Retour au menu
Retour à la rubrique contes
LES DEUX FRèRES
Écoute ou téléchargement
Commentaires
Biographie ou informations
Texte ou Biographie de l'auteur
Illustration d'après https://pixabay.com/ Domaine public
Traduction Louis Léger 1882; linguiste, historien et traducteur français (1843 – 1923)
LES DEUX FRÈRES
(CONTE SLOVAQUE)
Il y avait une fois un pauvre paysan : il avait deux fils, Jozka et Janko. Janko travaillait dans la maison ; il était naïf et lourdaud : aussi l’appelait-on le Cendrillot. Jozka était compagnon cordonnier ; le temps vint pour lui d’aller faire son tour d’apprentissage. Il partit un beau matin ; sa mère lui avait donné des gâteaux qu’elle avait cuits, son père sa bénédiction.
Le voilà en route ; il marche droit devant lui, traverse une montagne sombre, arrive dans une prairie. Là, il tire ses gâteaux et se met à manger. Une bande de fourmis arrive et lui demande à manger ; il leur refuse même les miettes et, qui pis est, foule les fourmis aux pieds. Les fourmis lui crient :
— Attends un peu : nous ne viendrons pas à ton secours quand tu seras dans la misère.
Jozka fit peu d’attention à cette menace ; il finit son repas et se remit en marche : il arriva au bord d’une rivière. Un poisson avait sauté hors de l’eau sur le rivage ; il s’efforçait vainement d’y rentrer. Il demanda secours à Jozka ; mais le voyageur n’eut pas pitié du pauvre poisson, et, en passant auprès de lui, il lui donna un coup de pied.
— Méchant ! lui cria le poisson, nous ne te viendrons pas en aide.
Il ne se retourna même pas, et ne fit pas attention aux paroles du poisson.
Il arriva à un carrefour : là des diables se disputaient et se battaient. Jozka les regarda tranquillement et ne fit rien pour les séparer.
Les diables lui crièrent : — Attends un peu ; tu verras que rien ne te réussira dans ce monde !
— Pourquoi me fatiguer à voyager ? Qu’ai-je tant besoin de voir le monde ? se dit alors Jozka.
Il s’assit sur l’herbe, acheva de manger ses gâteaux et retourna à la maison.
Son cadet Janko lui reprocha de n’avoir su réussir à rien dans le monde.
— Eh ! vas-y, toi, dans le monde ! lui dit son père. Nous verrons ce que tu en rapporteras, et si tu sauras mieux voyager que ton frère.
Il le fit entrer dans sa chambre, lui donna, pour son voyage, une eau qui guérissait toutes les maladies, le bénit, et l’envoya courir le monde. Sa mère lui avait cuit une miche pour le voyage.
Janko Cendrillot partit et marcha droit devant lui, là où ses yeux le conduisaient. Il arriva dans cette prairie où son frère Jozka avait mangé les gâteaux. Il s’assit, et les mêmes fourmis vinrent autour de lui. Jannko tira le pain de son bissac, mangea, et nourrit les fourmis. Elles le remercièrent en lui disant :
— Bon Janko, nous viendrons à ton secours.
Janko continua sa route. Il arriva près d’un lac. Là il vit une carpe qui se débattait sur le rivage. Il la rejeta dans l’eau, en disant : — Pauvre bête ! pourquoi souffrirais-tu sur la terre, quand tu es faite pour vivre dans l’eau ?
— Nous te viendrons en aide ! lui cria la carpe.
Janko arriva à un carrefour ; là, des diables se querellaient et se battaient.
Janko se mit de la partie, frappa à droite et à gauche, les sépara et rétablit le bon accord parmi eux.
— Nous viendrons à ton secours ! lui crièrent les diables.
Janko nota ce détail dans sa mémoire, et continua son chemin.
Il arriva à une ville. Il y trouva tout le monde en deuil : la fille du roi était fort malade, et aucun médecin ne savait comment la guérir. Janko alla à l’auberge et demanda à l’aubergiste :
— Qu’y a-t-il de nouveau ?
— La princesse Julienne est à l’agonie. Celui qui lui rendra la santé l’épousera.
Janko se rappela cette eau merveilleuse que son père lui avait donnée.
— Annoncez-moi chez le roi, dit-il à l’aubergiste, et dites-lui que je suis le premier médecin du monde. Je guérirai sa fille.
L’aubergiste prit ses jambes à son cou et courut chez le roi.
— Nous avons ici, dit-il, le premier médecin du monde. Il vit chez moi à l’auberge.
Le roi, enchanté, ordonna de faire venir Janko le Cendrillot.
Janko vint, et fit prendre à la princesse un verre d’eau merveilleuse, et aussitôt elle se sentit mieux. Peu de jours après elle guérit.
Mais elle n’avait aucune envie d’épouser le médecin Janko. Ses parents la pressaient d’accomplir la royale parole qu’ils avaient donnée au premier médecin du monde. La princesse résistait.
— Soit, dit Julienne, je l’épouserai, mais à condition qu’il accomplira trois choses que je lui dirai.
— Bien, répondit Janko ; si ces choses sont possibles et si Dieu me vient en aide, je les accomplirai.
La princesse fit deux sacs de petites graines de pavot et deux sacs de cendres. Elle mêla le pavot et les cendres, et dit :
— Janko, d’ici à demain matin, sépare le pavot des cendres, et je suis à toi.
Janko était fort inquiet. À peine, chez lui, savait-il écosser des haricots, et on lui donnait un tel travail à accomplir ! Que faire ?
Il s’en alla dans la prairie, et se mit à pleurer comme un enfant, priant Dieu de lui venir en aide.
Tout à coup les fourmis s’empressent par milliers autour de lui :
— Ne désespère pas, Janko ; tu nous es venu en aide autrefois ; nous allons te le rendre aujourd’hui ; d’ici à demain matin, nous aurons séparé le pavot de la cendre.
En effet, les fourmis se mirent à l’œuvre, et, le lendemain matin, tout était fini.
La princesse fut bien étonnée et même affligée. Elle ne voulut pas encore épouser Janko, et dit à ses parents qui l’y engageaient :
— C’est bien, c’est bien ; nous irons à la noce, mais seulement quand Janko m’aura rapporté du fond de la mer la perle la plus précieuse.
Janko se résolut encore à la satisfaire ; il alla au bord du lac et pleura amèrement. Tout à coup un poisson saute hors de l’eau et lui dit :
— Janko, pourquoi pleures-tu ?
— Comment ne pleurerais-je pas ? répond Janko, quand la princesse Julienne me fait subir de si rudes épreuves, et me refuse sa main si je ne lui rapporte pas la plus belle de toutes les perles ?
— Calme-toi, Janko ; tu sais bien que nous te viendrons en aide.
Et le poisson lui rapporta la perle désirée. Elle plut fort à la princesse ; mais il lui fallait encore une troisième épreuve.
— J’épouserai Janko, dit-elle ; mais il faut qu’il me rapporte une rose de l’enfer.
À ce mot d’enfer, Janko se rappela les diables qu’il avait séparés et réconciliés. Il courut à l’endroit où il les avait rencontrés, et y trouva le chemin de l’enfer.
Il frappe à la porte ; les diables le reconnaissent ; il obtient ce qu’il désire : une belle rose du jardin de Lucifer.
Son visage s’était tout noirci au feu de l’enfer. Il rapporte la rose à Julienne ; la rose lui plut fort, mais Janko, noir comme un diable, ne lui plaisait guère. Pourtant elle avait promis, il fallut tenir parole, et dans la suite, elle n’en fut pas malheureuse, car Janko était bon.
La belle Julienne revêtit ses plus beaux vêtements. Sur sa couronne de fiancée étincelaient la perle et la rose de Janko. Janko le Cendrillot, Janko le fils du paysan, l’homme au visage noirci par le feu de l’enfer, reçut aussi des vêtements magnifiques, ceux du roi lui-même. Il donna la main à Julienne, et ils allèrent à la noce. Ce fut une noce comme on n’en voit guère : on y invita ses parents et son frère Jozka. On m’y invita aussi afin que je pusse attester partout que Janko le Cendrillot avait enfin trouvé femme, et quelle femme ! la princesse Julienne.
Source: https://fr.wikisource.org/wiki/Recueil_de_contes_populaires_slaves_(traduction_L%C3%A9ger)/XXV
Retour à la rubrique contes
Retour au menu