Comme toujours, c’est l’absence de nuances qui est source de malentendus.
Devant un pouvoir, devant une pensée dite « unique », conformiste et avilissante, comment ne pas reconnaître les vertus du non, qui refuse de se couler dans un moule qui dissout la personnalité ?
La question est que cette sublimation du non s’exprime dans la généralité, dans un cadre universel sans aucun fondement concret. La liberté ne serait alors possible que dans l’opposition ?… Toute adhésion à une volonté ne pourrait être que suspecte !... Dire non pour des broutilles est dérisoire.
Comment ne pas penser à Pierre Dac qui popularisa dans son « Os à moelle » la devise « Contre tout ce qui est pour ; Pour tout ce qui est contre. » Mais l’humoriste était homme de convictions. Dans sa vie d’homme de chair et d’os il fut capable de s’opposer au nazisme et au pétainisme, et il sut adhérer à la refondation de la France, pendant la guerre et après celle-ci.
Car les slogans, s’ils sont flamboyants, ne peuvent entraîner que les falots qui bougent au vent…. Toute personne réfléchie et sincère ne peut que faire la part des choses, sachant que l’important n’est pas dans les proclamations jetées en l’air, mais dans les faits, au moment où les choix se font, quand ils sont fondamentaux et qu’ils engagent la vie.
Personne ne peut dire qui, lorsque le moment de ce choix viendra, se comportera en héros ou en velléitaire. Ceux qui s’affichent en futurs héros quand ils ne risquent rien, que deviendront-ils quand le non ou le oui prononcés deviendront décisifs ?... Combien d’anonymes que rien ne prédisposait à cela se sont comportés héroïquement dans la vie et… combien de fanfarons ont des comportements piteux le moment venu !…
André Malraux dans son éloge à Jean Moulin à l’occasion de l’entrée de ses cendres au Panthéon, disait son admiration pour ceux qui s’étaient tus sous la torture, mais il leur associait ceux qui avaient parlé, qui n’avaient pas pu résister, car leur faiblesse finale n’enlevait rien à leur courage.
Si l’occasion fait le larron selon l’adage trivial, ce n’est que devant les choix de vie cruciaux que se manifestent les individualités et les caractères forts. Ce n’est qu’alors que les non exprimés prennent leur importance, car ils ne sont pas sans conséquences pour soi et pour les siens. Cela n’a rien à voir avec les fanfaronnades sans risque de ceux qui disent « moi je ne… moi je… » en se projetant sur des situations hypothétiques.
Dire non dans certaines circonstances exceptionnelles demande courage et mise en danger. Dire non par principe dans la vie courante banale est une péripétie sans valeur. Cela ne prédispose pas pour autant à se comporter de la même manière quand les risques seront réellement établis.
Un non purement négatif est facteur d’aigreur. C’est une action stérile et asociale. Il ne débouche que vers le doute destructeur. Dire toujours non à tout est un principe nihiliste, qui refuse le présent sans ouvrir vers le futur. C’est un principe destructeur qui n’apporte rien à l’amélioration de la condition humaine.
Dire non n’est fécond que si cela s’accompagne du oui qui constitue un engagement vers le futur. Un non digne de respect ne le sera que quand il débouchera sur le oui positif d’un idéal à construire.
Mes analyses, si elles sont dures, restent toujours optimistes. Je ne renoncerai jamais à croire que l’on doit dépasser la critique et que, s’il faut dénoncer lucidement ce qui est condamnable, cela n’empêche pas , bien au contraire, d’aller vers l’idéal, utopique ou non, mais qui ne doit jamais rester inféodé à des gens qui nous manipuleraient.
Lucidité, bonne appréciation des réalités, mise en cause des réactions des uns, des autres, avec un esprit critique qui ne se laisse pas bercer d’illusions… Tout cela est nécessaire, mais je refuse d’en rester là… L’analyse de la réalité nécessite l’ouverture vers l’avenir, vers le progrès, un appel à dépasser la situation décrite et à avancer vers le mieux.
Je ne crois pas que l’on puisse bâtir sans regarder l’existant. Regarder l’existant ne veut pas dire l’encenser et l’approuver, mais l’examiner sans parti pris. Il faut souvent s’opposer. Il faut fréquemment condamner, mais on ne peut pas en rester là !... Ce qui est le cas des thuriféraires du non. Il faut parfois détruire, mais cela n’est valable que si l’on construit après…. Construire ou reconstruire avec un esprit nouveau, mais en s’engageant par un oui positif franc et volontaire.
Cela manque trop souvent dans les professions de foi que j’entends autour de moi sur la grande valeur du non qu’on serait capable de dire ! Oh, combien j’aimerais entendre alors afficher le oui qui engage !... Pourquoi ne se vanter que du non destructeur et si peu du oui constructeur ?... Pourquoi le non du refus prend si souvent le pas devant le oui de l’engagement ?...



Raymond BELTRAN
Le 07 juillet 2010