Agent de L'O.M.U.(4A)
Enregistrement : Éditions de l'À Venir
Publication : 2009-02-25
Genre: Science fiction
Lu par Christian Martin, Christophe, Ezwa, Fred, Kaael, Ka00, Mario Fecteau
Illustration: Dimitri RASTORGOUEFF
Livre audio de 29min
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Chapitre 4A
+++ Chapitre Suivant
+++ Chapitre Prédécent
Adaptation audio d'un roman fanique d'André Borie se déroulant dans l'univers de Perry Rhodan. "Les Antis font des leurs et Masas Pavel, agent de l'O.M.U., sous les ordres du Lord-Amiral Atlan, est envoyée sur le terrain pour libérer Goral Toseff."
Musiques & paroles de Christian Martin / NewPort Orchestra
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+++ Chapitre Prédécent
Adaptation audio d'un roman fanique d'André Borie se déroulant dans l'univers de Perry Rhodan. "Les Antis font des leurs et Masas Pavel, agent de l'O.M.U., sous les ordres du Lord-Amiral Atlan, est envoyée sur le terrain pour libérer Goral Toseff."
Musiques & paroles de Christian Martin / NewPort Orchestra
AGENT DE L'O.M.U.
Un roman fanique d'André Borie
CHAPITRE IV : DE CHARYBDE EN SCYLLA
Section 4A
L'arme braquée devant eux, ils débouchèrent dans une caverne de vaste taille, complètement vide, mais au fond de laquelle s'ouvrait une sorte de tunnel qui s'évasait et s'enfonçait horizontalement dans les entrailles du massif montagneux.
Dans la lumière crue de leurs lampes, ils s'avancèrent de quelques pas, sur le qui-vive, tous leurs sens en éveil dans l'éventualité d'un piège tendu par les indigènes. Scrutant soigneusement tous les coins et recoins de la grotte, ils constatèrent que le sol était net, vierge de tous les vestiges alimentaires et excrémentiels que ne pouvaient manquer de laisser les occupants d'une tanière. Ce qui excluait définitivement l'hypothèse d'un animal, si tant est qu'ils y aient encore cru !
C'est sans encombre qu'ils traversèrent la caverne et s'arrêtèrent à l'entrée du couloir. Dans les faisceaux de lumière, ils constatèrent qu'il formait un coude au bout d'une trentaine de mètres, dissimulant aux regards ce qu'il pouvait y avoir au-delà.
Prudemment, ils poursuivirent leur chemin vers l'angle qui leur cachait la suite du tunnel. Ne détectant pas le moindre bruit suspect, ils s'engagèrent dans la partie oblique, mais s'aperçurent, aussi loin que portait leur lumière, que le couloir était désert. Ils progressèrent ainsi pendant quelques centaines de mètres sur un sol inégal où les creux jouxtaient les bosses pierreuses. La galerie se mit à monter légèrement en obliquant d'une manière
régulière vers la gauche. Bientôt, ils devinèrent qu'ils allaient aboutir dans une nouvelle cavité.
– Attention, murmura la jeune femme en posant la main sur le bras de Stev pour interrompre sa marche.
Ils baissèrent l'intensité de leurs projecteurs, et agrippèrent plus fermement leurs armes.
– On y va.
Comme dans un ballet bien réglé, ils pénétrèrent dans la salle souterraine, l'un couvrant le côté gauche, l'autre le droit, sans déclencher de manifestation particulière.
– Je crois qu'on peut rallumer les projecteurs.
Masas n'eut pas le temps de lui répondre. Avec soudaineté, une sorte de grêle les assaillit, crépitant sur tout leur corps, et particulièrement au niveau du visage. Stev fit machinalement plusieurs pas en arrière tout en réglant sa lampe au maximum, ce qui leur permit de découvrir la nature de la grêle : un nuage d'insectes venant s'écraser sur l'écran défensif de leur combinaison de combat.
Le pilote, qui avait une sainte horreur de tous ces petits monstres volants et piquants, décrocha sa torche thermique et décrivit des moulinets autour de sa compagne et de lui-même. Une flamme d'une cinquantaine de centimètres jaillit, carbonisant instantanément toutes les bestioles qui passaient dans son champ.
Aussi soudainement qu'il avait débuté, l'assaut s'arrêta et les insectes refluèrent vers l'intérieur de la montagne par un passage situé dans le prolongement de la petite caverne. Sans hésiter, Masas et Stev suivirent leur retraite. Mais, au bout d'une cinquantaine de mètres, ils parvinrent à une énorme cavité dont leurs lampes ne permettaient pas de voir la fin. Par contre, presqu'à leurs pieds, un chemin abrupt, véritable sentier de chèvres,
descendait vers. l'inconnu.
Un silence pesant et oppressant régnait tout autour d'eux, mais une sorte de sixième sens signalait à Masas qu'ils étaient arrivés au bout de leur quête, et que malgré l'absence de bruit, leurs adversaires étaient tapis quelque part dans l'obscurité. Posément, Masas empoigna son pistolet signalisateur, introduisit une cartouche au phosphore dans le canon et appuya sur la détente en visant le fond de la grotte.
Un concert de hurlements de douleur et de terreur s'éleva.
Tandis que la fusée éclairante retombait lentement vers le bas, soutenue par son parachute, les deux arrivants découvrirent en contre bas une foule d'êtres blêmes et affolés, à plat ventre et la tête entre les bras pour tenter de fuir la brutale luminosité ambiante.
Masas observa d'un air apitoyé les misérables cavernicoles qui tentaient de se protéger de la lumière qui blessait leurs yeux fragiles, mais sa pitié fut de courte durée lorsqu'elle aperçut Goral et ses deux compagnons.
Totalement nus, ils gisaient sur un tapis de verdure. Un tapis végétal vivant qui ondulait et lançait des flagelles qui venaient se poser sur les corps immobiles, s'y attardaient pendant quelques instants et refluaient pour céder la place à d'autres.
Un cri d'horreur et de colère lui échappa, et sans avertissement, elle plongea vers le bas de la caverne après avoir activé son propulseur anti-g. Lâchant de courtes rafales qui sectionnaient les pseudopodes de la végétation carnivore, elle se posa près des corps des trois suppliciés.
Avec méthode, mais la rage au coeur, elle entreprit de détruire la plante vorace dont les prolongements se rétractèrent précipitamment avec des sifflements étranges, tandis qu'une vague de douleur et de peur assaillait l'esprit de Masas. Le tapis végétal possédait donc une sorte d'intelligence primaire.
Tout d'abord pétrifié par le spectacle qu'il avait sous les yeux, Stev l'avait rejointe, et ils unirent leurs efforts pour dégager Goral, Corton et Calek. Tous trois étaient inconscients, et leurs corps portaient les multiples stigmates sanglants du contact des flagelles végétaux parmi lesquels ils reposaient. Leur pouls était faible, mais régulier, sauf celui du rouquin qui fonctionnait de façon intermittente. Masa secoua la tête :
– Je pense que c'est lui le plus amoché.
Elle détacha son harnais anti-g, et le fixa sur ses épaules sanguinolentes.
– Emmène-le jusqu'au vaisseau, et ramène nous d'autres propulseurs et une trousse de premiers soins. Tu peux aussi te faire accompagner des deux robotechs. Ils transporteront les blessés, ce qui nous laissera les mains libres.
– D'accord, mais soit prudente.
Désignant la foule geignante et terrorisée, toujours face contre terre pour éviter le contact avec la lumière crue des projecteurs, elle répondit :
– Crois-tu vraiment que je puisse craindre quelque chose d'eux ?
– Non, c'est vrai. Mais de ça ?
Et son doigt pointait sur le tapis végétal qui s'était rétracté hors de portée du fusilaser.
– Je pense que la douleur ressentie et sa peur vont l'inciter à rester bien calme.
– Sa peur ?
– Et oui, mon cher. Ce… machin éprouve des sentiments.
– Comment ça ? !
– Comment, je n'en sais rien, mais quand je l'ai grillé au fusil, j'ai ressenti très fortement un sentiment de peur et de douleur.
– C'est complètement fou !
– Oui, mais c'est comme ça !
– Tu me raconteras tout ça à tête reposée quand nous serons de retour au Coeur de Fomalhaut.
Et sans plus discuter, il mit en marche l'appareil équipant Calek et, l'un soutenant l'autre, ils s'élevèrent dans les airs et prirent la direction du couloir d'accès.
Pendant la vingtaine de minutes où Masas se retrouva seule, elle put observer les indigènes à loisir, à la lumière de son projecteur qu'elle avait détaché de sa combinaison et posé au sol. Toujours prostrés, la face contre terre, ils se lamentaient dès qu'ils tentaient de lever la tête dans la clarté diffusée par la lampe. Blancs de peau -d'un blanc maladif, nota-t-elle –, une tête ronde paraissant trop grosse pour un corps malingre aux jambes torses, ils étaient l'illustration parfaite d'une humanité en pleine dégénérescence. Ils étaient au nombre d'une centaine environ, tremblants et couinants, les mères serrant contre elles, dans un dérisoire geste de protection, des enfants terrorisés.
La jeune femme, après son accès de violence, avait retrouvé tout son sang-froid. Sachant qu'elle n'avait rien à craindre de la part des troglodytes, et le végétal carnivore ayant reflué de plusieurs mètres, elle put commencer à donner les premiers soins aux deux blessés, à l'aide du peu de médicaments dont elle disposait dans les poches de sa combinaison.
Quand Stev revint accompagné des deux robotechs, elle avait récupéré les vêtements et l'armement des trois hommes qui traînaient par terre, au pied de l'escalier rudimentaire qui permettait d'accéder au bas de la caverne.
– Comment va Calek ?
– Pas très fort. Je l'ai laissé auprès du robot-médic qui l'a aussitôt plongé dans la cuve de régénération. Et eux, comment vont-ils ?
– Ils ne sont pas en grande forme, mais ils me paraissent en meilleur état que notre rouquin.
Quelques instants plus tard, les robots tenant Goral et Corton contre eux, prenaient le chemin du retour vers le vaisseau. Avant de quitter la funeste caverne, Masas et le pilote jetèrent un dernier regard sur la foule piaillante qui continuait à fuir la lumière.
– Les malheureux, murmura le jeune homme en voyant les cavernicoles trembler de terreur.
– Tu as raison, ce sont vraisemblablement plus des victimes que des bourreaux.
Ils commençaient à s'élever dans les airs quand la jeune femme revint en arrière, survola un instant l'assemblée frappée d'épouvante qui sentait passer sur son dos le pinceau lumineux, et empoigna un des indigènes par la ceinture de son pagne. Elle l'emmena, gigotant et malade de terreur, en direction du Coeur de Fomalhaut.
Dans les heures qui suivirent leur retour au petit astronef, le robot-médic eut fort à faire. Malgré ses multiples appendices et sa programmation électronique très poussée, il dut abattre un travail de titan pour soigner les trois hommes. Ceux-ci présentaient un corps criblé de marques et de plaies en forme de croissant, traces sanglantes laissées par les papilles voraces de l'étrange végétal. Les blessures étaient importantes, mais les analyses mirent en évidence un fait beaucoup plus grave : les flagelles sécrétaient un suc qui anesthésiait toute douleur chez les victimes, mais qui finissait par empoisonner leur sang. Il fallait donc découvrir et produire un antidote efficace avant que son effet soit mortel.
Ce qui obligea Stev et Masas à une seconde visite dans le refuge des cavernicoles, afin de prélever un échantillon du tapis carnivore. Les petits êtres se mirent à hurler de frayeur à leur arrivée, et se comportèrent comme la première fois, en se plaquant au sol, tremblants et le visage pressé contre terre. Quant au végétal, but de leur expédition, il prouva qu'il possédait bien un embryon d'intelligence ou de souvenir, car il se rétracta aussitôt au maximum de ses possibilités. Ce mouvement de recul ne lui évita évidemment pas de se voir amputer d'un bon mètre carré, qui se retrouva enfermé dans un sac hermétique.
– Tu as vraiment ressenti quelque chose quand tu as brûlé cette chose, tout à l'heure ?
– Oui. Je possède, à l'état embryonnaire, le don de ressentir les émotions des gens qui sont face à moi. Et ce végétal pense, en quelque sorte.
– C'est bien la première fois que j'entends une chose pareille.
– Oh, tu sais. à l'échelle de l'Univers, on n'a pas fini de découvrir du nouveau et de l'insolite.
– En tout cas, ça ne doit pas être drôle pour un homme, si tu peux connaître ses pensées intimes !
– Pourquoi ? Tu en as ? interrogea-t-elle, l'air innocent.
Un haussement d'épaules et un léger fard rougissant sur le visage hâlé de Stev furent sa seule réponse !
De retour au vaisseau, Masas remit sa collecte au robot-médic, qui entama aussitôt ses analyses sur le tissu vivant afin d'en extraire un contrepoison.
Puis, ne pouvant rien faire de plus pour ses trois compagnons blessés, elle amena son prisonnier, suant de peur et les yeux fortement fermés pour éviter l'éclat du jour qui pénétrait par la verrière, dans le poste de pilotage. Stev lui lança un regard interrogateur.
– Je vais le soumettre au radiant-psi, et l'interroger à l'aide d'un translateur, expliqua-t-elle.
– Pourquoi ?
– Par curiosité. Pour connaître la vie de cette malheureuse tribu.
La moue dubitative qu'elle reçut en réponse l'informa que le pilote n'y voyait vraiment aucun intérêt. Mais il ne fit pas le moindre commentaire.
Elle ligota le petit être sur un fauteuil, braqua le radiant-psi sur lui et brancha le translateur. Puis elle s'installa confortablement dans son siège-contour et commença son interrogatoire.
Trente minutes plus tard, au prix d'un léger mal de tête qui s'estompa rapidement, elle connaissait tout de la vie misérable de Râam, le troglodyte, et des événements qui avaient conduit Goral et ses deux compagnons sur le lieu de leur supplice.
La race des Asallis, dont Râam était l'un des derniers représentants, avait atteint l'ultime stade d'une dégénérescence tant physique que mentale. Les conditions atmosphériques très rudes et la férocité de certains des animaux qui hantaient la forêt et bien souvent les plaines, en particulier l'espèce à laquelle appartenait celui que Masas avait tué, ainsi qu'un primate cyclopéen carnivore, avaient peu à peu contraint ce peuple craintif et désarmé devant l'adversité, à fuir en direction du refuge des cavernes que leur offrait la montagne.
Malheureusement, les grands prédateurs, ayant pris goût à la chair de ce gibier sans défense, ne tardèrent pas à retrouver leurs traces, les amenant à tenter de trouver asile de plus en plus profondément dans les entrailles de la barrière rocheuse. Si les tigres osilaxiens pouvaient être arrêtés par les parois abruptes, il n'en était pas de même de la part des grands singes qui escaladaient en se jouant les pentes les plus raides.
Nul ne sait où se serait terminée cette fuite incessante, si les Asallis n'avaient pas rencontré deux espèces avec lesquelles ils avaient fait alliance.
Un jour où ils s'enfonçaient un peu plus dans le labyrinthe des grottes, les indigènes avaient débouché dans une immense salle dont le sol était recouvert d'une végétation qui leur sembla accueillante. Ce fut leur premier contact avec le tapis carnivore qui commença à prélever un tribut parmi les misérables fuyards, avant d'accepter de vivre en symbiose avec eux. Cette association reposait sur des bases simples : les Asallis fournissaient sa nourriture à la plante qui, en contrepartie, leur offrait sa protection contre leurs ennemis. Comment le végétal avait-il pu subsister dans cet environnement où les proies devaient être très rares, nul ne le savait, et cela resterait un des nombreux mystères de la nature. La seule hypothèse timidement avancée par Masas, était que la plante pouvait en quelque sorte hiberner, ou se mettre en sommeil, comme le font certaines espèces sur Terre.
Dans leur lutte pour la survie, les indigènes avaient également trouvé un second allié, aussi petit qu'efficace :
des insectes ailés au dard sécrétant un produit paralysant à l'effet foudroyant. Hélas, celui-ci était quasiment inopérant sur la fourrure épaisse ou le cuir solide des plus grands prédateurs. Par contre, les guêpes apprivoisées endormaient sans difficultés toutes les petites proies que leur désignaient les Asallis. Il ne restait plus alors à ceux-ci qu'à ramasser le gibier inconscient, qui servait d'une part à leur nourriture, et d'autre part à apaiser la voracité du tapis carnivore.
Lorsque par malheur la chasse n'était pas bonne, un Asalli était tiré au sort, enduit d'une lotion de tolac destinée à supprimer son odeur, et donné en sacrifice à l'appétit, à présent insatiable, du symbiote.
La vie des malheureux était ainsi rythmée depuis des temps immémoriaux, ce qui expliquait les modifications génétiques subies, en particulier leur vue de nyctalope et leur épiderme blême. Mais comme la natalité diminuait régulièrement, la dernière tribu d'Osilax était appelée à disparaître dans un proche avenir.
En ce qui concernait Goral et ses compagnons, l'histoire était simple : l'attention des indigènes de guet à l'entrée des cavernes avait été attirée par l'atterrissage du vaisseau. Tremblant de peur devant ce qu'ils avaient considéré comme une apparition de sorciers maléfiques, ils les avaient surveillés en permanence pendant plusieurs jours. Ils avaient été très impressionnés à la vue des créatures brillantes qui possédaient plusieurs bras, et qui semblaient être les serviteurs des sorciers.
La présence des intrus n'avait pas permis aux Asallis de chercher le gibier nécessaire à la nourriture de leur vorace allié, et le temps était proche où l'un d'entre eux devrait être sacrifié pour assouvir sa faim.
Alors qu'ils commençaient à désespérer, les guetteurs avaient aperçu trois des sorciers qui s'éloignaient, puis leur habitation qui s'élevait dans les airs et finissait par disparaître. Aussitôt, bien qu'il fit encore jour, le chef de la tribu avait décidé d'expédier les chasseurs et leurs minuscules compagnons ailés à la recherche de nourriture.
Lorsqu'ils étaient obligés de se déplacer en plein jour, les autochtones utilisaient un morceau d'une espèce de mica translucide qu'ils fixaient devant leurs yeux de nyctalopes, à l'aide d'un lien de chanvre qui enserrait leur tête. C'est équipé de la sorte que la petite troupe de chasseurs se mit en route, se glissant en bas de la paroi rocheuse, et suivant leur cheminement habituel pour rejoindre la forêt.
À présent que les trois sorciers avaient été abandonnés, après l'envol de leur maison et de leurs serviteurs, ils paraissaient beaucoup moins impressionnants aux Asallis, et certainement moins dangereux que bien des animaux de la planète. C'est pourquoi Ilâam, le chef de la petite troupe, décida de les attaquer. Il eut bien quelques difficultés à se faire obéir de ses congénères qui souhaitaient surtout éviter les étrangers, mais son autorité était telle – sans doute serait-il d'ailleurs le prochain chef de la tribu au décès du vieux Bâamli, auquel cas il valait mieux être de son avis ! -, que les chasseurs s'élancèrent sur la piste de ce gibier d'un nouveau genre.
Ils les rejoignirent alors qu'ils venaient juste d'abattre un zerba. Cet animal dont les quatre cornes incurvées donnaient un aspect impressionnant, n'était cependant pas dangereux, mais possédait une vitesse de course qui lui permettait de bien souvent échapper à ses prédateurs. Et les Asallis avaient peu souvent l'occasion de se régaler de sa chair succulente. C'est pourquoi, ils considérèrent comme un présage favorable des dieux de pouvoir en même temps offrir trois proies à la voracité de leur défenseur carnivore et un zerba pour assouvir la faim de la tribu.
Le nuage d'insectes qui s'était abattu sur eux n'avait pas laissé la moindre chance aux trois hommes qui, indisposés par la chaleur moite, avaient eu l'imprudence d'enlever leur casque qui reposait sur leurs épaules au moment de l'attaque. Le visage criblé par les dards empoisonnés, ils avaient aussitôt perdu connaissance, et les indigènes s'étaient précipités pour les ramener jusqu'à leur caverne.
Ce qui ne s'était pas passé sans mal, car les petits nyctalopes étaient chétifs et il leur avait fallu déployer des efforts surhumains pour parvenir à tirer leurs victimes sur un certain nombre de kilomètres. D'autant que leur méfiance naturelle les avait amené à aller jusqu'à un endroit rocailleux où leurs traces avaient disparues. Ils avaient ensuite repris la direction de leur refuge.
Tout en tirant et poussant leurs charges, ils restaient constamment aux aguets, et leur attention avait été éveillée par un bruit qui les avait fait trembler de peur : celui du retour du vaisseau. Mais leur terreur avait été portée à son comble lorsqu'ils avaient aperçu à travers le feuillage des arbres les deux silhouettes qui volaient et recherchaient certainement leurs trois compagnons. Ils avaient juste eu le temps de dissimuler les corps de leurs victimes dans d'épais fourrés et de grelotter de frayeur, dans l'attente du départ de Stev et Masas. Ils avaient alors pu reprendre leur route en pleine nuit, ce qui pour leur vision déficiente était un avantage, mais beaucoup plus risqué à cause de la présence des carnivores nocturnes qui commençaient à se mettre en chasse.
Et malheureusement pour eux, alors qu'ils approchaient de la falaise noire, un des carnassiers dont ils redoutaient tant la présence, avait retrouvé leur piste et entamé une traque qui les avait obligé à lui abandonner le zerba dont ils avaient espéré rassasier leurs congénères. Le grand animal avait abandonné sa poursuite, le temps de se gaver de la chair tendre qui lui été proposée.
Pendant le sursis qui leur était ainsi offert, les Asallis avaient redoublé d'efforts pour parvenir à leur but avant le retour du félin. C'est avec une hâte extrême qu'ils avaient hissé les trois hommes inconscients jusqu'à l'entrée de la caverne à l'aide des cordes en fibre végétale que leurs congénères leur avait lancé d'en haut. Leur mission ayant été menée à bien, il ne leur restait plus qu'à dénuder leurs victimes et à les livrer à la voracité du tapis symbiote.
Rassurée sur son avenir immédiat, la tribu avait rapidement été saisie des affres de la peur en constatant que Masas et Stev avaient découvert l'entrée de leur grotte. Peur portée à son paroxysme en s'apercevant que l'attaque de leurs petits alliés ailés était sans effet sur eux.
Ayant tiré de son pitoyable prisonnier tous les renseignements qu'elle pouvait en attendre, Masas lui enleva le casque – ce qui le réveilla – puis le libéra de ses liens et le conduisit au pied de l'astronef où elle l'abandonna à son triste sort, avant de rejoindre le pilote.
– Comment vont-ils ?
– Pour Corton et Goral, ça devrait aller, mais j'ai bien peur que nous ne puissions rien faire pour Calek. Le robot-médic n'est pas suffisamment compétent pour le tirer d'affaire.
– Ca, c'est moche.
Elle alla rendre visite aux trois rescapés dans la salle de soins. Le fils du général Toseff et le copilote était allongés sur des couchettes, le corps enduit de pommade cicatrisante. Ils avaient repris connaissance et accueillirent la jeune femme avec un pâle sourire. Quant au rouquin, il baignait toujours dans le liquide régénérateur, les yeux clos, le souffle imperceptible.
– Pourquoi ne peux-tu pas le guérir ?
– Le poison sécrété par le végétal a atteint et détruit certaines cellules du cerveau, et je ne suis pas équipé pour soigner cela.
– Pourrait-on le sauver dans d'autres circonstances ?
– Oui.
Masas serra les poings d'impuissance. Elle savait que même si le Coeur de Fomalhaut était à nouveau opérationnel, il ne pourrait pas arriver à temps à un hôpital, avant que des lésions irréversibles n'aient atteintes le cerveau de Calek.
Puis elle eut une idée :
– Peux-tu le maintenir en état de vie suspendue jusqu'à ce que nous arrivions à un endroit où on pourra le soigner ?
– J'ai la possibilité de le placer en hibernation dans un caisson étanche. Cela devrait permettre d'attendre.
– Parfait ! Alors fais le tout de suite.
Le robot s'activa aussitôt à mettre en application la solution préconisée par la jeune femme qui échangea quelques mots avec les deux autres blessés, avant de rejoindre Stev qui l'attendait en sirotant le contenu d'un verre d'alcool.
– Tu en veux ?
– Si ce n'est pas du sirtil !
Profitant d'un des premiers instants de calme depuis le début de leur mission, ils discutèrent à bâtons rompus, oubliant pendant quelque temps leurs soucis présents.
Un roman fanique d'André Borie
CHAPITRE IV : DE CHARYBDE EN SCYLLA
Section 4A
L'arme braquée devant eux, ils débouchèrent dans une caverne de vaste taille, complètement vide, mais au fond de laquelle s'ouvrait une sorte de tunnel qui s'évasait et s'enfonçait horizontalement dans les entrailles du massif montagneux.
Dans la lumière crue de leurs lampes, ils s'avancèrent de quelques pas, sur le qui-vive, tous leurs sens en éveil dans l'éventualité d'un piège tendu par les indigènes. Scrutant soigneusement tous les coins et recoins de la grotte, ils constatèrent que le sol était net, vierge de tous les vestiges alimentaires et excrémentiels que ne pouvaient manquer de laisser les occupants d'une tanière. Ce qui excluait définitivement l'hypothèse d'un animal, si tant est qu'ils y aient encore cru !
C'est sans encombre qu'ils traversèrent la caverne et s'arrêtèrent à l'entrée du couloir. Dans les faisceaux de lumière, ils constatèrent qu'il formait un coude au bout d'une trentaine de mètres, dissimulant aux regards ce qu'il pouvait y avoir au-delà.
Prudemment, ils poursuivirent leur chemin vers l'angle qui leur cachait la suite du tunnel. Ne détectant pas le moindre bruit suspect, ils s'engagèrent dans la partie oblique, mais s'aperçurent, aussi loin que portait leur lumière, que le couloir était désert. Ils progressèrent ainsi pendant quelques centaines de mètres sur un sol inégal où les creux jouxtaient les bosses pierreuses. La galerie se mit à monter légèrement en obliquant d'une manière
régulière vers la gauche. Bientôt, ils devinèrent qu'ils allaient aboutir dans une nouvelle cavité.
– Attention, murmura la jeune femme en posant la main sur le bras de Stev pour interrompre sa marche.
Ils baissèrent l'intensité de leurs projecteurs, et agrippèrent plus fermement leurs armes.
– On y va.
Comme dans un ballet bien réglé, ils pénétrèrent dans la salle souterraine, l'un couvrant le côté gauche, l'autre le droit, sans déclencher de manifestation particulière.
– Je crois qu'on peut rallumer les projecteurs.
Masas n'eut pas le temps de lui répondre. Avec soudaineté, une sorte de grêle les assaillit, crépitant sur tout leur corps, et particulièrement au niveau du visage. Stev fit machinalement plusieurs pas en arrière tout en réglant sa lampe au maximum, ce qui leur permit de découvrir la nature de la grêle : un nuage d'insectes venant s'écraser sur l'écran défensif de leur combinaison de combat.
Le pilote, qui avait une sainte horreur de tous ces petits monstres volants et piquants, décrocha sa torche thermique et décrivit des moulinets autour de sa compagne et de lui-même. Une flamme d'une cinquantaine de centimètres jaillit, carbonisant instantanément toutes les bestioles qui passaient dans son champ.
Aussi soudainement qu'il avait débuté, l'assaut s'arrêta et les insectes refluèrent vers l'intérieur de la montagne par un passage situé dans le prolongement de la petite caverne. Sans hésiter, Masas et Stev suivirent leur retraite. Mais, au bout d'une cinquantaine de mètres, ils parvinrent à une énorme cavité dont leurs lampes ne permettaient pas de voir la fin. Par contre, presqu'à leurs pieds, un chemin abrupt, véritable sentier de chèvres,
descendait vers. l'inconnu.
Un silence pesant et oppressant régnait tout autour d'eux, mais une sorte de sixième sens signalait à Masas qu'ils étaient arrivés au bout de leur quête, et que malgré l'absence de bruit, leurs adversaires étaient tapis quelque part dans l'obscurité. Posément, Masas empoigna son pistolet signalisateur, introduisit une cartouche au phosphore dans le canon et appuya sur la détente en visant le fond de la grotte.
Un concert de hurlements de douleur et de terreur s'éleva.
Tandis que la fusée éclairante retombait lentement vers le bas, soutenue par son parachute, les deux arrivants découvrirent en contre bas une foule d'êtres blêmes et affolés, à plat ventre et la tête entre les bras pour tenter de fuir la brutale luminosité ambiante.
Masas observa d'un air apitoyé les misérables cavernicoles qui tentaient de se protéger de la lumière qui blessait leurs yeux fragiles, mais sa pitié fut de courte durée lorsqu'elle aperçut Goral et ses deux compagnons.
Totalement nus, ils gisaient sur un tapis de verdure. Un tapis végétal vivant qui ondulait et lançait des flagelles qui venaient se poser sur les corps immobiles, s'y attardaient pendant quelques instants et refluaient pour céder la place à d'autres.
Un cri d'horreur et de colère lui échappa, et sans avertissement, elle plongea vers le bas de la caverne après avoir activé son propulseur anti-g. Lâchant de courtes rafales qui sectionnaient les pseudopodes de la végétation carnivore, elle se posa près des corps des trois suppliciés.
Avec méthode, mais la rage au coeur, elle entreprit de détruire la plante vorace dont les prolongements se rétractèrent précipitamment avec des sifflements étranges, tandis qu'une vague de douleur et de peur assaillait l'esprit de Masas. Le tapis végétal possédait donc une sorte d'intelligence primaire.
Tout d'abord pétrifié par le spectacle qu'il avait sous les yeux, Stev l'avait rejointe, et ils unirent leurs efforts pour dégager Goral, Corton et Calek. Tous trois étaient inconscients, et leurs corps portaient les multiples stigmates sanglants du contact des flagelles végétaux parmi lesquels ils reposaient. Leur pouls était faible, mais régulier, sauf celui du rouquin qui fonctionnait de façon intermittente. Masa secoua la tête :
– Je pense que c'est lui le plus amoché.
Elle détacha son harnais anti-g, et le fixa sur ses épaules sanguinolentes.
– Emmène-le jusqu'au vaisseau, et ramène nous d'autres propulseurs et une trousse de premiers soins. Tu peux aussi te faire accompagner des deux robotechs. Ils transporteront les blessés, ce qui nous laissera les mains libres.
– D'accord, mais soit prudente.
Désignant la foule geignante et terrorisée, toujours face contre terre pour éviter le contact avec la lumière crue des projecteurs, elle répondit :
– Crois-tu vraiment que je puisse craindre quelque chose d'eux ?
– Non, c'est vrai. Mais de ça ?
Et son doigt pointait sur le tapis végétal qui s'était rétracté hors de portée du fusilaser.
– Je pense que la douleur ressentie et sa peur vont l'inciter à rester bien calme.
– Sa peur ?
– Et oui, mon cher. Ce… machin éprouve des sentiments.
– Comment ça ? !
– Comment, je n'en sais rien, mais quand je l'ai grillé au fusil, j'ai ressenti très fortement un sentiment de peur et de douleur.
– C'est complètement fou !
– Oui, mais c'est comme ça !
– Tu me raconteras tout ça à tête reposée quand nous serons de retour au Coeur de Fomalhaut.
Et sans plus discuter, il mit en marche l'appareil équipant Calek et, l'un soutenant l'autre, ils s'élevèrent dans les airs et prirent la direction du couloir d'accès.
Pendant la vingtaine de minutes où Masas se retrouva seule, elle put observer les indigènes à loisir, à la lumière de son projecteur qu'elle avait détaché de sa combinaison et posé au sol. Toujours prostrés, la face contre terre, ils se lamentaient dès qu'ils tentaient de lever la tête dans la clarté diffusée par la lampe. Blancs de peau -d'un blanc maladif, nota-t-elle –, une tête ronde paraissant trop grosse pour un corps malingre aux jambes torses, ils étaient l'illustration parfaite d'une humanité en pleine dégénérescence. Ils étaient au nombre d'une centaine environ, tremblants et couinants, les mères serrant contre elles, dans un dérisoire geste de protection, des enfants terrorisés.
La jeune femme, après son accès de violence, avait retrouvé tout son sang-froid. Sachant qu'elle n'avait rien à craindre de la part des troglodytes, et le végétal carnivore ayant reflué de plusieurs mètres, elle put commencer à donner les premiers soins aux deux blessés, à l'aide du peu de médicaments dont elle disposait dans les poches de sa combinaison.
Quand Stev revint accompagné des deux robotechs, elle avait récupéré les vêtements et l'armement des trois hommes qui traînaient par terre, au pied de l'escalier rudimentaire qui permettait d'accéder au bas de la caverne.
– Comment va Calek ?
– Pas très fort. Je l'ai laissé auprès du robot-médic qui l'a aussitôt plongé dans la cuve de régénération. Et eux, comment vont-ils ?
– Ils ne sont pas en grande forme, mais ils me paraissent en meilleur état que notre rouquin.
Quelques instants plus tard, les robots tenant Goral et Corton contre eux, prenaient le chemin du retour vers le vaisseau. Avant de quitter la funeste caverne, Masas et le pilote jetèrent un dernier regard sur la foule piaillante qui continuait à fuir la lumière.
– Les malheureux, murmura le jeune homme en voyant les cavernicoles trembler de terreur.
– Tu as raison, ce sont vraisemblablement plus des victimes que des bourreaux.
Ils commençaient à s'élever dans les airs quand la jeune femme revint en arrière, survola un instant l'assemblée frappée d'épouvante qui sentait passer sur son dos le pinceau lumineux, et empoigna un des indigènes par la ceinture de son pagne. Elle l'emmena, gigotant et malade de terreur, en direction du Coeur de Fomalhaut.
Dans les heures qui suivirent leur retour au petit astronef, le robot-médic eut fort à faire. Malgré ses multiples appendices et sa programmation électronique très poussée, il dut abattre un travail de titan pour soigner les trois hommes. Ceux-ci présentaient un corps criblé de marques et de plaies en forme de croissant, traces sanglantes laissées par les papilles voraces de l'étrange végétal. Les blessures étaient importantes, mais les analyses mirent en évidence un fait beaucoup plus grave : les flagelles sécrétaient un suc qui anesthésiait toute douleur chez les victimes, mais qui finissait par empoisonner leur sang. Il fallait donc découvrir et produire un antidote efficace avant que son effet soit mortel.
Ce qui obligea Stev et Masas à une seconde visite dans le refuge des cavernicoles, afin de prélever un échantillon du tapis carnivore. Les petits êtres se mirent à hurler de frayeur à leur arrivée, et se comportèrent comme la première fois, en se plaquant au sol, tremblants et le visage pressé contre terre. Quant au végétal, but de leur expédition, il prouva qu'il possédait bien un embryon d'intelligence ou de souvenir, car il se rétracta aussitôt au maximum de ses possibilités. Ce mouvement de recul ne lui évita évidemment pas de se voir amputer d'un bon mètre carré, qui se retrouva enfermé dans un sac hermétique.
– Tu as vraiment ressenti quelque chose quand tu as brûlé cette chose, tout à l'heure ?
– Oui. Je possède, à l'état embryonnaire, le don de ressentir les émotions des gens qui sont face à moi. Et ce végétal pense, en quelque sorte.
– C'est bien la première fois que j'entends une chose pareille.
– Oh, tu sais. à l'échelle de l'Univers, on n'a pas fini de découvrir du nouveau et de l'insolite.
– En tout cas, ça ne doit pas être drôle pour un homme, si tu peux connaître ses pensées intimes !
– Pourquoi ? Tu en as ? interrogea-t-elle, l'air innocent.
Un haussement d'épaules et un léger fard rougissant sur le visage hâlé de Stev furent sa seule réponse !
De retour au vaisseau, Masas remit sa collecte au robot-médic, qui entama aussitôt ses analyses sur le tissu vivant afin d'en extraire un contrepoison.
Puis, ne pouvant rien faire de plus pour ses trois compagnons blessés, elle amena son prisonnier, suant de peur et les yeux fortement fermés pour éviter l'éclat du jour qui pénétrait par la verrière, dans le poste de pilotage. Stev lui lança un regard interrogateur.
– Je vais le soumettre au radiant-psi, et l'interroger à l'aide d'un translateur, expliqua-t-elle.
– Pourquoi ?
– Par curiosité. Pour connaître la vie de cette malheureuse tribu.
La moue dubitative qu'elle reçut en réponse l'informa que le pilote n'y voyait vraiment aucun intérêt. Mais il ne fit pas le moindre commentaire.
Elle ligota le petit être sur un fauteuil, braqua le radiant-psi sur lui et brancha le translateur. Puis elle s'installa confortablement dans son siège-contour et commença son interrogatoire.
Trente minutes plus tard, au prix d'un léger mal de tête qui s'estompa rapidement, elle connaissait tout de la vie misérable de Râam, le troglodyte, et des événements qui avaient conduit Goral et ses deux compagnons sur le lieu de leur supplice.
La race des Asallis, dont Râam était l'un des derniers représentants, avait atteint l'ultime stade d'une dégénérescence tant physique que mentale. Les conditions atmosphériques très rudes et la férocité de certains des animaux qui hantaient la forêt et bien souvent les plaines, en particulier l'espèce à laquelle appartenait celui que Masas avait tué, ainsi qu'un primate cyclopéen carnivore, avaient peu à peu contraint ce peuple craintif et désarmé devant l'adversité, à fuir en direction du refuge des cavernes que leur offrait la montagne.
Malheureusement, les grands prédateurs, ayant pris goût à la chair de ce gibier sans défense, ne tardèrent pas à retrouver leurs traces, les amenant à tenter de trouver asile de plus en plus profondément dans les entrailles de la barrière rocheuse. Si les tigres osilaxiens pouvaient être arrêtés par les parois abruptes, il n'en était pas de même de la part des grands singes qui escaladaient en se jouant les pentes les plus raides.
Nul ne sait où se serait terminée cette fuite incessante, si les Asallis n'avaient pas rencontré deux espèces avec lesquelles ils avaient fait alliance.
Un jour où ils s'enfonçaient un peu plus dans le labyrinthe des grottes, les indigènes avaient débouché dans une immense salle dont le sol était recouvert d'une végétation qui leur sembla accueillante. Ce fut leur premier contact avec le tapis carnivore qui commença à prélever un tribut parmi les misérables fuyards, avant d'accepter de vivre en symbiose avec eux. Cette association reposait sur des bases simples : les Asallis fournissaient sa nourriture à la plante qui, en contrepartie, leur offrait sa protection contre leurs ennemis. Comment le végétal avait-il pu subsister dans cet environnement où les proies devaient être très rares, nul ne le savait, et cela resterait un des nombreux mystères de la nature. La seule hypothèse timidement avancée par Masas, était que la plante pouvait en quelque sorte hiberner, ou se mettre en sommeil, comme le font certaines espèces sur Terre.
Dans leur lutte pour la survie, les indigènes avaient également trouvé un second allié, aussi petit qu'efficace :
des insectes ailés au dard sécrétant un produit paralysant à l'effet foudroyant. Hélas, celui-ci était quasiment inopérant sur la fourrure épaisse ou le cuir solide des plus grands prédateurs. Par contre, les guêpes apprivoisées endormaient sans difficultés toutes les petites proies que leur désignaient les Asallis. Il ne restait plus alors à ceux-ci qu'à ramasser le gibier inconscient, qui servait d'une part à leur nourriture, et d'autre part à apaiser la voracité du tapis carnivore.
Lorsque par malheur la chasse n'était pas bonne, un Asalli était tiré au sort, enduit d'une lotion de tolac destinée à supprimer son odeur, et donné en sacrifice à l'appétit, à présent insatiable, du symbiote.
La vie des malheureux était ainsi rythmée depuis des temps immémoriaux, ce qui expliquait les modifications génétiques subies, en particulier leur vue de nyctalope et leur épiderme blême. Mais comme la natalité diminuait régulièrement, la dernière tribu d'Osilax était appelée à disparaître dans un proche avenir.
En ce qui concernait Goral et ses compagnons, l'histoire était simple : l'attention des indigènes de guet à l'entrée des cavernes avait été attirée par l'atterrissage du vaisseau. Tremblant de peur devant ce qu'ils avaient considéré comme une apparition de sorciers maléfiques, ils les avaient surveillés en permanence pendant plusieurs jours. Ils avaient été très impressionnés à la vue des créatures brillantes qui possédaient plusieurs bras, et qui semblaient être les serviteurs des sorciers.
La présence des intrus n'avait pas permis aux Asallis de chercher le gibier nécessaire à la nourriture de leur vorace allié, et le temps était proche où l'un d'entre eux devrait être sacrifié pour assouvir sa faim.
Alors qu'ils commençaient à désespérer, les guetteurs avaient aperçu trois des sorciers qui s'éloignaient, puis leur habitation qui s'élevait dans les airs et finissait par disparaître. Aussitôt, bien qu'il fit encore jour, le chef de la tribu avait décidé d'expédier les chasseurs et leurs minuscules compagnons ailés à la recherche de nourriture.
Lorsqu'ils étaient obligés de se déplacer en plein jour, les autochtones utilisaient un morceau d'une espèce de mica translucide qu'ils fixaient devant leurs yeux de nyctalopes, à l'aide d'un lien de chanvre qui enserrait leur tête. C'est équipé de la sorte que la petite troupe de chasseurs se mit en route, se glissant en bas de la paroi rocheuse, et suivant leur cheminement habituel pour rejoindre la forêt.
À présent que les trois sorciers avaient été abandonnés, après l'envol de leur maison et de leurs serviteurs, ils paraissaient beaucoup moins impressionnants aux Asallis, et certainement moins dangereux que bien des animaux de la planète. C'est pourquoi Ilâam, le chef de la petite troupe, décida de les attaquer. Il eut bien quelques difficultés à se faire obéir de ses congénères qui souhaitaient surtout éviter les étrangers, mais son autorité était telle – sans doute serait-il d'ailleurs le prochain chef de la tribu au décès du vieux Bâamli, auquel cas il valait mieux être de son avis ! -, que les chasseurs s'élancèrent sur la piste de ce gibier d'un nouveau genre.
Ils les rejoignirent alors qu'ils venaient juste d'abattre un zerba. Cet animal dont les quatre cornes incurvées donnaient un aspect impressionnant, n'était cependant pas dangereux, mais possédait une vitesse de course qui lui permettait de bien souvent échapper à ses prédateurs. Et les Asallis avaient peu souvent l'occasion de se régaler de sa chair succulente. C'est pourquoi, ils considérèrent comme un présage favorable des dieux de pouvoir en même temps offrir trois proies à la voracité de leur défenseur carnivore et un zerba pour assouvir la faim de la tribu.
Le nuage d'insectes qui s'était abattu sur eux n'avait pas laissé la moindre chance aux trois hommes qui, indisposés par la chaleur moite, avaient eu l'imprudence d'enlever leur casque qui reposait sur leurs épaules au moment de l'attaque. Le visage criblé par les dards empoisonnés, ils avaient aussitôt perdu connaissance, et les indigènes s'étaient précipités pour les ramener jusqu'à leur caverne.
Ce qui ne s'était pas passé sans mal, car les petits nyctalopes étaient chétifs et il leur avait fallu déployer des efforts surhumains pour parvenir à tirer leurs victimes sur un certain nombre de kilomètres. D'autant que leur méfiance naturelle les avait amené à aller jusqu'à un endroit rocailleux où leurs traces avaient disparues. Ils avaient ensuite repris la direction de leur refuge.
Tout en tirant et poussant leurs charges, ils restaient constamment aux aguets, et leur attention avait été éveillée par un bruit qui les avait fait trembler de peur : celui du retour du vaisseau. Mais leur terreur avait été portée à son comble lorsqu'ils avaient aperçu à travers le feuillage des arbres les deux silhouettes qui volaient et recherchaient certainement leurs trois compagnons. Ils avaient juste eu le temps de dissimuler les corps de leurs victimes dans d'épais fourrés et de grelotter de frayeur, dans l'attente du départ de Stev et Masas. Ils avaient alors pu reprendre leur route en pleine nuit, ce qui pour leur vision déficiente était un avantage, mais beaucoup plus risqué à cause de la présence des carnivores nocturnes qui commençaient à se mettre en chasse.
Et malheureusement pour eux, alors qu'ils approchaient de la falaise noire, un des carnassiers dont ils redoutaient tant la présence, avait retrouvé leur piste et entamé une traque qui les avait obligé à lui abandonner le zerba dont ils avaient espéré rassasier leurs congénères. Le grand animal avait abandonné sa poursuite, le temps de se gaver de la chair tendre qui lui été proposée.
Pendant le sursis qui leur était ainsi offert, les Asallis avaient redoublé d'efforts pour parvenir à leur but avant le retour du félin. C'est avec une hâte extrême qu'ils avaient hissé les trois hommes inconscients jusqu'à l'entrée de la caverne à l'aide des cordes en fibre végétale que leurs congénères leur avait lancé d'en haut. Leur mission ayant été menée à bien, il ne leur restait plus qu'à dénuder leurs victimes et à les livrer à la voracité du tapis symbiote.
Rassurée sur son avenir immédiat, la tribu avait rapidement été saisie des affres de la peur en constatant que Masas et Stev avaient découvert l'entrée de leur grotte. Peur portée à son paroxysme en s'apercevant que l'attaque de leurs petits alliés ailés était sans effet sur eux.
Ayant tiré de son pitoyable prisonnier tous les renseignements qu'elle pouvait en attendre, Masas lui enleva le casque – ce qui le réveilla – puis le libéra de ses liens et le conduisit au pied de l'astronef où elle l'abandonna à son triste sort, avant de rejoindre le pilote.
– Comment vont-ils ?
– Pour Corton et Goral, ça devrait aller, mais j'ai bien peur que nous ne puissions rien faire pour Calek. Le robot-médic n'est pas suffisamment compétent pour le tirer d'affaire.
– Ca, c'est moche.
Elle alla rendre visite aux trois rescapés dans la salle de soins. Le fils du général Toseff et le copilote était allongés sur des couchettes, le corps enduit de pommade cicatrisante. Ils avaient repris connaissance et accueillirent la jeune femme avec un pâle sourire. Quant au rouquin, il baignait toujours dans le liquide régénérateur, les yeux clos, le souffle imperceptible.
– Pourquoi ne peux-tu pas le guérir ?
– Le poison sécrété par le végétal a atteint et détruit certaines cellules du cerveau, et je ne suis pas équipé pour soigner cela.
– Pourrait-on le sauver dans d'autres circonstances ?
– Oui.
Masas serra les poings d'impuissance. Elle savait que même si le Coeur de Fomalhaut était à nouveau opérationnel, il ne pourrait pas arriver à temps à un hôpital, avant que des lésions irréversibles n'aient atteintes le cerveau de Calek.
Puis elle eut une idée :
– Peux-tu le maintenir en état de vie suspendue jusqu'à ce que nous arrivions à un endroit où on pourra le soigner ?
– J'ai la possibilité de le placer en hibernation dans un caisson étanche. Cela devrait permettre d'attendre.
– Parfait ! Alors fais le tout de suite.
Le robot s'activa aussitôt à mettre en application la solution préconisée par la jeune femme qui échangea quelques mots avec les deux autres blessés, avant de rejoindre Stev qui l'attendait en sirotant le contenu d'un verre d'alcool.
– Tu en veux ?
– Si ce n'est pas du sirtil !
Profitant d'un des premiers instants de calme depuis le début de leur mission, ils discutèrent à bâtons rompus, oubliant pendant quelque temps leurs soucis présents.
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