis de la pièce. Tous comptes faits, j'irais la voir la semaine suivante.
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