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Illustration: L'île mystérieuse-Chap4-6 - Jules Verne

L'île mystérieuse-Chap4-6

(Version Intégrale)

Enregistrement : Audiocite.net
Publication : 2009-03-30

Lu par Jean-François Ricou - (Email: jean-francois.ricou@wanadoo.fr)
Livre audio de 1h03min
Fichier Mp3 de 58,3 Mo

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Feuilleton audio (62 Chapitres)

Chapitre 4-5-6
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Jules Verne
L'Île mystérieuse
Première partie : Les naufragés de l'air - Chapitre 4


Les lithodomes. — La rivière à son embouchure. — Les « Cheminées ». — Continuation des recherches. — La forêts d'arbres verts. — La provision de combustible. — On attend le reflux. — Du haut de la côte. — Le train de bois. — Le retour au rivage.




Tout d'abord, le reporter dit au marin de l'attendre en cet endroit même, où il le rejoindrait, et, sans perdre un instant, il remonta le littoral, dans la direction qu'avait suivie, quelques heures auparavant, le nègre Nab. Puis il disparut rapidement derrière un angle de la côte, tant il lui tardait d'avoir des nouvelles de l'ingénieur.

Harbert avait voulu l'accompagner.

« Restez, mon garçon, lui avait dit le marin. Nous avons à préparer un campement et à voir s'il est possible de trouver à se mettre sous la dent quelque chose de plus solide que des coquillages. Nos amis auront besoin de se refaire à leur retour. À chacun sa tâche.

— Je suis prêt, Pencroff, répondit Harbert.

— Bon ! reprit le marin, cela ira. Procédons avec méthode. Nous sommes fatigués, nous avons froid, nous avons faim. Il s'agit donc de trouver abri, feu et nourriture. La forêt a du bois, les nids ont des œufs : il reste à chercher la maison.

— Eh bien, répondit Harbert, je chercherai une grotte dans ces roches, et je finirai bien par découvrir quelque trou dans lequel nous pourrons nous fourrer !

— C'est cela, répondit Pencroff. En route, mon garçon. »
Et les voilà marchant tous deux au pied de l'énorme muraille, sur cette grève que le flot descendant avait largement découverte. Mais, au lieu de remonter vers le nord, ils descendirent au sud. Pencroff avait remarqué, à quelques centaines de pas au-dessous de l'endroit où ils étaient débarqués, que la côte offrait une étroite coupée qui, suivant lui, devait servir de débouché à une rivière ou à un ruisseau. Or, d'une part, il était important de s'établir dans le voisinage d'un cours d'eau potable, et, de l'autre, il n'était pas impossible que le courant eût poussé Cyrus Smith de ce côté.

La haute muraille, on l'a dit, se dressait à une hauteur de trois cents pieds, mais le bloc était plein partout, et, même à sa base, à peine léchée par la mer, elle ne présentait pas la moindre fissure qui pût servir de demeure provisoire. C'était un mur d'aplomb, fait d'un granit très-dur, que le flot n'avait jamais rongé. Vers le sommet voltigeait tout un monde d'oiseaux aquatiques, et particulièrement diverses espèces de l'ordre des palmipèdes, à bec allongé, comprimé et pointu, — volatiles très-criards, peu effrayés de la présence de l'homme, qui, pour la première fois, sans doute, troublait ainsi leur solitude. Parmi ces palmipèdes, Pencroff reconnut plusieurs labbes, sortes de goëlands auxquels on donne quelquefois le nom de stercoraires, et aussi de petites mouettes voraces qui nichaient dans les anfractuosités du granit. Un coup de fusil, tiré au milieu de ce fourmillement d'oiseaux, en eût abattu un grand nombre ; mais, pour tirer un coup de fusil, il faut un fusil, et ni Pencroff, ni Harbert n'en avaient. D'ailleurs, ces mouettes et ces labbes sont à peine mangeables, et leurs œufs même ont un détestable goût.

Cependant, Harbert, qui s'était porté un peu plus sur la gauche, signala bientôt quelques rochers tapissés d'algues, que la haute mer devait recouvrir quelques heures plus tard. Sur ces roches, au milieu des varechs glissants, pullulaient des coquillages à double valve, que ne pouvaient dédaigner des gens affamés. Harbert appela donc Pencroff, qui se hâta d'accourir.

« Eh ! ce sont des moules ! s'écria le marin. Voilà de quoi remplacer les œufs qui nous manquent !

— Ce ne sont point des moules, répondit le jeune Harbert, qui examinait avec attention les mollusques attachés aux roches, ce sont des lithodomes.

— Et cela se mange ? demanda Pencroff.

— Parfaitement.

— Alors, mangeons des lithodomes. »

Le marin pouvait s'en rapporter à Harbert. Le jeune garçon était très-fort en [?28?]histoire naturelle et avait toujours eu une véritable passion pour cette science. Son père l'avait poussé dans cette voie, en lui faisant suivre les cours des meilleurs professeurs de Boston, qui affectionnaient cet enfant, intelligent et travailleur. Aussi ses instincts de naturaliste devaient-ils être plus d'une fois utilisés par la suite, et, pour son début, il ne se trompa pas.

Ces lithodomes étaient des coquillages oblongs, attachés par grappes et très-adhérents aux roches. Ils appartenaient à cette espèce de mollusques perforateurs qui creusent des trous dans les pierres les plus dures, et leur coquille s'arrondissait à ses deux bouts, disposition qui ne se remarque pas dans la moule ordinaire.

Pencroff et Harbert firent une bonne consommation de ces lithodomes, qui s'entre-bâillaient alors au soleil. Ils les mangèrent comme des huîtres, et ils leur trouvèrent une saveur fortement poivrée, ce qui leur ta tout regret de n'avoir ni poivre, ni condiments d'aucune sorte.

Leur faim fut donc momentanément apaisée, mais non leur soif, qui s'accrut après l'absorption de ces mollusques naturellement épicés. Il s'agissait donc de trouver de l'eau douce, et il n'était pas vraisemblable qu'elle manquât dans une région si capricieusement accidentée. Pencroff et Harbert, après avoir pris la précaution de faire une ample provision de lithodomes, dont ils remplirent leurs poches et leurs mouchoirs, regagnèrent le pied de la haute terre.

Deux cents pas plus loin, ils arrivaient à cette coupée par laquelle, suivant le pressentiment de Pencroff, une petite rivière devait couler à pleins bords. En cet endroit, la muraille semblait avoir été séparée par quelque violent effort plutonien. À sa base s'échancrait une petite anse, dont le fond formait un angle assez aigu. Le cours d'eau mesurait là cent pieds de largeur, et ses deux berges, de chaque côté, n'en comptaient que vingt pieds à peine. La rivière s'enfonçait presque directement entre les deux murs de granit qui tendaient à s'abaisser en amont de l'embouchure ; puis, elle tournait brusquement et disparaissait sous un taillis à un demi-mille.

« Ici, l'eau ! Là-bas, le bois ! dit Pencroff. Eh bien, Harbert, il ne manque plus que la maison ! »

L'eau de la rivière était limpide. Le marin reconnut qu'à ce moment de la marée, c'est-à-dire à basse mer, quand le flot montant n'y portait pas, elle était douce. Ce point important établi, Harbert chercha quelque cavité qui pût servir de retraite, mais ce fut inutilement. Partout la muraille était lisse, plane et d'aplomb.

Toutefois, à l'embouchure même du cours d'eau, et au-dessus des relais de la haute mer, les éboulis avaient formé, non point une grotte, mais un entassement d'énormes rochers, tels qu'il s'en rencontre souvent dans les pays granitiques, et qui portent le nom de « Cheminées ».

Pencroff et Harbert s'engagèrent assez profondément entre les roches, dans ces couloirs sablés, auxquels la lumière ne manquait pas, car elle pénétrait par les vides que laissaient entre eux ces granits, dont quelques-uns ne se maintenaient que par un miracle d'équilibre. Mais avec la lumière entrait aussi le vent, — une vraie bise de corridors, — et, avec le vent, le froid aigu de l'extérieur. Cependant, le marin pensa qu'en obstruant certaines portions de ces couloirs, en bouchant quelques ouvertures avec un mélange de pierres et de sable, on pourrait rendre les « Cheminées » habitables. Leur plan géométrique représentait ce signe typographique &, qui signifie et cætera en abrégé. Or, en isolant la boucle supérieure du signe, par laquelle s'engouffrait le vent du sud et de l'ouest, on parviendrait sans doute à utiliser sa disposition inférieure.

« Voilà notre affaire, dit Pencroff, et, si jamais nous revoyions M. Smith, il saurait tirer parti de ce labyrinthe.

— Nous le reverrons, Pencroff, s'écria Harbert, et quand il reviendra, il faut qu'il trouve ici une demeure à peu près supportable. Elle le sera si nous pouvons établir un foyer dans le couloir de gauche et y conserver une ouverture pour la fumée.

— Nous le pourrons, mon garçon, répondit le marin, et ces Cheminées — ce fut le nom que Pencroff conserva à cette demeure provisoire — feront notre affaire. Mais d'abord, allons faire provision de combustible. J'imagine que le bois ne nous sera pas inutile pour boucher ces ouvertures à travers lesquelles le diable joue de sa trompette ! »

Harbert et Pencroff quittèrent les Cheminées, et, doublant l'angle, ils commencèrent à remonter la rive gauche de la rivière. Le courant en était assez rapide et charriait quelques bois morts. Le flot montant — et il se faisait déjà sentir en ce moment — devait le refouler avec force jusqu'à une distance assez considérable. Le marin pensa donc que l'on pourrait utiliser ce flux et ce reflux pour le transport des objets pesants.

Après avoir marché pendant un quart d'heure, le marin et le jeune garçon arrivèrent au brusque coude que faisait la rivière en s'enfonçant vers la gauche. À partir de ce point, son cours se poursuivait à travers une forêt d'arbres magnifiques. Ces arbres avaient conservé leur verdure, malgré la saison avancée, car ils appartenaient à cette famille des conifères qui se propage sur toutes les régions du globe, depuis les climats septentrionaux jusqu'aux contrées tropicales. Le jeune naturaliste reconnut plus particulièrement des « déodars », essences très-nombreuses dans la zone himalayenne, et qui répandaient un agréable arôme. Entre ces beaux arbres poussaient des bouquets de pins, dont l'opaque parasol s'ouvrait largement. Au milieu des hautes herbes, Pencroff sentit que son pied écrasait des branches sèches, qui crépitaient comme des pièces d'artifice.

« Bon, mon garçon, dit-il à Harbert, si moi j'ignore le nom de ces arbres, je sais du moins les ranger dans la catégorie du « bois à brûler », et, pour le moment, c'est la seule qui nous convienne !

— Faisons notre provision ! » répondit Harbert, qui se mit aussitôt à l'ouvrage.

La récolte fut facile. Il n'était pas même nécessaire d'ébrancher les arbres, car d'énormes quantités de bois mort gisaient à leurs pieds. Mais si le combustible ne manquait pas, les moyens de transport laissaient à désirer. Ce bois étant très-sec, devait rapidement brûler. De là, nécessité d'en rapporter aux Cheminées une quantité considérable, et la charge de deux hommes n'aurait pas suffi. C'est ce que fit observer Harbert.

« Eh ! mon garçon, répondit le marin, il doit y avoir un moyen de transporter ce bois. Il y a toujours moyen de tout faire ! Si nous avions une charrette ou un bateau, ce serait trop facile.

— Mais nous avons la rivière ! dit Harbert.

— Juste, répondit Pencroff. La rivière sera pour nous un chemin qui marche tout seul, et les trains de bois n'ont pas été inventés pour rien.

— Seulement, fit observer Harbert, notre chemin marche en ce moment dans une direction contraire à la nôtre, puisque la mer monte !

— Nous en serons quittes pour attendre qu'elle baisse, répondit le marin, et c'est elle qui se chargera de transporter notre combustible aux Cheminées. Préparons toujours notre train. »

Le marin, suivi d'Harbert, se dirigea vers l'angle que la lisière de la forêt faisait avec la rivière. Tous deux portaient, chacun en proportion de ses forces, une charge de bois, liée en fagots. Sur la berge se trouvait aussi une grande quantité de branches mortes, au milieu de ces herbes entre lesquelles le pied d'un homme ne s'était, probablement, jamais hasardé. Pencroff commença aussitôt à confectionner son train.

Dans une sorte de remous produit par une pointe de la rive et qui brisait le courant, le marin et le jeune garçon placèrent des morceaux de bois assez gros qu'ils avaient attachés ensemble avec des lianes sèches. Il se forma ainsi une sorte de radeau sur lequel fut empilée successivement toute la récolte, soit la charge de vingt hommes au moins. En une heure, le travail fut fini, et le train, amarré à la berge, dut attendre le renversement de la marée.

Il y avait alors quelques heures à occuper, et, d'un commun accord, Pencroff et Harbert résolurent de gagner le plateau supérieur, afin d'examiner la contrée sur un rayon plus étendu.

Précisément, à deux cents pas en arrière de l'angle formé par la rivière, la muraille, terminée par un éboulement de roches, venait mourir en pente douce sur la lisière de la forêt. C'était comme un escalier naturel. Harbert et le marin commencèrent donc leur ascension. Grâce à la vigueur de leurs jarrets, ils atteignirent la crête en peu d'instants, et vinrent se poster à l'angle qu'elle faisait sur l'embouchure de la rivière.

En arrivant, leur premier regard fut pour cet Océan qu'ils venaient de traverser dans de si terribles conditions ! Ils observèrent avec émotion toute cette partie du nord de la côte, sur laquelle la catastrophe s'était produite. C'était là que Cyrus Smith avait disparu. Ils cherchèrent des yeux si quelque épave de leur ballon, à laquelle un homme aurait pu s'accrocher, ne surnagerait pas encore. Rien ! La mer n'était qu'un vaste désert d'eau. Quant à la côte, déserte aussi. Ni le reporter, ni Nab ne s'y montraient. Mais il était possible qu'en ce moment, tous deux fussent à une telle distance, qu'on ne pût les apercevoir.

« Quelque chose me dit, s'écria Harbert, qu'un homme aussi énergique que M. Cyrus n'a pas pu se laisser noyer comme le premier venu. Il doit avoir atteint quelque point du rivage. N'est-ce pas, Pencroff ? »

Le marin secoua tristement la tête. Lui n'espérait guère plus revoir Cyrus Smith ; mais, voulant laisser quelque espoir à Harbert :

« Sans doute, sans doute, dit-il, notre ingénieur est homme à se tirer d'affaire là où tout autre succomberait !... »

Cependant, il observait la côte avec une extrême attention. Sous ses yeux se développait la grève de sable, bornée, sur la droite de l'embouchure, par des lignes de brisants. Ces roches, encore émergées, ressemblaient à des groupes d'amphibies couchés dans le ressac. Au delà de la bande d'écueils, la mer étincelait sous les rayons du soleil. Dans le sud, une pointe aiguë fermait l'horizon, et l'on ne pouvait reconnaître si la terre se prolongeait dans cette direction, ou si elle s'orientait sud-est et sud-ouest, ce qui eût fait de cette côte une sorte de presqu'île très-allongée. À l'extrémité septentrionale de la baie, le dessin du littoral se poursuivait à une grande distance, suivant une ligne plus arrondie. Là, le rivage était bas, plat, sans falaise, avec de larges bancs de sable, que le reflux laissait à découvert. Pencroff et Harbert se retournèrent alors vers l'ouest. Leur regard fut tout d'abord arrêté par la montagne à cime neigeuse, qui se dressait à une distance de six ou sept milles. Depuis ses premières rampes jusqu'à deux milles de la côte, s'étendaient de vastes masses boisées, relevées de grandes plaques vertes dues à la présence d'arbres à feuillage persistant. Puis, de la lisière de cette forêt jusqu'à la côte même, verdoyait un large plateau semé de bouquets d'arbres capricieusement distribués. Sur la gauche, on voyait par instants étinceler les eaux de la petite rivière, à travers quelques éclaircies, et il semblait que son cours assez sinueux la ramenait vers les contre-forts de la montagne, entre lesquels elle devait prendre sa source. Au point où le marin avait laissé son train de bois, elle commençait à couler entre les deux hautes murailles de granit ; mais si, sur sa rive gauche, les parois demeuraient nettes et abruptes, sur la rive droite, au contraire, elles s'abaissaient peu à peu, les massifs se changeant en rocs isolés, les rocs en cailloux, les cailloux en galets jusqu'à l'extrémité de la pointe.

« Sommes-nous sur une île ? murmura le marin.

— En tout cas, elle semblerait être assez vaste ! répondit le jeune garçon.

— Une île, si vaste qu'elle fût, ne serait toujours qu'une île ! » dit Pencroff.

Mais cette importante question ne pouvait encore être résolue. Il fallait en remettre la solution à un autre moment. Quant à la terre elle-même, île ou continent, elle paraissait fertile, agréable dans ses aspects, variée dans ses productions.

« Cela est heureux, fit observer Pencroff, et, dans notre malheur, il faut en remercier la Providence.

— Dieu soit donc loué ! » répondit Harbert, dont le cœur pieux était plein de reconnaissance pour l'Auteur de toutes choses.

Pendant longtemps, Pencroff et Harbert examinèrent cette contrée sur laquelle les avait jetés leur destinée, mais il était difficile d'imaginer, après une si sommaire inspection, ce que leur réservait l'avenir.

Puis ils revinrent, en suivant la crête méridionale du plateau de granit, dessinée par un long feston de roches capricieuses, qui affectaient les formes les plus bizarres. Là vivaient quelques centaines d'oiseaux nichés dans les trous de la pierre. Harbert, en sautant sur les roches, fit partir toute une troupe de ces volatiles.

« Ah ! s'écria-t-il, ceux-là ne sont ni des goëlands, ni des mouettes !

— Quels sont donc ces oiseaux ? demanda Pencroff. On dirait, ma foi, des pigeons !

— En effet, mais ce sont des pigeons sauvages, ou pigeons de roche, répondit Harbert. Je les reconnais à la double bande noire de leur aile, à leur croupion blanc, à leur plumage bleu-cendré. Or, si le pigeon de roche est bon à manger, ses œufs doivent être excellents, et, pour peu que ceux-ci en aient laissé dans leurs nids !...

— Nous ne leur donnerons pas le temps d'éclore, si ce n'est sous forme d'omelette ! répondit gaîment Pencroff.

— Mais dans quoi feras-tu ton omelette ? demanda Harbert. Dans ton chapeau ?

— Bon ! répondit le marin, je ne suis pas assez sorcier pour cela. Nous nous rabattrons donc sur les œufs à la coque, mon garçon, et je me charge d'expédier les plus durs ! »

Pencroff et le jeune garçon examinèrent avec attention les anfractuosités du granit, et ils trouvèrent, en effet, des œufs dans certaines cavités ! Quelques douzaines furent recueillies, puis placées dans le mouchoir du marin, et, le moment approchant où la mer devait être pleine, Harbert et Pencroff commencèrent à redescendre vers le cours d'eau.

Quand ils arrivèrent au coude de la rivière, il était une heure après midi. Le courant se renversait déjà. Il fallait donc profiter du reflux pour amener le train de bois à l'embouchure. Pencroff n'avait pas l'intention de laisser ce train s'en aller, au courant, sans direction, et il n'entendait pas, non plus, s'y embarquer pour le diriger. Mais un marin n'est jamais embarrassé, quand il s'agit de câbles ou de cordages, et Pencroff tressa rapidement une corde longue de plusieurs brasses au moyen de lianes sèches. Ce câble végétal fut attaché à l'arrière du radeau, et le marin le tint à la main, tandis que Harbert, repoussant le train avec une longue perche, le maintenait dans le courant.

Le procédé réussit à souhait. L'énorme charge de bois, que le marin retenait en marchant sur la rive, suivit le fil de l'eau. La berge était très-accore, il n'y avait pas à craindre que le train ne s'échouât, et, avant deux heures, il arrivait à l'embouchure, à quelques pas des Cheminées.

Jules Verne
L'Île mystérieuse
Première partie : Les naufragés de l'air Chapitre V





Aménagement des Cheminées. — L'importante question du feu. — La boîte d'allumettes. — Recherches sur la plage. — Retour du reporter et de Nab. — Une seule allumette ! — Le foyer pétillant. — Le premier souper. — La première nuit à terre.




Le premier soin de Pencroff, dès que le train de bois eut été déchargé, fut de rendre les Cheminées habitables, en obstruant ceux des couloirs à travers lesquels s'établissait le courant d'air. Du sable, des pierres, des branches entrelacées, de la terre mouillée bouchèrent hermétiquement les galeries de l'&, ouvertes aux vents du sud, et en isolèrent la boucle supérieure. Un seul boyau, étroit et sinueux, qui s'ouvrait sur la partie latérale, fut ménagé, afin de conduire la fumée au dehors et de provoquer le tirage du foyer. Les Cheminées se trouvaient ainsi divisées en trois ou quatre chambres, si toutefois on peut donner ce nom à autant de tanières sombres, dont un fauve se fût à peine contenté. Mais on y était au sec, et l'on pouvait s'y tenir debout, du moins dans la principale de ces chambres, qui occupait le centre. Un sable fin en couvrait le sol, et, tout compte fait, on pouvait s'en arranger, en attendant mieux.

Tout en travaillant, Harbert et Pencroff causaient.

« Peut-être, disait Harbert, nos compagnons auront-ils trouvé une meilleure installation que la nôtre ?

— C'est possible, répondait le marin, mais, dans le doute, ne t'abstiens pas ! Mieux vaut une corde de trop à son arc que pas du tout de corde !

— Ah ! répétait Harbert, qu'ils ramènent M. Smith, qu'ils le retrouvent, et nous n'aurons plus qu'à remercier le ciel !

— Oui ! murmurait Pencroff. C'était un homme celui-là, et un vrai !
— C'était... dit Harbert. Est-ce que tu désespères de le revoir jamais ?

— Dieu m'en garde ! » répondit le marin.

Le travail d'appropriation fut rapidement exécuté, et Pencroff s'en déclara très satisfait.

« Maintenant, dit-il, nos amis peuvent revenir. Ils trouveront un abri suffisant. »

Restait à établir le foyer et à préparer le repas. Besogne simple et facile, en vérité. De larges pierres plates furent disposées au fond du premier couloir de gauche, à l'orifice de l'étroit boyau qui avait été réservé. Ce que la fumée n'entraînerait pas de chaleur au dehors suffirait évidemment à maintenir une température convenable au dedans. La provision de bois fut emmagasinée dans l'une des chambres, et le marin plaça sur les pierres du foyer quelques bûches, entremêlées de menu bois.

Le marin s'occupait de ce travail, quand Harbert lui demanda s'il avait des allumettes.

« Certainement, répondit Pencroff, et j'ajouterai : heureusement, car, sans allumettes ou sans amadou, nous serions fort embarrassés !

— Nous pourrions toujours faire du feu comme les sauvages, répondit Harbert, en frottant deux morceaux de bois secs l'un contre l'autre ?

— Eh bien ! essayez, mon garçon, et nous verrons si vous arriverez à autre chose qu'à vous rompre les bras !

— Cependant, c'est un procédé très-simple et très-usité dans les îles du Pacifique.

— Je ne dis pas non, répondit Pencroff, mais il faut croire que les sauvages connaissent la manière de s'y prendre, ou qu'ils emploient un bois particulier, car, plus d'une fois déjà, j'ai voulu me procurer du feu de cette façon, et je n'ai jamais pu y parvenir ! J'avoue donc que je préfère les allumettes ! Où sont mes allumettes ? »

Pencroff chercha dans sa veste la boîte qui ne le quittait jamais, car il était un fumeur acharné. Il ne la trouva pas. Il fouilla les poches de son pantalon, et, à sa stupéfaction profonde, il ne trouva point davantage la boîte en question.

« Voilà qui est bête, et plus que bête ! dit-il en regardant Harbert. Cette boîte sera tombée de ma poche, et je l'ai perdue ! Mais, vous, Harbert, est-ce que vous n'avez rien, ni briquet, ni quoi que ce soit qui puisse servir à faire du feu ?

— Non, Pencroff ! »

Le marin sortit, suivi du jeune garçon, et se grattant le front avec vivacité.
Sur le sable, dans les roches, près de la berge de la rivière, tous deux cherchèrent avec le plus grand soin, mais inutilement. La boîte était en cuivre et n'eût point échappé à leurs yeux.

« Pencroff, demanda Harbert, n'as-tu pas jeté cette boîte hors de la nacelle ?

— Je m'en suis bien gardé, répondit le marin. Mais, quand on a été secoués comme nous venons de l'être, un si mince objet peut avoir disparu. Ma pipe, elle-même, m'a bien quitté ! Satanée boîte ! Où peut-elle être ?

— Eh bien, la mer se retire, dit Harbert, courons à l'endroit où nous avons pris terre. »

Il était peu probable qu'on retrouvât cette boîte que les lames avaient dû rouler au milieu des galets, à marée haute, mais il était bon de tenir compte de cette circonstance. Harbert et Pencroff se dirigèrent rapidement vers le point où ils avaient atterri la veille, à deux cents pas environ des Cheminées.

Là, au milieu des galets, dans le creux des roches, les recherches furent faites minutieusement. Résultat nul. Si la boîte était tombée en cet endroit, elle avait dû être entraînée par les flots. À mesure que la mer se retirait, le marin fouillait tous les interstices des roches, sans rien trouver. C'était une perte grave dans la circonstance, et, pour le moment, irréparable.

Pencroff ne cacha point son désappointement très-vif. Son front s'était fortement plissé. Il ne prononçait pas une seule parole. Harbert voulut le consoler en faisant observer que, très-probablement, les allumettes auraient été mouillées par l'eau de mer, et qu'il eût été impossible de s'en servir.

« Mais non, mon garçon, répondit le marin. Elles étaient dans une boîte en cuivre qui fermait bien ! Et maintenant, comment faire ?

— Nous trouverons certainement moyen de nous procurer du feu, dit Harbert. M. Smith ou M. Spilett ne seront pas à court comme nous !

— Oui, répondit Pencroff, mais, en attendant, nous sommes sans feu, et nos compagnons ne trouveront qu'un triste repas à leur retour !

— Mais, dit vivement Harbert, il n'est pas possible qu'ils n'aient ni amadou, ni allumettes !

— J'en doute, répondit le marin en secouant la tête. D'abord Nab et M. Smith ne fument pas, et je crains bien que M. Spilett n'ait plutôt conservé son carnet que sa boîte d'allumettes ! »

Harbert ne répondit pas. La perte de la boîte était évidemment un fait regrettable. Toutefois, le jeune garçon comptait bien que l'on se procurerait du feu d'une manière ou d'une autre. Pencroff, plus expérimenté, et bien qu'il ne fût point homme à s'embarrasser de peu, ni de beaucoup, n'en jugeait pas ainsi. En tout cas, il n'y avait qu'un parti à prendre : attendre le retour de Nab et du reporter. Mais il fallait renoncer au repas d'œufs durcis qu'il voulait leur préparer, et le régime de chair crue ne lui semblait, ni pour eux, ni pour lui-même, une perspective agréable.

Avant de retourner aux Cheminées, le marin et Harbert, dans le cas où le feu leur manquerait définitivement, firent une nouvelle récolte de lithodomes, et ils reprirent silencieusement le chemin de leur demeure.

Pencroff, les yeux fixés à terre, cherchait toujours son introuvable boîte. Il remonta même la rive gauche de la rivière depuis son embouchure jusqu'à l'angle où le train de bois avait été amarré. Il revint sur le plateau supérieur, il le parcourut en tous sens, il chercha dans les hautes herbes sur la lisière de la forêt, — le tout vainement.

Il était cinq heures du soir, quand Harbert et lui rentrèrent aux Cheminées. Inutile de dire que les couloirs furent fouillés jusque dans leurs plus sombres coins, et qu'il fallut y renoncer décidément.

Vers six heures, au moment où le soleil disparaissait derrière les hautes terres de l'ouest, Harbert, qui allait et venait sur la grève, signala le retour de Nab et de Gédéon Spilett.

Ils revenaient seuls !... Le jeune garçon éprouva un inexprimable serrement de cœur. Le marin ne s'était point trompé dans ses pressentiments. L'ingénieur Cyrus Smith n'avait pu être retrouvé !

Le reporter, en arrivant, s'assit sur une roche, sans mot dire. épuisé de fatigue, mourant de faim, il n'avait pas la force de prononcer une parole !

Quant à Nab, ses yeux rougis prouvaient combien il avait pleuré, et de nouvelles larmes qu'il ne put retenir dirent trop clairement qu'il avait perdu tout espoir !

Le reporter fit le récit des recherches tentées pour retrouver Cyrus Smith. Nab et lui avaient parcouru la côte sur un espace de plus de huit milles, et, par conséquent, bien au delà du point où s'était effectuée l'avant-dernière chute du ballon, chute qui avait été suivie de la disparition de l'ingénieur et du chien Top. La grève était déserte. Nulle trace, nulle empreinte. Pas un caillou fraîchement retourné, pas un indice sur le sable, pas une marque d'un pied humain sur toute cette partie du littoral. Il était évident qu'aucun habitant ne fréquentait cette portion de la côte. La mer était aussi déserte que le rivage, et c'était là, à quelques centaines de pieds de la côte, que l'ingénieur avait trouvé son tombeau.

En ce moment, Nab se leva, et d'une voix qui dénotait combien les sentiments d'espoir résistaient en lui :
« Non ! s'écria-t-il, non ! Il n'est pas mort ! Non ! cela n'est pas ! Lui ! allons donc ! Moi ! n'importe quel autre, possible ! mais lui ! jamais. C'est un homme à revenir de tout !... »

Puis, la force l'abandonnant :

« Ah ! je n'en puis plus ! » murmura-t-il.

Harbert courut à lui.

« Nab, dit le jeune garçon, nous le retrouverons ! Dieu nous le rendra ! Mais en attendant, vous avez faim ! Mangez, mangez un peu, je vous en prie ! »

Et, ce disant, il offrait au pauvre nègre quelques poignées de coquillages, maigre et insuffisante nourriture !

Nab n'avait pas mangé depuis bien des heures, mais il refusa. Privé de son maître, Nab ne pouvait ou ne voulait plus vivre !

Quant à Gédéon Spilett, il dévora ces mollusques ; puis, il se coucha sur le sable au pied d'une roche. Il était exténué, mais calme.

Alors, Harbert s'approcha de lui, et, lui prenant la main :

« Monsieur, dit-il, nous avons découvert un abri où vous serez mieux qu'ici. Voici la nuit qui vient. Venez vous reposer ! Demain, nous verrons... »

Le reporter se leva, et, guidé par le jeune garçon, il se dirigea vers les Cheminées.

En ce moment, Pencroff s'approcha de lui, et, du ton le plus naturel, il lui demanda si, par hasard, il n'aurait pas sur lui une allumette.

Le reporter s'arrêta, chercha dans ses poches, n'y trouva rien et dit :

« J'en avais, mais j'ai dû tout jeter... »

Le marin appela Nab alors, lui fit la même demande, et reçut la même réponse.

« Malédiction ! » s'écria le marin, qui ne put retenir ce mot.

Le reporter l'entendit, et, allant à Pencroff :

« Pas une allumette ? dit-il.

— Pas une, et par conséquent pas de feu !

— Ah ! s'écria Nab, s'il était là, mon maître, il saurait bien vous en faire ! »

Les quatre naufragés restèrent immobiles et se regardèrent, non sans inquiétude. Ce fut Harbert qui le premier rompit le silence, en disant :

« Monsieur Spilett, vous êtes fumeur, vous avez toujours des allumettes sur vous ! Peut-être n'avez-vous pas bien cherché ? Cherchez encore ! Une seule allumette nous suffirait ! »

Le reporter fouilla de nouveau ses poches de pantalon, de gilet, de paletot, et enfin, à la grande joie de Pencroff, non moins qu'à son extrême surprise, il sentit un petit morceau de bois engagé dans la doublure de son gilet. Ses doigts avaient saisi ce petit morceau de bois à travers l'étoffe, mais ils ne pouvaient le retirer. Comme ce devait être une allumette, et une seule, il s'agissait de ne point en érailler le phosphore.
« Voulez-vous me laisser faire ? » lui dit le jeune garçon.

Et fort adroitement, sans le casser, il parvint à retirer ce petit morceau de bois, ce misérable et précieux fétu, qui, pour ces pauvres gens, avait une si grande importance ! Il était intact.

« Une allumette ! s'écria Pencroff. Ah ! c'est comme si nous en avions une cargaison tout entière ! »
Il prit l'allumette, et, suivi de ses compagnons, il regagna les Cheminées.

Ce petit morceau de bois, que dans les pays habités on prodigue avec tant d'indifférence, et dont la valeur est nulle, il fallait ici s'en servir avec une extrême précaution. Le marin s'assura qu'il était bien sec. Puis, cela fait :

« Il faudrait du papier, dit-il.

— En voici, » répondit Gédéon Spilett, qui, après quelque hésitation, déchira une feuille de son carnet.

Pencroff prit le morceau de papier que lui tendait le reporter, et il s'accroupit devant le foyer. Là, quelques poignées d'herbes, de feuilles et de mousses sèches furent placées sous les fagots et disposées de manière que l'air pût circuler aisément et enflammer rapidement le bois mort.
Alors, Pencroff plia le morceau de papier en forme de cornet, ainsi que font les fumeurs de pipe par les grands vents, puis, il l'introduisit entre les mousses. Prenant ensuite un galet légèrement raboteux, il l'essuya avec soin, et, non sans que le cœur lui battît, il frotta doucement l'allumette, en retenant sa respiration.

Le premier frottement ne produisit aucun effet. Pencroff n'avait pas appuyé assez vivement, craignant d'érailler le phosphore.

« Non, je ne pourrai pas, dit-il, ma main tremble... L'allumette raterait... Je ne peux pas... je ne veux pas !.. » et se relevant, il chargea Harbert de le remplacer.

Certes, le jeune garçon n'avait de sa vie été aussi impressionné. Le cœur lui battait fort. Prométhée allant dérober le feu du ciel ne devait pas être plus ému ! Il n'hésita pas, cependant, et frotta rapidement le galet. Un petit grésillement se fit entendre et une légère flamme bleuâtre jaillit en produisant une fumée âcre. Harbert retourna doucement l'allumette, de manière à alimenter la flamme, puis, il la glissa dans le cornet de papier. Le papier prit feu en quelques secondes, et les mousses brûlèrent aussitôt.

Quelques instants plus tard, le bois sec craquait, et une joyeuse flamme, activée par le vigoureux souffle du marin, se développait au milieu de l'obscurité.

« Enfin, s'écria Pencroff en se relevant, je n'ai jamais été si ému de ma vie ! »

Il est certain que ce feu faisait bien sur le foyer de pierres plates. La fumée s'en allait facilement par l'étroit conduit, la cheminée tirait, et une agréable chaleur ne tarda pas à se répandre.

Quant à ce feu, il fallait prendre garde de ne plus le laisser éteindre, et conserver toujours quelque braise sous la cendre. Mais ce n'était qu'une affaire de soin et d'attention, puisque le bois ne manquait pas, et que la provision pourrait toujours être renouvelée en temps utile.

Pencroff songea tout d'abord à utiliser le foyer, en préparant un souper plus nourrissant qu'un plat de lithodomes. Deux douzaines d'œufs furent apportées par Harbert. Le reporter, accoté dans un coin, regardait ces apprêts sans rien dire. Une triple pensée tendait son esprit. Cyrus vit-il encore ? S'il vit, où peut-il être ? S'il a survécu à sa chute, comment expliquer qu'il n'ait pas trouvé le moyen de faire connaître son existence ? Quant à Nab, il rôdait sur la grève. Ce n'était plus qu'un corps sans âme.

Pencroff, qui connaissait cinquante-deux manières d'accommoder les œufs, n'avait pas le choix en ce moment. Il dut se contenter de les introduire dans les cendres chaudes, et de les laisser durcir à petit feu.

En quelques minutes, la cuisson fut opérée, et le marin invita le reporter à prendre sa part du souper. Tel fut le premier repas des naufragés sur cette côte inconnue. Ces œufs durcis étaient excellents, et, comme l'œuf contient tous les éléments indispensables à la nourriture de l'homme, ces pauvres gens s'en trouvèrent fort bien et se sentirent réconfortés.

Ah ! si l'un d'eux n'eût pas manqué à ce repas ! Si les cinq prisonniers échappés de Richmond eussent été tous là, sous ces roches amoncelées, devant ce feu pétillant et clair, sur ce sable sec, peut-être n'auraient-ils eu que des actions de grâces à rendre au ciel ! Mais le plus ingénieux, le plus savant aussi, celui qui était leur chef incontesté, Cyrus Smith, manquait, hélas ! et son corps n'avait pu même obtenir une sépulture !

Ainsi se passa cette journée du 25 mars. La nuit était venue. On entendait au dehors le vent siffler et le ressac monotone battre la côte. Les galets, poussés et ramenés par les lames, roulaient avec un fracas assourdissant.

Le reporter s'était retiré au fond d'un obscur couloir, après avoir sommairement noté les incidents de ce jour : la première apparition de cette terre nouvelle, la disparition de l'ingénieur, l'exploration de la côte, l'incident des allumettes, etc ; et, la fatigue aidant, il parvint à trouver quelque repos dans le sommeil.

Harbert, lui, s'endormit bientôt. Quant au marin, veillant d'un œil, il passa la nuit près du foyer, auquel il n'épargna pas le combustible.

Un seul des naufragés ne reposa pas dans les Cheminées. Ce fut l'inconsolable, le désespéré Nab, qui, cette nuit tout entière, et malgré ce que lui dirent ses compagnons pour l'engager à prendre du repos, erra sur la grève en appelant son maître !

Jules Verne
L'Île mystérieuse
Première partie : Les naufragés de l'air Chapitre VI





L'inventaire des naufragés. — Rien. — Le linge brûlé. — Une excursion dans la forêt. — La flore des arbres verts. — Le jacamar en fuite. — Trace de bêtes fauves. — Les couroucous. — Les tétras. — Une singulière pêche à la ligne.




L'inventaire des objets possédés par ces naufragés de l'air, jetés sur une côte qui paraissait être inhabitée, sera promptement établi.

Ils n'avaient rien, sauf les habits qu'ils portaient au moment de la catastrophe. Il faut cependant mentionner un carnet et une montre que Gédéon Spilett avait conservée par mégarde sans doute, mais pas une arme, pas un outil, pas même un couteau de poche. Les passagers de la nacelle avaient tout jeté au dehors pour alléger l'aérostat.

Les héros imaginaires de Daniel de Foé ou de Wyss, aussi bien que les Selkirk et les Raynal, naufragés à Juan-Fernandez ou à l'archipel des Auckland, ne furent jamais dans un dénuement aussi absolu. Ou ils tiraient des ressources abondantes de leur navire échoué, soit en graines, en bestiaux, en outils, en munitions, ou bien quelque épave arrivait à la côte qui leur permettait de subvenir aux premiers besoins de la vie. Ils ne se trouvaient pas tout d'abord absolument désarmés en face de la nature. Mais ici, pas un instrument quelconque, pas un ustensile. De rien, il leur faudrait arriver à tout !

Et si encore Cyrus Smith eût été avec eux, si l'ingénieur eût pu mettre sa science pratique, son esprit inventif, au service de cette situation, peut-être tout espoir n'eût-il pas été perdu ! Hélas ! il ne fallait plus compter revoir Cyrus Smith. Les naufragés ne devaient rien attendre que d'eux-mêmes, et de cette Providence qui n'abandonne jamais ceux dont la foi est sincère.

Mais, avant tout, devaient-ils s'installer sur cette partie de la côte, sans chercher à savoir à quel continent elle appartenait, si elle était habitée, ou si ce littoral n'était que le rivage d'une île déserte ?

C'était une question importante à résoudre et dans le plus bref délai. De sa solution sortiraient les mesures à prendre. Toutefois, suivant l'avis de Pencroff, il parut convenable d'attendre quelques jours avant d'entreprendre une exploration. Il fallait, en effet, préparer des vivres et se procurer une alimentation plus fortifiante que celle uniquement due à des œufs ou des mollusques. Les explorateurs, exposés à supporter de longues fatigues, sans un abri pour y reposer leur tête, devaient, avant tout, refaire leurs forces.

Les Cheminées offraient une retraite suffisante provisoirement. Le feu était allumé, et il serait facile de conserver des braises. Pour le moment, les coquillages et les œufs ne manquaient pas dans les rochers et sur la grève. On trouverait bien le moyen de tuer quelques-uns de ces pigeons qui volaient par centaines à la crête du plateau, fût-ce à coups de bâton ou à coups de pierre. Peut-être les arbres de la forêt voisine donneraient-ils des fruits comestibles ? Enfin, l'eau douce était là. Il fut donc convenu que, pendant quelques jours, on resterait aux Cheminées, afin de s'y préparer pour une exploration, soit sur le littoral, soit à l'intérieur du pays.
Ce projet convenait particulièrement à Nab. Entêté dans ses idées comme dans ses pressentiments, il n'avait aucune hâte d'abandonner cette portion de la côte, théâtre de la catastrophe. Il ne croyait pas, il ne voulait pas croire à la perte de Cyrus Smith. Non, il ne lui semblait pas possible qu'un tel homme eût fini de cette vulgaire façon, emporté par un coup de mer, noyé dans les flots, à quelques centaines de pas d'un rivage ! Tant que les lames n'auraient pas rejeté le corps de l'ingénieur, tant que lui, Nab, n'aurait pas vu de ses yeux, touché de ses mains, le cadavre de son maître, il ne croirait pas à sa mort ! Et cette idée s'enracina plus que jamais dans son cœur obstiné. Illusion peut-être, illusion respectable toutefois, que le marin ne voulut pas détruire ! Pour lui, il n'était plus d'espoir, et l'ingénieur avait bien réellement péri dans les flots, mais avec Nab, il n'y avait pas à discuter. C'était comme le chien qui ne peut quitter la place où est tombé son maître, et sa douleur était telle que, probablement, il ne lui survivrait pas.

Ce matin-là, 26 mars, dès l'aube, Nab avait repris sur la côte la direction du nord, et il était retourné là où la mer, sans doute, s'était refermée sur l'infortuné Smith.

Le déjeuner de ce jour fut uniquement composé d'œufs de pigeon et de lithodomes. Harbert avait trouvé du sel déposé dans le creux des roches par évaporation, et cette substance minérale vint fort à propos.

Ce repas terminé, Pencroff demanda au reporter si celui-ci voulait les accompagner dans la forêt, où Harbert et lui allaient essayer de chasser ! Mais, toute réflexion faite, il était nécessaire que quelqu'un restât, afin d'entretenir le feu, et pour le cas, fort improbable, où Nab aurait eu besoin d'aide. Le reporter resta donc.

« En chasse, Harbert, dit le marin. Nous trouverons des munitions sur notre route, et nous couperons notre fusil dans la forêt. »

Mais, au moment de partir, Harbert fit observer que, puisque l'amadou manquait, il serait peut-être prudent de le remplacer par une autre substance.

« Laquelle ? demanda Pencroff.

— Le linge brûlé, répondit le jeune garçon. Cela peut, au besoin, servir d'amadou. »

Le marin trouva l'avis fort sensé. Seulement, il avait l'inconvénient de nécessiter le sacrifice d'un morceau de mouchoir. Néanmoins, la chose en valait la peine, et le mouchoir à grands carreaux de Pencroff fut bientôt réduit, pour une partie, à l'état de chiffon à demi brûlé. Cette matière inflammable fut déposée dans la chambre centrale, au fond d'une petite cavité du roc, à l'abri de tout vent et de toute humidité.

Il était alors neuf heures du matin. Le temps menaçait, et la brise soufflait du sud-est. Harbert et Pencroff tournèrent l'angle des Cheminées, non sans avoir jeté un regard sur la fumée qui se tordait à une pointe de roc ; puis, ils remontèrent la rive gauche de la rivière.

Arrivé à la forêt, Pencroff cassa au premier arbre deux solides branches qu'il transforma en gourdins, et dont Harbert usa la pointe sur une roche. Ah ! que n'eût-il donné pour avoir un couteau ! Puis, les deux chasseurs s'avancèrent dans les hautes herbes, en suivant la berge. À partir du coude qui reportait son cours dans le sud-ouest, la rivière se rétrécissait peu à peu, et ses rives formaient un lit très-encaissé recouvert par le double arceau des arbres. Pencroff, afin de ne pas s'égarer, résolut de suivre le cours d'eau qui le ramènerait toujours à son point de départ. Mais la berge n'était pas sans présenter quelques obstacles, ici des arbres dont les branches flexibles se courbaient jusqu'au niveau du courant, là des lianes ou des épines qu'il fallait briser à coups de bâton. Souvent, Harbert se glissait entre les souches brisées avec la prestesse d'un jeune chat, et il disparaissait dans le taillis. Mais Pencroff le rappelait aussitôt en le priant de ne point s'éloigner.

Cependant, le marin observait avec attention la disposition et la nature des lieux. Sur cette rive gauche, le sol était plat et remontait insensiblement vers l'intérieur. Quelquefois humide, il prenait alors une apparence marécageuse. On y sentait tout un réseau sous-jacent de filets liquides qui, par quelque faille souterraine, devaient s'épancher vers la rivière. Quelquefois aussi, un ruisseau coulait à travers le taillis, que l'on traversait sans peine. La rive opposée paraissait être plus accidentée, et la vallée, dont la rivière occupait le thalweg, s'y dessinait plus nettement. La colline, couverte d'arbres disposés par étages, formait un rideau qui masquait le regard. Sur cette rive droite, la marche eût été difficile, car les déclivités s'y abaissaient brusquement, et les arbres, courbés sur l'eau, ne se maintenaient que par la puissance de leurs racines.

Inutile d'ajouter que cette forêt, aussi bien que la côte déjà parcourue, était vierge de toute empreinte humaine. Pencroff n'y remarqua que des traces de quadrupèdes, des passées fraîches d'animaux, dont il ne pouvait reconnaître l'espèce. Très certainement, — et ce fut aussi l'opinion d'Harbert, — quelques-unes avaient été laissées par des fauves formidables avec lesquels il y aurait à compter sans doute ; mais nulle part la marque d'une hache sur un tronc d'arbre, ni les restes d'un feu éteint, ni l'empreinte d'un pas ; ce dont on devait se féliciter peut-être, car sur cette terre, en plein Pacifique, la présence de l'homme eût été peut-être plus à craindre qu'à désirer.

Harbert et Pencroff, causant à peine, car les difficultés de la route étaient grandes, n'avançaient que fort lentement, et, après une heure de marche, ils avaient à peine franchi un mille. Jusqu'alors, la chasse n'avait pas été fructueuse. Cependant, quelques oiseaux chantaient et voletaient sous la ramure, et se montraient très-farouches, comme si l'homme leur eût instinctivement inspiré une juste crainte. Entre autres volatiles, Harbert signala, dans une partie marécageuse de la forêt, un oiseau à bec aigu et allongé, qui ressemblait anatomiquement à un martin-pêcheur. Toutefois, il se distinguait de ce dernier par son plumage assez rude, revêtu d'un éclat métallique.

« Ce doit être un « jacamar », dit Harbert, en essayant d'approcher l'animal à bonne portée.

— Ce serait bien l'occasion de goûter du jacamar, répondit le marin, si cet oiseau-là était d'humeur à se laisser rôtir ! »

En ce moment, une pierre, adroitement et vigoureusement lancée par le jeune garçon, vint frapper le volatile à la naissance de l'aile ; mais le coup ne fut pas suffisant, car le jacamar s'enfuit de toute la vitesse de ses jambes et disparut en un instant.

« Maladroit que je suis ! s'écria Harbert.

— Eh non, mon garçon ! répondit le marin. Le coup était bien porté, et plus d'un aurait manqué l'oiseau. Allons ! ne vous dépitez pas ! Nous le rattraperons un autre jour ! »

L'exploration continua. À mesure que les chasseurs s'avançaient, les arbres, plus espacés, devenaient magnifiques, mais aucun ne produisait de fruits comestibles. Pencroff cherchait vainement quelques-uns de ces précieux palmiers qui se prêtent à tant d'usages de la vie domestique, et dont la présence a été signalée jusqu'au quarantième parallèle dans l'hémisphère boréal et jusqu'au trente-cinquième seulement dans l'hémisphère austral. Mais cette forêt ne se composait que de conifères, tels que les déodars, déjà reconnus par Harbert, des « douglas », semblables à ceux qui poussent sur la côte nord-ouest de l'Amérique, et des sapins admirables, mesurant cent cinquante pieds de hauteur.

En ce moment, une volée d'oiseaux de petite taille et d'un joli plumage, à queue longue et chatoyante, s'éparpillèrent entre les branches, semant leurs plumes, faiblement attachées, qui couvrirent le sol d'un fin duvet. Harbert ramassa quelques-unes de ces plumes, et, après les avoir examinées :

« Ce sont des « couroucous », dit-il.

— Je leur préférerais une pintade ou un coq de bruyère, répondit Pencroff ; mais enfin, s'ils sont bons à manger ?
— Ils sont bons à manger, et même leur chair est très délicate, reprit Harbert. D'ailleurs, si je ne me trompe, il est facile de les approcher et de les tuer à coups de bâton. »

Le marin et le jeune garçon, se glissant entre les herbes, arrivèrent au pied d'un arbre dont les basses branches étaient couvertes de petits oiseaux. Ces couroucous attendaient au passage les insectes qui leur servent de nourriture. On voyait leurs pattes emplumées serrer fortement les pousses moyennes qui leur servaient d'appui.

Les chasseurs se redressèrent alors, et, avec leurs bâtons manœuvrés comme une faux, ils rasèrent des files entières de ces couroucous, qui ne songeaient point à s'envoler et se laissèrent stupidement abattre. Une centaine jonchait déjà le sol, quand les autres se décidèrent à fuir.
« Bien, dit Pencroff, voilà un gibier tout à fait à la portée de chasseurs tels que nous ! On le prendrait à la main ! »

Le marin enfila les couroucous, comme des mauviettes, au moyen d'une baguette flexible, et l'exploration continua. On put observer que le cours d'eau s'arrondissait légèrement, de manière à former un crochet vers le sud, mais ce détour ne se prolongeait vraisemblablement pas, car la rivière devait prendre sa source dans la montagne et s'alimenter de la fonte des neiges qui tapissaient les flancs du cône central.

L'objet particulier de cette excursion était, on le sait, de procurer aux hôtes des Cheminées la plus grande quantité possible de gibier. On ne pouvait dire que le but jusqu'ici eût été atteint. Aussi le marin poursuivait-il activement ses recherches, et maugréait-il quand quelque animal, qu'il n'avait pas même le temps de reconnaître, s'enfuyait entre les hautes herbes. Si encore il avait eu le chien Top ! Mais Top avait disparu en même temps que son maître et probablement péri avec lui !

Vers trois heures après midi, de nouvelles bandes d'oiseaux furent entrevues à travers certains arbres, dont ils becquetaient les baies aromatiques, entre autres des genévriers. Soudain, un véritable appel de trompette résonna dans la forêt. Ces étranges et sonores fanfares étaient produites par ces gallinacés que l'on nomme « tétras » aux états-Unis. Bientôt on en vit quelques couples, au plumage varié de fauve et de brun, et à la queue brune. Harbert reconnut les mâles aux deux ailerons pointus, formés par les pennes relevées de leur cou. Pencroff jugea indispensable de s'emparer de l'un de ces gallinacés, gros comme une poule, et dont la chair vaut celle de la gélinotte. Mais c'était difficile, car ils ne se laissaient point approcher. Après plusieurs tentatives infructueuses, qui n'eurent d'autre résultat que d'effrayer les tétras, le marin dit au jeune garçon :

« Décidément, puisqu'on ne peut les tuer au vol, il faut essayer de les prendre à la ligne.

— Comme une carpe ? s'écria Harbert, très-surpris de la proposition.

— Comme une carpe, » répondit sérieusement le marin.

Pencroff avait trouvé dans les herbes une demi-douzaine de nids de tétras, ayant chacun de deux à trois œufs. Il eut grand soin de ne pas toucher à ces nids, auxquels leurs propriétaires ne pouvaient manquer de revenir. Ce fut autour d'eux qu'il imagina de tendre ses lignes, — non des lignes à collets, mais de véritables lignes à hameçon. Il emmena Harbert à quelque distance des nids, et là il prépara ses engins singuliers avec le soin qu'eût apporté un disciple d'Isaac Walton . Harbert suivait ce travail avec un intérêt facile à comprendre, tout en doutant de la réussite. Les lignes furent faites de minces lianes, rattachées l'une à l'autre et longues de quinze à vingt pieds. De grosses épines très-fortes, à pointes recourbées, que fournit un buisson d'acacias nains, furent liées aux extrémités des lianes en guise d'hameçon. Quant à l'appât, de gros vers rouges qui rampaient sur le sol en tinrent lieu.

Cela fait, Pencroff, passant entre les herbes et se dissimulant avec adresse, alla placer le bout de ses lignes armées d'hameçons près des nids de tétras ; puis il revint prendre l'autre bout et se cacha avec Harbert derrière un gros arbre. Tous deux alors attendirent patiemment. Harbert, il faut le dire, ne comptait pas beaucoup sur le succès de l'inventif Pencroff.

Une grande demi-heure s'écoula, mais, ainsi que l'avait prévu le marin, plusieurs couples de tétras revinrent à leurs nids. Ils sautillaient, becquetant le sol, et ne pressentant en aucune façon la présence des chasseurs, qui, d'ailleurs, avaient eu soin de se placer sous le vent des gallinacés.

Certes, le jeune garçon, à ce moment, se sentit intéressé très vivement. Il retenait son souffle, et Pencroff, les yeux écarquillés, la bouche ouverte, les lèvres avancées comme s'il allait goûter un morceau de tétras, respirait à peine.

Cependant, les gallinacés se promenaient entre les hameçons, sans trop s'en préoccuper. Pencroff alors donna de petites secousses qui agitèrent les appâts, comme si les vers eussent été encore vivants.

A coup sûr, le marin, en ce moment, éprouvait une émotion bien autrement forte que celle du pêcheur à la ligne, qui, lui, ne voit pas venir sa proie à travers les eaux.

Les secousses éveillèrent bientôt l'attention des gallinacés, et les hameçons furent attaqués à coups de bec. Trois tétras, très-voraces sans doute, avalèrent à la fois l'appât et l'hameçon. Soudain, d'un coup sec, Pencroff « ferra » son engin, et des battements d'aile lui indiquèrent que les oiseaux étaient pris.

« Hurrah ! » s'écria-t-il en se précipitant vers ce gibier, dont il se rendit maître en un instant.

Harbert avait battu des mains. C'était la première fois qu'il voyait prendre des oiseaux à la ligne, mais le marin, très-modeste, lui affirma qu'il n'en était pas à son coup d'essai, et que, d'ailleurs, il n'avait pas le mérite de l'invention.
« Et en tout cas, ajouta-t-il, dans la situation où nous sommes, il faut nous attendre à en voir bien d'autres ! »

Les tétras furent attachés par les pattes, et Pencroff, heureux de ne point revenir les mains vides et voyant que le jour commençait à baisser, jugea convenable de retourner à sa demeure.

La direction à suivre était tout indiquée par celle de la rivière, dont il ne s'agissait que de redescendre le cours, et, vers six heures, assez fatigués de leur excursion, Harbert et Pencroff rentraient aux Cheminées.




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