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Illustration: La Dame Aux Camélias-Chapitre14 - Alexandre Dumas fils

La Dame Aux Camélias-Chapitre14

(Version Intégrale)

Enregistrement : Audiocite.net
Publication : 2010-07-05

Lu par Stanley
Livre audio de 19min
Fichier mp3 de 17,4 Mo

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Chapitre XIV

Rentré chez moi, je me mis à pleurer comme un enfant. Il n'y
a pas d'homme qui n'ait été trompé au moins une fois, et qui ne
sache ce que l'on souffre.
Je me dis, sous le poids de ces résolutions de la fièvre que l'on
croit toujours avoir la force de tenir, qu'il fallait rompre
immédiatement avec cet amour, et j'attendis le jour avec
impatience pour aller retenir ma place, retourner auprès de mon
père et de ma soeur, double amour dont j'étais certain, et qui ne
me tromperait pas, lui.
Cependant je ne voulais pas partir sans que Marguerite sût
bien pourquoi je partais. Seul, un homme qui n'aime décidément
plus sa maîtresse la quitte sans lui écrire.
Je fis et refis vingt lettres dans ma tête.
J'avais eu affaire à une fille semblable à toutes les filles
entretenues, je l'avais beaucoup trop poétisée, elle m'avait traité
en écolier, en employant, pour me tromper, une ruse d'une
simplicité insultante, c'était clair. Mon amour-propre prit alors le
dessus. Il fallait quitter cette femme sans lui donner la
satisfaction de savoir ce que cette rupture me faisait souffrir, et
voici ce que je lui écrivis de mon écriture la plus élégante, et des
larmes de rage et de douleur dans les yeux :
« Ma chère Marguerite,
« J'espère que votre indisposition d'hier aura été peu de
chose. J'ai été, à onze heures du soir, demander de vos nouvelles,
et l'on m'a répondu que vous n'étiez pas rentrée. M. de G… a été
plus heureux que moi, car il s'est présenté quelques instants
après, et à quatre heures du matin il était encore chez vous.
« Pardonnez-moi les quelques heures ennuyeuses que je vous
ai fait passer, et soyez sûre que je n'oublierai jamais les moments
heureux que je vous dois.
« Je serais bien allé savoir de vos nouvelles aujourd'hui, mais
je compte retourner près de mon père.
« Adieu, ma chère Marguerite ; je ne suis ni assez riche pour
vous aimer comme je le voudrais, ni assez pauvre pour vous
aimer comme vous le voudriez. Oublions donc, vous, un nom qui
doit vous être à peu près indifférent, moi, un bonheur qui me
devient impossible.
« Je vous renvoie votre clef, qui ne m'a jamais servi et qui
pourra vous être utile, si vous êtes souvent malade comme vous
l'étiez hier. »
Vous le voyez, je n'avais pas eu la force de finir cette lettre
sans une impertinente ironie, ce qui prouvait combien j'étais
encore amoureux.
Je lus et relus dix fois cette lettre, et l'idée qu'elle ferait de la
peine à Marguerite me calma un peu. J'essayai de m'enhardir
dans les sentiments qu'elle affectait, et quand, à huit heures, mon
domestique entra chez moi, je la lui remis pour qu'il la portât tout
de suite.
– Faudra-t-il attendre une réponse ? Me demanda Joseph
(mon domestique s'appelait Joseph, comme tous les
domestiques).
– Si l'on vous demande s'il y a une réponse, vous direz que
vous n'en savez rien et vous attendrez.
Je me rattachais à cette espérance qu'elle allait me répondre.
Pauvres et faibles que nous sommes !
Tout le temps que mon domestique resta dehors, je fus dans
une agitation extrême. Tantôt me rappelant comment Marguerite
s'était donnée à moi, je me demandais de quel droit je lui écrivais
une lettre impertinente, quand elle pouvait me répondre que ce
n'était pas M. de G… qui me trompait, mais moi qui trompais
M. de G… ; raisonnement qui permet à bien des femmes d'avoir
plusieurs amants. Tantôt, me rappelant les serments de cette fille,
je voulais me convaincre que ma lettre était trop douce encore et
qu'il n'y avait pas d'expressions assez fortes pour flétrir une
femme qui se riait d'un amour aussi sincère que le mien. Puis, je
me disais que j'aurais mieux fait de ne pas lui écrire, d'aller chez
elle dans la journée, et que, de cette façon, j'aurais joui des larmes
que je lui aurais fait répandre.
Enfin, je me demandais ce qu'elle allait me répondre, déjà
prêt à croire l'excuse qu'elle me donnerait.
Joseph revint.
– Eh bien ? Lui dis-je.
– Monsieur, me répondit-il, madame était couchée et dormait
encore, mais dès qu'elle sonnera, on lui remettra la lettre, et s'il y
a une réponse on l'apportera.
Elle dormait !
Vingt fois je fus sur le point de renvoyer chercher cette lettre,
mais je me disais toujours :
– On la lui a peut-être déjà remise, et j'aurais l'air de me
repentir.
Plus l'heure à laquelle il était vraisemblable qu'elle me
répondît approchait, plus je regrettais d'avoir écrit.
Dix heures, onze heures, midi sonnèrent.
À midi, je fus au moment d'aller au rendez-vous, comme si
rien ne s'était passé. Enfin, je ne savais qu'imaginer pour sortir du
cercle de fer qui m'étreignait.
Alors, je crus, avec cette superstition des gens qui attendent,
que, si je sortais un peu, à mon retour je trouverais une réponse.
Les réponses impatiemment attendues arrivent toujours quand
on n'est pas chez soi.
Je sortis sous prétexte d'aller déjeuner.
Au lieu de déjeuner au café Foy, au coin du boulevard, comme
j'avais l'habitude de le faire, je préférai aller déjeuner au Palais-
Royal et passer par la rue d'Antin. Chaque fois que de loin
j'apercevais une femme, je croyais voir Nanine m'apportant une
réponse. Je passai rue d'Antin sans avoir même rencontré un
commissionnaire. J'arrivai au Palais-Royal, j'entrai chez Véry. Le
garçon me fit manger ou plutôt me servit ce qu'il voulut, car je ne
mangeai pas.
Malgré moi, mes yeux se fixaient toujours sur la pendule.
Je rentrai, convaincu que j'allais trouver une lettre de
Marguerite.
Le portier n'avait rien reçu. J'espérais encore dans mon
domestique. Celui-ci n'avait vu personne depuis mon départ.
Si Marguerite avait dû me répondre, elle m'eût répondu
depuis longtemps.
Alors, je me mis à regretter les termes de ma lettre ; j'aurais
dû me taire complètement, ce qui eût sans doute fait faire une
démarche à son inquiétude ; car, ne me voyant pas venir au
rendez-vous la veille, elle m'eût demandé les raisons de mon
absence, et alors seulement j'eusse dû les lui donner. De cette
façon, elle n'eût pu faire autrement que de se disculper, et ce que
je voulais, c'était qu'elle se disculpât. Je sentais déjà que,
quelques raisons qu'elle m'eût objectées, je les aurais crues, et
que j'aurais mieux tout aimé que de ne plus la voir.
J'en arrivai à croire qu'elle allait venir elle-même chez moi,
mais les heures se passèrent et elle ne vint pas.
Décidément, Marguerite n'était pas comme toutes les
femmes, car il y en a bien peu qui, en recevant une lettre
semblable à celle que je venais d'écrire, ne répondent pas quelque
chose.
À cinq heures, je courus aux Champs-Élysées.
– Si je la rencontre, pensais-je, j'affecterai un air indifférent,
et elle sera convaincue que je ne songe déjà plus à elle.
Au tournant de la rue Royale, je la vis passer dans sa voiture ;
la rencontre fut si brusque que je pâlis. J'ignore si elle vit mon
émotion ; moi, j'étais si troublé que je ne vis que sa voiture.
Je ne continuai pas ma promenade aux Champs-Élysées. Je
regardai les affiches des théâtres, car j'avais encore une chance de
la voir.
Il y avait une première représentation au Palais-Royal.
Marguerite devait évidemment y assister.
J'étais au théâtre à sept heures.
Toutes les loges s'emplirent, mais Marguerite ne parut pas.
Alors, je quittai le Palais-Royal, et j'entrai dans tous les
théâtres où elle allait le plus souvent, au Vaudeville, aux Variétés,
à l'Opéra-Comique.
Elle n'était nulle part.
Ou ma lettre lui avait fait trop de peine pour qu'elle s'occupât
de spectacle, ou elle craignait de se trouver avec moi, et voulait
éviter une explication.
Voilà ce que ma vanité me soufflait sur le boulevard, quand je
rencontrai Gaston qui me demanda d'où je venais.
– Du Palais-Royal.
– Et moi de l'Opéra, me dit-il ; je croyais même vous y voir.
– Pourquoi ?
– Parce que Marguerite y était.
– Ah ! Elle y était ?
– Oui.
– Seule ?
– Non, avec une de ses amies.
– Voilà tout ?
– Le comte de G… est venu un instant dans sa loge ; mais elle
s'en est allée avec le duc. À chaque instant, je croyais vous voir
paraître. Il y avait à côté de moi une stalle qui est restée vide toute
la soirée, et j'étais convaincu qu'elle était louée par vous.
– Mais pourquoi irais-je où Marguerite va ?
– Parce que vous êtes son amant, pardieu !
– Et qui vous a dit cela ?
– Prudence, que j'ai rencontrée hier. Je vous en félicite, mon
cher ; c'est une jolie maîtresse que n'a pas qui veut. Gardez-la, elle
vous fera honneur.
Cette simple réflexion de Gaston me montra combien mes
susceptibilités étaient ridicules.
Si je l'avais rencontré la veille et qu'il m'eût parlé ainsi, je
n'eusse certainement pas écrit la sotte lettre du matin.
Je fus au moment d'aller chez Prudence et de l'envoyer dire à
Marguerite que j'avais à lui parler ; mais je craignis que pour se
venger elle ne me répondît qu'elle ne pouvait pas me recevoir, et
je rentrai chez moi après être passé par la rue d'Antin.
Je demandai de nouveau à mon portier s'il avait une lettre
pour moi.
Rien ! Elle aura voulu voir si je ferais quelque nouvelle
démarche et si je rétracterais ma lettre aujourd'hui, me dis-je en
me couchant ; mais, voyant que je ne lui écris pas, elle m'écrira
demain.
Ce soir-là surtout je me repentis de ce que j'avais fait. J'étais
seul chez moi, ne pouvant dormir, dévoré d'inquiétude et de
jalousie quand, en laissant suivre aux choses leur véritable cours,
j'aurais dû être auprès de Marguerite et m'entendre dire les mots
charmants que je n'avais entendus que deux fois, et qui me
brûlaient les oreilles dans ma solitude.
Ce qu'il y avait d'affreux dans ma situation, c'est que le
raisonnement me donnait tort ; en effet, tout me disait que
Marguerite m'aimait. D'abord, ce projet de passer un été avec moi
seul à la campagne, puis cette certitude que rien ne la forçait à
être ma maîtresse, puisque ma fortune était insuffisante à ses
besoins et même à ses caprices. Il n'y avait donc eu chez elle que
l'espérance de trouver en moi une affection sincère, capable de la
reposer des amours mercenaires au milieu desquelles elle vivait,
et dès le second jour je détruisais cette espérance, et je payais en
ironie impertinente l'amour accepté pendant deux nuits. Ce que
je faisais était donc plus que ridicule, c'était indélicat. Avais-je
seulement payé cette femme, pour avoir le droit de blâmer sa vie,
et n'avais-je pas l'air, en me retirant dès le second jour, d'un
parasite d'amour qui craint qu'on ne lui donne la carte de son
dîner ? Comment ! Il y avait trente-six heures que je connaissais
Marguerite ; il y en avait vingt-quatre que j'étais son amant, et je
faisais le susceptible ; et au lieu de me trouver trop heureux
qu'elle partageât pour moi, je voulais avoir tout à moi seul, et la
contraindre à briser d'un coup les relations de son passé qui
étaient les revenus de son avenir. Qu'avais-je à lui reprocher ?
Rien. Elle m'avait écrit qu'elle était souffrante, quand elle eût pu
me dire tout crûment, avec la hideuse franchise de certaines
femmes, qu'elle avait un amant à recevoir ; et au lieu de croire à
sa lettre, au lieu d'aller me promener dans toutes les rues de
Paris, excepté dans la rue d'Antin ; au lieu de passer ma soirée
avec mes amis et de me présenter le lendemain à l'heure qu'elle
m'indiquait, je faisais l'Othello, je l'espionnais, et je croyais la
punir en ne la voyant plus. Mais elle devait être enchantée au
contraire de cette séparation ; mais elle devait me trouver
souverainement sot, et son silence n'était pas même de la
rancune ; c'était du dédain.
J'aurais dû alors faire à Marguerite un cadeau qui ne lui
laissât aucun doute sur ma générosité, et qui m'eût permis, la
traitant comme une fille entretenue, de me croire quitte avec elle ;
mais j'eusse cru offenser par la moindre apparence de trafic,
sinon l'amour qu'elle avait pour moi, du moins l'amour que j'avais
pour elle, et puisque cet amour était si pur qu'il n'admettait pas le
partage, il ne pouvait payer par un présent, si beau qu'il fût, le
bonheur qu'on lui avait donné, si court qu'eût été ce bonheur.
Voilà ce que je me répétais la nuit, et ce qu'à chaque instant
j'étais prêt à aller dire à Marguerite.
Quand le jour parut, je ne dormais pas encore, j'avais la
fièvre ; il m'était impossible de penser à autre chose qu'à
Marguerite.
Comme vous le comprenez, il fallait prendre un parti décisif,
et en finir avec la femme ou avec mes scrupules, si toutefois elle
consentait encore à me recevoir.
Mais, vous le savez, on retarde toujours un parti décisif :
aussi, ne pouvant rester chez moi, n'osant me présenter chez
Marguerite, j'essayai un moyen de me rapprocher d'elle, moyen
que mon amour-propre pourrait mettre sur le compte du hasard,
dans le cas où il réussirait.
Il était neuf heures ; je courus chez Prudence, qui me
demanda à quoi elle devait cette visite matinale.
Je n'osai pas lui dire franchement ce qui m'amenait. Je lui
répondis que j'étais sorti de bonne heure pour retenir une place à
la diligence de C…, où demeurait mon père.
– Vous êtes bien heureux, me dit-elle, de pouvoir quitter
Paris par ce beau temps-là.
Je regardai Prudence, me demandant si elle se moquait de
moi.
Mais son visage était sérieux.
– Irez-vous dire adieu à Marguerite ? reprit-elle toujours
sérieusement.
– Non.
– Vous faites bien.
– Vous trouvez ?
– Naturellement. Puisque vous avez rompu avec elle, à quoi
bon la revoir ?
– Vous savez donc notre rupture ?
– Elle m'a montré votre lettre.
– Et que vous a-t-elle dit ?
– Elle m'a dit : « Ma chère Prudence, votre protégé n'est pas
poli : on pense ces lettres-là, mais on ne les écrit pas ! »
– Et de quel ton vous a-t-elle dit cela ?
– En riant et elle a ajouté : « Il a soupé deux fois chez moi, et
il ne me fait même pas de visite de digestion. »
Voilà l'effet que ma lettre et mes jalousies avaient produit. Je
fus cruellement humilié dans la vanité de mon amour.
– Et qu'a-t-elle fait hier au soir ?
– Elle est allée à l'opéra.
– Je le sais. Et ensuite ?
– Elle a soupé chez elle.
– Seule ?
– Avec le comte de G…, je crois.
Ainsi ma rupture n'avait rien changé dans les habitudes de
Marguerite.
C'est pour ces circonstances-là que certaines gens vous
disent : « Il fallait ne plus penser à cette femme qui ne vous
aimait pas. »
– Allons, je suis bien aise de voir que Marguerite ne se désole
pas pour moi, repris-je avec un sourire forcé.
– Et elle a grandement raison. Vous avez fait ce que vous
deviez faire, vous avez été plus raisonnable qu'elle, car cette fillelà
vous aimait, elle ne faisait que parler de vous, et aurait été
capable de quelque folie.
– Pourquoi ne m'a-t-elle pas répondu, puisqu'elle m'aime ?
– Parce qu'elle a compris qu'elle avait tort de vous aimer. Puis
les femmes permettent quelquefois qu'on trompe leur amour,
jamais qu'on blesse leur amour-propre, et l'on blesse toujours
l'amour-propre d'une femme quand, deux jours après qu'on est
son amant, on la quitte, quelles que soient les raisons que l'on
donne à cette rupture. Je connais Marguerite, elle mourrait plutôt
que de vous répondre.
– Que faut-il que je fasse alors ?
– Rien. Elle vous oubliera, vous l'oublierez, et vous n'aurez
rien à vous reprocher l'un à l'autre.
– Mais si je lui écrivais pour lui demander pardon ?
– Gardez-vous-en bien, elle vous pardonnerait.
Je fus sur le point de sauter au cou de Prudence.
Un quart d'heure après, j'étais rentré chez moi et j'écrivais à
Marguerite :
« Quelqu'un qui se repent d'une lettre qu'il a écrite hier, qui
partira demain si vous ne lui pardonnez, voudrait savoir à quelle
heure il pourra déposer son repentir à vos pieds.
« Quand vous trouvera-t-il seule ? Car, vous le savez, les
confessions doivent être faites sans témoins. »
Je pliai cette espèce de madrigal en prose, et je l'envoyai par
Joseph, qui remit la lettre à Marguerite elle-même, laquelle lui
répondit qu'elle répondrait plus tard.
Je ne sortis qu'un instant pour aller dîner, et à onze heures du
soir je n'avais pas encore de réponse.
Je résolus alors de ne pas souffrir plus longtemps et de partir
le lendemain.
En conséquence de cette résolution, convaincu que je ne
m'endormirais pas si je me couchais, je me mis à faire mes
malles.

Source: http://www.ebooksgratuits.com

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