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Illustration: Lâchez-moi ! - valéry le bonnec
Site de l'auteur

Lâchez-moi !

(Version Intégrale)

Enregistrement : Audiocite.net
Publication : 2008-05-02

Lu par Ka00
Livre audio de 55min
Fichier Mp3 de 50,2 Mo

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Né en 1975, ce breton d'origine se sert de ses séjours dans de nombreuses régions françaises pour alimenter ses textes.





Valéry Le Bonnec

Lâchez-moi !

1.
Je sais pas ce qui va se passer pour moi maintenant. Ce qui va m'arriver.


- Ne me raconte pas d'histoire ! dit le principal. La gendarmerie est en route, ils ne vont pas tarder maintenant.
Je bougonne :
- J'en ai rien à faire.
- Comment ? Peux-tu répéter ? il demande.
- J'en ai rien à faire, je répète plus fort.

Il a pas l'air étonné. Il me connaît un peu. Surtout mon langage. J'suis pas un beau parleur, moi. J'agis. C'est tout. C'est déjà pas mal.
Quelques longues secondes passent. Ou quelques minutes, je sais plus. Il fait chaud dans le bureau du principal. Je transpire, mes fringues me collent dans le dos. J'aime pas ça que mes fringues collent. Ça fait crade.
Je regarde par la fenêtre la neige tomber. Pourtant on est en mars. Vivement que je me tire d'ici.
L'autre, il veut encore me parler avant que les keufs arrivent. Il arrête pas de me poser des questions. Je veux pas trop mais il me saoule trop. Je joue le jeu.
- Tu va être traduit devant le conseil de discipline, tu le sais ?
- Qu'est-ce que ça veut dire « traduit » ?
- Ça veut dire que tu vas passer devant ce conseil.
- Ah !
- Ça te fait quoi ?

Je hausse les épaules. Je m'en fous.
- Tu t'en fiches ?

Mince, il lit dans mes pensées ou quoi, ce mec ?
- Oui.
- Oui ! Il a l'air complètement ahuri.
- Ben oui, je répète.
- Tu sais ce que tu risques ?
- Ben, d'être viré !
- Et alors ?
- Alors quoi ? J'serai viré et voilà ! J'irai dans un autre bahut.
- Où ?

Je hausse encore les épaules. Je sais pas trop. J'ai bien ma petite idée là-dessus mais je suis sûr de rien.
- Ch'ai pas ! Chez mon père.
- Il habite où ton père ?
- Dans le Nord.
- Où ?
- A Denain.
- C'était pas là-bas que tu étais l'an dernier ?
- Si.
- Pourquoi tu es venu ici, alors ?
- Mon père voulait plus de moi.
- Pourquoi ?
- Je faisais trop de conneries.
- Tu faisais trop de quoi ?
- De bêtises.
- Pourquoi crois-tu que tu vas y retourner alors ?
- Ma mère veut plus de moi.
- Elle non plus ?

Je hausse encore les épaules. C'est pas ma faute si mes parents ne s'entendent pas après tout ! Mon père trime dans le Nord, moi j'suis là, en plein centre de la France. Pourri.

- Pourquoi tu as frappé ton professeur ?
- Ch'ai pas.
- Allons, tu as bien une raison de l'avoir fait, non ?
- Ch'ai pas, elle m'a saoûlé, quoi !
- Enlève les mains de tes poches.

Je les enlève avec regret. Je sens le contact de l'objet entre mes doigts. C'est froid et chaud à la fois. Une agréable sensation. Il a rien vu quand j'ai croisé les mains derrière mon dos.

Au loin, j'entends des sirènes hurler. Sans doute les flics. Ils vont débouler d'une minute à l'autre.

- Raconte moi, répète le principal.

2.

Je croyais pas ma vie plus noire que celles des autres. Pas plus rose non plus d'ailleurs, fallait pas exagérer. Je vivais avec ma mère et mon petit frère. Un appartement, petit lui aussi dans une ville petite aussi. Tout était donc petit ici. Petite vie.
Il était gentil, mon petit frère. J'aimais bien m'occuper de lui. Il avait huit ans, cinq de moins que moi. J'le gardais souvent. Du coup, malgré notre différence d'âge on était très proche. Le mercredi, avant qu'il aille au foot, on regardait des films à la télé. J'pouvais pas trop l'aider pour les devoirs, vu que j'étais pas bon. Il s'débrouillait tout seul alors.
L'année dernière, on a été séparé. C'était un peu difficile mais on s'téléphonait tous les samedis. J'étais avec mon père. Ma mère m'avait renvoyé chez lui. Pour faire moins de bêtises, elle disait. Pour avoir des repères aussi. C'était un gitan, mon père. Du moins un ancien gitan. Il avait quitté son clan pour bosser dans le nord. Usine fermée. Chômage.
On glandait tous les deux. Il vivait de ch'ais pas quoi. Moi, j'foutais rien au bahut. Ou plutôt si, j'faisais que des conneries. Enfin, des bêtises comme dirait l'autre là, le principal.
Lesquelles ?
Oh bof ! En cours, j'discutais avec les potes, rien d'méchant. On parlait, c'est tout. J'avais jamais mes affaires. Pas de cahier. Pas de livres non plus. Pas de classeurs, pas de crayons. J'avais rien. Avec quel fric mon père les aurait payés de toutes façons ? On préférait garder le peu qu'on avait pour bouffer le soir. Pas de gros banquets, juste de quoi s'entretenir.

Donc, j'foutais rien et les profs me viraient de leurs cours. Alors moi, j'aimais pas ça qu'on me foute à la porte ; j'râlais après eux. Dès fois, j'les insultais.
Mon père était souvent convoqué au collège. Au début, les trois premiers mois, il allait aux rendez-vous. Après, il en a eu marre. Il allait plus du tout. « Débrouille toi avec eux ! » il me disait.
« C'est toi qui te fous dans la merde ! T'as qu'à t'en sortir tout seul ! »
Moi, j'aimais pas ça non plus qu'il me dise ça. Ça me mettait en rogne ! Alors, souvent, j'me barrais en claquant la porte. J'allais traîner dehors, m'exciter. C'était bien dehors.
Mais Denain, putain qu'est-ce que c'est mort !
Surtout l'hiver.
Alors, je traînais. Quelques fois, je trouvais des potes. La plupart rentrait tranquillement chez eux pour manger avec papa et maman mais quelques fois, y'en avait bien un ou deux pour faire comme moi. On rouillait dans les rues. Une bière à la main. On discutait de tout, de rien, de cette vie de merde qu'on vivait tous les jours. De la mort aussi. Sans doute que c'était mieux de ce côté-là. On savait pas trop, quoi. Mais on était sûr que ça pouvait pas être pire.
On squattait les parcs et les jardins publics. Quand on voyait les flics, on se planquait. Y nous cherchaient pas forcément mais bon, on sait jamais. Des ados dehors à n'importe quelle heure, ça le faisait pas trop !

On disait que je fuguais souvent et qu'y fallait me mettre en internat ou quelque chose de ce genre. J'm'en foutais moi. C'était pas des vraies fugues. Je revenais toujours. Où est-ce que j'aurais pu aller autrement ? J'étais pas assez con pour aller crever comme un chien, dehors !
C'est vrai, je revenais toujours.

3.

Le principal s'est assis derrière son bureau maintenant.
Cool, je m'suis dit. Il peux rien voir de ce que je manigance. Un bon point pour moi. Ouais, cool ! J'ai pas l'habitude des bons points. Personne m'en donne. Celui-là, c'est moi qui me l'suis attribué. Faut bien quelqu'un pour le faire, non ? Mon père m'a toujours dit qu'on était toujours mieux servi par soi-même, ou quelque chose du genre, alors…
Alors, j'ai pris ça au pied de la lettre comme on dit. Compter que sur soi, en quelque sorte.

A Denain, mon père y m'laissait tout faire. J'étais peinard.
Souvent, il traînait dans les bars, il jouait aux cartes avec des potes et rentrait complètement caisse. J'dormais pas la plupart du temps mais j'faisais semblant pour pas qu'il vienne me parler. J'avais pas envie de sentir sa vinasse. Ça m'dégoûtait.
Quelques fois, il m'disait qu'il avait trouvé un job. Loin. Il partait trois-quatre jours, comme ça, d'affilée. Avant, il faisait quand même les courses pour qu'je puisse manger. Et puis, il revenait. C'était la fête ces moments là. On mangeait bien. On achetait même des pizzas ! C'était drôlement bien, ces moments là !
Mais, hélas comme tous les bons moments de la vie, ça dure jamais ça. Y'a que les imbéciles pour croire le contraire.


4.

Je sens le liquide couler. Tout chaud. J'essaye de le dissimuler tant bien que mal en mettant les pieds dessus pour pas que le principal du collège le voit. Il va m'faire une scène autrement. Donc, je planque ce que j' fait. Vaut mieux pour moi, j'ai assez d'ennuis comme ça pour le moment. Faut pas en rajouter trop, tout de même !
- Et M. Del Mar ?

Il veut parler de mon éduc' Maintenant. Pas sympa, le lascar, un chiant même qui s'invite chez moi tout le temps et qui veut me parler de mon avenir, de l'école, de mes potes. Il me parle prison, délinquance, baston et tout et tout. J'en ai rien à faire de ce qu'il me dit mais je fais semblant.
Du coup, il croit que je l'aime bien. Oui, je fais semblant de l'écouter mais en fait, je fais rien de ce qu'il me dit. Il me prend pour un innocent sans cerveau ! Je veux pas le contredire ! Dès que je sèche les cours (au moins deux fois par semaine)le bahut l'appelle. Il est au courant et me demande des explications. Je lui raconte des craques. Un coup, j'ai mal lu mon emploi du temps, un autre on m'dit que le prof est absent, une autre fois je dis que je m'suis trompé de groupe. Bref, y'a pleins d'astuces pour faire péter les cours. Rien de plus simple.
- Ben quoi ?
- Depuis quand tu l'as pas vu ?
- Ch'ai pas. Deux semaines, peut-être.
- Il t'a dit quoi la dernière fois que tu l'as vu ?
- Que j'allais être placé dans un foyer.
- Ça t'as fait quoi ?
- Bof, je fais en haussant les épaules. Je sais pas trop quoi penser. C'est pas à moi de décider ce genre de chose.
- Tu t'en fiches ?
- Si il faut…
- C'est pas facile de discuter avec toi.
- Ben quoi ! Vous voulez que j'vous dise quoi ?
- Je ne sais pas. Ce que tu penses de ta situation ! ?
- Personne veut de moi. J'ai bien compris, j'suis pas stupide !


5.

Dehors, la neige ne tombe plus.
J'me comprends plus depuis que je suis ici. Avant, ça allait. Encore que…maintenant c'est pire que tout. J'déconne à pleins tubes, je sais. Mes copains, ils me disent d'arrêter. Ils disent que c'est pas bien ce qu'j'fais. Je sais aussi, que c'est pas bien. Mais j'peux pas m'en empêcher. C'est plus fort que moi. Je sais que si je continue, j'en aurai plus, de copains. C'est comme ça. Un jour, ils voudront plus de moi. Mais bon ! Qu'est-ce que j'y peux, moi, si ils veulent plus de moi ? Hein ? Qu'est-ce que j'y peux ? Ils disent que j'fais peur aux autres. Que j'les terrorise ! Voilà autre chose ! Comme si j'étais un de ces monstres sanguinaires qu'on trouve dans les films amerloques.
Faut qu'j'fasse des efforts, je sais. J'en ai marre à la fin ! Tout le monde me le dit, ça : ma mère me dit de faire des efforts, mon père me dit de faire des efforts, les gendarmes aussi, ils me disent ça. Même mon éduc et les profs disent la même chose. J'dois faire des efforts dans la rue, à l'école, à la maison. C'est trop dur ça ! J'peux pas faire des efforts partout. Y sont pas bien, eux ! Je viens de loin quand même !


6.

Un soir, j'ai un peu bousculé ma mère.
Je veux pas raconter cette histoire. J'ai trop honte de ce que j'ai fait. Je sais pas pourquoi mais maintenant, en voyant les deux gendarmes entrer dans le bahut, j'ai besoin de raconter ça.

Ça n'allait pas à la maison, je l'ai déjà dit plein de fois. Mon petit frère lui, ça allait plutôt pas mal. Oh ! Il avait pas des supers notes mais au moins, il se tenait bien en classe. Il jouait au foot tous les mercredis et tous les samedis. Il traînait pas dans la rue. Un petit gars bien, en quelque sorte. Ma mère arrêtait pas de le répéter. Ça m'énervait. En plus, dès qu'il osait répondre, elle lui disait qu'il allait devenir un petit délinquant comme son grand frère !
Donc, ce fameux soir, elle a encore seriné ça au frérot. En plus, elle avait un coup dans le nez. Elle puait le whisky et butait sur tous les mots. C'était affreux ! Elle disait n'importe quoi, comme quoi, c'était de ma faute si elle s'était fait virer par le passé et que même son patron actuel allait en faire de même, que je lui causais pleins de problèmes, qu'on allait se faire jeter de l'immeuble…là, elle avait pas tout à fait tort. C'était de ma faute, quoi !
Je venais de brûler les poubelles dans le local. C'était pour m'amuser. Je croyais pas que ça allait cramer comme ça ! Mais y'a un connard de voisin qu'avait foutu des herbes sèches là-dedans. Ça s'est enflammé ! Pfuit ! Un vrai feu de la saint-Jean ! C'était beau, mais j'ai flippé quand même !

Après, c'était la valse des pompiers, les voisins qui voulait m'étriper, les gendarmes qui m'ont interrogé…
Du coup, le proprio de l'immeuble a voulu nous virer. La pression des voisins, quoi. De toutes façons, ceux-là, ils pouvaient pas nous blairer. Une femme seule avec deux gosses, forcément ça cache quelque chose, ça correspond pas à l'image de la bonne petite famille. Ça dérange.
Ma mère, ce soir-là m'a engueulé. Une fois de plus. J'ai pas supporté et j'ai serré ses bras avec mes mains et je l'ai secouée très fort en lui hurlant de se taire.
Son visage à ce moment m'a paniqué. Je l'avais jamais vu comme ça. C'est là que j'ai compris que j'avais déconné. Elle pleurait, elle flippait vraiment.
Je l'ai lâché, j'ai pris mon blouson et je me suis tiré de la maison.
Je savais que j'avais fait n'importe quoi mais j'avais pas envie qu'on me le dise. J'ai marché longtemps ce soir là. Il faisait très froid dehors mais je sentais rien. Mon corps bouillait. J'en pouvais plus de cette situation. Je me dégoûtais. J'ai réfléchi pendant que la pluie m'inondait. J'avais envie d'être comme tout le monde. Je voulais faire des efforts. Mais non. A chaque fois, c'était pareil. C'était plus fort que moi. J'arrivais pas à me maîtriser. Mon cerveau déraillait.

Et puis y'a une discussion qui m'est revenue. J'avais surpris mon éduc' avec un prof. Ils parlaient de moi. J'ai entendu quelques mots, y disaient que mes parents me refilaient l'un à l'autre, que j'étais une patate chaude.
Sur le coup, j'ai pas très bien compris.

Maintenant je sais qu'à cause de moi, ils s'engueulaient tout le temps.

7.

Je sens que ça ne va pas trop.
J'ai envie de m'asseoir par terre, m'allonger même et attendre que ça se passe.
La tête me tourne, j'ai l'impression d'être dans un de ces manèges où l'on a toujours la tête à l'envers. Projeté dans les airs, dans tous les sens mais jamais dans le bon. Je suis perdu. Je sais plus où je suis. Je me sens de plus en plus mal. Il faut que je fasse quelque chose.
Le principal, bien installé dans son fauteuil derrière son bureau ne voit que dalle. Il ne se doute de rien.
J'essaye de maintenir les yeux grands ouverts mais je sens qu'ils sont de plus en plus lourds.
Je commence à trembler maintenant. Je transpire aussi. Oui, vraiment je suis dans un sale état. Et ce liquide qui continue à couler. Chaud comme de la pisse, épais comme du sang.
J'ai envie de gueuler, de crier, de m'effondrer, de partir quoi ! D'être ailleurs.
Un silence s'installe. Le principal me regarde, j'essaye de parler à nouveau mais rien ne vient. J'arrive pas à ouvrir la bouche. Je fais un gros effort.
Pile poil à ce moment, je me ressaisis. Ça y est, ça revient.


8.

- Peux-tu m'expliquer ce qu'il s'est passé en maths ?
- Ben, j'ai cogné la prof.
- Pourquoi ?
- Je sais pas, je réponds en haussant les épaules une nouvelle fois.
- Tu dois bien avoir une raison, non ? Je te connais. T'as jamais tapé quelqu'un auparavant. T'es pas violent avec les adultes d'habitude. Alors ? Qu'est-ce qu'il s'est passé aujourd'hui ?

J'ai plus aucune force pour parler. Je fais un effort. Je prend ma respiration et j'me lance. C'est pas facile mais j'y parviens :

- Elle voulait m'virer parce que j'avais pas mes affaires.
- C'est tout ?
- Elle a insulté ma mère.
- Et qu'a-t-elle dit ?
- Elle a dit que j'étais mal élevé. J'ai pas supporté. On n'insulte pas ma mère. J'lui ai foutu une petite claque, c'est tout !


J'ai dit ça comme ça et je sais pas ce qu'il lui prend, au principal, il bondit sur moi comme un fauve. Je crois qu'il veut me frapper ! Il s'excite comme un beau diable. Il est devenu tout rouge et m'engueule comme jamais. Je sais pas trop ce qu'il dit, j'comprends pas tous les mots mais en gros ça veut dire que j'suis qu'un petit merdeux et que les flics vont me régler mon compte comme je le mérite.
Et patati et patata.

Quelques minutes, s'écoulent. Il se calme. Je l'entends souffler comme un bœuf. Ouais, j'ai vraiment dû l'énerver. Il se rassoit devant son gros bureau de ministre. Je trouve qu'il se la pète un peu. Mais bon, ça doit être ça les chefs !

- Sais-tu les risques que tu encoures ?
- Ben non !
- Si Madame Ourion porte plainte tu peux être poursuivi par la justice. Il y a des peines de prison pour ce genre d'actes.

Et alors ? je pense. C'est pas moi qui les fais, les lois !
Je me sens partir tout à coup. Je crois que je vais m'évanouir. J'essaye de tenir bon.
La sueur coule de mon front. De grosses gouttes énormes.
Là, il remarque ce que je manigance depuis toute à l'heure. C'est pas trop tôt. Un peu long à la détente, le bougre.


9.

La brume est épaisse.
Le sol bouge. J'ai l'impression d'être au milieu d'une toupie.
Parfois, je cligne des yeux. Je distingue des formes. Des chaussures. En cuir pour la plupart. Y'a celles, ringardes du principal. Montantes avec des lacets noirs. Y'en a d'autres aussi. On dirait des Rangers, comme les militaires. Y'en a au moins six.
J'les connais ces pompes. J'les ai déjà vues.
La première fois, c'était le mois dernier.

J'avais voulu piquer des vélos dans des garages privés au bas de l'immeuble. J'étais avec trois copains ce jour-là. Au début, y'avait pas de risques. Des petits cadenas seulement à ouvrir, on piquait les vélos et on s'barrait avec. Sauf que ça a mal tourné. Y'avait un vieux qui traînait dans son garage à côté. Il bricolait je ne sais quoi, des maquettes je crois. Forcément, il faisait pas de bruit, ce lascar là ! Sauf que nous, on l'avait pas vu que son garage était pas fermé. On a commencé notre affaire juste à côté. On avait un peu peur mais on rigolait comme des ânes, pour faire comme les grands. Histoire de dire qu'on s'en fichait et qu'on avait pas peur des flics.
Mais le vieux, lui il nous a vu. Il avait un téléphone portable et il a appelé les poulets, sans qu'on s'en rende compte.
On n'avait pas fini qu'ils étaient déjà là. Flingues à la main et tout le touin-touin ! On voulait pas s'rendre, alors on s'est planqués au fond d'un garage. Ça n'a pas duré plus de cinq minutes.
On est pas des balèzes. On avait beau faire les durs, on a flippés quand même !
Un quart d'heure plus tard, on était au poulailler. Par bonheur, personne n'a porté plainte et on s'en est sorti avec une bonne admonestation.
C'est là que j'ai repéré leurs godasses pour la première fois. Pendant que je me faisais sévèrement engueuler, je baissais la tête. La vue en plein sur leurs godillots de l'armée. Ils devaient pas être à l'aise là-dedans. Mais ça c'était une autre histoire.


10.

Je vis pas dans une cité craignos. Je l'ai déjà dit, je crois. Faut pas exagérer, je suis pas un « cas soc' », moi ! On a un petit appart dans une petite résidence. Ma mère ? Elle est infirmière à l'hôpital du coin. Elle bosse le jour, elle bosse la nuit aussi. Je crois bien maintenant qu'elle bosse tout le temps. Chien de métier. Elle est dispo pour les autres, toujours. Pour les brûlés et les blessés, les cancéreux et les sidéens. Elle les écoute, les soigne, panse leurs souffrances.
Quand elle rentre, elle est naze et ne pense qu'à pioncer. Faute à une dure journée, dit-elle. Elle fait ce qu'elle peut pour moi, j'en suis sûr. Moi, je trouve que c'est jamais assez. On en veut toujours plus quand on est jeune. Du coup, j'ai l'impression de la gêner, de la déranger. Bref, d'être de trop. Je m'en veux d'être là, collé à ses basques. Comme un boulet de bagnard.
A ce moment, le principal, il dit que j'ai fait ça pour me rapprocher d'elle. Pour qu'elle s'occupe de moi. Il a peut-être raison. J'en sais rien, moi.

Dès fois, elle part « vider son sac », dit-elle. Ça coûte cher. Elle se plaint tout le temps de ce type avec qui elle parle et qui lui pique des sous. Mais elle y va souvent. Elle a un compte à régler avec ma naissance. Je sais pas trop ce que ça veut dire. Il paraît que je suis né trop tôt et qu'on m'a mis dans une sorte de cuve transparente. Elle pouvait pas me toucher. J'avais des tuyaux partout et elle est sortie de la maternité sans moi. Toute seule. Mon père bossait loin. Elle a pas supporté. Elle en parle tout le temps. Je sais que ça lui fait du mal.
Cette solitude, ça lui a pesé lourd. Elle en est devenue presque folle. Mais je suis là.

Y'en a qui démarrent mal dans la vie. C'est mon cas, je crois.


11.

Après les rangers, voilà d'autres pompes qui viennent autour de moi. Des noires, des blanches mais toutes des montantes. J'entends pleins de voix que je connais pas du tout. Ils m'encerclent, me parlent, me donnent des claques, essayent de me parler. Je dis rien. Je crois que je sombre dans l'inconscience. J'ai l'impression d'être sur un nuage. J'entends leurs voix mais je ne distingue pas ce qu'ils me disent. J'ai pas envie de répondre de toutes façons. Je veux qu'une chose : qu'ils me laissent tranquille. Qu'ils me lâchent un peu la grappe ! J'en ai marre qu'on tourne autour de moi.
Je crois comprendre un type qui dit : « il est où son cutter ? »
Après ? Plus rien, le vide total. Je dois être en train de mourir. Ou plutôt non, je m'évanoui. Puisque je suis là à vous parler de ma vie, c'est que je suis encore un peu vivant, non ? Il y a encore un peu de moi qui vit. Oui, je le sens. Merde !


12.

Maintenant, je marche le long d'un couloir blanc. Il y a une rambarde sur laquelle je m'appuie pour avancer. J'ai encore du mal à marcher tout seul. Il y a un gros bandage qui m'entoure le poignet. Trace de ma tentative.
Il paraît que j'ai perdu beaucoup de sang et que j'ai eu de la chance de pas clamser. La chance ! qu'ils me disent. Ouais, c'est ça. La chance.
Quand on démarre mal dans la vie, c'est pour tout le temps. C'est dur d'inverser la machine, quasi impossible même.
Ça fait quelques jours que je suis là. Entre les visites des médecins et du psyquelquechose, j'ai le temps de me promener dehors. La neige a fondu. Mes copains viennent me voir après les cours. Ils m'apportent le travail à faire. J'en ai rien à foutre de toutes façons, je vais être viré du bahut. C'est sympa de leur part mais je lis même pas les leçons.
Ils me demandent pourquoi j'ai fait ça. Ça me saoule de répondre.
Les flics aussi me demandent ça.
Ma mère m'a posé la même question.
Les toubibs aussi. Décidemment, ils se sont tous mis d'accord pour m'emmerder !
J'ai pas envie de répondre à ça maintenant. Surtout pas à eux, encore moins à ma mère, elle pourrait pas supporter. Ils pourraient pas comprendre de toute manière. Personne peut comprendre ce qu'il se passe dans ma tête. Même moi j'ai du mal à me comprendre, alors les autres…
« On veut t'aider ! »
« On a besoin de ton aide ! »
Faut savoir ! C'est eux ou c'est moi ? Qui a besoin d'aide dans l'histoire ? Putain ! Je comprends plus rien à cette vie de chien !


13.

Tout le monde a peur que je recommence mes bêtises. Surtout les médecins. Ça ferait tâche un suicide en plein hôpital. Du coup, ils me donnent des couteaux et des fourchettes en plastique, c'est pratique pour manger leur viande dégueulasse ! Ils m'ont aussi mis dans une chambre double. Y'a un gars qui partage ma chambre. C'est pas un suicidaire comme moi. Lui, il bouffe pas. Enfin si, il bouffe un peu mais il va gerber après. Je sais pas comment ça s'appelle comme maladie. Il doit avoir des problèmes de digestion, je pense. Il ne sait pas si il va être opéré. Il est tout maigre. Il s'appelle Damien.
Il va rester quelques temps ici, il m'a dit. Le temps qu'il reprenne du poids. Il se pèse tous les jours. C'est une infirmière qui vient le surveiller. Pour la bouffe, c'est pareil. Mais c'est pas ma mère qui vient. Elle a pris des vacances pour mieux s'occuper de moi. Lui, non plus il n'a pas de couteau en fer. Que du plastique. Ils ont peur que je les lui pique pour me taillader les veines.
Je regarde par la fenêtre ce TGV qui passe sur le pont.
S'ils savaient, les balourds !

Je l'ai croisé une fois près du distributeur à boisson. Damien buvait un coca. Je revenais de l'assistante sociale, encore une fois elle avait baratiné pendant une demi-heure, remplissant des dossiers, cochant des cases…Il m'a demandé si je buvais quelque chose. Il était très sérieux avec sa canette qu'il faisait rouler entre ses mains. J'ai fait comme lui, le mec sérieux :
- La même chose que toi.

Il a mis un euro cinquante dans la machine et il m'a filé le coca. J'l'ai ouvert. Il était glacé. Ça faisait rudement du bien. Il faisait tellement chaud dans le hall. Après, il m'a emmené jusqu'à l'escalier. On s'est assis sur les premières marches. Il buvait de petites gorgés et après, à chaque fois, il faisait la grimace en disant :
- Purée qu'est-ce que ça pique, ce truc ! Je sais pas comment tu peux aimer ça !
- Ben, pourquoi t'as pris ça ? je lui ai demandé.
- Ch'ai pas. Comme ça ! Y' avait pas autre chose.

Puis il a baissé la tête et m'a demandé de quel collège je venais.
- De Camus, j'ai dit. Tu vois où c'est ?
- A la sortie de la ville, près de l'avenue De Gaulle ?
- Ouais ! Pourquoi ?
- Comme ça. T'en as fait toi des conneries.

Je savais pas si c'était une question où si il savait ce que j'avais fait mais j'ai juste dit : « bof, un peu. » Je voulais pas en dire trop à ce moment. Je me suis demandé où il voulait en venir. J'ai rien dit pendant quelques secondes. Lui non plus. A la fin, j'ai craqué :
- Pourquoi tu m'demandes ça ?
- J'ai entendu parler de toi. C'est toi qu'a tapé une prof ?
- Les nouvelles vont vite.
- C'est petit, cette ville. Moi, j'étais au bahut en face du tien. Dans le lycée. Alors tu vois, j'ai des copains. Tout se sait ici. Pourquoi t'as fais ça ?
- Elle me saoulait, quoi ! Et qu'est-ce qu'on dit sur moi ?
- Que t'es un merdeux qui va finir en taule.

J'ai été surpris de sa réponse, je m'attendais pas à ça.
- Ah bon !
- Pourquoi tu fais tout ça ?

On m'avait posé des centaines de fois cette question. J'avais toujours la même réponse. Pourquoi j'aurais changé ? C'était la vérité après tout.
- Ben pour rigoler.

Sur le coup il a fait une drôle de tête puis je lui ai demandé s'il voulait que je raconte une histoire. Il a dit oui.

« J'me rappelle d'un mec à qui j'ai piqué un truc, j'ai commencé.

J'l'ai tiré par les cheveux et j'l'ai traîné derrière les poubelles. Il pleurait comme une gonzesse et essayait de se débattre. Ses bras tournaient dans tous les sens. Il me faisait pitié. Là, j'lui ai demandé son MP3.
Il était tout neuf. J'voulais juste l'essayer. Il voulait pas. J'ai été obligé de faire ça. Il voulait le garder pour lui. J'aime pas ça, qu'on me résiste. J'ai juste mis deux-trois tapes sur la tête. Il avait des larmes partout et tremblait comme une feuille. A la fin, il m'a refilé le MP3. J'l'ai laissé partir comme ça.

J'me rappelle de cette histoire. C'était il y a deux mois environ. »
- Je peux pas croire que tu fais ça pour rigoler, il a dit.

J'ai juste fait : »bof ». C'était comme ça, moi je le croyais.

On passait du temps à discuter. On n'avait que ça à faire de toutes manières. Discuter. Mais là, j'en avais un peu marre de parler de moi. Alors, j'ai essayé de dévier :
- Et toi ? Tu fais quoi au lycée ?
- J'étais en seconde. Maintenant, j'ai plus rien. Il paraît qu'on guérit vraiment jamais de cette maladie.
- Ah bon ! j'ai dit. J'ai trouvé que ça à dire. Il a commencé à pleurer en disant ça. Quand j'ai vu la première larme couler, j'ai eu un peu honte et pitié à la fois. J'ai baissé la tête et fixé une fourmi qui déambulait sur le lino. Je le voyais plus mais je l'entendais renifler.


14.

Une semaine déjà que je suis là. Tous les jours c'est la même chanson. La vieille rengaine plutôt ! Je me lève, je prends mon petit déj'. Après, y'a toute un flopée de types en blouses blanches, avec des crayons dans la poche qui viennent me voir. Ils me parlent pas. Ils sont autour de moi et parlent de moi entre eux. C'est désagréable comme sensation. Je peux pas les voir, ces types ! Ils parlent avec des mots compliqués que je comprends pas.
Après ça, une infirmière vient. Elle est pas belle. Toute ridée et un grand nez. Une vieille fille, je crois. On dirait qu'elle est toujours là. Elle me fait pitié. Elle est gentille et essaye de discuter mais je sens qu'elle me cache quelque chose. Je sais pas quoi encore mais je vais trouver.
Elle veut pas me dire quand je sortirai non plus. Elle me dit toujours : « quand je serai guéri ! » Mais putain, je suis pas malade moi !!!
Après, maman arrive. On parle, on marche un peu dans le parc et après, c'est déjà midi.
L'après midi, c'est plus long. Je m'ennuie. Ils m'obligent à faire la sieste, j'en ai rien à faire de la sieste, alors j'allume la télé. Y'a des émissions débiles. Je regarde mais j'aime pas. Damien, lui il dort. Il ronfle même. Il a pas beaucoup de visite, Damien. Personne même. Seulement quelques coups de téléphone de temps en temps. Je pense que ça doit être dur pour lui, ça.

Après, il y a le soir. C'est long aussi le soir car on mange à six heures. J'ai pas envie de dormir après. C'est trop tôt. A la maison, je me couche vers dix heures. C'est mieux ça.
Dès fois, je sors après le dîner. Là, je peux pas. J'ai pas le droit de sortir.

Maman n'est pas venue aujourd'hui.


15.

Damien, il faut que je parle de lui un peu. C'est mon voisin de lit. On est dans la même piaule. Il est malade, il mange pas beaucoup, il est tout maigre. Ça, je l'ai déjà dit. On s'entend bien lui et moi. On discute beaucoup ensemble. On parle de la vie, de nous, de l'école, de vidéos, de jeux, de tout quoi.
Il est sympa mais pas très rigolo. Il dit toujours que j'aurais pas dû me louper mais qu'il m'admire pour ce que j'ai fait. Je vois pas pourquoi. Il dit que j'ai du courage. Ça me fait plaisir même si je n'y crois pas trop. Il pense que je vais le refaire. Il est bizarre. Un « pessimiste ». C'est comme ça qu'il dit. Je sais pas ce que ça veut dire. Souvent, il dit des mots étrange que je comprends pas. Comme les profs au collège. On dirait qu'ils sont sur une autre planète. Il est plus vieux que moi, il a 16 ans. Ça doit être ça quand on est plus vieux. On dit des mots savants pour pas que les jeunes comprennent mais pour qu'on ait le sentiment qu'ils s'intéressent à nous. C'est fin comme tactique. Il est étonnant, Damien.
- Pourquoi t'as jamais personne qui vient te voir ? j'ai fini par lui demander.
- Mes parents n'ont pas le droit de venir.
- Ah bon !

J'avais entendu ça une seule fois dans ma petite vie, que des parents avaient pas le droit de voir leur enfant. Je lui ai posé la question :
- Ils t'ont battu. C'est pour ça qu'ils ont pas le droit ?
- Non mec, c'est pas pour ça, il a répondu en s'marrant. Viens je t'explique.

En fait, je suis allé m'asseoir sur son lit et il m'a tout dit. Avec des mots simples, cette fois. Enfin, y'en avait bien que j'ai pas compris, comme celui de sa maladie. Il a dit que c'était de l'anneauquelquechose.
- Mes parents ne viendront pas tant que je serai à l'hôpital. Ça fait partie du traitement.
- Ah !

J'ai fait semblant de comprendre.
- Ben oui, j'ai une maladie mentale. C'est psy si tu veux. J'ai besoin d'une rupture avec le milieu familial. C'est surtout les filles qui sont touchées. Mais, y'a quelques gars aussi. J'ai pas de bol, quoi ! Y faut que ça me tombe dessus !

Ben dis donc, je me suis dit ! C'est vrai que ça devait être mental. En fait, il était frappadingue ce gars. Là, j'ai commencé à flipper. Il a vu que j'avais peur. Il a rigolé en me foutant une petite tape dans le dos. Ça m'a fait des frissons. J'en ai eu la chair de poule.
- T'inquiètes, je ne suis pas un tueur. Je vais pas te zigouiller.

Il a essayé de me rassurer. Ça a marché un peu mais cette nuit là, j'ai pas dormi tranquille. J'ai rêvé de tueurs en série et de massacres d'enfants.
Le lendemain, j'étais tout transpirant quand je me suis réveillé. Mon cœur battait à fond. Comme si j'avais couru un 100 mètres toute la nuit ! Super, quoi ! J'ai regardé son lit. Il dormait comme un bébé sauf qu'il ronflait un peu. J'ai soulevé mes draps histoire de voir s'il m'avait pas coupé une jambe pendant la nuit. Non, ouf ! Y'avait tout encore là-dessous. J'ai soufflé un peu.
Après ça, nos contacts ont été encore plus chaleureux. On s'entendait encore mieux, quoi. Du coup, on a pu monter notre projet, tranquille. Là, tous les deux dans notre petite piaule d'hosto.


16.

Ce jour-là a commencé comme ça, donc. Par Damien qui ronflait près de moi. Il a pas vu que je le mâtais avec insistance. Son sommeil était profond. C'est après les soins du matin qu'on a commencé à élaborer notre projet. J'ai parlé le premier mais j'ai bien senti qu'il en crevait d'envie de faire comme moi. J'ai pas eu besoin de le pousser beaucoup. Du coup, il a voulu s'occuper de tout le côté pratique du plan. « Un putain de merveilleux de plan », il a dit. J'ai été étonné qu'il soit étonné. J'étais sur le cul, j'ai juste dit : « merci ». Moi, je devais m'occuper du côté mental, du psy en quelque sorte. Lui, s'en sentait pas capable. Il disait qu'il souffrait déjà d'une maladie psy alors s'il fallait rajouter ça en plus, c'était le pompon et l'échec assuré !

Vers 13 heures, Damien s'était encore endormi. Il adorait ça, la sieste. C'est à ce moment là qu'on est venu me chercher. J'étais assis sur mon lit à regarder le train qui passait au fond. J'étais devenu un spécialiste des trains. Je connaissais leur couleur, leur vitesse et leurs horaires. Du bleu pour les TGV et les TER, du rouge et du gris pour les trains de marchandises. Je pouvais même les reconnaître les yeux fermés. Un énorme fracas métallique pour les transports de matériels, un long sifflement pour les rapides de voyageurs. Faut bien ça pour eux ! Bref, je vais pas faire un cours sur les trains. C'est une infirmière qui est venu me chercher. Elle m'a conduit dans un bureau tout petit. Y'avait une femme derrière. Elle était presque vieille et ridée. Des affreuses lunettes sur le nez. Elle m'a dit de m'asseoir.

Elle m'a parlé pendant longtemps, j'ai pas tout compris ce qu'elle voulait me dire. Elle a dit qu'y avait un problème avec ma mère, qu'elle pourrait pas revenir travailler ici pendant un sacré bout -d'ailleurs je me suis demandé combien de temps ça pouvait faire ça, un sacré bout- et qu'y aurait sûrement les gendarmes qui viendraient m'interroger.
J'ai dit : « encore ! »
Mais c'était pas pour la même chose, pas pour mon histoire avec la prof qu'ils voulaient me voir.
En sortant du bureau, j'ai compris que ma mère ne viendrait plus me voir. Je sais pas pourquoi, comme un pressentiment. Elle devait avoir trop honte d'elle. Je la connaissais, ma mère. Très fière. Ou bien elle s'en fichait. Elle avait été interrogé par les keufs je crois, parce qu'elle avait volé de l'argent dans l'hôpital à plusieurs patients. Je pense que c'est pas vrai, moi. C'est pas une voleuse ma mère ! Mais, ils voulaient la virer depuis longtemps de toutes façons. Donc, il leur fallait bien un motif. Y' z'ont pas trouvé autre chose que ce truc dégueulasse pour la lourder. Et puis quoi ? Elle irait pas en prison pour autant ! Pas la peine d'en faire une maladie.
Du coup, j'ai eu envie de précipiter notre projet. J'en avais trop marre de cette vie. Tous ces problèmes qui s'accumulaient à cause de moi. Ma mère qui piquait du blé pour manger. Ma mère qui ne dormait plus à cause du collège qui allait m'virer. Ma mère qui s'engueulait avec mon père qui voulait plus m'voir. Ras-le-bol quoi ! Il fallait le faire le plus vite possible sinon, on s'en sortirait jamais de ce piège.
J'ai couru pour rejoindre ma chambre. Je suis arrivé en soufflant comme un bœuf. Evidemment, Damien n'était pas là. J'ai regardé par la fenêtre. Il était en train de taper le ballon dans la cour. J'ai foncé vers la sortie, j'ai descendu quatre à quatre les escaliers et je lui ai tout raconté. Il a compris tout de suite mais il m'a dit de pas m'affoler. Faut pas s'précipiter sinon on peut tout faire foirer. Il était pas con, ce gars. Je pense qu'il réfléchissait bien. Il s'est assis sur un banc et a baissé la tête. Il crachait en même temps. Ça faisait une grosse flaque sous lui. Moi, je le regardais en piaffant. J'attendais qu'il me dise : « oui, putain ! On y va ce soir ! » J'attendais juste ça. Mais au lieu de me rassurer, il arrêtait pas de me dire qu'il fallait pas qu'on change d'un iota c'qu'on avait déjà décidé. « Un plan, c'est un plan. Faut surtout pas le désorganiser je te dis sinon on foire tout. Alors, tu te calmes. »

Il faisait presque chaud. Damien qui avait joué au foot était en tee-shirt. On voyait tous ses os tellement il était maigre. Normalement, il avait pas trop le droit de faire du sport. Trop dangereux pour son corps, ils lui avaient dit. Mais bon, c'était le seul truc qui lui plaisait, donc ils étaient assez cool avec ça. Ils lui disaient rien.
On est resté un bon moment comme ça, comme deux cons. L'un assis sur un banc, la tête baissée à alimenter sa flaque de morve, l'autre debout devant. Comme un gland. A attendre je ne sais quoi. Ça a duré longtemps. Dix minutes, peut-être plus, je m'en souviens plus. Et après, j'en ai eu assez. J'ai dit : « allez, j'me casse ! »



17.

Dans la piaule, j'ai fermé les volets, je me suis allongé sur mon lit et j'ai chialé un bon coup. Ça faisait longtemps que j'avais pas pleuré comme un nouveau-né. Une grosse madeleine. Après coup, j'en ai eu honte. Mais ça m'a fait vachement du bien. Des larmes, des grosses larmes énormes ont coulé. Je croyais qu'elles allaient jamais s'arrêter de couler. On aurait dit une vraie fontaine.
J'ai pensé à plein de choses : à moi, mes cours, à ma mère aussi qui était chez les flics. Finalement, il avait raison Damien. Fallait pas qu'on s'affole. Au moins, en attendant de mettre notre plan à exécution, on était bien ici. On était tranquille, on nous donnait à bouffer et on nous shootait avec des médocs. Tout ça pour pas un rond ! La grande classe, quoi.
Après ça, j'ai du m'endormir car j'ai pas entendu mon collègue de piaule rentrer. J'ai regardé l'heure. Mon plateau repas m'attendait sur la table de chevet.
Je lui ai demandé :
- Depuis combien de temps il est là ?
- Sais pas. Dix minutes peut-être.
- T'en veux un peu ?
- J'ai le mien. Tu sais bien que j'ai pas le même régime que toi.
- Alors, j'ai dit en me redressant.
- Alors quoi ?

- On le fait ou quoi ?
- Bien sûr qu'on le fait.
- Demain ?
- Ouais mec. Demain ça sera bon. Inutile de s'magner l'train plus que ça. C'est le cas de le dire, non ? il a dit en rigolant.
Je me suis mis à rire aussi. Il était drôle quelque fois Damien. Un vrai boute en train, ce gars-là ! Et oui, encore une histoire de train !!!
On a attendu que tout le monde dorme dans l'hosto, enfin la majorité des gens car y'a jamais tout le monde qui pionce là-dedans ! Une vraie ruche. Y'a toujours quelqu'un pour entrer dans les piaules des malades. Y'a toujours des pas qui traînent dans les couloirs, des portes qui claquent et des bips qui résonnent. Attention !
Silence Hôpital !
Attention, ici on crève dans le bruit !
Bref, on a patienté un petit moment. On avait laissé les volets ouverts si bien qu'avec la lune on y voyait presque comme en plein jour.
Dehors, à part les trains qui passaient, y'avait pas beaucoup de bruit. Les gens étaient partis dormir.
On a finalisé notre plan. Y'avait pas intérêt à commettre une boulette. Sans quoi, c'était l'échec assuré.
D'abord l'heure. Important pour pouvoir se barrer. Pas trop tôt pour pas être repérés. Pas trop tard pour pas se retrouver coincés. Un fin calcul et nous avions décidé de s'échapper à 21h30. Après le repas du soir et une fois que toutes les infirmières avaient fait leur première ronde de la nuit. Avant de passer le relais à l'équipe suivante. Dans l'intervalle. J'avais toujours vu ça à la télé dans les films de pilleurs de banque ou de prisonniers qui s'évadent. Ils choisissent toujours le moment du changement d'équipe. J'avais trouvé ça classe. J'ai proposé cette idée à Damien. La seule que j'ai eue dans l'organisation de ce plan. Il a trouvé ça bien aussi mais je le soupçonne d'y avoir pensé aussi.
J'avais jamais pris le train. J'étais même jamais monté dans un de ces machins. Ça me faisait tout drôle rien que d'y penser. J'étais tout excité à cette idée. Voir enfin un train de près. Pouvoir le frôler peut-être le toucher, sentir le froid du métal sous ma main, son odeur aussi.
Et nous n'avions pas choisi le pire. Le mieux même, la limousine des rails, la star du chemin de fer, je veux bien sûr parler mesdames et messieurs du T.G.V. L'unique, le seul. Le vrai, le beau, le bleu.
Après l'heure que nous venions de définir, l'endroit. Important aussi. Fallait pas qu'il arrive trop vite le train, pour pas qu'il nous passe sous le nez mais pas trop lentement non plus pour pas que le conducteur ait le temps de nous arrêter. Ça, comme je l'ai dit toute à l'heure, c'était le job de Damien.
On a cogité un bon moment comme ça jusqu'à c'qu'une vieille infirmière vienne nous dire de nous taire. On dérangeait chais pas qui vu que tout le monde dormait mais bon. On l'a écouté. Fallait garder des forces pour notre soirée de demain. J'ai avalé mes pilules avec un peu d'eau et j'me suis pieuté.



18.

Le lendemain, les flics sont venus me voir. Ils voulaient m'interroger sur ma mère. Ils disaient n'importe quoi comme quoi c'était une voleuse, que je savais, que je mentais pour la protéger. Tout ce genre de conneries, quoi. Moi en plus, c'est vrai que je mentais pas vu que je savais rien de tout ça. Ma mère, c'est pas une voleuse, je leur ai dit. Ils ont pas le droit de la traiter, ma mère. Elle faisait tout pour moi. Justement, ils ont dit. Elle irait jusqu'à voler ! Les connards, ils déformaient tout ce que je disais.
Au bout d'une demi-heure avec ces imbéciles, j'ai plus parler. J'avais plus envie. Ils voulaient me forcer, me disaient qu'au poste je parlerais et tout le saint-frusquin. J'en avais rien à foutre. J'allais m'barrer -ça je leur ai pas dit mais j'le pensais très fort- ma mère finirait au trou. Mon père était au fond d'un autre. Tout était cool, quoi.
A un moment, ils ont demandé si j'avais un avocat. Nan mais n'importe quoi ! Comme si on était dans un film de flics de merde. Je sais pas pourquoi, j'ai pensé à Jacques Villeret dans le « dîner de con ». J'ai éclaté de rire. Ça leur a pas plu. Y'en a même un qui a failli m'foutre une baffe. J'le voyais. Il était devenu tout rouge et sa main tremblait.
Ils pouvaient rien contre moi, j'le savais. Eux aussi. Ils voulaient seulement m'foutre les boules. Ça marche pas avec moi. Je sais comment ça fonctionne moi, le système. Ils m'auront pas comme ça. Du coup, ils ont pas voulu m'donner des nouvelles de ma mère, les salopards. Y'en a juste un qu'a dit une connerie du genre : « t'inquiètes pas môme, on la garde bien au chaud, hein les gars ? » Il avait dit ça en rigolant le gros balourd.

J'ai eu une envie de meurtre à ce moment.
Puis, y'a l'autre qu'a parlé de la prof que j'avais frappée. Il paraît qu'elle avait porté plainte contre moi et que je devrais venir déposer au commissariat dès qu'ils me convoqueraient. « L'enquête est en cours et tu risques gros, bonhomme.»
- Qu'est-ce que je risque ? j'ai demandé.
- Le juge en décidera. Peut-être un place dans un centre éducatif renforcé.
- Rien à battre.

C'était vrai, j'en avais rien à faire de leur machin. J'avais déjà entendu parlé de ces CER. Tu parles ! Une espèce de pensionnat en un peu plus dur, quoi. Quelques éducateurs costauds recrutés dans la Légion pour foutre les boules aux jeunes. Point barre. J'en connaissais qui s'en étaient déjà échappés. Bof, ça me faisait pas peur leur truc.
- Et puis un travail de réparation, genre un travail d'intérêt général.
- Oh ! La belle affaire !

Après leur départ, je suis resté longtemps seul dans ma chambre. J'avais envie de pleurer encore. De crier aussi.
Cette injustice ! Je la vivais seul. J'étais tout seul et pourtant tout le monde continuait de me faire chier. J'avais fait mon caïd devant les képis mais au fond, j'avais foutrement les jetons. Il était grand temps qu'on s'casse d'ici avec Damien.

Et puis, comme une mauvaise nouvelle n'arrive jamais seule, il s'est ramené aussi avec la sienne. Il était tout content. Le sourire jusqu'aux oreilles. Je l'avais jamais vu comme ça, Damien.
J'lui ai demandé c'qu'il avait.
- Tiens toi bien, il m'a dit.

J'risquais pas d'aller bien loin. J'étais assis sur mon lit. A moitié à poil.
- Il se passe quoi ?
- Un truc extraordinaire.
- Ah ! Vas-y, tu m'fais peur, là.
- J'ai grossi.

J'avais du mal à comprendre. J'l'ai fait répéter.
- J'ai grossi.

En fait, non. J'avais bien compris la première fois.
- Et alors ?
- J'ai le droit de voir mes parents.
- Parce que t'as grossi, t'as le droit de les voir ?
- Ben oui, c'est une des conditions de mon traitement.

Là, j'ai compris que sa maladie, c'était vraiment un truc de fou.
- Et puis ? j'ai demandé un peu naïvement. En quoi ça me regarde ?
- Tu comprends pas ?

Il s'est un peu énervé, je crois qu'il voulait pas me faire de mal. Il aurait voulu que je comprenne sans qu'il me le dise. Moi, j'y voyais pas clair du tout dans son histoire. J'avais besoin qu'il m'explique. Je suis pas très futé, moi.
- Ben, non. Je comprends rien à c'que tu m'dis. J'ai quoi à voir dans ton histoire, bordel ?
- Notre plan, mec. Fais pas exprès de pas comprendre. Je peux pas venir avec toi. Tu comprends ? Je Peux Pas Venir !

J'ai fait celui qu'en avait rien à foutre.
- Tu les vois quand tes vieux ?
- Samedi.

J'ai fait un rapide calcul dans ma tête. On était mardi. Ça nous laissait quatre jours. Je lui ai dit ça.
- Nan, mec. Je viens plus. Je peux plus leur faire ça. Y'a quelque chose qu'a changé en moi. Je crois que je suis sur la bonne voie. Inutile d'aller chercher plus loin. Je rentre chez moi.
- Tu rentres chez toi ? Alors t'es guéri ?
- Nan, pas encore. Je rentre pour le week-end.

- Mais, tu peux pas me laisser tout seul. Qu'est-ce que je vais faire sans toi ?

Damien a essayé de me rassurer, mais j'avais plus envie de l'écouter. Au fond, je crois qu'il s'en foutait. Il pensait qu'à ses petits kilos et ses parents. Ouais, le reste, il s'en foutait.


19.

La voie ferrée.
Le pont.
Les trains.
Derrière, l'hôpital. Y'a encore quelques fenêtres d'allumées. Je vois une silhouette bouger dans notre chambre. Damien. Il me regarde peut-être. Je sais pas. Je l'espère. Il m'a tout expliqué. Le train va passer à 22 heures 03 pétantes. Il faut donc que je sois là, pas en retard. Il a bien calculé et a réglé ma montre à la seconde près. Il a appelé l'horloge parlante pour ça. Avec ça, m'a-t il dit, je serai au top pour le grand voyage. J'ai pas pris de sac. Là où je vais, j'en ai pas besoin.
« Le truc, c'est d'être ponctuel et synchro » il avait dit Damien. Dès fois, il parle comme un intellectuel. Cette phrase qu'il m'avait répétée une dizaine de fois avant que j'me tire résonne sans cesse dans ma tête. Ponctuel et synchro. Pour le premier, c'est bon. Pour le second, y'a rien de gagné encore. J'ai besoin de concentration.
- Si tu loupes le 22H03, t'es niqué pour trois quarts d'heures. Si tu foires le 22H47, là t'es bon pour dormir sur la voie. Aucun train avant 06h43. Et encore c'est un vieux coucou de marchandises à la noix.
Ouais, on peut dire que Damien, il connaît bien son sujet. Il a bien étudié l'affaire. Mais moi, je suis bien décidé à m'en aller. Pas question de louper le coche. J'aurai le premier train. Basta. On n'en parle plus et on se tire vers une autre destinée. Point barre.


20.

La flamme de mon briquet a tout à coup illuminé la nuit. J'ai pris une clope et me la suis glissé dans le bec. Cadeau de Damien avant de partir.
« Tu t'en grilleras une en pensant à moi » il m'a dit une fois que je passais la porte de notre chambre. Putain, oui je pense à lui. Il m'a foutu les boules le salaud en me laissant tout seul cette nuit mais je peux pas trop lui en vouloir vu les circonstances. Prêt à s'barrer un jour. Plein d'espoir le lendemain. C'est comme ça la vie. Y'a des hauts, y'a des bas. Enfin, je crois que c'est comme ça que ça se passe. Sauf pour moi. Je suis au fond du trou, au creux de la vague. Toujours à la même place. Sans espoir. C'est comme ça quoi.
Donc, assis près de la voie ferrée, je regarde ma montre. J'ai plus d'une heure d'avance.
Au loin, dans l'hôpital je vois toujours cette lumière qui me provoque. Je rêve qu'elle s'éteigne et que je vois arriver le grand Damien, le baluchon sur le dos. Je veux qu'il arrive, qu'il me dise : « allez, j'me casse avec toi. T'as raison mec, j'me suis planté sur toute la nuit. »
La ville en bas produit des bruits que je ne reconnais pas. C'est un peu effrayant tout ça. A vrai dire, j'me sens pas rassuré ici, tout seul. Le prochain train va passer dans longtemps et moi je suis là, à poireauter comme un gland.
La cigarette est forte à mon goût. Je suis pas doué pour fumer, ça m'a toujours fait mal à la gorge quand je tire dessus. Mais devant les gonzesses, ça fait de l'effet. Un style cow-boy qu'elles apprécient. Maintenant, je fume pour me donner l'air d'un grand qu'à peur de rien.
Je recrache la fumée en soufflant très fort.
A un moment donné, je crois que j'me suis endormi. J'me suis appuyé à mon sac et j'ai fermé les yeux. Je regarde ma montre et me demande où je suis. Ouais, j'me suis endormi.
Plus qu'une demi-heure avant le passage du fameux train.
La lumière de notre chambre s'est éteinte. Comme beaucoup d'autres d'ailleurs. Mais Damien ne viendra pas. Maintenant, je sais que je ne le reverrais plus.


21.

21H50.
Plus que treize minutes. Mon cœur commence à s'exciter sérieux. J'ai aussi de la sueur qui coule le long de mes tempes. Il paraît que ça s'appelle le stress. L'angoisse du grand départ, j'en ai déjà entendu parler. Je l'ai vécu aussi. Quand j'ai quitté mon père à Denain pour venir ici. Oh ! bien sûr, j'avais pas pris le train, j'étais venu en bagnole. Mais bon, c'est un peu pareil, quoi. On quitte un quelque part pour un ailleurs qu'on ne connaît pas. C'est pas simple ça. Forcément, on flippe un peu à ce moment là.
21H55.
Plus que huit minutes. Ma vie repasse devant moi. Comme un album photo qu'on montre à ses amis. Je suis un simple spectateur. Tout simplement. J'ai fait des conneries, beaucoup. La dernière en date était cette tentative. J'ai complètement foiré et les flics qui déboulent, les pompiers après. J'ai pas appuyé assez fort sur la lame de ce cutter…je serais plus là pour en parler autrement. Et puis, y'a cette prof que j'ai un peu tapé. Elle m'a énervé aussi. Faut pas m'énerver moi. Je suis comme ça, c'est tout. C'est plus fort que moi. J'arrive pas à me contrôler.
22H00
Je penche ma tête sur les rails. Comme les indiens, j'avais vu ça dans des westerns. Mon père, c'est un fan de Clint Eastwood. J'crois que c'est comme ça qu'il s'appellr, ce grand steak américain. Bref, il regarde des cassettes avec tout ça. Des indiens qui plantent leurs oreilles pour voir si un train arrive. Je fais la même chose. Putain ! Oui ! Ils avaient raison ces peaux-rouges ! J'entends un bruit bizarre qui devient de plus en plus fort.
Ça chauffe aussi. Je relève la tête et scrute l'horizon.
22H01.
Je vérifie que je suis bien planqué derrière un petit bosquet. Le conducteur ne pourra pas me voir. Les phares du train deviennent de plus en plus forts maintenant. Ils se rapprochent dangereusement. Damien, il m'avait dit : « si tu te planques bien, l'autre, il y verra que du feu. Impeccable pour ton affaire, mec. » Sa voix résonne comme un tambour.
22H02.
Il est bien à l'heure le bourricaud. Pour une fois !


22.

A l'heure dite, la messe sonne. J'ai pris un billet sans retour pour un grand voyage. J'ai pas payé cher. J'y vais.
Au dernier moment comme m'a expliqué Damien. « Le conducteur pourra jamais freiner. » Je mets mon sac sur le dos. Histoire de dire que j'emporte tout avec moi. Je veux rien laisser. Sinon des souvenirs tâchés. J'ai même pas laissé une lettre d'adieu expliquant mon geste. Non, rien du tout.
Mon père quelque part dans le Nord se fout de moi.
Ma mère probablement en tôle pour un bon moment.
Mon frère s'en sortira mieux sans moi.
Je saute sur les voies.

Il paraît qu'à l'endroit où le train m'a percuté quelqu'un a déposé des fleurs en tissu. Pour ma mémoire. Histoire de dire qu'on s'occupe de moi. Encore un coup de Damien, ça.


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