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LA TERRE PROMISE

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Christian Martin est né, a grandi, a étudié et vit toujours dans les Cantons de l'Est, au Québec, Canada.
Au cours des années, il a écrit nombre de nouvelles parues au Québec et en Europe.




Texte ou Biographie de l'auteur

Il s'intéresse à l'histoire et à la généalogie de sa famille depuis plusieurs années. Aimerait posséder une machine à voyager dans le temps pour aller serrer la pince de ses ancêtres.

Compose musique et chansons à ses heures, pour le plaisir.

Les Éditions de L'À Venir présentent: “La Terre promise”, un texte de Christian Martin.

Rouge. Rouge. Rouge. Clignotement. Alerte. Pas un son à part ce curieux grésillement
provenant de derrière, à gauche. Et toujours ce clignotement muet, rouge, d'alerte. Comme une plaie ouverte d'où gicle le sang à chaque battement de coeur. Et l'autre, le voyant vert, s'entête dans sa constance comme pour souligner encore le caractère d'urgence du clignotement rouge.
Si, en ce moment, on me présentait un miroir, ma perplexité m'effraierait. J'ai toujours un air féroce lorsque je suis soucieux. Pourtant, obnubilé par le clignotement rouge, mon cerveau tourne à vide.
Tant de concentration pour en arriver à:

« Ça ne devrait pas clignoter comme ça! ».

Chaque explosion tache de rouge les parois de la cabine. J'ai l'impression que jamais je n'arriverai à nettoyer tout ce rouge.

Après un moment, je remarque l'absence soudaine du grésillement. Un relent d'électronique grillée me baigne.

Je détache enfin mon regard de la blessure qui pulse. Dehors, sur la fenêtre d'un écran, la nuit étoilée, perpétuelle, cosmique. Un vertige me saisit. Et la nausée remplit mon vide intérieur. Je ferme les yeux.


Légère poussée, et je m'éloigne de la console blessée. Flottant sur l'air, dans ce fauteuil qui m'a accueilli à l'heure du départ et que jamais, depuis, je n'ai quitté. J'approche du panneau.


Les circuits sont calcinés.

Un sourire désabusé masque ma lassitude. J'aspire au retour du sommeil cryogénique dont la procédure d'alerte m'a extrait. Bienfaits de l'inconscience sur mon âme torturée...

Elle était douce la Femme dans mon lit de pétals de roses rouges et blanches. Ils étaient tendres nos baisers, nos caresses devant un holoviseur muet. Ma main ouverte dans ses cheveux soyeux.
Son visage abandonné au langage de mes doigts. Mon coeur battant au rythme du ressac de son souffle.
Ses yeux fermés contemplant la chair de mon amour, y goûtant à pleine peau.


Elle était blanche la femme dans son linceul de soie. Froide déchirure gelée, durcie. Plus un souffle de vie. Plus jamais elle ne frémirait sous les caresses de mon coeur. Plus jamais elle ne boirait à la tendresse de mon regard. Quelque chose alors s'était brisé en moi. Un ressort éclaté.
Il y a des siècles. Pour moi, c'était hier.

L'ordinateur de bord enclenche une lumière crue, sans égard pour l'intimité de ma peine qui s'échappe de mes yeux. Il l'a estimée nécessaire à la réparation, le rustre. Je jure et plonge mon visage dans mes mains. Seul moyen de conserver un semblant de décence et de sentir enfin mes pleurs sur mes joues. L'absence de gravité n'a pas que des avantages...


L'ordinateur a décelé de l'humidité dans mon environnement. J'entends le suceur au long cou sortir de sa niche. Il cherche à m'assécher.


Il aspire mes larmes.


Ne comprend-t-il pas que ce dont j'ai besoin ce sont de points de souture cardiaques?...
Comment le pourrait-il?... Il s'acharne.
La rage a chassé les pleurs. Je voudrais tordre le long cou du suceur, l'arracher à sa niche de métal. Je voudrais fracasser mon poing sur le voyant d'alerte et éclater mon crâne sur les paroies glacées.
Mais tous ces gestes vengeurs sont vains et ridicules en apesanteur. De plus, comme si cela ne suffisait pas, je suis ficelé dans mon fauteuil, réduit à l'impuissance. L'ordinateur de bord veille sur moi... à mon bien-être!
Je crispe les poings. Le fauteuil me ramène vers le panneau ouvert. En moi bout l'envie d'arracher un à un tous les circuits. Faire de la capsule une épave aussi délabrée que mon être. Les senseurs de l'O.C. l'ont captée. Les ceintures de mon siège se resserrent encore. Impossible de bouger, désormais. Même pour me gratter.
Je me calme... Je me résigne... Les liens se relâchent. Que serait-il advenu si j'avais pu vider la coque de toute vie électrique? Je serais mort, assurément, de froid ou à bout d'oxygène. Fin des souffrances, fin du cauchemar de chaque éveil.


Nous formions un drôle de couple, moi journaliste à la petite semaine, elle bras-droit de l'éminent professeur Bérard; elle avait été aux premières loges du projet Terre Promise. Les recherches du scientifique avaient fait du bruit, à l'époque. Il prétendait, alors que l'on était encore qu'aux balbutiements de l'exploration spatiale - on sortait à peine du Système Solaire -, être sur le point de découvrir la clef du voyage à la vitesse de la pensée, le voyage instantané. Bérard, par cette affirmation, avait attiré les quolibets. Furieux de la réaction de ses pairs, il s'était retiré du milieu scientifique et avait poursuivi ses expériences, solidement secondé par son équipe.
Que de fois Sue était rentrée, désenchantée, voulant tout plaquer! Je la prenais alors dans mes bras, la réconfortais, l'encourageais de mon mieux. Le lendemain, tôt, elle repartait au boulot.
Un soir, plutôt une nuit, elle m'avait éveillé, frénétique.

Nous avons réussi! Eh! Tu m'entends? Nous avons réussi! Demain, c'est le grand jour!
L'expérience ultime!

Dans un demi-sommeil, j'avais marmonné de molles félicitations et m'étais rendormi aussitôt.
Le lendemain, elle avait déjà quittée la maison lorsque j'avais ouvert les yeux. Elle m'avait laissé un petit mot tendre sur le babillard électronique.


On m'avait vidéophoné au boulot. Bérard en personne. Un accident. Explosion du
déstabilisateur moléculaire expérimental, avait-il dit. Sue avait été désintégrée sur le coup. Mais Bérard était certain que l'expérience avait tout de même réussie, qu'avant l'accident, Sue avait voyagé dans l'espace à la vitesse de la pensée. Il en aurait mis sa vie en jeu. Je le revois encore, avec ses yeux de chiens battus, qui m'explique que le problème était l'impossibilité de ramener ma compagne.

- Vous comprenez, avec l'accident...
- Non, je ne comprenais pas. Je ne voulais pas, je ne pouvais pas comprendre.


J'ai pris longtemps avant de saisir toutes les implications des paroles de Bérard. Lorsque j'ai finalement réalisé que Sue ne reviendrait plus, je me suis effondré. C'est le désespoir qui me fit foncer chez Bérard, cette nuit-là. Il est aussi responsable de ma présence à bord de cette boîte de conserve intersidérale. Le professeur Bérard avait su faire miroiter un lambeau de clarté devant mes yeux de
naufragé. Et, lorsqu'il m'avait offert la place, je l'avais saisie à pleines mains. Il m'avait chargé de vérifier une théorie; Bérard croyait que par le trou noir j'atteindrais la Terre Promise... 'Folie!', s'étaient écriés les scientifiques de Terre lorsqu'ils avaient eu vent du projet. 'Blasphème!', avaient hurlé les religions
officielles. 'Suicide!', avaient lancé mes confrères de travail. Et pourtant, pas une fois je n'avais hésité. Ce trou, ce vide, ce néant que laissait en moi l'absence de Sue m'était insupportable. Tout me paraissait préférable! Même la mort! Mais, pour être honnête, je n'avais pas réfléchi. Je m'étais précipité sur la seule
parcelle d'espoir qu'on m'offrait de retrouver Sue.

Aujourd'hui, j'ai mes doutes. Je n'avais pas compté avec le poids de la solitude qui m'écrase lors des périodes d'éveil. Je n'avais pas compté, non plus, avec la douleur toujours aussi cuisante, à chaque réveil. Et Dieu sait qu'ils ont été nombreux, ces réveils! Il y a toujours quelque chose qui cloche, sur cette canisse! Mon unique protection contre la folie réside en ce fragile espoir de revoir Sue un jour.


Je m'attèle au remplacement des circuits grillés en ne sachant trop si je dois bénir ou maudire la duperie de l'espoir.

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