Chat en poche-acte3
Enregistrement : Audiocite.net
Publication : 2010-04-30
Lu par Joane, Stanley, Christian Martin, Ar Men, Alain Bernard, Anya, Aldor, Melow Dee,Bernard
Montage: Ka00, Fred, Joane.
Bruitage: Ar Men (à venir).
Livre audio de 45min
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Photo: Représentation théatrale de La Dame de chez Maxim de Georges Feydeau par la troupe d'amateurs de Chalindrey (Haute-Marne).Photo prise en 2003 par le photographe de la troupe, publiée avec l'autorisation de son directeur. - Certains droits réservés (licence Creative Commons)
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PERSONNAGES
Pacarel : Stanley
Dufausset : Christian Martin
Landernau, docteur : Alain Bernard
Lanoix de Vaux : Aldor
Tiburce, domestique de Pacarel : Bernard
Marthe, femme de Pacarel : Ar Men
Amandine, femme de Landernau : Camille
Julie : Mellow Dee
à la narration: Joane
Acte III
Décor du premier acte - La table du milieu et les chaises qui l'entouraient ont été enlevées - Au milieu de la scène, à droite, un fauteuil.
Scène première
Tiburce, puis Landernau
Tiburce, est en train de balayer - Pristi ! que j'ai mal dormi ! Toute la nuit il m'a semblé entendre marcher dans la maison… J'ai eu des cauchemars ! J'ai rêvé que j'allais épouser Bibiche. (Avec sentiment.) Elle était encore plus en chair que nature… mais alors, voilà qu'il a surgi une belle-mère… qui avait la tête de Landernau… et elle était contre le mariage. Alors il y a eu un crépage de chignon… et je lui ai allongé un coup de poing… je le sens encore… j'ai tapé sur le mur !… Qu'est-ce que ça veut dire, quand on rêve de belle-mère ? (S'asseyant à droite et tirant une "Clé des songes" de son tablier.) Voyons dans la "Clé des songes". C'est infaillible ! J'ai connu une nourrice à qui elle avait prédit que son fils remuerait des millions, il est devenu croupier. (Parcourant.) Voyons : "Belle-mère, voyez bassinoire." (Feuilletant.) "Bassinoire, voyez belle-mère !" Ça peut durer longtemps comme cela.
Landernau, venant de gauche, deuxième plan - Ah ! Tiburce. Dites-moi, M. Pacarel ni le ténor ne sont encore descendus de leur chambre ?
Tiburce - Non, je n'y comprends rien… il est près de onze heures… et personne n'est encore en bas… comme si on avait veillé toute la nuit… Je crois, entre nous, que si l'on dort si longtemps aujourd'hui, c'est parce que, hier, la cuisinière, n'ayant plus de caramel, pour colorer le bouillon, y a mis de laudanum.
Landernau - Du laudanum ! Vous êtes fou !
Tiburce - Oui, monsieur. (Appuyant sur chaque syllabe.) De l'eau danum.
Landernau - Allons donc ! vous ne savez pas ce que vous racontez aujourd'hui… et puis, d'abord, on dit : du laudanum.
Tiburce - Comment "du" ? eau est du féminin, Monsieur ! Monsieur ne dit pas du l'eau-de-vie… passez-moi du l'eau… On dit de l'eau-de-vie, de l'eau danum ; la grammaire est la même pour les domestiques comme pour les maîtres.
Landernau - Quel idiot ! Allons, je m'en vais… vous êtes en train de balayer… je ne tiens pas à avaler tous vos microbes.
Tiburce - Oh ! Monsieur peut rester ! Quand je balaie… je prends bien garde à ne pas déplacer la poussière… D'ailleurs j'ai fini…
Landernau - Ah !
Tiburce?— Oui, c'est même ce qu'il y a d'agréable dans cette façon de balayer… quand on veut, on a toujours fini…
Landernau - Ah ! voici M. Pacarel… laissez-nous.
Tiburce - Bien, Monsieur.
Il sort par le fond.
Scène II
Landernau, Pacarel
Landernau - Eh ! arrive donc, toi.
Pacarel, venant de droite, deuxième plan - Me voilà ! As-tu vu Dufausset ?
Landernau - Pas encore.
Pacarel - Tu ne sais pas s'il a encore sa voix ?
Landernau - Ah ! Dame, je ne l'ai pas vu depuis hier…
Pacarel - Après tout, je suis tranquille, nous avons le moyen… "Colimaçon borgne…" Ah ! mon dieu, mais si ça n'allait pas marcher à l'Opéra !
Landernau - Ma foi, ça pourrait bien arriver ; tu sais, moi on ne m'enlèvera pas une chose de la tête, c'est que Dufausset cherche à nous mettre dedans…
Pacarel - Il ne serait pas ténor ?
Landernau - Au contraire ! Seulement, il a des raisons pour nous le cacher.
Pacarel - Tu crois ?
Landernau - Parbleu ! tu comprends, il est inadmissible qu'on lui ait fait une réputation de chanteur, même dans le Midi, s'il est complètement aphone. Seulement, il a dû flairer la vérité… apprendre que l'Opéra voulait l'engager ; alors, furieux d'avoir signé avec toi, il n'a trouvé d'autre moyen, pour t'amener à résilier son engagement, que de te faire croire qu'il n'avait pas de voix.
Pacarel - Ah ! bien, elle n'est pas mauvaise ! il la connaît, Dufausset !… heureusement que tu as vu cela tout de suite, toi ; c'est que nous ne sommes pas des imbéciles.
Landernau - Dame, c'est clair… une voix ne se perd pas en deux jours… Mon dieu ! qu'il la perde à la longue, ça pourra arriver… parce qu'il a quelque chose qui lui fera du tort à mon avis… je le crois très noceur, ce garçon là. Et tu sais, pour la voix…
Pacarel - Ah ! tu crois que…
Landernau - Lui !… mais il suffit qu'il aperçoive un cotillon. (Remontant pour s'assurer que personne n'écoute et redescendant au deuxième plan.) Mais tiens, ici… tu n'as rien vu, toi… Eh ! bien, il est une femme autour de qui il tourne.
Pacarel - Comment, je n'ai rien vu… (À part.) C'est sa femme, parbleu !
Landernau - Oh ! je ne la nommerai pas.
Pacarel - Non ! (À part.) Ah ! le maladroit, il s'est fait pincer.
Landernau, à part - Je ne la nommerai pas, parce que c'est sa femme.
Pacarel?— Je t'assure, Landernau, cela n'est pas.
Landernau - Tiens, parbleu, il ne te l'a pas dit !
Pacarel - Si, si, au contraire, il me l'a dit… il m'a dit : vous savez, Pacarel, j'ai l'air de… Eh bien, pas du tout, ça n'est pas ça ; je vous assure qu'il n'y a rien.
Landernau - Je te crois, tiens !… Ah ! et puis, tu sais, moi je veux bien ; pour moi, je m'en fiche !
Pacarel - Ah ! tu… c'est une bonne pâte…
Landernau - Mais c'est égal, toi, méfie-toi !
Pacarel - Pourquoi donc ça, mon ami… tu t'en fiches, je fais comme toi.
Landernau - Ah ! bon, alors… (À part.) Il est philosophe.
Il gagne la droite.
Scène III
Les Mêmes, Dufausset
Dufausset, entrant du fond - C'est moi.
Pacarel - Ah ! vous voilà, mon cher Dufausset ; je vous ai entendu faire des roulades tout à l'heure.
Dufausset - Moi, jamais de la vie !
Pacarel - Comment, jamais de la vie !
Landernau - Non, il dit vrai… je l'ai cru, moi aussi d'abord… mais c'était l'eau dans le réservoir… l'eau qui montait.
Pacarel - Ah ! c'était l'… Elle chante bien !… Comme vous d'ailleurs ! Car vous avez une voix… Ah ! farceur… vous avez beau la rentrer… ça éclate !… et timbrée !… Ah ! ah ! ah ! Etes-vous assez timbré !
Dufausset - Moi ! pas plus qu'eux, par exemple.
Pacarel - Allons ! voyons, pas de cachotterie…nous sommes des roublards, nous ! faut pas essayer de nous la faire… laissez la donc sortir…
Dufausset - Qui !
Pacarel - Eh ! votre voix, vos ut.
Dufausset - Vos ?
Pacarel - Zut.
Dufausset - Merci… j'avais bien entendu.
Pacarel - Ah ! bien, alors, allons-y… N'est-ce pas, nous savons tous que vous êtes un ténor de la plus grande valeur.
Dufausset - Moi ! mais c'est pour rire…
Pacarel - Ta, ta, ta, ta, ne faites donc pas l'innocent ; je sais bien que c'est dans votre jeu…
Landernau - Mais c'est inutile ! on ne vous lâchera pas…
Pacarel - Ainsi, c'est pas la peine de vous entêter…
Dufausset - Ils y tiennent…
Pacarel - Faites un peu… Ah ! ah ! ah ! ah ! ah ! ah ! ah !
Il chante la gamme.
Dufausset, même jeu - Ah ! ah ! ah ! ah ! ah ! ah ! ah ! ah !
Pacarel - Plus fort.
Dufausset, criant - Ah ! ah ! ah ! ah ! ah ! ah ! (À part.) Ils me feront tourner en bourrique.
Pacarel - Eh ! bien, voila, ça y est… C'est un peu faux… mais c'est parce qu'il y a des courants d'air… quand il y aura un décor derrière…
Landernau - Vous voyez bien que vous avez une voix superbe.
Dufausset - Moi !
Pacarel - D'ailleurs, votre réputation est faite dans Bordeaux.
Dufausset - Allons donc !
Pacarel - C'est bien pour ça que je vous ai fait un si brillant engagement… Sans ça, vous pensez bien…
Dufausset - C'est vrai pourtant ! Alors, c'est sérieux ce que vous dites là ?
Pacarel - Dame !
Dufausset - Eh ! bien, je ne m'en serais jamais douté…
Landernau - Aussi, c'était enfantin de vouloir nous le cacher.
Dufausset - Oh ! je vous assure que jusqu'à présent… Comme on s'ignore tout de même… C'est que c'est positif ; voulez-vous que je vous dise : au fond, j'ai toujours senti que j'avais de la voix… mais on me décourageait, là-bas, en me disant : "Ferme ça, tu vas faire pleuvoir !"
Pacarel - Il y a toujours des envieux pour contrarier les vocations.
Dufausset, chantant - Do ré mi fa sol la si do ! Ah ! ah ! ah ! ah !… (Passant au premier plan.) "Salut, demeure chaste et pure !"
Pacarel - Aie ! toujours le même air… il varie peu !
Dufausset - Ah ! n'ayez pas peur… j'en apprendrai d'autres.
Pacarel - C'est si beau, une belle voix…
Dufausset - Ah ! je crois bien… mais en France vous n'avez pas ça… il faut aller en Italie… Si vous aviez été comme moi à la Chapelle Sixtine…
Landernau, bondissant, ainsi que Pacarel - Hein ! vous…
Dufausset - Quoi !
Pacarel, suffoqué - À la… À la cha… à la cha cha…
Dufausset - Pourquoi parlez-vous arabe ?…
Pacarel - Non je… ce n'est pas de l'arabe… je dis à la cha… Qu'est-ce que vous venez de dire, enfin ?
Dufausset - J'ai dit : "si vous aviez été, comme moi ; à la Chapelle Sixtine".
Landernau - J'avais bien entendu… Comment, vous avez été à la Chapelle Sixtine ?… vous !… chanter.
Dufausset - Quoi ?
Landernau - Je dis : chanter !
Dufausset, à part - "Chantez !" Oh ! il veut encore que je chante. (Haut.) Parfaitement ! Parfaitement ! (Chantant.) "Salut demeure… "
Pacarel - Assez !
Dufausset - Bon !
Landernau, bas à Pacarel - Il m'a dit "parfaitement !", tu as entendu ?
Pacarel - Oui ! je n'en reviens pas, pauvre garçon !
Dufausset, passant au deuxième plan - Mais pour en revenir à la Chapelle Sixtine… vous savez sans doute que les chantres en sont…
Pacarel - Oui, nous savons, nous savons…
Dufausset - Eh ! bien vous ne pouvez vous faire une idée de l'intensité d'harmonie qui se dégage de ces voix si pures ainsi assemblées, qui chantent toutes leurs parties avec une âme…
Pacarel - Ils les chantent de mémoire, bien entendu !
Dufausset - Oh ! évidemment.
Landernau - Et comment un garçon comme vous a-t-il pu avoir l'idée d'entrer là-dedans ?
Dufausset - Où ? À la Chapelle Sixtine ? Ah ! bien ma foi, vous savez ce que c'est… J'étais à Rome… J'avais déjà un peu le spleen… j'apprends tout à coup que ma maîtresse, une femme qui m'avait juré un amour éternel, venait de filer avec un dentiste napolitain.
Pacarel - Je vois ce que c'est ! un désespoir d'amour !
Dufausset - Mettez-vous à ma place.
Pacarel - Merci.
Dufausset - Vous comprenez, mon humeur… pour m'étourdir alors… je me suis mis à arpenter les rues de Rome, seul, découragé, dégoûté de la vie et des femmes…
Landernau - Oui ! Oui.
Dufausset - Tout à coup, qu'est-ce que je vois devant moi… la Chapelle Sixtine… Dame ! pour un homme qui est tout seul à Rome avec le spleen en plus et une maîtresse en moins… c'était encore une ressource.
Pacarel - Médiocre…
Dufausset - Je m'écrie : "Ma foi, c'est le ciel qui l'envoie ! entrons à la Chapelle Sixtine !"
Pacarel - Comme ça ! Vlan !
Landernau - Niez donc la vocation !
Dufausset - Ah ! je ne l'ai pas regretté, allez !
Pacarel - Jamais ?
Dufausset - Jamais !… Je puis dire que j'ai éprouvé là une des plus grandes secousses de ma vie.
Landernau - Je vous crois.
Dufausset, à Landernau - Je n'étais pas plus tôt entré, monsieur, que je me sentais pris par tous ces chantres à la voix céleste… terrassé, démonté… (À Pacarel.) Je n'étais plus un homme, monsieur !… J'étais… Ah ! je ne sais pas ce que j'étais…
Pacarel - Ne cherchez pas… (À part.) Pauvre garçon !
Dufausset, à Landernau - Enfin, me croirez-vous quand je vous dirai que j'ai pleuré, oui monsieur… comme un veau, à ce moment-là.
Pacarel - Ah ! je ne savais pas que les veaux, à ce moment-là…
Landernau - C'est sans doute la perspective du pot-au-feu.
Dufausset - C'était de l'extase, quoi… au point que je n'ai même pas fait attention à ce qu'on m'y a exécuté.
Pacarel - Quel Spartiate !…
Dufausset - C'est égal, je ne l'oublierai jamais. (Chantant d'une voix de tête.) "O salutaris hostia !"
Pascal - C'est tout à fait ça.
Dufausset - Et ça ne vous donne qu'une faible idée.
Pacarel, le prenant à part - Dites-donc ! Et moi qui croyais que vous faisiez la cour à Mme Landernau ?
Dufausset, ahuri - Je ne saisis pas le rapport.
Landernau, le prenant à part - Dites-donc, figurez-vous que j'étais persuadé que vous cultiviez Mme Pacarel.
Dufausset :?— Ah ! çà ! ils se donnent le mot !
Landernau et Pacarel, lui serrant chacun la main - Oh ! pauvre ami !
Pacarel - Et maintenant, je récris à l'Opéra… vous tâcherez d'être brillant, d'ailleurs peu m'importe maintenant que j'ai le secret ; essayons-nous, Landernau ?
Landernau - Essayons, Pacarel.
(Ils retirent leurs mouchoirs qu'ils agitent.)
Ensemble :
Pacarel - "Coucou… Ah ! le voilà !"
Landernau - "Colimaçon borgne !"
Dufausset, passant au troisième plan - Hein ! Ah ! le… Ah ! non, merci, pas tout le temps, j'en ai assez, moi !
Pacarel - Vous avez raison… il vaut mieux se réserver pour la grande occasion. (À part.) Ah ! c'est égal, ce pauvre Dufausset ! (Haut.) Landernau, allons faire notre lettre !
Landernau - Allons, Pacarel.
Ils sortent par la gauche. Pacarel sort le dernier.
Scène IV
Dufausset, puis Marthe
Dufausset - Oh ! oui, j'en ai assez ! j'y ai été pris hier ! mais on ne m'y reprendra plus ! (Chantant.) "Salut demeure chaste et pure !…" C'est vrai que j'ai de la voix… et dire que j'ai mis vingt-quatre ans à m'en apercevoir. (Chantant.) "Salut, demeure chaste et pure ! Salut demeure…" Ce matin, à cinq heures comme c'était convenu, après une nuit blanche ou à peu près… car j'ai eu le cauchemar tout le temps. J'ai rêvé d'hippopotames. À cinq heures, je saute à bas de mon lit et, tout palpitant, je descends dans la serre… Je me dis : "Elle va venir, je l'attends !" Eh ! bien, j'ai attendu comme cela jusqu'à huit heures… Je vous demande un peu… Si elle n'avait pas l'intention de venir, elle n'avait pas besoin de fatiguer son mari et l'autre à agiter des mouchoirs.
Marthe, venant du fond - Ah ! vous voilà, monsieur !
Dufausset - Ah ! vous voi… j'allais vous le dire, madame.
Marthe - Vous trouvez que c'est comme il faut de faire poser les femmes ?
Dufausset - Ah ! elle est forte celle-là !
Marthe - Une heure, monsieur ! une heure j'ai attendu… et j'aurais peut-être attendu encore sans Bibiche.
Dufausset - Bibiche ?… Ah ! oui, la grosse.
Marthe - Eh ! oui, Bibiche, qui a surgi à trois heures sonnantes dans la serre… sous prétexte qu'elle avait une rage de dents qui l'empêchait de dormir… Alors, je lui ai dit que j'avais une névralgie, pour sauver les apparences… et nous nous sommes promenées toutes les deux… de long en large… Enfin, comme elle n'avait pas l'air de vouloir s'en aller et qu'elle me conseillait d'aller me coucher, je suis partie pour ne pas éveiller les soupçons.
Dufausset - À d'autres, madame… trois heures, moi, trois heures j'ai attendu… Ce n'est pas une heure cela.
Marthe - Vous m'avez attendu, vous ?
Dufausset - Parfaitement.
Marthe - Dans la serre ?
Dufausset - Oui, dans la serre,… il n'y en a pas plusieurs, je suppose…
Marthe - Bordelais, va !
Dufausset - Ah ! mais je vous assure… vous voudriez mettre les torts de mon côté.
Marthe - C'est vous qui voulez vous donner les gants.
Scène V
Les Mêmes, Pacarel
Pacarel, venant de gauche - Eh bien ! Eh bien ! qu'est-ce que vous avez ?…
Marthe - Rien, nous discutons.
Dufausset - C'est madame qui m'accuse.
Marthe - Ah ! bien, tenez, prenons M. Pacarel pour juge ! En thèse générale… une femme accorde un rendez-vous à un monsieur… n'est-ce pas… Eh bien, ce monsieur croit de bon goût, après avoir sollicité ce rendez-vous, de n'y pas venir.
Pacarel - Eh ! bien, ce monsieur est un paltoquet.
Marthe - Là !
Dufausset - Ah ! permettez, oui ! mais quand c'est la femme qui…
Pacarel - N'importe, c'est toujours l'homme qui a tort… Ainsi, je suppose que ma femme… je peux bien vous dire ça à vous qui êtes sans importance… ma femme vous donne un rendez-vous… Vous n'y allez pas… vous êtes un paltoquet… Moi, le mari, je vous en sais gré, mais vous êtes un paltoquet tout de même. Ah, çà ! à propos de quoi parliez-vous ?
Marthe - Mais… à propos d'une dame que M. Dufausset connaît bien et qui a eu la faiblesse…
Pacarel - Ah ! une dame… une femme mariée…
Marthe - Oui…
Pacarel - Ah ! c'est toujours drôle… et le nom du mari ?
Marthe - Ah ! ça, non, non, on ne peut pas te le dire.
Pacarel - Je ne le répéterai pas.
Marthe, à part - Je le crois bien… tiens !
Elle remonte à gauche.
Pacarel, à part. Après tout, je le sais… c'est Landernau… Ah ! ces maris, quels types… tous aveugles… (Haut.) Et c'est à vous que ce rendez-vous… Ah ! elle tombe bien Amandine. Je comprends… que vous ayez renoncé… (À part.) Dans son état.
Marthe - Allez, vous êtes condamné !
Pacarel et Marthe sortent de gauche.
Scène VI
Dufausset, Amandine
Dufausset - Ah ! non… non… elle est trop forte !… c'est moi qui ai raison et c'est moi qui ai tort… On me fait poser !… et l'on me fait des scènes. Ah ! non !
Amandine, arrivant du fond, descendant à Dufausset et le faisant pirouetter - Ah ! vous voilà monsieur !
Dufausset - Allons ! bon ! l'autre à présent !
Amandine - Ah ! Vous êtes encore un joli coco, vous !
Dufausset - Quoi ? qu'est-ce qu'il y a ?… (À part.) On ne sait jamais ce qu'elle veut, cette toquée là !
Amandine - Ce qu'il y a ! Ce qu'il y a ! (Lui tapant sur la tête.) Ah ! çà ! qu'est-ce que vous avez là-dedans ?
Dufausset, à part - Ah ! je pourrais bien lui faire la même question, par exemple.
Amandine - J'aime à croire que votre pendule est détraquée.
Dufausset, entre ses dents - La plus détraquée des deux n'est pas celle qu'on pense…
Amandine - Comment est-ce que ça fait une pendule qui sonne trois heures ?
Dufausset - Ça fait ding ! ding ! ding ! (À part.) Je vous dis qu'on devrait l'enfermer. (Haut.) Non, mais si c'est pour me faire un cours d'horlogerie, vous savez…
Il remonte.
Amandine, le rattrapant par le bras et le faisant passer au deuxième plan - Que faisiez-vous donc, monsieur, cette nuit à trois heures ?
Dufausset - À trois heures ? Qu'est-ce que faisais à trois heures ? Je dormais…
Amandine - Vous dormiez !… À trois heures, il osait dormir.
Dufausset,?— Dame, c'est plutôt l'heure… même, je rêvais…
Amandine - Assez !… n'essayez pas de me faire croire que vous rêviez de moi.
Dufausset - Non ! je rêvais d'hippopotames… il y a une nuance.
Amandine - Ah ! Ainsi, pas même ! Vous ne rêviez pas même de moi ! Eh bien, pendant que vous préfériez des hippopotames, je veillais, moi !
Dufausset - Oui, c'est ce qu'on vient de me dire… une rage de dents.
Amandine,?— Ah ! bah ! prétexte ! je veillais je vous dis… Que répondrez-vous à ça ?
Dufausset - Sacristi ! Mais ce n'est pas ma faute. (À part.) Ce qu'elle est grincheuse quand elle n'a pas dormi.
Amandine - Si, monsieur, c'est de votre faute… et je me promenais de long en large comme une dinde.
Elle passe au deuxième plan
Dufausset - Ah ! permettez.
Amandine - Si, monsieur, comme une dinde ! Ne me contredisez pas, ce n'est pas poli !
Dufausset - Ah ! Si vous tenez à dinde…
Amandine, repassant au premier plan - Bon ! insultez-moi, à présent l'injure après le mépris.
Elle s'assied à gauche près du bureau.
Dufausset - Ah ! mais elle m'ennuie à la fin !
Amandine, éclatant - Ah ! Dufausset… Dufausset, vous avez déjà assez de moi ! vous me méprisez.
Dufausset - Mais non… mais non, du tout. (À part.) Quelle bassinoire ! (Haut.) Voyons, vous n'avez pas dormi. Eh bien, je sais, c'est très ennuyeux.
Amandine - Hélas !
Dufausset - Mais ça ne sera rien, je connais ça, ça m'est arrivé aussi.
Amandine, avec un rayon de joie, se levant - Vrai ! Dufausset ? ç'a t'est arrivé… ça vous est arrivé aussi. (À part.) Ah ! Il m'aime donc encore.
Dufausset - Mais oui… n'est-ce pas, on est agité… on se tourne d'un côté et d'autre.
Amandine - Oui, oui.
Dufausset - On a trop chaud… la peau nous brûle… on retourne son oreiller… on ne sait pas comment se mettre… et puis on finit par se lever.
Amandine - C'est bien ça.
Dufausset - Eh bien, je sais ce que c'est… C'est le café… vous ne devriez pas prendre de café le soir.
Amandine - Le café ! Oh ! l'infâme !
Dufausset - Ma concierge à Bordeaux, ça lui faisait le même effet.
Amandine - Ah ! tiens !… je te hais !
Elle sort par le fond.
Dufausset - Ah ! tu… hein… (À part.) Qu'est-ce qu'elle a ! Ah ? non, elle n'est pas méchante, mais c'est la tête qui déménage.
Scène VII
Dufausset, Marthe
Marthe, venant de gauche - Vous êtes encore là, monsieur ?
Dufausset - Ah ! madame, expliquons-nous !
Marthe - C'est inutile… monsieur Pacarel qui n'est pas intéressé dans la question a eu soin de vous dire votre fait.
Dufausset - Mais je vous assure que je n'ai rien à me reprocher. Je suis arrivé à cinq heures précises dans la serre… et vous n'y étiez plus.
Marthe - Rien que cela ! Trois heures de retard ! Si c'est cela que vous appelez être exact… Comment, vous venez à cinq heures quand on vous donne rendez-vous à deux ?
Dufausset - Pardon ! non, pardon !… à cinq !
Marthe - À deux ! voyons, vous le savez bien !
Dufausset - Ah ! mais non ! à cinq ! je le sais bien aussi, j'ai compté les raies.
Marthe - C'est que vous ne savez pas compter.
Dufausset - Ou que vous avez trop marqué.
Marthe - Je n'ai fait que deux raies, moi !
Dufausset - Deux sur l'un, oui ! et trois sur l'autre, ce qui fait cinq.
Marthe - Sur quel autre ?
Dufausset - Dame ! Trois sur Landernau et deux sur Pacarel.
Marthe - Permettez, je n'ai pas rayé Landernau.
Dufausset - Il ne s'est pas rayé tout seul.
Marthe - Il se sera fourré du blanc quelque part, contre un mur.
Dufausset - Un mur qui raye joliment bien.
Marthe - Qu'est-ce que vous voulez que je vous dise ? Je n'ai mis que deux raies.
Dufausset - Vrai ?
Marthe - Parole !
Dufausset - Alors, je demeure stupide… crions au prodige et recevez mes excuses.
Marthe - Je les accepte.
Dufausset - Et moi qui vous maudissais !
Marthe - Et moi donc, vous croyez peut-être que je me gênais.
Dufausset - Ah ! Amandine… mon Amandine !
Marthe, passant au deuxième plan - Amandine ! Il m'appelle Amandine.
Dufausset - Oui, Amandine… mon Amandine.
Marthe,?— Encore… mais vous ne voyez donc pas que vous vous êtes coupé ?
Dufausset - Je me suis coupé… moi… ça saigne ?… Où ça ?
Marthe - Oui pourquoi ? pourquoi m'appelez-vous Amandine ?
Dufausset - Mais parce que ce nom m'est doux… parce que je l'aime, mon Amandine.
Marthe - Il avoue… il avoue et c'est à moi qu'il vient dire ça.
Dufausset - Dame ! à qui voulez-vous que j'aille le dire ?
Marthe - Ah ! laissez-moi, c'est infâme… partez !
Dufausset - Partir, moi ! quand je voudrais passer ma vie à vos pieds, jamais… Tenez, je suis à vos genoux.
Il se traîne à ses genoux.
Scène VIII
Les Mêmes, Pacarel, puis Landernau, puis Amandine
Ils viennent de gauche.
Pacarel, le voyant aux pieds de sa femme et restant cloué surplace - Ah !
Marthe - Mon mari !… mais relevez-vous donc !
Dufausset, indifférent en voyant Pacarel - Ah ! ça ne fait rien ! il sait… il sait !
Marthe - Hein !
Landernau, arrivant - Hein ! Dufausset… aux genoux de madame Pacarel !… Mais il ne voit donc pas Pacarel. (Affolé, à Dufausset. En essayant de le masquer à Pacarel.) Insensé, mais relevez-vous !
Dufausset, se relevant - Le mari ! pincé !
Landernau - Mais oui, le mari… vous êtes fou !… vous ne voyez pas que Pacarel vous voit ?
Dufausset - Ah ! ce n'est pas parce que Pacarel me voit que…
Landernau, à Pacarel - Ne crois pas ce que tu as vu, tu sais… Ça a l'air !… (À part.) Oh ! l'imprudent !
Pacarel, éclatant de rire - Ah ! laisse donc ! Elle est bienne bonne… l'échappé de la Chapelle. (passant au deuxième plan et allant à Dufausset) Hé ! petit poseur, va !
Il lui tape sur la joue en riant et remonte. Marthe remonte également.
Landernau - Ah ! bien, il est de bonne composition !
Marthe, à Pacarel - Ah ! mon ami, ne va pas supposer…
Pacarel - Mais puisque j'en ris…
Dufausset à Landernau - Au moins ne croyez pas tout ça… je n'aime pas votre femme, vous savez.
Landernau - Tiens, parbleu !…
Dufausset - J'avoue que les apparences sont contre moi !… Mais c'est pour sauver une situation… c'est sa femme que j'aime…
Landernau - Ah ! Mais vous savez, vous n'avez pas besoin de me le dire, ça se voit…
Dufausset - Et si vous m'avez vu aux genoux de madame, c'est pour détourner les soupçons de Pacarel.
Landernau - Drôle de façon par exemple !
Marthe, à Pacarel - Eh bien, voulez-vous que je vous dise, votre calme me blesse plus que votre colère.
Pacarel - Je te dis que je suis calme parce que je sais qu'il n'est pas dangereux.
Amandine, arrivant du fond et allant à son mari - Ah ! non !… non !… le café, je ne l'avalerai pas.
Dufausset - Elle !… c'est le ciel qui l'envoie. (Revenant à Pacarel.) Vous savez, je vous le dis d'avance, votre femme, je m'en moque comme d'une guigne.
Pacarel - Hein ?
Dufausset - Seulement, je vous demande pardon de ce que je vais faire !… C'est pour sauver la situation… aux yeux du mari. (Il saute au cou d'Amandine.) Ah ! Marthe, Marthe, je t'aime !
Amandine - Ah ! mon Dieu !
Landernau - Hein ! ma femme !
Amandine - Vous êtes fou, mon mari…
Dufausset - Ne craignez rien, je l'ai prévenu.
Landernau - Monsieur, mais vous perdez la tête !
Dufausset - Puisque je vous dis que je l'ai prévenu. (À Amandine.) Ah ! Marthe, tu es belle !
Amandine - Marthe !… Il m'appelle Marthe !… Je m'appelle Amandine, monsieur !
Elle remonte avec dépit jusqu'à la porte de gauche deuxième plan.
Dufausset - Hein ! comment Amandine ? Amandine ? c'est madame ?
Marthe, avec dédain jusqu'à la porte de droite deuxième plan - Je m'appelle Marthe, monsieur… Marthe Pacarel.
Dufausset - Hein ! Marthe… Paca… Marthe Pacarel, c'est vous ? et Amandine c'est… pendant que… Ah ! quel pétrin !
Marthe et Amandine, avec mépris - Pffu !
Elles sortent, la première par la droite, la deuxième par la gauche.
Landernau et Pacarel, éclatant de rire devant la mine dépitée de Dufausset - Ah ! ah ! ah ! ah !
Dufausset - Ah ! messieurs… je vous assure… croyez que…
Pacarel, riant toujours et tout en remontant vers la porte de gauche - Ah ! mais continuez donc, mon cher ami, de vous ça m'est bien égal.
Landernau, riant également en suivant Pacarel,?— Allez ! allez ! nous ne sommes pas jaloux.
Ils sortent tous les deux à gauche en se moquant de Dufausset.
Scène IX
Dufausset, puis Lanoix
Dufausset - Il n'y a pas à dire… ils se moquent de moi… (S'asseyant à droite.) Ah ! çà ! je n'y comprends plus rien… il s'est donc fait des changements depuis deux jours… Comment, on me présente une grosse Marthe et une exquise Amandine et voilà que la grosse Marthe se trouve être la grosse Amandine et l'exquise Amandine devient l'exquise Marthe… La femme de Pacarel est la femme de l'autre pendant que la femme de l'autre devient… c'est à n'y rien comprendre… (Se levant.) Ce doit être eux qui se trompent… pas possible !… ou bien, c'est un tour de passe-passe comme aux cartes… Mais alors je ne sais plus… à qui ai-je fait la cour ? quel mari ai-je été sur le point de tromper ? Quel est le serin qu'il faut soigner… Enfin, comment sont-ils mariés tous ces gens-là ?… Ah ! peut-être bien sous le régime de la communauté de femmes… le libre échange dans le mariage ! Ah ! dame, avec le progrès…
Lanoix, du fond - Bonjour, monsieur Dufausset.
Dufausset - Tiens, bonjour… c'est vous… je vous remercie… ça ne va pas mal.
Lanoix - Ah ! tant mieux… et vous vous portez bien ?
Dufausset - Mais comme je viens de vous le dire.
Lanoix - Ah ! c'est vrai, vous venez de me le dire…mais je ne vous l'avais pas demandé.
Dufausset - Vous avez raison… C'est étonnant comme on a l'air, bête quand on ne vous demande pas comment vous allez… et que vous répondez : je vous remercie, pas mal et vous…
Lanoix - Heureusement que ça arrive tous les jours. Vous n'avez pas vu monsieur Pacarel ?
Dufausset - Il me quitte à l'instant. (Chantant.) Ah ! ah ! ah ! ah ! ah ! ah !
Lanoix - Vous êtes souffrant, voulez-vous de la gomme ?
Dufausset - Merci, je me fais la voix.
Scène X
Lanoix, Dufausset, Pacarel, Julie
Pacarel, venant de gauche - On nous dit que vous êtes là, mon cher Lanoix… je descends quatre à quatre vous serrer la main et vous amener votre fiancée, pendant que ma page sèche… Je suis en train d'écrire une lettre importante… Votre mère va bien, votre sœur ?…
Lanoix - Je n'en ai pas.
Pacarel - Allons, tant mieux !
Julie, venant de gauche - Bonjour, monsieur Lanoix.
Lanoix, allant à Julie et passant au deuxième plan - J'allais vous le dire, mademoiselle.
Julie, imitant sa façon de tourner la langue - Vous allez bien ?
Lanoix, la singeant - Mais… une, deux, trois, quatre… une, deux, trois, quatre, très bien.
Pacarel - Allons mes enfants, je vous quitte. (À Dufausset.) Mon cher, rendez-vous utile… dans votre situation on peut vous demander ça… Ce sont deux fiancés… il faut les laisser à leurs épanchements… mais en même temps il est convenable de ne pas les abandonner complètement à eux-mêmes, c'est l'usage, c'est l'étiquette… Vous allez les surveiller… pour la forme… en ayant soin de ne pas les gêner… en vous promenant ici de long en large sans vous mêler à la conversation… pour ne pas déranger leur tête-à-tête…
Dufausset - Allons, me voici bonne d'enfants pour adultes.
Pacarel sort par le fond.
Scène XI
Les Mêmes, moins Pacarel
Dufausset arpente la scène au pas militaire, allant du fond à l'avant-scène et réciproquement.
Julie - Eh bien, rien de nouveau ?
Lanoix - Rien… j'attends un joint… jusqu'à nouvel ordre, nous continuons à dissimuler.
Julie - Moi, je n'ose pas dire à papa… j'aime mieux que ça vienne de votre côté.
Lanoix - C'est comme moi avec ma mère… je voudrais que ça arrivât de vous.
Dufausset - Je dois avoir l'air d'un tatou…
Julie - Il est évident que vous n'avez rien de ce qu'il faut pour être mon époux.
Dufausset lance de temps en temps des vocalises.
Lanoix - C'est comme vous, je reconnais que vous êtes très gentille, mais vous n'êtes pas du tout mon type.
Julie - D'abord vous avez le nez trop long.
Lanoix - Moi, je n'aime que les blondes.
Dufausset - S'épanchent-ils tout de même !
Julie - Et puis je n'aime pas les peintres… On ne peut pas les toucher sans se fourrer de la couleur.
Lanoix - Eh bien, moi, comme peintre, je n'aime que les cocottes, parce que là on est sûr d'en trouver, de la couleur.
Julie, passant au deuxième plan - Oh ! Oh ! vous avez dit "cocotte".
Lanoix - Pardon, j'aurais dû tourner ma langue.
Julie - Oh ! non… ça m'est égal !… je ne dois pas savoir ce que cela veut dire.
Dufausset, vocalisant - Ah ! ah ! ah ! ah ! ah !
Lanoix - Dites-moi… pourquoi est-ce qu'il se promène comme ça, ce monsieur ?… Il ne vous fait pas mal au cœur ?
Julie - Oh ! pauvre garçon… c'est qu'il est jaloux… il croit que je dois vous épouser… et il m'aime, lui… il me l'a fait sous-entendre.
Lanoix - Allons-donc… eh bien, et vous ?
Julie - Moi, dame… il ne me déplairait pas.
Lanoix - Alors, faites-le lui sous-entendre aussi.
Julie - Comment, devant vous ?
Lanoix - Oh ! moi, ça m'est égal… je n'écouterai pas.
Julie - Après tout, ça n'est que pour le rassurer… On n'a pas le droit de laisser souffrir son prochain quand on peut calmer sa souffrance. (À Dufausset.) Psstt ! !
Dufausset, s'arrêtant - Pardon, c'est à moi ?…
Lanoix - Oui, allez, allez !
Dufausset s'avance près de Julie. Lanoix gagne la place de Dufausset et se met, exactement comme le faisait ce dernier, à marcher de long en large.
Dufausset - Vous m'appelez, mademoiselle ?
Julie - Oui, je tiens à vous rassurer… vous êtes là sur des charbons. Eh bien, calmez-vous, monsieur Lanoix que l'on croit mon fiancé, ne sera jamais mon mari.
Dufausset - Comment !
Lanoix, tout en arpentant la scène, redescendant au deuxième plan entre Dufausset et Julie et sans interrompre sa marche - Non, jamais, jamais !
Il remonte.
Dufausset - Mais pourquoi me dites-vous ça ?
Julie - Mais parce que… parce que, après votre aveu, je n'ai pas le droit de m'amuser d'un jeu cruel qui doit vous faire souffrir.
Dufausset - Hein ?
Julie - Je ne suis point coquette, moi… et je trouve qu'il est mal lorsqu'on sait que quelqu'un a de… de la sympathie pour vous… de prendre plaisir à le chagriner par des airs de dédain et des épreuves inutiles, qui sont censément pour le stimuler.
Dufausset - Tiens ! tiens ! tiens !
Julie - Or, j'ai bien vu… combien vous étiez agacé… vous trépignez là depuis cinq minutes… j'ai peut-être tort de vous parler de la sorte… Madame Landernau m'a toujours dit : "En amour, il ne faut jamais s'avancer, il faut laisser venir…" mais en somme c'est vous qui avez fait les premiers pas… je puis bien m'avancer un peu à mon tour.
Dufausset, à part - Mais elle est charmante… et moi qui n'y faisais pas attention… (Haut.) Est-il possible, mademoiselle, que vous me parliez de la sorte ?
Lanoix, fredonnant - "Ah ! il a des bottes, il a des bottes, bottes bottes"…
Dufausset - Et dire, mademoiselle, qu'on peut être assez aveugle pour venir dans cette maison, et pour ne pas tomber immédiatement amoureux de vos charmes.
Julie, passant au premier plan - Oui, mais ça n'est pas votre cas.
Dufausset - Moi !
Julie, à Lanoix,?— C'est plutôt pour vous qu'on peut dire ça ! attrape !
Lanoix - Pas de personnalités, s'il vous plaît !
Julie, à Dufausset - Oh ! non, ça n'est pas votre cas… car vous m'avez bien vue tout de suite… Ah ! mais moi aussi, vous savez… Aussi quand vous m'avez fait l'aveu de vos sentiments…
Dufausset - Moi ? je vous ai fait… quand donc ?
Julie - Ah ! il ne se rappelle plus… mais ici ! quand vous étiez en colère après papa… alors, ça vous a échappé… vous m'avez dit : "Ah ! c'est moi qui m'en irais, si je n'étais retenu par les charmes d'une jeune personne…" Alors, j'ai compris. L'avez-vous dit, oui ou non ?
Dufausset - Oui, oui… mais je crois bien que je l'ai dit et je ne m'en dédis pas… je le répète… je vous aime…
Julie - Eh bien, voulez-vous que je vous dise, moi aussi, mais là, vraiment.
Dufausset - Elle est délicieuse. (Tombant à genoux.) Ah ! Julie !
Scène XII
Les Mêmes, Pacarel
Pacarel, paraissant au fond - Allons bon ! vous voilà encore par terre, vous. Il était fait pour être cul-de-jatte.
Dufausset - Ah ! Monsieur, l'amour…
Pacarel - Non, ne restez pas à mes genoux.
Dufausset - Non, je dis : l'amour est un sentiment immédiat… un instant m'a suffi pour me rendre follement épris de mademoiselle Julie.
Pacarel - Hein ! qu'est-ce qu'il me chante-là ?… Comment c'est lui qui… (À Lanoix qui arpente toujours et se trouve à ce moment à la hauteur de Pacarel.) Eh bien, et vous, qu'est-ce que vous faites donc ?
Lanoix, sans interrompre sa marche - Vous voyez, je l'ai relevé de faction.
Il remonte.
Pacarel - Ah ! bien, vous avez une bonne façon de faire votre cour.
Dufausset - Ah ! monsieur, vous êtes l'ami de mon père… vous ne me repousserez pas !… J'ai l'honneur de vous demander la main de votre fille.
Pacarel - Hein ! comment, vous… (Pouffant.) Allons, voyons ! ne dites donc pas de bêtises !
Dufausset - Comment cela ?
Julie, passant au deuxième plan - Oh ! papa, sois gentil. Enfin, tu veux me marier… je le comprends ! c'est pour toi… mais en me mariant tu me donnes un mari, ça c'est pour moi… Eh bien, laisse-moi le choisir.
Pacarel, riant toujours et faisant passer Julie au troisième plan,?— Non… non, Julie… je ne peux pas te dire… mais… Ah ! elle est bien bonne ! (Allant à Dufausset.) Sixtinien, va !
Dufausset - Qu'est-ce qu'il a donc à rire comme cela ?…
Scène XIII
Les Mêmes, Landernau
Landernau, du fond - Pacarel ! ah ! te voilà… tiens, lis ça !
Pacarel, riant - Un journal… Ah ! bien, plus tard… Figure-toi… Ah ! Non, tu ne devinerais jamais… Dufausset qui me demande la main de Julie !
Landernau - Vrai ! lui ! elle est bien bonne. (À Lanoix qui redescend.) Ah ! elle est bien bonne, hein !
Lanoix - Elle doit l'être, elle doit être vraiment bonne. Il fait chorus.
Dufausset - Ah ! mais ils m'agacent, je ne vois pas en quoi elle est si bonne…
Julie - Ah ! décidément, papa ne l'aime pas.
Landernau, redevenant sérieux,?— Et maintenant, assez ri comme ça, lis-moi ça.
Lanoix remonte avec Julie à droite.
Pacarel, riant toujours - Qu'est-ce que c'est ? quoi ?… "On annonce l'engagement…" Oh ! c'est trop fort ! (À Dufausset.) Lisez ça, vous !
Il tend le journal à Dufausset.
Dufausset, lisant - "On annonce l'engagement à l'Opéra du fameux ténor Dujeton aux appointements de 6.000 francs par mois…" Eh bien ! je m'en fiche !
Pacarel - Ah ! vous vous en fichez !… C'est bon, vous me devez quarante mille francs.
Dufausset - Moi ?
Pacarel - Le dédit !
Dufausset - Le dédit !… quel dédit !… mais je ne vous quitte pas !
Pacarel - Vous ne pouvez pas rester avec moi et être à l'Opéra en même temps.
Dufausset - Mais je ne vais pas à l'Opéra ! je ne suis pas Dujeton, moi…
Landernau - Hein ?
Pacarel - Comment vous n'êtes pas… alors que faites-vous ici… un pique-assiette ?
Dufausset - Ah ! Monsieur !
Pacarel - Pourquoi m'avez-vous dit que vous vous appeliez Dufausset ?
Dufausset - Dufausset n'est pas Dujeton.
Pacarel - Dujeton, c'est le nom de théâtre. Ne m'avez-vous pas expliqué que vous étiez le fils naturel de Dufausset.
Dufausset - Moi, le fils naturel ?… Eh bien, dites-donc, où avez-vous pris ça ?
Pacarel - Dame, c'est vous… Et puis quoi, Dufausset n'a qu'un fils…
Dufausset - Eh ! bien… je ne vous ai pas dit non plus que j'avais un frère… Ce fils, c'est moi…
Pacarel - Comment, c'est vous le… un gamin qui, il y a treize ans, était haut comme ça… Mais alors, dites-donc… vous n'êtes pas ténor ?…
Dufausset - Moi ? Je ne sais pas chanter !
Pacarel - Et vous vous faites passer ?… Ah ! c'est trop fort… Comment, je demande à Dufausset de m'engager un ténor et il y substitue son fils !…
Dufausset - Mon père m'a envoyé faire mon Droit à Paris… mais il ne m'a pas parlé de ténor… Il m'a seulement recommandé à vous… j'ai la lettre au fond de ma malle… Vous m'avez tout de suite offert une pension extraordinaire, j'ai accepté parce que je suis sans cérémonie…
Pacarel - Eh ! bien ! et mon télégramme ?
Dufausset - Mon père n'a rien reçu.
Pacarel, appelant - Tiburce !
Scène XIV
Les Mêmes, Tiburce venant du fond.
Tiburce - Monsieur !
Pacarel - Le télégramme que je vous ai donné l'autre jour ?
Tiburce - Oh ! je l'ai là, Monsieur.
Pacarel - Pas encore parti ! Comme l'administration est mal faite !
Tiburce - Monsieur le veut ?
Pacarel - Eh ! non, maintenant déchirez-le, ce télégramme, imbécile !
Tiburce - Monsieur est dur pour le télégramme.
Dufausset - Pas étonnant si mon père n'a rien reçu… Et maintenant je vous redemande la main de votre fille…
Pacarel - Ah ! ça, non, par exemple.
Dufausset - Qu'avez-vous à me reprocher ?
Pacarel - Comment, après avoir chanté à la chapelle Sixtine !
Dufausset - Qui ! moi ?
Landernau, qui est redescendu au premier plan - C'est vous qui l'avez dit.
Dufausset - J'ai dit que j'y avais été… non que j'y avais chanté. Ah ! bien, vous êtes gai, vous !
Scène XV
Les Mêmes, Amandine de gauche, Marthe de droite.
Marthe - Que se passe-t-il encore… pourquoi ce conciliabule ?
Dufausset - Ah ! madame, intercédez pour moi auprès de monsieur Pacarel pour qu'il m'accorde la main de mademoiselle Julie.
Amandine - Hein ?
Marthe - Ah ! permettez, je m'oppose !
Dufausset, bas à Marthe - Oh ! Madame, vous voulez me flatter en me faisant croire que vous êtes jalouse.
Marthe - Jalouse, moi ! Vous êtes bien fat ! (À Pacarel.) Après tout, c'est votre fille, monsieur Pacarel.
Pacarel - Mais permettez… ma fille est promise à monsieur Lanoix.
Lanoix - Mon Dieu… Monsieur Pacarel… je suis très honoré… mais, mademoiselle aime monsieur, il ne faut pas contrarier les inclinations… Je demande la main de votre seconde fille.
Pacarel - Je n'en ai pas.
Lanoix - Je ne suis pas pressé.
Pacarel - Allons, Dufausset, je ne dis pas non, je réfléchirai.
Amandine - Et dire que je n'ai pas voix au chapitre… le scélérat !
Pacarel - Ah ! mais au fait… vous me devez une explication, je vous ai pincé aux pieds de ma femme !
Dufausset - Chut ! oui ! C'est pour donner beau jeu à monsieur Landernau… J'avais un caprice pour sa femme.
Landernau, bas à Dufausset - Dites-donc, mon vieux… mais vous vous êtes permis d'embrasser ma femme… je n'ai rien dit parce que… alors je pensais…
Dufausset - Chut donc… c'était pour détourner les soupçons de Pacarel.
Landernau - Vrai ? Alors, ça va bien.
Pacarel - Allons, tout est pour le mieux… C'est égal, je n'ai pas eu de chance avec mon ténor… aussi, ça me servira de leçon… voyez-vous, mes amis… que vous achetiez des navets ou que vous traitiez avec un ténor… demandez toujours à voir la marchandise… On ne sait jamais ce que l'on risque à acheter chat en poche.
RIDEAU
FIN
Source: Wikisource
Pacarel : Stanley
Dufausset : Christian Martin
Landernau, docteur : Alain Bernard
Lanoix de Vaux : Aldor
Tiburce, domestique de Pacarel : Bernard
Marthe, femme de Pacarel : Ar Men
Amandine, femme de Landernau : Camille
Julie : Mellow Dee
à la narration: Joane
Acte III
Décor du premier acte - La table du milieu et les chaises qui l'entouraient ont été enlevées - Au milieu de la scène, à droite, un fauteuil.
Scène première
Tiburce, puis Landernau
Tiburce, est en train de balayer - Pristi ! que j'ai mal dormi ! Toute la nuit il m'a semblé entendre marcher dans la maison… J'ai eu des cauchemars ! J'ai rêvé que j'allais épouser Bibiche. (Avec sentiment.) Elle était encore plus en chair que nature… mais alors, voilà qu'il a surgi une belle-mère… qui avait la tête de Landernau… et elle était contre le mariage. Alors il y a eu un crépage de chignon… et je lui ai allongé un coup de poing… je le sens encore… j'ai tapé sur le mur !… Qu'est-ce que ça veut dire, quand on rêve de belle-mère ? (S'asseyant à droite et tirant une "Clé des songes" de son tablier.) Voyons dans la "Clé des songes". C'est infaillible ! J'ai connu une nourrice à qui elle avait prédit que son fils remuerait des millions, il est devenu croupier. (Parcourant.) Voyons : "Belle-mère, voyez bassinoire." (Feuilletant.) "Bassinoire, voyez belle-mère !" Ça peut durer longtemps comme cela.
Landernau, venant de gauche, deuxième plan - Ah ! Tiburce. Dites-moi, M. Pacarel ni le ténor ne sont encore descendus de leur chambre ?
Tiburce - Non, je n'y comprends rien… il est près de onze heures… et personne n'est encore en bas… comme si on avait veillé toute la nuit… Je crois, entre nous, que si l'on dort si longtemps aujourd'hui, c'est parce que, hier, la cuisinière, n'ayant plus de caramel, pour colorer le bouillon, y a mis de laudanum.
Landernau - Du laudanum ! Vous êtes fou !
Tiburce - Oui, monsieur. (Appuyant sur chaque syllabe.) De l'eau danum.
Landernau - Allons donc ! vous ne savez pas ce que vous racontez aujourd'hui… et puis, d'abord, on dit : du laudanum.
Tiburce - Comment "du" ? eau est du féminin, Monsieur ! Monsieur ne dit pas du l'eau-de-vie… passez-moi du l'eau… On dit de l'eau-de-vie, de l'eau danum ; la grammaire est la même pour les domestiques comme pour les maîtres.
Landernau - Quel idiot ! Allons, je m'en vais… vous êtes en train de balayer… je ne tiens pas à avaler tous vos microbes.
Tiburce - Oh ! Monsieur peut rester ! Quand je balaie… je prends bien garde à ne pas déplacer la poussière… D'ailleurs j'ai fini…
Landernau - Ah !
Tiburce?— Oui, c'est même ce qu'il y a d'agréable dans cette façon de balayer… quand on veut, on a toujours fini…
Landernau - Ah ! voici M. Pacarel… laissez-nous.
Tiburce - Bien, Monsieur.
Il sort par le fond.
Scène II
Landernau, Pacarel
Landernau - Eh ! arrive donc, toi.
Pacarel, venant de droite, deuxième plan - Me voilà ! As-tu vu Dufausset ?
Landernau - Pas encore.
Pacarel - Tu ne sais pas s'il a encore sa voix ?
Landernau - Ah ! Dame, je ne l'ai pas vu depuis hier…
Pacarel - Après tout, je suis tranquille, nous avons le moyen… "Colimaçon borgne…" Ah ! mon dieu, mais si ça n'allait pas marcher à l'Opéra !
Landernau - Ma foi, ça pourrait bien arriver ; tu sais, moi on ne m'enlèvera pas une chose de la tête, c'est que Dufausset cherche à nous mettre dedans…
Pacarel - Il ne serait pas ténor ?
Landernau - Au contraire ! Seulement, il a des raisons pour nous le cacher.
Pacarel - Tu crois ?
Landernau - Parbleu ! tu comprends, il est inadmissible qu'on lui ait fait une réputation de chanteur, même dans le Midi, s'il est complètement aphone. Seulement, il a dû flairer la vérité… apprendre que l'Opéra voulait l'engager ; alors, furieux d'avoir signé avec toi, il n'a trouvé d'autre moyen, pour t'amener à résilier son engagement, que de te faire croire qu'il n'avait pas de voix.
Pacarel - Ah ! bien, elle n'est pas mauvaise ! il la connaît, Dufausset !… heureusement que tu as vu cela tout de suite, toi ; c'est que nous ne sommes pas des imbéciles.
Landernau - Dame, c'est clair… une voix ne se perd pas en deux jours… Mon dieu ! qu'il la perde à la longue, ça pourra arriver… parce qu'il a quelque chose qui lui fera du tort à mon avis… je le crois très noceur, ce garçon là. Et tu sais, pour la voix…
Pacarel - Ah ! tu crois que…
Landernau - Lui !… mais il suffit qu'il aperçoive un cotillon. (Remontant pour s'assurer que personne n'écoute et redescendant au deuxième plan.) Mais tiens, ici… tu n'as rien vu, toi… Eh ! bien, il est une femme autour de qui il tourne.
Pacarel - Comment, je n'ai rien vu… (À part.) C'est sa femme, parbleu !
Landernau - Oh ! je ne la nommerai pas.
Pacarel - Non ! (À part.) Ah ! le maladroit, il s'est fait pincer.
Landernau, à part - Je ne la nommerai pas, parce que c'est sa femme.
Pacarel?— Je t'assure, Landernau, cela n'est pas.
Landernau - Tiens, parbleu, il ne te l'a pas dit !
Pacarel - Si, si, au contraire, il me l'a dit… il m'a dit : vous savez, Pacarel, j'ai l'air de… Eh bien, pas du tout, ça n'est pas ça ; je vous assure qu'il n'y a rien.
Landernau - Je te crois, tiens !… Ah ! et puis, tu sais, moi je veux bien ; pour moi, je m'en fiche !
Pacarel - Ah ! tu… c'est une bonne pâte…
Landernau - Mais c'est égal, toi, méfie-toi !
Pacarel - Pourquoi donc ça, mon ami… tu t'en fiches, je fais comme toi.
Landernau - Ah ! bon, alors… (À part.) Il est philosophe.
Il gagne la droite.
Scène III
Les Mêmes, Dufausset
Dufausset, entrant du fond - C'est moi.
Pacarel - Ah ! vous voilà, mon cher Dufausset ; je vous ai entendu faire des roulades tout à l'heure.
Dufausset - Moi, jamais de la vie !
Pacarel - Comment, jamais de la vie !
Landernau - Non, il dit vrai… je l'ai cru, moi aussi d'abord… mais c'était l'eau dans le réservoir… l'eau qui montait.
Pacarel - Ah ! c'était l'… Elle chante bien !… Comme vous d'ailleurs ! Car vous avez une voix… Ah ! farceur… vous avez beau la rentrer… ça éclate !… et timbrée !… Ah ! ah ! ah ! Etes-vous assez timbré !
Dufausset - Moi ! pas plus qu'eux, par exemple.
Pacarel - Allons ! voyons, pas de cachotterie…nous sommes des roublards, nous ! faut pas essayer de nous la faire… laissez la donc sortir…
Dufausset - Qui !
Pacarel - Eh ! votre voix, vos ut.
Dufausset - Vos ?
Pacarel - Zut.
Dufausset - Merci… j'avais bien entendu.
Pacarel - Ah ! bien, alors, allons-y… N'est-ce pas, nous savons tous que vous êtes un ténor de la plus grande valeur.
Dufausset - Moi ! mais c'est pour rire…
Pacarel - Ta, ta, ta, ta, ne faites donc pas l'innocent ; je sais bien que c'est dans votre jeu…
Landernau - Mais c'est inutile ! on ne vous lâchera pas…
Pacarel - Ainsi, c'est pas la peine de vous entêter…
Dufausset - Ils y tiennent…
Pacarel - Faites un peu… Ah ! ah ! ah ! ah ! ah ! ah ! ah !
Il chante la gamme.
Dufausset, même jeu - Ah ! ah ! ah ! ah ! ah ! ah ! ah ! ah !
Pacarel - Plus fort.
Dufausset, criant - Ah ! ah ! ah ! ah ! ah ! ah ! (À part.) Ils me feront tourner en bourrique.
Pacarel - Eh ! bien, voila, ça y est… C'est un peu faux… mais c'est parce qu'il y a des courants d'air… quand il y aura un décor derrière…
Landernau - Vous voyez bien que vous avez une voix superbe.
Dufausset - Moi !
Pacarel - D'ailleurs, votre réputation est faite dans Bordeaux.
Dufausset - Allons donc !
Pacarel - C'est bien pour ça que je vous ai fait un si brillant engagement… Sans ça, vous pensez bien…
Dufausset - C'est vrai pourtant ! Alors, c'est sérieux ce que vous dites là ?
Pacarel - Dame !
Dufausset - Eh ! bien, je ne m'en serais jamais douté…
Landernau - Aussi, c'était enfantin de vouloir nous le cacher.
Dufausset - Oh ! je vous assure que jusqu'à présent… Comme on s'ignore tout de même… C'est que c'est positif ; voulez-vous que je vous dise : au fond, j'ai toujours senti que j'avais de la voix… mais on me décourageait, là-bas, en me disant : "Ferme ça, tu vas faire pleuvoir !"
Pacarel - Il y a toujours des envieux pour contrarier les vocations.
Dufausset, chantant - Do ré mi fa sol la si do ! Ah ! ah ! ah ! ah !… (Passant au premier plan.) "Salut, demeure chaste et pure !"
Pacarel - Aie ! toujours le même air… il varie peu !
Dufausset - Ah ! n'ayez pas peur… j'en apprendrai d'autres.
Pacarel - C'est si beau, une belle voix…
Dufausset - Ah ! je crois bien… mais en France vous n'avez pas ça… il faut aller en Italie… Si vous aviez été comme moi à la Chapelle Sixtine…
Landernau, bondissant, ainsi que Pacarel - Hein ! vous…
Dufausset - Quoi !
Pacarel, suffoqué - À la… À la cha… à la cha cha…
Dufausset - Pourquoi parlez-vous arabe ?…
Pacarel - Non je… ce n'est pas de l'arabe… je dis à la cha… Qu'est-ce que vous venez de dire, enfin ?
Dufausset - J'ai dit : "si vous aviez été, comme moi ; à la Chapelle Sixtine".
Landernau - J'avais bien entendu… Comment, vous avez été à la Chapelle Sixtine ?… vous !… chanter.
Dufausset - Quoi ?
Landernau - Je dis : chanter !
Dufausset, à part - "Chantez !" Oh ! il veut encore que je chante. (Haut.) Parfaitement ! Parfaitement ! (Chantant.) "Salut demeure… "
Pacarel - Assez !
Dufausset - Bon !
Landernau, bas à Pacarel - Il m'a dit "parfaitement !", tu as entendu ?
Pacarel - Oui ! je n'en reviens pas, pauvre garçon !
Dufausset, passant au deuxième plan - Mais pour en revenir à la Chapelle Sixtine… vous savez sans doute que les chantres en sont…
Pacarel - Oui, nous savons, nous savons…
Dufausset - Eh ! bien vous ne pouvez vous faire une idée de l'intensité d'harmonie qui se dégage de ces voix si pures ainsi assemblées, qui chantent toutes leurs parties avec une âme…
Pacarel - Ils les chantent de mémoire, bien entendu !
Dufausset - Oh ! évidemment.
Landernau - Et comment un garçon comme vous a-t-il pu avoir l'idée d'entrer là-dedans ?
Dufausset - Où ? À la Chapelle Sixtine ? Ah ! bien ma foi, vous savez ce que c'est… J'étais à Rome… J'avais déjà un peu le spleen… j'apprends tout à coup que ma maîtresse, une femme qui m'avait juré un amour éternel, venait de filer avec un dentiste napolitain.
Pacarel - Je vois ce que c'est ! un désespoir d'amour !
Dufausset - Mettez-vous à ma place.
Pacarel - Merci.
Dufausset - Vous comprenez, mon humeur… pour m'étourdir alors… je me suis mis à arpenter les rues de Rome, seul, découragé, dégoûté de la vie et des femmes…
Landernau - Oui ! Oui.
Dufausset - Tout à coup, qu'est-ce que je vois devant moi… la Chapelle Sixtine… Dame ! pour un homme qui est tout seul à Rome avec le spleen en plus et une maîtresse en moins… c'était encore une ressource.
Pacarel - Médiocre…
Dufausset - Je m'écrie : "Ma foi, c'est le ciel qui l'envoie ! entrons à la Chapelle Sixtine !"
Pacarel - Comme ça ! Vlan !
Landernau - Niez donc la vocation !
Dufausset - Ah ! je ne l'ai pas regretté, allez !
Pacarel - Jamais ?
Dufausset - Jamais !… Je puis dire que j'ai éprouvé là une des plus grandes secousses de ma vie.
Landernau - Je vous crois.
Dufausset, à Landernau - Je n'étais pas plus tôt entré, monsieur, que je me sentais pris par tous ces chantres à la voix céleste… terrassé, démonté… (À Pacarel.) Je n'étais plus un homme, monsieur !… J'étais… Ah ! je ne sais pas ce que j'étais…
Pacarel - Ne cherchez pas… (À part.) Pauvre garçon !
Dufausset, à Landernau - Enfin, me croirez-vous quand je vous dirai que j'ai pleuré, oui monsieur… comme un veau, à ce moment-là.
Pacarel - Ah ! je ne savais pas que les veaux, à ce moment-là…
Landernau - C'est sans doute la perspective du pot-au-feu.
Dufausset - C'était de l'extase, quoi… au point que je n'ai même pas fait attention à ce qu'on m'y a exécuté.
Pacarel - Quel Spartiate !…
Dufausset - C'est égal, je ne l'oublierai jamais. (Chantant d'une voix de tête.) "O salutaris hostia !"
Pascal - C'est tout à fait ça.
Dufausset - Et ça ne vous donne qu'une faible idée.
Pacarel, le prenant à part - Dites-donc ! Et moi qui croyais que vous faisiez la cour à Mme Landernau ?
Dufausset, ahuri - Je ne saisis pas le rapport.
Landernau, le prenant à part - Dites-donc, figurez-vous que j'étais persuadé que vous cultiviez Mme Pacarel.
Dufausset :?— Ah ! çà ! ils se donnent le mot !
Landernau et Pacarel, lui serrant chacun la main - Oh ! pauvre ami !
Pacarel - Et maintenant, je récris à l'Opéra… vous tâcherez d'être brillant, d'ailleurs peu m'importe maintenant que j'ai le secret ; essayons-nous, Landernau ?
Landernau - Essayons, Pacarel.
(Ils retirent leurs mouchoirs qu'ils agitent.)
Ensemble :
Pacarel - "Coucou… Ah ! le voilà !"
Landernau - "Colimaçon borgne !"
Dufausset, passant au troisième plan - Hein ! Ah ! le… Ah ! non, merci, pas tout le temps, j'en ai assez, moi !
Pacarel - Vous avez raison… il vaut mieux se réserver pour la grande occasion. (À part.) Ah ! c'est égal, ce pauvre Dufausset ! (Haut.) Landernau, allons faire notre lettre !
Landernau - Allons, Pacarel.
Ils sortent par la gauche. Pacarel sort le dernier.
Scène IV
Dufausset, puis Marthe
Dufausset - Oh ! oui, j'en ai assez ! j'y ai été pris hier ! mais on ne m'y reprendra plus ! (Chantant.) "Salut demeure chaste et pure !…" C'est vrai que j'ai de la voix… et dire que j'ai mis vingt-quatre ans à m'en apercevoir. (Chantant.) "Salut, demeure chaste et pure ! Salut demeure…" Ce matin, à cinq heures comme c'était convenu, après une nuit blanche ou à peu près… car j'ai eu le cauchemar tout le temps. J'ai rêvé d'hippopotames. À cinq heures, je saute à bas de mon lit et, tout palpitant, je descends dans la serre… Je me dis : "Elle va venir, je l'attends !" Eh ! bien, j'ai attendu comme cela jusqu'à huit heures… Je vous demande un peu… Si elle n'avait pas l'intention de venir, elle n'avait pas besoin de fatiguer son mari et l'autre à agiter des mouchoirs.
Marthe, venant du fond - Ah ! vous voilà, monsieur !
Dufausset - Ah ! vous voi… j'allais vous le dire, madame.
Marthe - Vous trouvez que c'est comme il faut de faire poser les femmes ?
Dufausset - Ah ! elle est forte celle-là !
Marthe - Une heure, monsieur ! une heure j'ai attendu… et j'aurais peut-être attendu encore sans Bibiche.
Dufausset - Bibiche ?… Ah ! oui, la grosse.
Marthe - Eh ! oui, Bibiche, qui a surgi à trois heures sonnantes dans la serre… sous prétexte qu'elle avait une rage de dents qui l'empêchait de dormir… Alors, je lui ai dit que j'avais une névralgie, pour sauver les apparences… et nous nous sommes promenées toutes les deux… de long en large… Enfin, comme elle n'avait pas l'air de vouloir s'en aller et qu'elle me conseillait d'aller me coucher, je suis partie pour ne pas éveiller les soupçons.
Dufausset - À d'autres, madame… trois heures, moi, trois heures j'ai attendu… Ce n'est pas une heure cela.
Marthe - Vous m'avez attendu, vous ?
Dufausset - Parfaitement.
Marthe - Dans la serre ?
Dufausset - Oui, dans la serre,… il n'y en a pas plusieurs, je suppose…
Marthe - Bordelais, va !
Dufausset - Ah ! mais je vous assure… vous voudriez mettre les torts de mon côté.
Marthe - C'est vous qui voulez vous donner les gants.
Scène V
Les Mêmes, Pacarel
Pacarel, venant de gauche - Eh bien ! Eh bien ! qu'est-ce que vous avez ?…
Marthe - Rien, nous discutons.
Dufausset - C'est madame qui m'accuse.
Marthe - Ah ! bien, tenez, prenons M. Pacarel pour juge ! En thèse générale… une femme accorde un rendez-vous à un monsieur… n'est-ce pas… Eh bien, ce monsieur croit de bon goût, après avoir sollicité ce rendez-vous, de n'y pas venir.
Pacarel - Eh ! bien, ce monsieur est un paltoquet.
Marthe - Là !
Dufausset - Ah ! permettez, oui ! mais quand c'est la femme qui…
Pacarel - N'importe, c'est toujours l'homme qui a tort… Ainsi, je suppose que ma femme… je peux bien vous dire ça à vous qui êtes sans importance… ma femme vous donne un rendez-vous… Vous n'y allez pas… vous êtes un paltoquet… Moi, le mari, je vous en sais gré, mais vous êtes un paltoquet tout de même. Ah, çà ! à propos de quoi parliez-vous ?
Marthe - Mais… à propos d'une dame que M. Dufausset connaît bien et qui a eu la faiblesse…
Pacarel - Ah ! une dame… une femme mariée…
Marthe - Oui…
Pacarel - Ah ! c'est toujours drôle… et le nom du mari ?
Marthe - Ah ! ça, non, non, on ne peut pas te le dire.
Pacarel - Je ne le répéterai pas.
Marthe, à part - Je le crois bien… tiens !
Elle remonte à gauche.
Pacarel, à part. Après tout, je le sais… c'est Landernau… Ah ! ces maris, quels types… tous aveugles… (Haut.) Et c'est à vous que ce rendez-vous… Ah ! elle tombe bien Amandine. Je comprends… que vous ayez renoncé… (À part.) Dans son état.
Marthe - Allez, vous êtes condamné !
Pacarel et Marthe sortent de gauche.
Scène VI
Dufausset, Amandine
Dufausset - Ah ! non… non… elle est trop forte !… c'est moi qui ai raison et c'est moi qui ai tort… On me fait poser !… et l'on me fait des scènes. Ah ! non !
Amandine, arrivant du fond, descendant à Dufausset et le faisant pirouetter - Ah ! vous voilà monsieur !
Dufausset - Allons ! bon ! l'autre à présent !
Amandine - Ah ! Vous êtes encore un joli coco, vous !
Dufausset - Quoi ? qu'est-ce qu'il y a ?… (À part.) On ne sait jamais ce qu'elle veut, cette toquée là !
Amandine - Ce qu'il y a ! Ce qu'il y a ! (Lui tapant sur la tête.) Ah ! çà ! qu'est-ce que vous avez là-dedans ?
Dufausset, à part - Ah ! je pourrais bien lui faire la même question, par exemple.
Amandine - J'aime à croire que votre pendule est détraquée.
Dufausset, entre ses dents - La plus détraquée des deux n'est pas celle qu'on pense…
Amandine - Comment est-ce que ça fait une pendule qui sonne trois heures ?
Dufausset - Ça fait ding ! ding ! ding ! (À part.) Je vous dis qu'on devrait l'enfermer. (Haut.) Non, mais si c'est pour me faire un cours d'horlogerie, vous savez…
Il remonte.
Amandine, le rattrapant par le bras et le faisant passer au deuxième plan - Que faisiez-vous donc, monsieur, cette nuit à trois heures ?
Dufausset - À trois heures ? Qu'est-ce que faisais à trois heures ? Je dormais…
Amandine - Vous dormiez !… À trois heures, il osait dormir.
Dufausset,?— Dame, c'est plutôt l'heure… même, je rêvais…
Amandine - Assez !… n'essayez pas de me faire croire que vous rêviez de moi.
Dufausset - Non ! je rêvais d'hippopotames… il y a une nuance.
Amandine - Ah ! Ainsi, pas même ! Vous ne rêviez pas même de moi ! Eh bien, pendant que vous préfériez des hippopotames, je veillais, moi !
Dufausset - Oui, c'est ce qu'on vient de me dire… une rage de dents.
Amandine,?— Ah ! bah ! prétexte ! je veillais je vous dis… Que répondrez-vous à ça ?
Dufausset - Sacristi ! Mais ce n'est pas ma faute. (À part.) Ce qu'elle est grincheuse quand elle n'a pas dormi.
Amandine - Si, monsieur, c'est de votre faute… et je me promenais de long en large comme une dinde.
Elle passe au deuxième plan
Dufausset - Ah ! permettez.
Amandine - Si, monsieur, comme une dinde ! Ne me contredisez pas, ce n'est pas poli !
Dufausset - Ah ! Si vous tenez à dinde…
Amandine, repassant au premier plan - Bon ! insultez-moi, à présent l'injure après le mépris.
Elle s'assied à gauche près du bureau.
Dufausset - Ah ! mais elle m'ennuie à la fin !
Amandine, éclatant - Ah ! Dufausset… Dufausset, vous avez déjà assez de moi ! vous me méprisez.
Dufausset - Mais non… mais non, du tout. (À part.) Quelle bassinoire ! (Haut.) Voyons, vous n'avez pas dormi. Eh bien, je sais, c'est très ennuyeux.
Amandine - Hélas !
Dufausset - Mais ça ne sera rien, je connais ça, ça m'est arrivé aussi.
Amandine, avec un rayon de joie, se levant - Vrai ! Dufausset ? ç'a t'est arrivé… ça vous est arrivé aussi. (À part.) Ah ! Il m'aime donc encore.
Dufausset - Mais oui… n'est-ce pas, on est agité… on se tourne d'un côté et d'autre.
Amandine - Oui, oui.
Dufausset - On a trop chaud… la peau nous brûle… on retourne son oreiller… on ne sait pas comment se mettre… et puis on finit par se lever.
Amandine - C'est bien ça.
Dufausset - Eh bien, je sais ce que c'est… C'est le café… vous ne devriez pas prendre de café le soir.
Amandine - Le café ! Oh ! l'infâme !
Dufausset - Ma concierge à Bordeaux, ça lui faisait le même effet.
Amandine - Ah ! tiens !… je te hais !
Elle sort par le fond.
Dufausset - Ah ! tu… hein… (À part.) Qu'est-ce qu'elle a ! Ah ? non, elle n'est pas méchante, mais c'est la tête qui déménage.
Scène VII
Dufausset, Marthe
Marthe, venant de gauche - Vous êtes encore là, monsieur ?
Dufausset - Ah ! madame, expliquons-nous !
Marthe - C'est inutile… monsieur Pacarel qui n'est pas intéressé dans la question a eu soin de vous dire votre fait.
Dufausset - Mais je vous assure que je n'ai rien à me reprocher. Je suis arrivé à cinq heures précises dans la serre… et vous n'y étiez plus.
Marthe - Rien que cela ! Trois heures de retard ! Si c'est cela que vous appelez être exact… Comment, vous venez à cinq heures quand on vous donne rendez-vous à deux ?
Dufausset - Pardon ! non, pardon !… à cinq !
Marthe - À deux ! voyons, vous le savez bien !
Dufausset - Ah ! mais non ! à cinq ! je le sais bien aussi, j'ai compté les raies.
Marthe - C'est que vous ne savez pas compter.
Dufausset - Ou que vous avez trop marqué.
Marthe - Je n'ai fait que deux raies, moi !
Dufausset - Deux sur l'un, oui ! et trois sur l'autre, ce qui fait cinq.
Marthe - Sur quel autre ?
Dufausset - Dame ! Trois sur Landernau et deux sur Pacarel.
Marthe - Permettez, je n'ai pas rayé Landernau.
Dufausset - Il ne s'est pas rayé tout seul.
Marthe - Il se sera fourré du blanc quelque part, contre un mur.
Dufausset - Un mur qui raye joliment bien.
Marthe - Qu'est-ce que vous voulez que je vous dise ? Je n'ai mis que deux raies.
Dufausset - Vrai ?
Marthe - Parole !
Dufausset - Alors, je demeure stupide… crions au prodige et recevez mes excuses.
Marthe - Je les accepte.
Dufausset - Et moi qui vous maudissais !
Marthe - Et moi donc, vous croyez peut-être que je me gênais.
Dufausset - Ah ! Amandine… mon Amandine !
Marthe, passant au deuxième plan - Amandine ! Il m'appelle Amandine.
Dufausset - Oui, Amandine… mon Amandine.
Marthe,?— Encore… mais vous ne voyez donc pas que vous vous êtes coupé ?
Dufausset - Je me suis coupé… moi… ça saigne ?… Où ça ?
Marthe - Oui pourquoi ? pourquoi m'appelez-vous Amandine ?
Dufausset - Mais parce que ce nom m'est doux… parce que je l'aime, mon Amandine.
Marthe - Il avoue… il avoue et c'est à moi qu'il vient dire ça.
Dufausset - Dame ! à qui voulez-vous que j'aille le dire ?
Marthe - Ah ! laissez-moi, c'est infâme… partez !
Dufausset - Partir, moi ! quand je voudrais passer ma vie à vos pieds, jamais… Tenez, je suis à vos genoux.
Il se traîne à ses genoux.
Scène VIII
Les Mêmes, Pacarel, puis Landernau, puis Amandine
Ils viennent de gauche.
Pacarel, le voyant aux pieds de sa femme et restant cloué surplace - Ah !
Marthe - Mon mari !… mais relevez-vous donc !
Dufausset, indifférent en voyant Pacarel - Ah ! ça ne fait rien ! il sait… il sait !
Marthe - Hein !
Landernau, arrivant - Hein ! Dufausset… aux genoux de madame Pacarel !… Mais il ne voit donc pas Pacarel. (Affolé, à Dufausset. En essayant de le masquer à Pacarel.) Insensé, mais relevez-vous !
Dufausset, se relevant - Le mari ! pincé !
Landernau - Mais oui, le mari… vous êtes fou !… vous ne voyez pas que Pacarel vous voit ?
Dufausset - Ah ! ce n'est pas parce que Pacarel me voit que…
Landernau, à Pacarel - Ne crois pas ce que tu as vu, tu sais… Ça a l'air !… (À part.) Oh ! l'imprudent !
Pacarel, éclatant de rire - Ah ! laisse donc ! Elle est bienne bonne… l'échappé de la Chapelle. (passant au deuxième plan et allant à Dufausset) Hé ! petit poseur, va !
Il lui tape sur la joue en riant et remonte. Marthe remonte également.
Landernau - Ah ! bien, il est de bonne composition !
Marthe, à Pacarel - Ah ! mon ami, ne va pas supposer…
Pacarel - Mais puisque j'en ris…
Dufausset à Landernau - Au moins ne croyez pas tout ça… je n'aime pas votre femme, vous savez.
Landernau - Tiens, parbleu !…
Dufausset - J'avoue que les apparences sont contre moi !… Mais c'est pour sauver une situation… c'est sa femme que j'aime…
Landernau - Ah ! Mais vous savez, vous n'avez pas besoin de me le dire, ça se voit…
Dufausset - Et si vous m'avez vu aux genoux de madame, c'est pour détourner les soupçons de Pacarel.
Landernau - Drôle de façon par exemple !
Marthe, à Pacarel - Eh bien, voulez-vous que je vous dise, votre calme me blesse plus que votre colère.
Pacarel - Je te dis que je suis calme parce que je sais qu'il n'est pas dangereux.
Amandine, arrivant du fond et allant à son mari - Ah ! non !… non !… le café, je ne l'avalerai pas.
Dufausset - Elle !… c'est le ciel qui l'envoie. (Revenant à Pacarel.) Vous savez, je vous le dis d'avance, votre femme, je m'en moque comme d'une guigne.
Pacarel - Hein ?
Dufausset - Seulement, je vous demande pardon de ce que je vais faire !… C'est pour sauver la situation… aux yeux du mari. (Il saute au cou d'Amandine.) Ah ! Marthe, Marthe, je t'aime !
Amandine - Ah ! mon Dieu !
Landernau - Hein ! ma femme !
Amandine - Vous êtes fou, mon mari…
Dufausset - Ne craignez rien, je l'ai prévenu.
Landernau - Monsieur, mais vous perdez la tête !
Dufausset - Puisque je vous dis que je l'ai prévenu. (À Amandine.) Ah ! Marthe, tu es belle !
Amandine - Marthe !… Il m'appelle Marthe !… Je m'appelle Amandine, monsieur !
Elle remonte avec dépit jusqu'à la porte de gauche deuxième plan.
Dufausset - Hein ! comment Amandine ? Amandine ? c'est madame ?
Marthe, avec dédain jusqu'à la porte de droite deuxième plan - Je m'appelle Marthe, monsieur… Marthe Pacarel.
Dufausset - Hein ! Marthe… Paca… Marthe Pacarel, c'est vous ? et Amandine c'est… pendant que… Ah ! quel pétrin !
Marthe et Amandine, avec mépris - Pffu !
Elles sortent, la première par la droite, la deuxième par la gauche.
Landernau et Pacarel, éclatant de rire devant la mine dépitée de Dufausset - Ah ! ah ! ah ! ah !
Dufausset - Ah ! messieurs… je vous assure… croyez que…
Pacarel, riant toujours et tout en remontant vers la porte de gauche - Ah ! mais continuez donc, mon cher ami, de vous ça m'est bien égal.
Landernau, riant également en suivant Pacarel,?— Allez ! allez ! nous ne sommes pas jaloux.
Ils sortent tous les deux à gauche en se moquant de Dufausset.
Scène IX
Dufausset, puis Lanoix
Dufausset - Il n'y a pas à dire… ils se moquent de moi… (S'asseyant à droite.) Ah ! çà ! je n'y comprends plus rien… il s'est donc fait des changements depuis deux jours… Comment, on me présente une grosse Marthe et une exquise Amandine et voilà que la grosse Marthe se trouve être la grosse Amandine et l'exquise Amandine devient l'exquise Marthe… La femme de Pacarel est la femme de l'autre pendant que la femme de l'autre devient… c'est à n'y rien comprendre… (Se levant.) Ce doit être eux qui se trompent… pas possible !… ou bien, c'est un tour de passe-passe comme aux cartes… Mais alors je ne sais plus… à qui ai-je fait la cour ? quel mari ai-je été sur le point de tromper ? Quel est le serin qu'il faut soigner… Enfin, comment sont-ils mariés tous ces gens-là ?… Ah ! peut-être bien sous le régime de la communauté de femmes… le libre échange dans le mariage ! Ah ! dame, avec le progrès…
Lanoix, du fond - Bonjour, monsieur Dufausset.
Dufausset - Tiens, bonjour… c'est vous… je vous remercie… ça ne va pas mal.
Lanoix - Ah ! tant mieux… et vous vous portez bien ?
Dufausset - Mais comme je viens de vous le dire.
Lanoix - Ah ! c'est vrai, vous venez de me le dire…mais je ne vous l'avais pas demandé.
Dufausset - Vous avez raison… C'est étonnant comme on a l'air, bête quand on ne vous demande pas comment vous allez… et que vous répondez : je vous remercie, pas mal et vous…
Lanoix - Heureusement que ça arrive tous les jours. Vous n'avez pas vu monsieur Pacarel ?
Dufausset - Il me quitte à l'instant. (Chantant.) Ah ! ah ! ah ! ah ! ah ! ah !
Lanoix - Vous êtes souffrant, voulez-vous de la gomme ?
Dufausset - Merci, je me fais la voix.
Scène X
Lanoix, Dufausset, Pacarel, Julie
Pacarel, venant de gauche - On nous dit que vous êtes là, mon cher Lanoix… je descends quatre à quatre vous serrer la main et vous amener votre fiancée, pendant que ma page sèche… Je suis en train d'écrire une lettre importante… Votre mère va bien, votre sœur ?…
Lanoix - Je n'en ai pas.
Pacarel - Allons, tant mieux !
Julie, venant de gauche - Bonjour, monsieur Lanoix.
Lanoix, allant à Julie et passant au deuxième plan - J'allais vous le dire, mademoiselle.
Julie, imitant sa façon de tourner la langue - Vous allez bien ?
Lanoix, la singeant - Mais… une, deux, trois, quatre… une, deux, trois, quatre, très bien.
Pacarel - Allons mes enfants, je vous quitte. (À Dufausset.) Mon cher, rendez-vous utile… dans votre situation on peut vous demander ça… Ce sont deux fiancés… il faut les laisser à leurs épanchements… mais en même temps il est convenable de ne pas les abandonner complètement à eux-mêmes, c'est l'usage, c'est l'étiquette… Vous allez les surveiller… pour la forme… en ayant soin de ne pas les gêner… en vous promenant ici de long en large sans vous mêler à la conversation… pour ne pas déranger leur tête-à-tête…
Dufausset - Allons, me voici bonne d'enfants pour adultes.
Pacarel sort par le fond.
Scène XI
Les Mêmes, moins Pacarel
Dufausset arpente la scène au pas militaire, allant du fond à l'avant-scène et réciproquement.
Julie - Eh bien, rien de nouveau ?
Lanoix - Rien… j'attends un joint… jusqu'à nouvel ordre, nous continuons à dissimuler.
Julie - Moi, je n'ose pas dire à papa… j'aime mieux que ça vienne de votre côté.
Lanoix - C'est comme moi avec ma mère… je voudrais que ça arrivât de vous.
Dufausset - Je dois avoir l'air d'un tatou…
Julie - Il est évident que vous n'avez rien de ce qu'il faut pour être mon époux.
Dufausset lance de temps en temps des vocalises.
Lanoix - C'est comme vous, je reconnais que vous êtes très gentille, mais vous n'êtes pas du tout mon type.
Julie - D'abord vous avez le nez trop long.
Lanoix - Moi, je n'aime que les blondes.
Dufausset - S'épanchent-ils tout de même !
Julie - Et puis je n'aime pas les peintres… On ne peut pas les toucher sans se fourrer de la couleur.
Lanoix - Eh bien, moi, comme peintre, je n'aime que les cocottes, parce que là on est sûr d'en trouver, de la couleur.
Julie, passant au deuxième plan - Oh ! Oh ! vous avez dit "cocotte".
Lanoix - Pardon, j'aurais dû tourner ma langue.
Julie - Oh ! non… ça m'est égal !… je ne dois pas savoir ce que cela veut dire.
Dufausset, vocalisant - Ah ! ah ! ah ! ah ! ah !
Lanoix - Dites-moi… pourquoi est-ce qu'il se promène comme ça, ce monsieur ?… Il ne vous fait pas mal au cœur ?
Julie - Oh ! pauvre garçon… c'est qu'il est jaloux… il croit que je dois vous épouser… et il m'aime, lui… il me l'a fait sous-entendre.
Lanoix - Allons-donc… eh bien, et vous ?
Julie - Moi, dame… il ne me déplairait pas.
Lanoix - Alors, faites-le lui sous-entendre aussi.
Julie - Comment, devant vous ?
Lanoix - Oh ! moi, ça m'est égal… je n'écouterai pas.
Julie - Après tout, ça n'est que pour le rassurer… On n'a pas le droit de laisser souffrir son prochain quand on peut calmer sa souffrance. (À Dufausset.) Psstt ! !
Dufausset, s'arrêtant - Pardon, c'est à moi ?…
Lanoix - Oui, allez, allez !
Dufausset s'avance près de Julie. Lanoix gagne la place de Dufausset et se met, exactement comme le faisait ce dernier, à marcher de long en large.
Dufausset - Vous m'appelez, mademoiselle ?
Julie - Oui, je tiens à vous rassurer… vous êtes là sur des charbons. Eh bien, calmez-vous, monsieur Lanoix que l'on croit mon fiancé, ne sera jamais mon mari.
Dufausset - Comment !
Lanoix, tout en arpentant la scène, redescendant au deuxième plan entre Dufausset et Julie et sans interrompre sa marche - Non, jamais, jamais !
Il remonte.
Dufausset - Mais pourquoi me dites-vous ça ?
Julie - Mais parce que… parce que, après votre aveu, je n'ai pas le droit de m'amuser d'un jeu cruel qui doit vous faire souffrir.
Dufausset - Hein ?
Julie - Je ne suis point coquette, moi… et je trouve qu'il est mal lorsqu'on sait que quelqu'un a de… de la sympathie pour vous… de prendre plaisir à le chagriner par des airs de dédain et des épreuves inutiles, qui sont censément pour le stimuler.
Dufausset - Tiens ! tiens ! tiens !
Julie - Or, j'ai bien vu… combien vous étiez agacé… vous trépignez là depuis cinq minutes… j'ai peut-être tort de vous parler de la sorte… Madame Landernau m'a toujours dit : "En amour, il ne faut jamais s'avancer, il faut laisser venir…" mais en somme c'est vous qui avez fait les premiers pas… je puis bien m'avancer un peu à mon tour.
Dufausset, à part - Mais elle est charmante… et moi qui n'y faisais pas attention… (Haut.) Est-il possible, mademoiselle, que vous me parliez de la sorte ?
Lanoix, fredonnant - "Ah ! il a des bottes, il a des bottes, bottes bottes"…
Dufausset - Et dire, mademoiselle, qu'on peut être assez aveugle pour venir dans cette maison, et pour ne pas tomber immédiatement amoureux de vos charmes.
Julie, passant au premier plan - Oui, mais ça n'est pas votre cas.
Dufausset - Moi !
Julie, à Lanoix,?— C'est plutôt pour vous qu'on peut dire ça ! attrape !
Lanoix - Pas de personnalités, s'il vous plaît !
Julie, à Dufausset - Oh ! non, ça n'est pas votre cas… car vous m'avez bien vue tout de suite… Ah ! mais moi aussi, vous savez… Aussi quand vous m'avez fait l'aveu de vos sentiments…
Dufausset - Moi ? je vous ai fait… quand donc ?
Julie - Ah ! il ne se rappelle plus… mais ici ! quand vous étiez en colère après papa… alors, ça vous a échappé… vous m'avez dit : "Ah ! c'est moi qui m'en irais, si je n'étais retenu par les charmes d'une jeune personne…" Alors, j'ai compris. L'avez-vous dit, oui ou non ?
Dufausset - Oui, oui… mais je crois bien que je l'ai dit et je ne m'en dédis pas… je le répète… je vous aime…
Julie - Eh bien, voulez-vous que je vous dise, moi aussi, mais là, vraiment.
Dufausset - Elle est délicieuse. (Tombant à genoux.) Ah ! Julie !
Scène XII
Les Mêmes, Pacarel
Pacarel, paraissant au fond - Allons bon ! vous voilà encore par terre, vous. Il était fait pour être cul-de-jatte.
Dufausset - Ah ! Monsieur, l'amour…
Pacarel - Non, ne restez pas à mes genoux.
Dufausset - Non, je dis : l'amour est un sentiment immédiat… un instant m'a suffi pour me rendre follement épris de mademoiselle Julie.
Pacarel - Hein ! qu'est-ce qu'il me chante-là ?… Comment c'est lui qui… (À Lanoix qui arpente toujours et se trouve à ce moment à la hauteur de Pacarel.) Eh bien, et vous, qu'est-ce que vous faites donc ?
Lanoix, sans interrompre sa marche - Vous voyez, je l'ai relevé de faction.
Il remonte.
Pacarel - Ah ! bien, vous avez une bonne façon de faire votre cour.
Dufausset - Ah ! monsieur, vous êtes l'ami de mon père… vous ne me repousserez pas !… J'ai l'honneur de vous demander la main de votre fille.
Pacarel - Hein ! comment, vous… (Pouffant.) Allons, voyons ! ne dites donc pas de bêtises !
Dufausset - Comment cela ?
Julie, passant au deuxième plan - Oh ! papa, sois gentil. Enfin, tu veux me marier… je le comprends ! c'est pour toi… mais en me mariant tu me donnes un mari, ça c'est pour moi… Eh bien, laisse-moi le choisir.
Pacarel, riant toujours et faisant passer Julie au troisième plan,?— Non… non, Julie… je ne peux pas te dire… mais… Ah ! elle est bien bonne ! (Allant à Dufausset.) Sixtinien, va !
Dufausset - Qu'est-ce qu'il a donc à rire comme cela ?…
Scène XIII
Les Mêmes, Landernau
Landernau, du fond - Pacarel ! ah ! te voilà… tiens, lis ça !
Pacarel, riant - Un journal… Ah ! bien, plus tard… Figure-toi… Ah ! Non, tu ne devinerais jamais… Dufausset qui me demande la main de Julie !
Landernau - Vrai ! lui ! elle est bien bonne. (À Lanoix qui redescend.) Ah ! elle est bien bonne, hein !
Lanoix - Elle doit l'être, elle doit être vraiment bonne. Il fait chorus.
Dufausset - Ah ! mais ils m'agacent, je ne vois pas en quoi elle est si bonne…
Julie - Ah ! décidément, papa ne l'aime pas.
Landernau, redevenant sérieux,?— Et maintenant, assez ri comme ça, lis-moi ça.
Lanoix remonte avec Julie à droite.
Pacarel, riant toujours - Qu'est-ce que c'est ? quoi ?… "On annonce l'engagement…" Oh ! c'est trop fort ! (À Dufausset.) Lisez ça, vous !
Il tend le journal à Dufausset.
Dufausset, lisant - "On annonce l'engagement à l'Opéra du fameux ténor Dujeton aux appointements de 6.000 francs par mois…" Eh bien ! je m'en fiche !
Pacarel - Ah ! vous vous en fichez !… C'est bon, vous me devez quarante mille francs.
Dufausset - Moi ?
Pacarel - Le dédit !
Dufausset - Le dédit !… quel dédit !… mais je ne vous quitte pas !
Pacarel - Vous ne pouvez pas rester avec moi et être à l'Opéra en même temps.
Dufausset - Mais je ne vais pas à l'Opéra ! je ne suis pas Dujeton, moi…
Landernau - Hein ?
Pacarel - Comment vous n'êtes pas… alors que faites-vous ici… un pique-assiette ?
Dufausset - Ah ! Monsieur !
Pacarel - Pourquoi m'avez-vous dit que vous vous appeliez Dufausset ?
Dufausset - Dufausset n'est pas Dujeton.
Pacarel - Dujeton, c'est le nom de théâtre. Ne m'avez-vous pas expliqué que vous étiez le fils naturel de Dufausset.
Dufausset - Moi, le fils naturel ?… Eh bien, dites-donc, où avez-vous pris ça ?
Pacarel - Dame, c'est vous… Et puis quoi, Dufausset n'a qu'un fils…
Dufausset - Eh ! bien… je ne vous ai pas dit non plus que j'avais un frère… Ce fils, c'est moi…
Pacarel - Comment, c'est vous le… un gamin qui, il y a treize ans, était haut comme ça… Mais alors, dites-donc… vous n'êtes pas ténor ?…
Dufausset - Moi ? Je ne sais pas chanter !
Pacarel - Et vous vous faites passer ?… Ah ! c'est trop fort… Comment, je demande à Dufausset de m'engager un ténor et il y substitue son fils !…
Dufausset - Mon père m'a envoyé faire mon Droit à Paris… mais il ne m'a pas parlé de ténor… Il m'a seulement recommandé à vous… j'ai la lettre au fond de ma malle… Vous m'avez tout de suite offert une pension extraordinaire, j'ai accepté parce que je suis sans cérémonie…
Pacarel - Eh ! bien ! et mon télégramme ?
Dufausset - Mon père n'a rien reçu.
Pacarel, appelant - Tiburce !
Scène XIV
Les Mêmes, Tiburce venant du fond.
Tiburce - Monsieur !
Pacarel - Le télégramme que je vous ai donné l'autre jour ?
Tiburce - Oh ! je l'ai là, Monsieur.
Pacarel - Pas encore parti ! Comme l'administration est mal faite !
Tiburce - Monsieur le veut ?
Pacarel - Eh ! non, maintenant déchirez-le, ce télégramme, imbécile !
Tiburce - Monsieur est dur pour le télégramme.
Dufausset - Pas étonnant si mon père n'a rien reçu… Et maintenant je vous redemande la main de votre fille…
Pacarel - Ah ! ça, non, par exemple.
Dufausset - Qu'avez-vous à me reprocher ?
Pacarel - Comment, après avoir chanté à la chapelle Sixtine !
Dufausset - Qui ! moi ?
Landernau, qui est redescendu au premier plan - C'est vous qui l'avez dit.
Dufausset - J'ai dit que j'y avais été… non que j'y avais chanté. Ah ! bien, vous êtes gai, vous !
Scène XV
Les Mêmes, Amandine de gauche, Marthe de droite.
Marthe - Que se passe-t-il encore… pourquoi ce conciliabule ?
Dufausset - Ah ! madame, intercédez pour moi auprès de monsieur Pacarel pour qu'il m'accorde la main de mademoiselle Julie.
Amandine - Hein ?
Marthe - Ah ! permettez, je m'oppose !
Dufausset, bas à Marthe - Oh ! Madame, vous voulez me flatter en me faisant croire que vous êtes jalouse.
Marthe - Jalouse, moi ! Vous êtes bien fat ! (À Pacarel.) Après tout, c'est votre fille, monsieur Pacarel.
Pacarel - Mais permettez… ma fille est promise à monsieur Lanoix.
Lanoix - Mon Dieu… Monsieur Pacarel… je suis très honoré… mais, mademoiselle aime monsieur, il ne faut pas contrarier les inclinations… Je demande la main de votre seconde fille.
Pacarel - Je n'en ai pas.
Lanoix - Je ne suis pas pressé.
Pacarel - Allons, Dufausset, je ne dis pas non, je réfléchirai.
Amandine - Et dire que je n'ai pas voix au chapitre… le scélérat !
Pacarel - Ah ! mais au fait… vous me devez une explication, je vous ai pincé aux pieds de ma femme !
Dufausset - Chut ! oui ! C'est pour donner beau jeu à monsieur Landernau… J'avais un caprice pour sa femme.
Landernau, bas à Dufausset - Dites-donc, mon vieux… mais vous vous êtes permis d'embrasser ma femme… je n'ai rien dit parce que… alors je pensais…
Dufausset - Chut donc… c'était pour détourner les soupçons de Pacarel.
Landernau - Vrai ? Alors, ça va bien.
Pacarel - Allons, tout est pour le mieux… C'est égal, je n'ai pas eu de chance avec mon ténor… aussi, ça me servira de leçon… voyez-vous, mes amis… que vous achetiez des navets ou que vous traitiez avec un ténor… demandez toujours à voir la marchandise… On ne sait jamais ce que l'on risque à acheter chat en poche.
RIDEAU
FIN
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